Sarah avait quitté la France à la fin de l'année 1952. Elle était partie pour l'Amérique.
« Pourquoi là-bas ? avais-je demandé.
— Elle nous a dit qu'elle voulait vivre dans un pays qui n'avait pas été directement touché par l'Holocauste, comme l'avait été la France. Cela nous a fait de la peine à tous et particulièrement à mes grands-parents. Ils l'aimaient comme leur propre fille. Mais rien ne pouvait la faire changer d'avis. Elle est donc partie. Et n'est jamais revenue. En tout cas, pas à ma connaissance.
— Et là-bas, que lui est-il arrivé ? » demandai-je avec la même ferveur et la même sincérité que Nathalie.
Gaspard Dufaure haussa les épaules et soupira profondément. Il s'était levé, suivi par son chien presque aveugle. Sa femme m'avait servi une autre tasse de café corsé. Leur petite-fille était restée muette, lovée dans le fauteuil, promenant un regard attendri sur son grand-père et moi. Je savais qu'elle se souviendrait de ce moment, qu'elle n'oublierait rien.
Gaspard Dufaure se rassit en grognant un peu et me tendit ma tasse. Il avait fait le tour de la pièce, regardé les vieilles photographies et les meubles fatigués. Il s'était gratté la tête en soupirant. J'attendais. Nathalie attendait. Enfin, il reprit la parole.
Ils n'avaient plus de nouvelles de Sarah depuis 1955.
« Elle a envoyé quelques lettres à mes grands-parents. Un an après son arrivée aux États-Unis, une carte postale nous apprit qu'elle s'était mariée. Je me souviens que mon père nous a dit qu'elle avait épousé un Yankee. » Gaspard sourit. « Nous étions très heureux pour elle. Mais après ça, plus d'appels, plus de courrier. Plus jamais. Mes grands-parents essayèrent de la localiser. Ils firent l'impossible pour la retrouver. Ils appelèrent à New York, écrivirent des lettres, envoyèrent des télégrammes. Ils essayèrent de trouver son mari. Rien. Sarah avait disparu. C'était terrible pour eux. Les années passaient et ils attendaient toujours un signe, un appel, une carte. Mais rien ne vint. Puis mon grand-père est mort dans les années soixante et quelques années plus tard, ce fut le tour de ma grand-mère. Je suis sûr qu'ils sont morts le cœur brisé.
— Vous savez que vos grands-parents ont droit au titre de Justes, lui dis-je.
— Qu'est-ce que ça veut dire ?
— L'Institut Yad Vashem de Jérusalem donne ce titre aux non-Juifs qui ont sauvé des Juifs pendant la guerre. Cette distinction s'obtient aussi à titre posthume. »
Il s'éclaircit la gorge et détourna le regard.
« Trouvez-la. Le reste n'a pas d'importance. Je vous en prie, trouvez-la, mademoiselle Jarmond. Dites-lui qu'elle me manque. Qu'elle manque à mon frère Nicolas. Dites-lui que nous l'aimons et que nous l'embrassons. »
Avant que je parte, il me tendit une lettre.
« Ma grand-mère avait écrit cette lettre à mon père, après la guerre. Peut-être souhaiterez-vous y jeter un coup d'œil. Vous la ferez passer à Nathalie quand vous l'aurez lue. »