17.
Quand j'arrivai à la maison de la tour, le jour se levait. La serrure du portail sur la rue était brisée. Je poussai la grille et entrai dans le vestibule. Le mécanisme du verrou fumait et répandait une odeur intense. De l'acide. Je montai l'escalier lentement, convaincu que j'allais trouver Marlasca en train de m'attendre dans l'ombre du palier ou que, si je me retournais, je le verrais, souriant, derrière moi. En franchissant les dernières marches, je vis que le trou de la serrure portait également des traces d'acide. J'y introduisis la clef et dus fourrager pendant presque deux minutes pour débloquer le pêne, qui avait été mutilé mais, apparemment, n'avait pas cédé. Je retirai la clef mordue par cette substance et ouvris la porte d'un coup d'épaule. Je la laissai béante derrière moi et pénétrai dans le couloir sans ôter mon manteau. Je sortis le revolver de ma poche et ouvris le barillet. Je le chargeai de balles neuves, comme j'avais vu si souvent mon père le faire quand il rentrait à l'aube.
— Salvador ? appelai-je.
L'écho de ma voix courut dans la maison. J'armai le revolver. Je continuai d'avancer dans le couloir jusqu'à la chambre du fond. La porte était entrouverte.
— Salvador ? répétai-je.
Je braquai mon arme sur la porte et l'ouvris d'un coup de pied. Il n'y avait pas traces de Marlasca à l'intérieur, juste une montagne de boîtes et de vieux objets empilés contre le mur. Je sentis de nouveau cette odeur qui semblait filtrer des murs. J'allai à l'armoire qui masquait le mur du fond et en ouvris grand les portes. J'enlevai les vieux vêtements qui y étaient pendus. Le courant d'air froid et humide qui sourdait de ce trou dans le mur me caressa le visage. Quelle que soit la chose que Marlasca avait cachée dans cette maison, elle était derrière.
Je remis l'arme dans la poche du manteau et me débarrassai de celui-ci. J'introduisis le bras dans le mince espace entre l'arrière de l'armoire et le mur. Je parvins à trouver une prise et tirai avec force. À la première tentative, je gagnai quelques centimètres et tirai de nouveau, tout en poussant le coin de l'autre main, jusqu'à ce que l'espace devienne assez large pour je puisse m'y glisser. Je m'arc-boutai alors contre le dos de l'armoire et l'écartai complètement. Je m'arrêtai pour reprendre mon souffle et examinai le mur. Sous la peinture, celui-ci se réduisait à une grossière masse de plâtre. Je cognai dessus à coups de poing. L'écho produit ne laissait aucun doute. Ce n'était pas un vrai mur. Il y avait un vide de l'autre côté. Je plaquai une oreille contre le plâtre et l'auscultai. J'entendis alors un bruit. Des pas dans le couloir, qui approchaient… Je ressortis lentement et tendis la main vers le manteau que j'avais laissé sur la chaise pour saisir mon revolver. Une ombre se découpa devant le seuil de la porte. Je retins ma respiration. La silhouette avança lentement dans la chambre.
— Inspecteur…, murmurai-je.
Victor Grandes me sourit froidement. J'imaginai qu'il m'avait guetté pendant des heures, caché sous un porche de la rue.
— Vous faites des travaux, Martín ?
— Je mets de l'ordre.
L'inspecteur regarda la pile de vêtements et de tiroirs jetés par terre, l'armoire déplacée, et se borna à hocher la tête.
— J'ai prié Marcos et Castelo de rester en bas. J'allais frapper à la porte, mais vous l'aviez laissée ouverte et j'ai pris la liberté de monter. J'ai pensé : ça veut dire que mon ami Martín m'attend.
— Que puis je pour vous, inspecteur ?
— Être assez aimable pour me suivre au commissariat.
— Je suis en état d'arrestation ?
— Je le crains. Me faciliterez-vous les choses, ou faudra-t-il employer les grands moyens ?
— Pas la peine, assurai-je.
— Je vous en sais gré.
— Je peux prendre mon manteau ? demandai-je.
Grandes me regarda un instant dans les yeux. Puis il saisit mon manteau et m'aida à l'enfiler. Je sentis le poids du revolver contre ma jambe. Je me boutonnai calmement. Avant de quitter la chambre, l'inspecteur jeta un dernier coup d'œil au mur qui était resté découvert. Après quoi, il me pria de sortir dans le couloir. Marcos et Castelo étaient montés jusqu'au palier et attendaient en arborant un sourire triomphal. Arrivé au bout du couloir, je m'arrêtai un moment pour regarder l'intérieur de la maison qui semblait se rétracter dans un puits de noirceur. Je me demandai si je la reverrais un jour. Castelo sortit des menottes, mais Grandes fit un signe négatif.
— Ça ne sera pas nécessaire, n'est-ce pas, Martín ?
Je confirmai. Grandes ouvrit la porte et me poussa avec douceur mais fermeté dans l'escalier.