Les New-Yorkais me fascinaient. Leur pas décidé, leur humour, leur familiarité amicale. Mes voisins me disaient bonjour dans l'ascenseur, ils m'avaient offert des fleurs et des bonbons pour les filles quand nous avions emménagé, ils plaisantaient de bon cœur avec le doorman. Je n'avais plus l'habitude. Je m'étais faite à la mauvaise humeur parisienne, à cette façon de vivre sur le même palier en se disant à peine bonjour.
Mais le plus ironique, c'était que malgré tout ça, malgré le joyeux tourbillon de ma vie nouvelle, Paris me manquait. La tour Eiffel me manquait, surtout son scintillement de nuit qui, toutes les heures, la transformait en séductrice endiamantée. Les sirènes hurlantes des casernes de pompiers, chaque premier mercredi du mois, à midi pile, me manquaient. Comme le marché du samedi sur le boulevard Edgar Quinet, où le vendeur de fruits et légumes m'appelait « ma p'tite dame » alors que j'étais sans doute sa cliente la plus grande. Moi aussi, d'une certaine manière, j'étais une « Frenchy », malgré mon sang américain.
Quitter Paris n'avait pas été aussi facile que je l'imaginais. New York, son énergie, ses jets de vapeur sortant des grilles du chauffage urbain, son gigantisme, ses ponts, ses gratte-ciel, ses embouteillages monstres, ce n'était pas chez moi. Mes amis parisiens me manquaient, même si je m'en étais fait de très bons ici. Édouard, dont j'étais devenue si proche et qui m'écrivait tous les mois, me manquait. La façon de draguer des Français me manquait, ce regard qui « déshabillait », selon l'expression de Holly. J'en avais pris l'habitude. À Manhattan, il n'y avait plus que les interpellations joyeuses des conducteurs de bus : « Yo ! la belle plante ! » pour Zoë et « Yo ! la belle blonde ! » pour moi, sinon j'avais la sensation d'être devenue invisible. Je me demandais pourquoi ma vie me paraissait si vide. Comme si elle avait été dévastée par un ouragan. Comme si elle était un puits sans fond.
Quant à mes nuits…
Vides et ennuyeuses, même celles que je partageais avec Neil. Je les passais principalement coucher, allongée sur mon lit, chacun des sons de cette grande métropole vibrante, en laissant venir à moi les images de ma vie, comme une marée sur le sable.