Le domaine de Lamain-Aupanier est une merveille pure et simple de la Renaissance. Classé monument historique par le syndicat d’initiative de Courmois-sur-Lerable, il se dresse sur une éminence grise dominant la Seine. Une aile a été détruite lors de la Révolution française, la grande, celle de 1958, par un incident de frontière ; une autre, la même année, par un incendie de forêt et une troisième enfin par un orage vicieux qui a, en outre, endommagé la toiture, scalpé le paratonnerre, dévasté les écuries, rasé la cheminée et brisé les fenêtres. Bref, c’est la vraie épave. De la cabane pour aristo fauché… Lorsque nous stoppons devant la grille rouillée dont la serrure ne ferme plus, mes acolytes et moi-même restons médusés. L’homme au complet funèbre part d’un rire épais comme une platée de polenta.
— Dis, Pinuche, gouaille le Gros, t’es sûr que le châtelain qui habite ce tas de gravats a une M.G. ?
Exactement le genre de réflexion que j’étais en train de me faire in petto.
Nous empruntons une allée bordée de ronces et mangée par l’herbe pernicieuse qui nous conduit à un perron vétuste. La lourde est vermoulue. La chaîne rouillée d’une cloche pend sur le côté droit. Je tire dessus en me demandant si elle ne va pas me rester dans la pogne mais elle résiste. A l’intérieur de la maison, une sonnerie fêlée retentit.
Ça ressemble à un glas. Si j’étais émotif, je frissonnerais. On se croirait dans un film d’épouvante style avant-guerre. Personne ne répond à mon appel. Je secoue à nouveau la chaîne, mais un silence épais, humide, légèrement poisseux sur les bords, s’étale sur nos têtes.
— Balpeau, traduit le Gros qui sait, mieux que Mozart, interpréter les silences.
— Cette demeure est sinistre, remarque Pinaud à qui rien n’échappe, hormis des incongruités.
Nous nous regardons tous les trois avec désarroi.
— Inscrivez pas de chance, fait Béru. Se farcir soixante bornes pour des clous, c’est vexant.
C’est bien mon avis itou. D’un geste machinal, je tourne la poignée de la lourde. Celle-ci s’ouvre sans protester. Une odeur âcre et fade se faufile dans mon pif. C’est le remugle puissant des vieilles masures.
— T’es gonflé, dit Pinaud, si jamais le comte radine et qu’il soit du genre rouscailleur, tu vas comprendre. Moi, les nobles, j’en ai connu… Ils se croient toujours offensés. C’est comme les gardiens de la paix. Seulement, au lieu de foutre de contredanses, ils se battent en duel.
— J’aimerais, affirme Béru qui ne rêve que plaies et bosses. Je le prends à la patte à vaisselle, c’t’enviandé.
Pendant que mes équipiers se livrent à ces commentaires, j’investis la maison. D’abord c’est un grand hall décrépi, presque vide, meublé seulement d’une banquette gothique, tellement démantelée qu’aucun antiquaire n’en a voulu. Ensuite j’explore une immense pièce où subsistent une table, deux fauteuils et une gigantesque cheminée. Il y a des bûches mal consumées dans l’âtre. Un fauteuil Louis XIII à haut dossier se trouve à quelques centimètres des chenets chenus. Dans le fauteuil se tient un vieillard d’une maigreur effrayante, aux cheveux de neige, comme disent les cocaïnomen. Il est un peu penché sur le côté. Sa joue gauche repose contre une oreillette du siège. Un trou brun perce sa tempe droite. Il tient dans sa main crispée un pistolet d’arçon à la crosse ciselée.
Il est mort à ne plus en pouvoir et une sorte de majesté flotte sur ses traits.
— Ah ! ben ça, alors, balbutie le Gros.
— De quoi est-il mort ? s’inquiète Pinaud qui se tient du côté opposé à la blessure.
— Pas d’une hernie étranglée, murmuré-je en désignant la blessure.
Je me baisse pour ramasser un feuillet gisant sur des dalles. Je lis cette simple phrase :
Qu’on n’accuse personne de ma mort.
Bérurier étudie la blessure du comte.
— C’est bien un suicide, dit-il. Le Vieux s’est envoyé dehors… Probable qu’il en avait class d’habiter ici. Dans un sens, je le comprends. Je sais que moi j’aurais pas attendu si longtemps pour me cloquer une praline dans le chapeau…
Le sage Pinaud revient à son dada :
— Il est fauché comme les blés et il avait une M.G.
Je mate le cadavre, rêveur. Il est vêtu d’une vieille veste d’intérieur à brandebourgs, usée, luisante, élimée… Son pantalon fait des poches aux genoux, sa chemise au col râpé est sale… Les mules qu’il a aux pieds n’ont plus de forme et sont crevées comme des marrons trop cuits…
— Enfin, quoi, vous l’imaginez au volant d’une bagnole sport, ce pauvre mironton ? s’exclame Pinuche.
Le fait est que l’idée est presque cocasse.
— Mes enfants, susurré-je, je crois que nous sommes embarqués dans la plus ténébreuse des affaires. Depuis hier, ça n’arrête pas de se compliquer et de rebondir… On commence par un Russe douteux, on passe à une fille qui usurpe une identité et une maison, on continue par une bagnole sport appartenant à un vieux noble ruiné, on corse ça avec un attentat à la mitraillette et à la grenade, et on termine sur un domaine en friche dont le propriétaire vient de se détruire. Avouez que c’est gratiné !
Ils avouent sans se faire prier.
Par acquit de conscience, et par déformation professionnelle aussi, nous fouillons la pauvre maison délabrée. Le comte a tout bazardé. Au premier étage, seule une chambre reste meublée. Tout le reste est parti chez les marchands de vieilleries de Saint-Germain-des-Prés.
Le Gros, avant de partir, tire la conclusion qui s’impose.
— Vous voyez, déclare-t-il, vaut mieux être charcutier et avoir de l’artiche que d’être comte et claquer du bec.
Il gratte une tache de plâtre sur son costard d’un ongle qui ferait évanouir une manucure.
— Qu’est-ce qu’on branle, maintenant ?
— On va mettre les gendarmes du patelin au parfum des événements, c’est à eux de jouer.
— Ensuite, on ira casser la graine, j’espère ? demande Bérurier qui a les entrailles turbulentes lorsque l’heure de la tortore approche.
— Ça ne te coupe pas l’appétit, les cadavres de vieux nobles ?
Le Gros barrit.
— Il en faudrait beaucoup plus, mon pote ! Si tu crois que ça me dérange…
Nous évacuons le domaine de Lamain-Aupanier pour rallier celui de la maréchaussée.
La gendarmerie de Courmois-sur-Lerable est une petite construction pour rentier modeste qui ne se différencie de celles qui l’environnent que par le panneau sommant sa porte. Lorsque le valeureux trio y pénètre, le brigadier qui la dirige est occupé à s’ôter les cors au pied avec un rasoir à main. C’est un homme élégant qui ne dépasse pas les cent dix kilos, pourvu d’un visage avenant encore que violacé et qui serait tout à fait beau gosse si son nez ne ressemblait à une pomme de terre. Ses yeux injectés de sang ont une douceur quasi bovine et ses sourcils fournis (par l’intendance militaire sans doute) ne sont qu’à trois centimètres et demi de ses cheveux graisseux. A côté de lui, l’Apollon du réverbère ressemble à Michel Simon.
Il achève de cisailler son durillon et, nous ayant coulé un regard glaireux par-dessus son épaule trop enveloppée, demande :
— Ce qu’v’vlez ?
— On vient rapport à une déclaration, fais-je en m’asseyant sur le banc de bois où un client de la maison grava « Mort aux vaches » un jour de spleen.
— Vous avez perdu quèque chose ? fait le brigadier en recueillant son durillon dans le creux de la main pour le faire miroiter à la lumière.
— On aurait plutôt trouvé que perdu, rectifie mon adjoint à carreaux.
Le brigadier dépose son durillon sur un dossier, enfile sa chaussette avec une maîtrise totale qui donne un aperçu sur le parfait fonctionnement de ses réflexes et se décide à questionner :
— Vous auriez trouvé quoi ?
— Un mort, laissé-je tomber négligemment.
Pinaud qui se délecte tète son mégot éteint. Le gendarme à pied (à pied nu) soulève la visière de son képi afin de s’aérer l’Annapurna et se met à nous considérer tous trois exactement comme si nous étions des représentants en poil à gratter.
— Vous v’ foutez de ma gueule ? demande-t-il avec une espèce d’ombre d’inquiétude dans la voix.
Je me hâte de disperser son trouble.
— Absolument pas. Je peux même vous préciser qu’il s’agit du comte de Souvelle. Il s’est suicidé en s’introduisant une certaine quantité de plomb dans le temporal par le truchement d’un pistolet d’arçon.
L’autre assimile (il a la méthode) et, du bout des doigts, joue avec le superbe durillon aux tons jaspés. On dirait une eau-forte (extra-forte, bravo Amora) et je l’imagine dans la vitrine de Mme de Brelan d’As pour la semaine de la rue Saint-Honoré.
— Comment que vous savez ça ? demande-t-il encore après avoir glissé le durillon dans son étui à revolver.
— On le sait de visu, affirme Pinuchet en déposant son mégot dans l’encrier du pandore.
— Qui est Visu ? s’inquiète celui-ci.
Bérurier, que la faim tourmente et qui a hâte de conclure, me tire par la manche.
— Tu ferais bien d’incliner ton identité à môssieur pour éclairer sa lanterne.
J’admets et propose ma carte au brigadoche. L’homme lit. Puis il abaisse son képi, boutonne sa braguette et me dédie un salut militaire qui attendrirait un général de division.
— Mande pardon, comme je vous connaissais pas, je vous ai pas reconnu, s’excuse-t-il. Alors comme ça le comte s’est détruit ?
— Complètement.
Le représentant à part entière de la loi hoche sa tête d’hydrocéphale.
— Ça devait arriver, murmure-t-il sous sa moustache rasée.
Je tressaille.
— Pourquoi dites-vous ça, brigadier ?
— C’t homme-là, affirme mon interlocuteur, c’était un pauv’ homme.
— Pourquoi ?
— A cause de sa garce de fille…
Je frémis.
— Il avait une fille ?
— Pour son malheur, oui. La belle Monique, vous parlez d’un numéro.
Pinaud me regarde avec un air d’en avoir trois ou quatre.
— Tiens, tiens ! fait-il dans un français irréprochable.
Béru, qui donne des signes de fatigue, s’assied sur le bureau du brigadier.
— Mande pardon, fait celui-ci.
Le Gros se dresse, le brigadier arrache du fond de culotte de mon vaillant guerrier la tartine de rillettes qu’il s’apprêtait à consommer afin de compenser l’ablation de son durillon.
— Excuse, dit noblement Béru en raclant le reliquat de pâté du bout de ses ongles en berne.
Il dépose cet excédent de bagage sur sa cravate et finit d’essuyer ses doigts à ses revers. Moi, je reviens à mon bélier :
— Parlez-moi de Monique de Souvelle, brigadier…
Il ne demande que ça, le self-pédicure. Du moment qu’on lui donne de l’importance, il est partant. Lui, les premiers grands rôles en costumes, c’est son vice. Il doit être d’Alençon : il aime broder. Et le voilà qui démarre en rase-mottes :
— Faut dire que le vieux de Souvelle y a pris peine. Joueur que vous pouvez pas vous imaginer. Sa culotte qu’il a laissée sur les champs de courses…
Pinaud participe, vite fait.
— L’oncle de ma femme était comme ça, assure le Croulant. Brave homme, mais tout pour le cheval. Il avait une épicerie fine à Montrouge, si je vous disais…
— Non, tranché-je, ne le dis pas ; écris-le plutôt sur du papier à musique et fais-le orchestrer…
Il hausse les épaules et s’abstient. Le pandore peut continuer.
Le brigadier qui a des usages sort une bouteille de pastaga de son placard ainsi que quatre verres douteux et il prend un vieil arrosoir plein d’eau.
Il sert d’abondantes rations.
— Vous mettez de l’eau dedans ? demande-t-il.
— Une goutte, pour parfumer, dit Pinaud.
— Et moi, une goutte aussi, par hypocrisie, roucoule le gars Béru radieux comme un soleil d’Austère-Litz.
L’atmosphère est à la détente. D’ailleurs, mis en confiance, le brigadier desserre son ceinturon de deux crans afin de libérer son abdomen.
Il avale son pastis sec, claque de la menteuse, se torche les mollusques et attaque :
— Veuf de bonne heure avec une fille sur les bras. Y s’occupait pas d’elle. C’était la dégringolade au château. Monique, à peine qu’elle a eu ses dix-huit ans, elle s’est barrée, comprenez !
Un triple hochement de carafons lui indique que nous comprenons. Voyant qu’il a affaire à des psychologues convaincus, le gendarme poursuit :
— Ce qu’elle a pu maquiller, c’te gosse, j’en sais trop rien. Toujours z’est-il qu’elle a fait causer d’elle. La foiridon. La vie de barreau de chaise après la vie de château. Du coup, le vieux s’est barricadé dans sa bicoque. Il avait honte et voulait plus voir personne. Il était fauché et ne bouffait que du fromage.
— On en fait du bon, dans la région ? demande Bérurier, lequel a deux couvercles de boîte de camembert à la place des yeux.
— Pas mauvais, assure le gendarme.
— Fromage cuit ? insiste le Gravos.
— Non, fromage gras.
— A combien ?
— Cinquante-cinq pour cent.
— C’est la bonne moyenne ! décrète l’Enflure.
— Ensuite ? coupé-je.
Le brigadier va pour continuer, mais un marmot barbouillé de confiture entre en chialant et dit à son papa que le fils du voisin vient de le traiter de fils de bourrique.
Le brigadier console, en bon père, promet ses sévices et, comme son hoir ne se calme pas assez vite, l’évacue du burlingue à coups de savate dans le prosper.
— On causait de quoi ? me demande-t-il, un peu égaré en dégrafant son col.
— De Monique… Vous la connaissez ?
— Comme je vous vois. Elle venait de temps à autre voir son vieux. Elle roulait dans des autos de luxe…
— Une M.G. ? demande Pinaud, infaillible dans ses déductions.
— Non, y avait pas d’initiales dessus… La dernière fois elle s’est annoncée avec une bande de mal embouchés, ç’a été la goutte d’eau qui met le feu aux poudres. De Souvelle l’a virée.
— C’était quand ?
— Semaine passée.
— Décrivez-moi la jeune personne, please, brigadier.
L’autre se concentre comme un athlète qui va essayer les douze mètres cinquante au saut à la perche.
Il annonce, d’un ton haché menu et saupoudré de persil :
— La vingtaine… Taille un mètre soixante-cinq environ. Cheveux blonds. Front moyen. Yeux clairs. Nez droit. Signes particuliers : néant.
Il se tait, s’essuie les quelques centimètres carrés de peau qui lui servent de front et me regarde.
— Vous voyez, commissaire ?
— Je vois.
Et c’est vrai. Je vois.
Je vois que c’est bien miss de Souvelle qui m’a joué la grande scène de « Madame en reveut » hier soir. C’est la fille du comte qui m’a prêté sa chignole. Une tire achetée au nom de son dabe pour des raisons imprécises…
Alors là, les potes, j’avoue que je suis dans les vapes. S’amuser à flouer un poulet sous son vrai blaze, l’envoyer au casse-pipe dans sa propre bagnole, voilà qui n’est pas courant. A vrai dire, c’est la toute première fois que ça m’arrive…
— Ça te la coupe, hein ? remarque le bienheureux Pinaud.
J’acquiesce.
— Vous permettez que j’use de votre téléphone, brigadier ?
— Abusez-z-en ! renchérit le gradé.
Je décroche le bigophone à moulinet gyroscopique à bain d’huile monté sur plate-forme tournante et j’obtiens une voix féminine et méridionale qui me demande ce qu’il y a pour mon service…
Je lui réclame la communication avec un grand journal du soir que je ne nommerai pas afin de ne pas faire une publicité disproportionnée à M. Pierre Lazareff.
L’ayant obtenue, je me fais brancher sur le service de mon ami Larronde, le champion du monde du bobard toutes catégories.
— Mais c’est le commissaire de Mé-choses ! brame le loustic en identifiant mon organe. Alors, bel emplumé, quoi de sensationnel dans ton compartiment de fumeurs ?
— Je t’apporte une information, mon grand.
— La principauté de Monaco déclare la guerre à l’U.R.S.S. ?
— Mieux que ça !
— Oh ! oh !
— Tu as entendu parler du comte de Souvelle ?
— Nenni, c’est un bon ami à toi ?
— Non.
— Dommage, les bons comtes font les bons amis !
— Très drôle, mais je l’ai déjà faite dans un précédent bouquin, grincé-je. En même temps que l’existence de ce personnage, je t’informe de son décès.
La voix de mon pote devient sérieuse.
Je l’entends appuyer sur le déclencheur de son stylo à bille.
— Assassiné ?
— Suicidé seulement !
Il s’emporte :
— Et c’est pour cette broutille que tu me fais perdre mon temps ! Alors que je suis jusqu’au trognon sur les amours d’une grande vedette de l’écran avec un prince homologué !
— A force de passer ta vie dans les bidets, tu vas finir par te noyer, prophétisé-je. Si je te dis de tartiner sur mon comte, c’est que j’ai mes raisons. Affaire à suivre, si tu vois ce que je veux dire ? Cette fin de comte n’est peut-être qu’un commencement…
Larronde cesse d’ergoter.
— O.K. ! La une, ça te botte ?
— Sur au moins deux colonnes, j’accepte…
— Conclu. Où ce qu’il perche, ton défunt à blason ?
— Domaine de Lamain-Aupanier par Courmois-sur-Lerable.
— C’est parti. A bientôt, valeureux chevalier. Ton Bérurier est toujours aussi immonde ?
— De plus en plus. Je l’ai sous les yeux et je peux te dire que je n’invente pas.
Il ricane une plaisanterie sur les malheurs conjugaux du Gros[1], et raccroche.
— Puis-je te demander les raisons de… ? commence le Pinaud des Charentes.
— Plus y aura de publicité sur le décès du comte, plus ça attirera du monde aux obsèques.
— Je comprends.
— En attendant, je te charge d’une mission de confiance, Pinuche.
— Je n’en attendais pas moins de toi, bêle le Vioque, satisfait de cette considération.
Il sent qu’il éblouit le gendarme et rend Béru boudeur ; ce sont deux raisons suffisantes pour porter son orgueil à l’incandescence.
— Tu vas t’acheter des conserves et t’installer au château pour veiller le de cujus en attendant l’arrivée possible des siens, tu mords ?
Il se renfrogne illico. Faut admettre qu’il y a de quoi refroidir les optimistes. Loger dans cette vaste masure démeublée en compagnie d’un cadavre, ça n’est pas exactement ce à quoi rêvent les jeunes filles ; ni même les vieux poulets rances.
— Tu garderas la liaison avec la gendarmerie. Le brigadier se fera un plaisir, je pense, de t’assister…
— Et comment, s’enorgueillit l’homme sans cors au pied. Je m’appelle Névudautre, Jean Névudautre, mon père était lieutenant des douanes, vous avez dû entendre causer ?
Ebloui par cette hérédité, je lui tends une main de fer.
— Bravo, brigadier, en vous apercevant, on sent tout de suite à qui on a affaire.
Je propose une vraie cigarette à Pinaud, manière de colmater sa mélancolie. Il l’accepte, l’écosse, en fait deux avec la même et me sourit.
— S’il y a du neuf je t’appelle ? demanda-t-il.
— Et comment. De toute façon, j’assisterai aux funérailles.
Là-dessus, après avoir malaxé des cartilages, je me taille, flanqué du brave Béru qui pleure la faim.
— J’aurais dû choisir un métier où ce qu’on briffe à heures régulières, se lamente le Gros. Moi, c’est mon cauchemar.
— A ta place, je présenterais un numéro de boulimie dans un music-hall, conseillé-je. Comme ça, tu pourrais tortorer régulièrement, sauf le dimanche lorsqu’il y a deux matinées.