Encore un appel. J'aurais dû éteindre mon portable. C'était Joshua. J'étais surprise. Il n'appelait jamais à une heure aussi tardive.
« Je viens de te voir aux infos, dit-il d'une voix traînante. Belle comme une image. Un peu pâle, mais très glamour.
— Les infos ? Quelles infos ?
— J'ai allumé la télé pour regarder le vingt heures de TF1 et je suis tombé sur ma Julia, juste sous le Premier ministre.
— Oh ! dis-je, tu as vu la cérémonie du Vél d'Hiv.
— Bon discours, tu n'as pas trouvé ?
— Oui, très bon. »
Il fit une pause. J'entendis le clic de son briquet. Il devait allumer une Marlboro Médium, celles qui ont un paquet argenté et qu'on ne trouve qu'aux États-Unis. Qu'avait-il donc à me demander ? Il était habituellement plus brutal. Trop brutal.
« Que veux-tu, Joshua ? demandai-je, méfiante.
— Rien, rien. J'appelais juste pour te dire que tu as fait du bon travail. Ton article sur le Vél d'Hiv fait du bruit. Je voulais que tu le saches. Les photos de Bamber sont aussi très réussies. Vous avez été une fine équipe.
— Oh, merci. »
Mais je le connaissais bien.
« Rien d'autre, tu es sûr ? ajoutai-je prudemment.
— Il y a un truc qui me chiffonne.
— Vas-y, je t'écoute.
— Il manque quelque chose, à mon avis. Tu as eu les survivants, les témoins, le vieux type de Beaune, etc., tout ça, c'est très bien. Vraiment très bien. Mais tu as oublié deux, trois points. Les policiers. La police française.
— Et alors ? » Il commençait à m'exaspérer. « Où veux-tu en venir avec la police française ?
— Ton article aurait été parfait si tu avais pu interviewer d'anciens flics ayant participé à la rafle. Si tu avais pu en retrouver quelques-uns, juste pour avoir l'autre son de cloche. Même s'ils sont très vieux aujourd'hui. Qu'ont dit ces hommes à leurs enfants ? Est-ce que leurs familles sont au courant ? »
Bien sûr, il avait raison. Ça ne m'était jamais venu à l'esprit. Mon exaspération se dissipa. Je ne trouvais rien à lui répondre. J'étais saisie.
« Julia, ne t'inquiète pas, tout va bien, dit Joshua en riant. Tu as fait du très bon travail. Peut-être ces policiers n'auraient-ils pas voulu te parler, de toute façon. Tu n'as pas dû trouver grand-chose sur eux dans tes recherches, n'est-ce pas ?
— En effet, dis-je. En y repensant, il n'y a même rien du tout, dans ce que j'ai lu, sur les sentiments de la police française dans cette affaire. Juste qu'ils faisaient leur travail.
— Leur travail, c'est ça », répéta Joshua. « Mais j'aurais bien aimé savoir comment ils avaient vécu avec ça. Comme j'aurais aimé avoir le témoignage de ceux qui ont conduit les trains de Drancy à Auschwitz. Savaient-ils ce qu'ils transportaient ? Croyaient-ils vraiment qu'il s'agissait de bétail ? Savaient-ils où ils conduisaient ces gens et ce qui allait leur arriver ? Et les conducteurs de bus ? Ignoraient-ils ce qu'ils faisaient ? »
Encore une fois, il avait raison. Je restai sans voix. Une bonne journaliste aurait creusé dans ces directions, levé les tabous. La police française, la SNCF, les transports parisiens.
J'avais été complètement obsédée par les enfants du Vél d'Hiv. Par une enfant en particulier.
« Ça va, Julia ?
— Ça ne peut pas aller mieux. »
Je mentais.
« Tu as besoin de repos, dit-il, péremptoire. Il est temps que tu prennes l'avion pour rejoindre ta terre natale.
— C'est exactement ce à quoi je pensais. »