Qui voit Pléven voit ses peines, disait-on sous la Quatrième et avant-dernière République.
Moi, j’ai de la veine de ne pas voir mes veines car elles doivent être dans un triste état. Je ne suis plus qu’une ecchymose !
Les sbires du maréchal Amin Bourrin m’ont dépiauté entièrement. A mon tour je suis nu. Ils m’ont ôté mon mercurochrome et ils vocifèrent en me désignant du doigt ; surtout la nana porteuse de café qui trimbale un pansement à l’épaule. Elle me paraît drôlement teigneuse, cette souris, et comme vindicative. Et puis voilà que je pige tout quand, au plus fort de ces gnagnagnades, elle désigne sa blessure. C’est elle qui est venue en compagnie de deux gonziers, dans ma chambre de l’auberge, l’autre nuit, avec l’intention de me marquer au fer rouge. Quand j’ai opéré ma contre-attaque à la lampe à souder, c’est cette splendeur sombre qui a dégusté. Elle s’en plaint amèrement auprès du grand chef et doit lui solliciter ma peau de sa haute bienveillance. Amin Canasson l’écoute en passant son énorme main d’anormal congénital sur sa face pour film d’épouvante de série C.
— Well ! Well ! il dit.
II se met à réfléchir. Cézigue, quand il pense, ça fait comme un qui demanderait, au moment de payer, où il a oublié son porte-mornifle.
Enfin, il lève un doigt plus gros que sa zézette. Le doigt du milieu vu qu’il était sergent-major avant d’être promu maréchal.
— Il faut aviser, dit-il dans un anglais un peu savonneux.
Il se dirige vers un portemanteau où est accroché son pantalon et un énorme talkie-walkie. C’est l’appareil qu’il saisit. Il en développe l’antenne et se met à messager en dialecte ougandais (du moins je le suppose, car il n’a aucune raison de parler lapon ou aztèque). Il cause sans presque remuer ses lèvres qui ressemblent au sexe démantelé d’une vieille pute marseillaise. La voix qui lui répond est aussi nasillarde que la sienne. Plus lente. Presque plus autoritaire. Ça dure un certain temps, pour être précis, et il coupe la communication.
Ceux qui attendent me filent des coups de saton à la sournoise dans les côtelettes, la fille brûlée surtout. Je frémis à la pensée de ce qui m’attend. Ces braves gens doivent aimer les hautes voies de fait sur la personne de leurs ennemis vaincus.
Le président brille comme l’armoire de noyer de ma chère défunte grand-mère, sauf qu’il est beaucoup plus large. Son œil se fait de plus en plus blanc, son souffle de plus en plus bruyant. Il tend dans ma direction son bras souverain et biscoteux. Juste comme il va parler, cette merderie de radio répandue dans la demeure lance son blaze à toute volée. Le speaker déclare que le maréchal Amin Dada a disparu après avoir quitté Kampala depuis quarante huit heures pour, a-t-il déclaré, participer au jubilé de la Couine Elisabeth. On signale que la tour de contrôle de l’aéroport de Dublin a détecté l’appareil à bord duquel l’illustre tas de viande aurait pris place. On tiendra les zauditeurs informés de la suite des événements.
Un long silence suit. Puis ces messieurs-dames se mettent à rire et à jacasser comme une volière pleine de perroquets.
Amin claque ses belles fesses d’intellectuel. Il trouve ça farce. C’est la meilleure de l’année. Oh, les cons ! Comment qu’il les possède !
Il en est si joyce qu’il me marche sur le bide de façon mutine, en camarade. J’ai l’impression que l’Empire Stade Buildinge vient de me sauter dessus à pieds joints.
Tout de suite après, changement de programme sur un ordre du noble poids lourd, jaloux sans doute de la bienveillance de la nature à mon endroit (et c’est exactement pile recta le mot qui convient), quelques petites friponnes salaces se jettent sur mon hémisphère austral pour me flamboyer les vigueurs. T’imagines pas que je vais me livrer à une démonstration de haute voltige devant ces ahuris, non ? Il est pas bon pour se donner en spectacle, l’Antonio très San. Bavouiller sur la scène de l’Olympia, merci bien, je te laisse !
Mais ces diablesses sont tellement expertes que pour résister à leurs papouilleries, même en étant blessé et conformiste, une volonté de fer n’y suffit pas. Surtout quand c’est pas la volonté que tu as de fer ! L’assistance m’encourage en battant des mains.
« Non, me dis-je, pas de ça, mon cher Sana, tu as ta dignité ! Le respect humain n’est pas fait pour les manuels de morale des écoles communales corréziennes d’avant 14. Tu te dois de… »
De zob, oui ! J’ai beau penser à des choses terriblement affligeantes, j’ai la bébête qui monte, qui monte. Surtout qu’il y en a une parmi les autres, tiens, tu te rappelles l’ancienne ministre des Affaires étranges ougandaises qui s’est fait piquer à pomper les passagers dans les chiottes d’Orly ? Combien déesse elle était, sublime de partout, raffolante, divine ? Eh bien, sa jumelle ! Et pas manchote du prose, si je puis me permettre. De Dieu de Dieu, cette science poussée jusqu’à l’abominance des choses de la tringle. Et quelle acrobate ! Si je te disais qu’elle se tient soulevée du sol, en prenant appui sur ses mains et ses pieds, les jambes violemment ouvertes et le ventre en furie. Et que même… Mais non, ce serait trop poussé d’y dire.
Toujours il est que j’oublie mes hauts sentiments, si chiants quand la chair t’emporte. Et que je bondis sur la demoiselle, au vu et suce de tout un chacun.
Ces salingues me criblent de coups de savates pendant la séance. J’oublie cette grêle de gnons sur mes plaies vives. J’oublie ma plaie d’orgueil. Ce sera pour plus tard, pour après.
Tout en ramonant la noirpiote comme un sauvage, à même le tapis, je la déplace à grands coups de reins féroces. Parce que, vu que t’es un pote, je vais tout de même te mettre le nez dans la confidence. Si j’ai décidé de brosser mamz’elle, ça n’est pas seulement parce qu’elle me faisait foutrement envie. C’est surtout parce que j’ai repéré un gros flingue à la ceinture du pantalon d’Amin accroché au portemanteau. Donc, c’est dans cette direction que je la bourre, cette salope ! Et tiens, et vlan ! Cognez toujours, mes lascars ! C’est ça : flagellez ce cou de blanc de blanc… Chaque poussée me fait gagner quelques centimètres.
Les autres, surexcités comme à un culte vaudou, scandent mes poussées. Ils sont en transe, les yeux hors de la tronche, les langues pendantes, la sueur sortant de leurs toisons noires. M’y voici presque. Alors je marque un léger temps d’arrêt pour faire basculer ma partenaire. La pratiquer en levrette, manière de changer un peu les plaisirs. Elle est surdouée, cette merveille. Faut que je me cramponne ferme pour pas aller à dame trop vite, qu’autrement, tout serait foutu. Quand j’ai limé Fleur-de-Savanes une troisaine de minutes, je décide d’adopter encore une nouvelle pose. Debout, cette fois : le fin des fins, pour pro seulement ! A la cosaque, ou à l’auvergnat. La seule différence c’est qu’à l’auvergnat t’as pas d’éperons.
Je la lève et me lève sans fuir sa personne. Ravitaillement en vol ! De toute beauté. Une réussite. L’homme serpent de la Foire of the Trône ne parviendrait pas à mieux.
La minette, franchement, bien qu’elle joue à la zézette brûlante toute la sainte journée, elle connaissait pas encore le coup de la brouette cubaine, façon castriste. En Afrique-pas-du-Nord, ils sont pas encore au fait de cette position, car y a lulure que les pères missionnaires sont repartis en permission. Ils étaient les seuls à bien exécuter la brouette cubaine, ça leur facilitait l’intro malgré la soutane qu’il leur suffisait de défaire deux boutons à bonne hauteur. Et puis le colonialisme a mis les bouts, religion en tête. Alors, maintenant, pour ce qui est des moniteurs de brouette cubaine, tiens !
La black poulette, elle en glousse de ma prouesse, se tenir en angle aigu, bien arrimée aux omoplates par les mains d’un julot pas feignant du pilon-noceur et se sentir enfourner et ballotter par la tempête des sens, dis, c’est une grande première, merde ! Mister président, très intéressé, s’avance pour bien matouzer le comment du pourquoi, la manière que ça s’enclenche, ce truc. Tout, quoi ! Et ma pomme, j’hésite entre aller au fade d’abord et cramponner sa pétoire ensuite pour lui jouer Zorro et la Diligence Infernale, ou bien me priver de panard, garder intactes mes forces afin de mieux jouer mon va-tout.
Pour une fois, c’est la raison qui l’emporte. Je lui ferai don de ma personne à la prochaine occase.
Manière de ne pas éveiller leurs soupçons, je me mets à glapir comme si je partais en caramel. Et je lui lâche une hanche pour virevolter de la main. Eux, ils imaginent que c’est ainsi, le pied occidental.
Des suces et coutumes, hein ? Après tout, pourquoi qu’un grand Blanc, quand il éjacule, n’agiterait pas sa main droite en direction d’un portemanteau ? Eux, patients, captivés, attendent l’heureux dénouement de ma pâmoise.
Ce dont je profite pour opérer, au niveau de la ceinture, une diversion intéressante, pas qu’ils regardent plus haut. La bioutifoule petite friponne a passé elle aussi la vitesse supérieure ; elle brame comme jamais Amin Bourrique ne l’a fait bramer avec sa zézette de sous-officier de réserve.
Ma main n’est plus qu’à trois centimètres de l’arme. Va bien falloir manigancer sa petite affaire, cré bon gu ! J’ai le cerveau branché sur l’automatique. Plus besoin de tirer des coups sur la comète. Le plan, déjà programmé, se déroule tout seul.
En un éclair, mais, bénéficiant du majestueux ralenti subconscient, j’ai l’impression que les choses s’opèrent sur des années-lumière. Que je vieillis pendant leur accomplissement, deviens chenu, voûté, bancroche, ratatiné. N’empêche que, dans un premier temps, j’arrache le pétard de son étui pour cow-boy d’opérette ougandaise ; dans un second, je balance ma dame-étui à travers la foule (si je puis user d’un mot aussi conséquent) et que dans un troisième je bondis sur Amin Dada et lui applique le canon de sa propre pétoire sur sa nuque olidesque.
Pas un gusman n’a eu le temps de penser « ouf », voire d’émettre une simple exclamation de dépit.
— Alors voilà, dis-je très gentiment, tout en battant la mesure avec mon goume qui n’a pas encore été mis au courant du changement de programme (c’est lent à piger ces grosses bêtes), si quelqu’un a le malheur de broncher, je bute le maréchal.
Tout en menaçant, je me dis que, de toute manière, ce ne serait pas une mauvaise idée et que, dans certains cas, l’équarrissage a du bon. Une praline, et un peuple opprimé retrouve son indépendance. Je deviendrais dès lors un héros international, les pigeons du monde entier déféqueraient sur ma statue aux quatre coins de l’Univers.
Le gros lard respire comme un poumon d’acier dont le mécanisme s’est déréglé. Il bredouille des choses à ses hommes. Et alors, y en a l’un deux, un type très bien, grand, l’air dur, intellectuel puisqu’il a une pointe Bic dans la poche supérieure de son veston, qui lève la main pour demander la parole. Magnanime, je la lui donne.
— Si tu fais une chose pareille, dit-il, l’Ouganda déclarera la guerre à la France.
Allons bon : une de plus qu’on va perdre ! Y a de quoi méditer en effet.
J’enfonce dix centimètres de revolver dans les replis du maréchal.
— Cher président, fais-je, dites à vos pieds-nickelés de jeter leurs armes devant vos pieds.
Mais l’autre bredouille toujours des trucs incohérents. En pleine déroute. A cet instant, un léger grésillement s’élève dans le silence oppressant. Ça provient de l’énorme talkie-walkie. Il est encore fixé à l’épaule du cher Dada de cirque. Je n’ai qu’un mini geste à accomplir pour décrocher.
Ça cause africain. Je réponds anglais.
— De quoi s’agit-il ? fais-je sèchement.
La voix est grasse, spongieuse, nasillarde.
— Qui êtes-vous ?
— Le monsieur qui tient un revolver contre la nuque d’Amin Dada, réponds-je. Et qui va lui faire éternuer sa cervelle si on joue au petit pompier avec lui.
Un formidable éclat de rire me répond. Alors, là, franchement, je déconcerte. Je vois vraiment pas ce qu’il y a de poilant. Mon interlocuteur invisible hausse le ton et se remet à parler en dialecte ougandoche. Il s’adresse de toute évidence à l’assemblée. Qui se met à tu sais quoi ? Tousser ! Je pige que le gonzier leur a dit de tousser au cas où ils seraient sous la menace et n’oseraient parler. Et il continue la jacte.
— Parlez anglais ! hurlé-je, ou je coupe le contact.
Mais l’autre vocifère des trucs à en pulvériser le talkie-walkie. Alors je coupe. Hélas, le mystérieux personnage a eu le temps de dire ce qu’il fallait, car plusieurs blondinets téméraires dégainent leurs rapières en s’abritant derrière les filles du harem, et se mettent à nous praliner. Je me placarde derrière le maréchal Amin comme derrière un baobab afin de ne pas avoir trop bobo. Les balles crépitent dans la viandasse du gros qui se met à pisser le sang de partout. Il ne dit rien, mais geint. Et puis, tel un chêne qu’on abat dans le parc de Malraux, il choit lentement et moi avec sa pomme.
Le tir s’interrompt aussitôt. Je suis noyé dans le sang du gros Amin. On entend glouglouter son raisin, étrange bruit de source. Il spasme un peu, point trop, avant de s’immobiliser. Des mecs s’approchent de nous, revolvers à la main. On va m’assaisonner en plein, à bout portant. Mais le chef de l’escouade lance un ordre. Il rempare le talkie-walkie pour un message. L’appareil canardé est aussi hors d’usage que son maître. Alors le gus jacte, jacte pour les autres qui ne paraissent pas tellement émus d’avoir liquidé leur maréchal-président. Y en a même quelques-uns qui lui virgulent un coup de saton dans le bide, en douce.
Est-ce que la mort du tyran va changer l’orientation de mon destin ?