— Nous ne sommes pas raisonnables !
Étant parfaitement d’accord avec Patricia sur ce point, je la quitte pour retourner à la croisée. Cette fois, les camionnettes sont en place. Il faut agir. L’intermède m’a mis dans un état propitiatoire à l’action. Je suis dans une forme éblouissante !
— Écoutez, mon ange, dis-je à ma partenaire.
Mais elle a du mal à se concentrer. En vingt minutes, je lui ai présenté un digest de mes spécialités qui l’a passablement étourdie. Elle a eu droit à « la fusée sur son orbite », au « solo de guitare », aux « mamelons de Cavaillon » au « nouveau petit de la Rousse illustré ».
— Patricia !
— Oui ?
Elle me tend ses lèvres. Je les accepte.
— Ouvrez toutes grandes vos délicates oreilles.
— C’est fait.
— Bon. Je vais sortir. Quand je serai parti, vous tirerez le verrou. Vous attendrez cinq minutes, puis vous nouerez ce mouchoir à l’appui de la croisée, compris ?
— Compris ! Faites attention à vous, mon chéri, me susurre-t-elle.
— Comme à la prunelle de vos yeux, je lui balance, galant comme le Vert.
La dame de la réception est plongée dans un livre austère lorsque je déboule de l’escalier.
Elle lève sur moi un visage surpris.
— C’est inimaginable ! fulminé-je.
— Que se passe-t-il, monsieur ?
— Je veux voir le directeur séance tenante ! Des punaises dans un établissement comme celui-ci, c’est inadmissible !
— Que dites-vous là ?
— Trois punaises, madame ! La personne qui m’accompagne a failli se trouver mal ! J’ai bonne mine, moi ! Je vous jure que ça ne se passera pas comme ça !
Elle est affolée et me fait des « Chut ! chut ! » suppliants dont je n’ai cure.
— Il y a quelques années, je venais ici. C’était une maison sérieuse. Je suis parti à l’étranger et, à mon retour, je trouve un bouiboui infect !
— Mais, monsieur ! s’indigne la dabuche. Mais, monsieur !
— Il n’y a pas de monsieur ! Je veux parler au directeur ! Allez lui dire qu’il aura de mes nouvelles ! Le plus grand affront de ma vie ! J’amène une dame de la haute société après avoir eu un mal fou pour la décider ! Et que voyons-nous, organisant un meeting dans les draps ?
— Chut ! chut ! refait la vioque.
— Des punaises ! je hurle. Des punaises, comme dans le dernier claque de port ! Pourquoi pas des morpions, madame ? Hein ?
— Attendez ! rengracie la préposée. Je préviens M. Pabst !
Elle sort côté jardin. Je la laisse disparaître et je prends son sillage. Me voici dans une salle à manger privée. Au fond, une autre porte… J’y cours… Un escalier de bois, plus modeste que l’autre, gémit sous le pas de la dame… Je me glisse derrière un bahut qui se trouve au bas des marches et j’attends. Un court instant s’écoule. Puis, deux personnes surgissent du premier : la dame en violet et un autre mec, grand, chauve et pâle ; tous deux causent dans une langue qui m’est inconnue.
Je mate ma tocante. Patricia est en train d’attacher le tire-gomme à la fenêtre. Dans quelques secondes, la fiesta va commencer.
Les deux tauliers sont maintenant à la dernière marche. Je me dresse devant eux, mon pétard en pogne. Gueule du couple ! Ils ont un mouvement de recul que j’interromps. De ma main libre, je biche le monsieur par sa cravate et je le tire en avant, de l’autre, je lui mets sur le cassis un coup de crosse qui va lui filer la migraine pour trois semaines. ïl s’abat en avant.
Tout en continuant de braquer la vieille médusée, je le traîne sous l’escalier pour qu’il y fasse son gros dodo.
— Et, maintenant, dis-je à sa compagne, à nous deux.
Elle a un mouvement de parade, pensant que je vais l’assaisonner à son tour. Mais je fais un signe négatif.
— Conduisez-moi vers les autres, sinon je vous remplis de plomb !
Mon faciès doit être expressif car elle n’insiste pas. Nous gravissons les marches. Parvenus au first floor, je lui chuchote :
— Désignez-moi la bonne porte et pas de blague, sans quoi vos héritiers feront la nouba demain soir !
Elle a un geste peureux vers la lourde du fond.
— Il y a une autre issue à cette pièce ?
— Oui.
— Qui donne où ?
— Dans un escalier menant au garage…
— Et du garage, on peut sortir sans passer par-devant ?
Elle ne répond pas. Pour la décider, je lui enfonce le canon de mon lance-pierre dans les côtelettes.
— Oui. Une porte donne sur la propriété voisine…
Je renaude intérieurement. Mes hommes vont cerner l’hôtel-pension des Fleurs, mais pas le quartier.
— Combien sont-ils là-dedans ?
— Deux ?
— Seulement ?
— Oui…
À cet instant y a branle-bas de combat dehors. Sifflets ! Cavalcade. Des portes claquent ! Des cris retentissent !
Je file un coup de coude à Mme la taulière qui part à la renverse dans l’escalier en appelant sa nièce en moldo-valaque. Je fonce au fond du couloir sans m’arrêter à la porte, si bien que, sous ma charge, le panneau de bois fait camarade et part en brioche. Je pénètre dans une pièce vide. Ces vaches ont déjà entendu le ramdam et se sont tirés. La porte du fond est fermaga. N’ayant pas le temps de l’enfoncer, je tire une praline dans la serrure…
Un escalier roide se présente en effet.
J’entends un bruit de pas en bas. Jamais, depuis que l’escalier a été inventé, on n’en a descendu un plus rapidement que moi. En deux bonds, je suis dans le garage. Derrière une voiture de livraison, une silhouette se profile. Trois balles claquent. Ce tordu a défouraillé à moins de deux mètres et si je n’avais eu un fléchissement du buste, je bloquais la camelote en pleine poire. Nous nous trouvons chacun d’un côté de la bagnole. Le chat et la souris ! Je pige leur manœuvre : pendant qu’il m’amuse, son complice file. C’est leur méthode ; celle qu’ils ont employée déjà à Rambouillet. J’exerce une pesée sur l’auto. Le frein à main n’est pas mis et aucune vitesse n’est passée. Alors, m’arc-boutant, je fais rouler le véhicule. Mon antagoniste se trouve coincé contre le mur. Il pousse un ahanement lorsque le capot lui percute le baquet. Loin de relâcher ma pression, je l’accentue et ça provoque un craquement assez désagréable. Je retire alors mon bélier à quatre roues ; mon vis-à-vis glisse le long du mur, livide. C’est un grand maigre, probablement le type qui a tenté de récupérer la valoche de chauves-souris à la consigne.
Le thorax enfoncé, il suffoque. Afin de l’anesthésier, je lui file un coup de galoche dans la tempe. Bonne nuit, mon amour ! Maintenant, il s’agit de combler mon retard. J’ai perdu au moins deux minutes avec ce ouistiti et quand on a le feu au train, deux broquilles, c’est beaucoup…
Je passe la porte du fond… Je me trouve dans un grand jardin, en friche. Au fond, il y a un chantier : on construit un immeuble neuf à l’emplacement d’un vieux pavillon. Je m’y précipite en courant et j’interpelle un maçon juché sur un échafaudage.
— Vous n’avez pas vu quelqu’un traverser le jardin, à l’instant ?
— Si, fait-il… C’est une dame ! À courait…
— Où est-elle allée ?
— Par ici !
Il me désigne la rue voisine.
— Vous la voyez encore ?
— Oui, elle monte dans une auto… Ça y est, a démarre !
Je saute sur une motocyclette remisée près d’une grue.
— Eh ! Dites donc ! mugit le maçon. C’est ma moto ! Au voleur !
Il peut s’égosiller… Sa péteuse bondit dans la boue, avec moi dessus… Je débouche dehors au moment où un camion vire pour pénétrer sur le chantier, je l’évite d’extrême justesse et je continue de foncer… J’aperçois l’auto de la fugitive. Elle tourne à mort sur la Nationale. Je lui file le train. J’espère que mes archers auront entendu les fusillades du garage et qu’ils vont organiser le rodéo.
En attendant, je mets toute la sauce. L’auto bombe à travers la forêt en direction de Poissy. Elle a plusieurs centaines de mètres d’avance et il me semble que celle-ci augmente encore ! Est-ce que cette garce va m’échapper ? Mais Dieu est avec moi, décidément. À l’horizon débouche une voiture par un chemin de la forêt. Et à cette voiture est attelée une caravane de camping. La fugitive est obligée de freiner pour ne pas la percuter. Ça me permet d’arriver à quelques mètres d’elle. Je joue mon va-tout. J’arrête le bolide du maçon et je biche le Beretta du Méhariste. Ma main ne tremble pas. Quatre pruneaux ! Un boudin de la guinde éclate au moment où la voiture repart à toute pompe.
Elle décrit de dangereux zigzags sur la route, puis, brusquement, elle quitte celle-ci et va percuter un arbre. Ça fait un drôle de badaboum ! Je me précipite. Le gnace de la caravane, complètement zizi, met le nez à la portière. Il n’a jamais vu ça qu’au ciné, le frère, il savait pas que ça pouvait exister !
La voiture accidentée est en flammes.
J’essaie d’ouvrir une portière, mais celles-ci ont été bloquées par la violence du choc et, à l’intérieur du véhicule, la môme Gretta se tortille comme un ver en poussant d’affreuses clameurs.
— Venez donc m’aider ! crié-je au Dugland de la caravane.
Je trouve une grosse pierre et je m’en sers pour briser les vitres. Seulement, quand on essaie de cramponner la gosse, les flammes, attisées par le courant d’air, nous empêchent d’approcher… Impuissants, nous assistons à l’horrible fin de cette rude adversaire qu’a été Gretta de Hambourg.
Curieux, n’est-ce pas, qu’elle périsse par le feu, cette incendiaire ? Est-ce qu’il existerait vraiment une justice immanente ?