J'ouvris les yeux sur le visage de Zoë, à quelques centimètres du mien. Je sentais l'odeur typique de l'hôpital. C'était une petite chambre verte. J'avais une perfusion dans l'avant-bras. Une femme en blouse blanche remplissait une courbe de température.
« Maman… murmura Zoë en me pressant la main. Maman, tout va bien. Ne t'inquiète pas. »
La jeune femme s'approcha, sourit et caressa la tête de Zoë.
« Ça va aller, signora, dit-elle, dans un anglais étonnamment correct. Vous avez perdu beaucoup de sang, mais vous allez bien maintenant. »
Ma voix sortit comme un grognement.
« Et le bébé ?
— Le bébé va bien. Nous avons fait une échographie. Il y a eu un problème avec le placenta. Il faut vous reposer maintenant. Restez couchée pendant un moment. »
Elle quitta la chambre en refermant doucement la porte derrière elle.
« Merde alors, tu m'as foutu une de ces trouilles, dit Zoë. Je sais que je dis des gros mots, mais je pense que tu ne me gronderas pas aujourd'hui. »
Je l'attirai à moi en la serrant aussi fort que je pouvais malgré la perfusion.
« Maman, pourquoi tu ne m'as rien dit pour le bébé ?
— J'allais le faire, ma chérie. »
Elle leva les yeux vers moi.
« C'est à cause de ce bébé que Papa et toi vous vous disputez ?
— Oui.
— Tu veux ce bébé et Papa n'en veut pas, c'est ça ?
— Quelque chose comme ça. »
Elle me caressa la main tendrement.
« Papa arrive.
— Oh, mon Dieu ! », dis-je.
Bertrand, ici. Bertrand, comme point final à tous ces bouleversements.
« Je l'ai appelé, dit Zoë. Il sera là dans quelques heures. »
Des larmes emplirent mes yeux et finirent par couler le long de mes joues.
« Maman, ne pleure pas », me supplia Zoë, en essuyant frénétiquement mon visage avec ses mains. « Tout va bien, tout va bien maintenant. »
Je souris pour la rassurer, mais avec lassitude. Le monde me semblait vide, creux. L'image de William Rainsferd disparaissant en me disant Je ne veux plus jamais vous voir, ni entendre encore parler de tout ça, et par pitié ne me rappelez pas, me revenait sans cesse, ses épaules voûtées, la crispation de sa bouche.
Les jours, les semaines, les mois à venir, s'étiraient devant moi comme une masse grise et morne. Je ne m'étais jamais sentie si découragée, si perdue. Comme si on m'avait dévorée jusqu'à la mœlle. Que me restait-il ? Un bébé dont mon futur ex-mari ne voulait pas entendre parler et que j'élèverais seule.
Une fille bientôt adolescente et qui ne serait peut-être plus la merveilleuse petite fille qu'elle était encore. C'était comme si, tout à coup, je n'avais plus rien à attendre, rien qui me pousse à continuer d'avancer.
Bertrand arriva, calme, efficace, tendre. Je me laissai faire, l'écoutai parler au médecin, le regardai rassurer Zoë de quelques coups d'œil chaleureux. Il s'occupa de tous les détails. Je devais rester à l'hôpital jusqu'à l'arrêt complet de l'hémorragie. Puis rentrer à Paris et me tenir tranquille jusqu'à l'automne, jusqu'à mon cinquième mois de grossesse. Bertrand ne mentionna jamais Sarah. Ne posa aucune question. Je me retirai donc dans un silence confortable. Je ne voulais pas parler d'elle.
Je me sentais de plus en plus comme une petite vieille, baladée ici et là, comme on faisait avec Mamé dans les frontières familières de sa « maison ». J'avais droit aux mêmes sourires tranquilles, à la même bienveillance rance. Il y avait une certaine facilité à laisser ainsi prendre sa vie en charge. Je n'avais plus envie de me battre. Sauf pour cet enfant.
Cet enfant que Bertrand avait également omis de mentionner.