Le téléphone sonna à nouveau. C'était Zoë. Elle appelait de Long Island. Elle s'amusait bien, il faisait beau, elle bronzait, avait eu une nouvelle bicyclette, trouvait son cousin Cooper mignon, mais je lui manquais. Je lui répondis qu'elle me manquait aussi et que je serais près d'elle dans moins de dix jours. Puis elle baissa la voix et me demanda si j'avais avancé dans mes recherches sur Sarah Starzynski. Le sérieux avec lequel elle me posa cette question m'attendrit. Je lui dis que j'avais effectivement avancé et que bientôt, je lui en parlerais.
« Oh Maman, dis-moi, qu'as-tu appris de nouveau ? Je veux savoir ! Tout de suite !
— D'accord, dis-je, en me rendant à son enthousiasme. Aujourd'hui, j'ai rencontré un homme qui l'a bien connue quand elle était jeune. Il m'a dit que Sarah avait quitté la France en 1952 pour faire la nurse à New York.
— Tu veux dire qu'elle vit aux États-Unis ?
— C'est ce qu'il semble », dis-je.
Il y eut une pause.
« Comment vas-tu la trouver ici, Maman ? me demanda-t-elle d'une voix moins joyeuse. C'est bien plus grand que la France, les États-Unis.
— Dieu seul le sait, ma chérie », soupirai-je. Je l'embrassai chaleureusement, lui envoyai des « je t'aime » et raccrochai.
Ce que, moi, j'aimerais bien savoir, mademoiselle Jarmond, c'est pourquoi cela est si important pour vous. Sur le coup, j'étais décidée à dire la vérité à Gaspard Dufaure. Comment Sarah était arrivée dans ma vie, comment j'avais découvert son horrible secret, comment elle était liée à ma belle-famille. Enfin, comment (maintenant que je savais pour l'été 1942, le Vél d'Hiv, Beaune-la-Rolande, la mort du petit Michel dans l'appartement des Tézac) retrouver Sarah était devenu mon but, ma quête, quelque chose qui monopolisait toute ma volonté.
Gaspard Dufaure avait été étonné de mon entêtement. Pourquoi la retrouver, pour quoi faire ? m'avait-il demandé, en hochant sa tête grisonnante. « Pour lui dire qu'elle compte pour nous et que nous n'avons pas oublié. » Ce fut ma réponse. Le « nous » le fit sourire. De qui s'agissait-il ? De ma belle-famille, du peuple français ? Légèrement irritée par son sourire narquois, j'avais rétorqué que c'était moi, tout simplement, moi et moi seule qui voulais lui dire à quel point j'étais désolée, que je n'avais pas oublié pour la rafle, le camp, pour Michel et le train pour Auschwitz qui avait emporté ses parents pour toujours. Comment, moi, une Américaine, pouvais-je être désolée ? Mes compatriotes n'avaient-ils pas libéré la France en juin 1944 ? Il ne comprenait pas. Il me dit en riant que je n'avais aucune raison d'être désolée.
Je le regardai droit dans les yeux.
« Oui, je suis désolée. Désolée d'avoir quarante-cinq ans et d'en savoir si peu. »