CHAPITRE XVI Je vais à la pêche.

Très joli objet, entièrement en bois de chnock refendu et ligaturé soie avec planture démesurée variable et convexion superlatérale double. C’est léger, souple et d’un maniement zaizé. Lancer, avec cette pure merveille, nécessite une simple pichenette du poignet si j’ose ainsi prétendre.

La bouille du W. C. quand il me voit dégainer l’engin de sa housse !

Je l’examine avec l’attention d’un horloger en train de réparer une Piaget extra-plate. Par moments, je cesse de comporter en brasse-bouillon pour agir minutieusement, surtout lorsque je suis regardé. Un regard, c’est vachement intimidant. Ça te fait paumer tes moyens. Surtout chez nous autres Français. T’as qu’à voir nos piètres résultats en sport. On a les capacités, les moyens, la technique, tout ça. La merde, c’est notre sacrée timidité. En foot, je te prends, personne assisterait à nos matches internationaux et les joueurs adverses auraient les yeux bandés, on gagnerait tout, parole ! Pas une partie nous échapperait. Le tennis pareil ! On est les meilleurs, la chiotte c’est d’être regardé — et faut voir comme ! — par le gonzier situé de l’autre côté du filet. Mais que tu lui cloques deux mochards d’Ayan sur les vasistas et il ne te place plus une balle, ce nœud ! Tu me crois pas ? Et la boxe, tiens. Amène-le, le Monzon, amène-le Cassius-Mohamerde Ali Clay, obstrue-leur les lampions, pas qu’ils t’intimident et tu les alignes comme des sardines chez Amieux. Ali devient Baba !

D’à force de scruter cette canne à lancer sublime, je finis par piger que la poignée de liège de Malte se dévisse. Mais dans le sens contraire au normal. Faut tourniquer de gauche à droite pour qu’elle se dégoupille. Ayant agi de la sorte, elle me reste dans la main. Je désappointe en constatant qu’elle n’est pas creuse, contrairement à ce dont j’espérais. Mais moi, toujours astucieux, voilà que je potasse (d’Alsace) le problo, pas me laisser enfler au premier degré ; me disant qu’une poignée de canne à lancer, y a pas de raison pêchuelle pour qu’elle se visse. Qu’à quoi ça rimerait ? Chaque extrémité de cette poignée comporte une virole en résine siliconnée abrupte. Je force un peu celle du bas, en vain (et même en cent). Puis l’autre. Et la v’là qui se dévisse aussi, la garce, mais dans le bon sens, découvrant une cavité caviteuse de zéro virgule cinq de diamètre. J’oriente la cavité vers la lumière du jour. A première vue, elle paraît vide. Mais j’ai appris à me méfier des premières vues, aussi commencé-je par la seconde. Aussi passé-je délicatement l’extrémité (et comment pratiquerais-je sans commencer par ladite) de mon auriculaire dans l’ouverture le plus profondément possible, je décris un léger mouvement rotatif, comme tu opérais avec ta petite cousine, jadis, lorsque vous jouiez à cache-cache, boug’ de p’tits dégueulasses ! Et je sens frémir la paroi, je me livre alors à l’opération vrille. Tu sais ? Le document ne tarde pas à montrer le coin de sa page, exactement pareil que les vers de terre quand tu joues à enfoncer une tige de métal électrifiée dans le sol. Par ici la bonne soupe ! Je lis rapidement le texte manuscrit qui figure sur cette feuille de vélin inférieur. Du papier vergé. Vergé, il était nécessaire, vu le sujet qui s’y trouve traité.

Lui ayant pris sa connaissance, comme dit mon éminent Béru, je le plie en quatre et le coule in my pocket, ce qui, traduit de l’anglais, signifie que je le carre dans ma fouille.

Puis j’adresse un clin d’œil malicieux à W. C.

— Pardon de vous retirer votre moyen d’existence, vieux. Je vais, en compensation, faire quelque chose pour vous.

Je m’approche et tranche ses liens à l’aide d’un délicat canif à la lame bien affûtée qui me fut offert par mon ami Yves Piaget (pas celui de Lip, celui des montres).

— Ecoutez, collègue, si j’ai un bon conseil à vous offrir, c’est de filer d’ici par la porte de derrière sans attirer l’attention. Foncez au village, prenez un taxi ou le train pour ailleurs, et une fois ailleurs, prenez un avion pour encore ailleurs. Vous devez jouir d’une pension honnête ? Vivez-en honnêtement et oubliez toutes ces vilaines choses. O.K. ?

Il ne répond pas, mais son regard marmoréen est planté droit sur ma frite. S’il pouvait me tuer…

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