CHAPITRE XV

Elle raccompagna Maryse à la porte, bavarda un petit moment puis referma. La jeune fille s’était montrée très discrète sur la mort de Sonia et sur la présence de la police, la veille. Au-dehors, il n’y avait plus que le fourgon de gendarmerie avec deux hommes à son bord. Le commissaire Feraud ne devait plus croire que Hondry reviendrait dans l’immeuble.

Cinq minutes plus tard, on sonna et elle alla ouvrir sans méfiance pour découvrir Michel devant elle. Alors, elle se souvint que le commissaire Feraud lui avait appris que Monique Rieux avait été l’élève de Lombard. Elle eut un geste de recul.

— Je vous en prie, dit-il très vite. Vous n’avez rien à craindre de moi. Mais il fallait que je vous parle.

— C’est impossible… Je ne suis pas seule.

— J’ai attendu que votre femme de ménage soit sortie, dit-il avec un petit sourire d’excuse.

— Vous me surveillez maintenant ?

— Ce que j’ai à vous dire est très important… Si vous refusez de m’écouter, les conséquences peuvent en être très graves.

Elle mourait de peur mais détestait obéir à ce genre de sentiment.

— Bon, entrez…

Dans le living, il se retourna vers elle.

— C’est parce que je vous porte une grande affection…

— Si vous êtes venu pour ça, repartez immédiatement !

— Non… Mais comprenez-moi… Il y a des jours que je me torture… Mais ce n’est pas uniquement pour ce que vous croyez…

Elle ne se sentait pas soulagée pour autant. Elle aurait préféré qu’il ne soit venu que pour « ça », justement. Elle aurait su trouver la réplique alors qu’elle appréhendait une confession effroyable.

— Pourquoi moi ?

— Mais vous seule êtes directement concernée.

De nouveau, elle se sentait prise de vertige comme la veille lorsque Alexis avait paru douter de son équilibre mental au sujet de Hondry. Mais qu’imaginaient-ils ? Qu’elle devenait folle ? Qu’elle avait inventé toute cette affaire ? Pas Michel, bien sûr, qui ignorait beaucoup de choses.

— Par quoi suis-je concernée ?

— Par la mort de Monique Rieux…

Furtivement, elle regarda la porte, le téléphone.

— Vous ne comprenez pas ?

— Je ne connaissais pas cette fille, dit-elle. Si dans cette pièce il y a quelqu’un qui l’a rencontrée, c’est vous, son professeur…

— Vous le savez ? s’étonna-t-il naïvement. Alexis vous l’aurait dit ?

— Alexis non, mais le commissaire Feraud, oui…

Soudain, il devina le fond de ses pensées et sursauta.

— Mais vous imaginiez déjà… Oh ! non, Marjorie !… Vous n’y êtes pas du tout, malheureusement pour vous !

— Si vous montriez plus de franchise ?

— Oui, murmura-t-il, mais ce n’est pas si facile. Monique Rieux était en effet mon élève… Une excellente élève pour laquelle j’avais beaucoup d’amitié.

Vicky aurait ricané. Marjorie resta impassible.

— Une fille extraordinaire… D’une intelligence supérieure, travailleuse et vraiment douée.

— C’est ce qu’ont écrit les journalistes.

— Oui, mais sous forme de clichés alors que moi qui la connaissais, je peux vous dire que c’était vraiment une fille très bien… Elle s’intéressait beaucoup à la psychothérapie et me paraissait avoir l’équilibre nécessaire, le sens de l’humain, la générosité pour pratiquer un métier aussi difficile. Pourtant, je voulais m’entourer de précautions élémentaires.

— Agissez-vous toujours ainsi avec vos étudiants et particulièrement avec vos étudiantes ? demanda Marjorie.

Michel eut un de ses sourires tristes qui pouvaient lui ouvrir le cœur de nombreuses femmes mais qui commençaient d’irriter Marjorie.

— Vicky vous a influencée, n’est-ce pas ?

— Pourquoi dites-vous ça ? Il est normal que votre femme soit amère si vous vous montrez trop empressé auprès de vos élèves.

— Peut-être veut-elle se justifier elle-même… Elle m’accuse de tourner autour de ces minettes, comme elle dit… Je vous assure que c’est faux et que les bonnes élèves ne sont pas du tout des filles de cette espèce. Surtout pas Monique Rieux.

Il parut réfléchir puis avoua :

— J’aurais aimé avoir des enfants… Cette fille aurait pu être la mienne.

— Vous n’êtes pas si vieux.

— Peut-être était-ce un peu plus grave, en effet, mais sans qu’on puisse me reprocher quoi que ce soit.

— Quelles précautions avez-vous prises ?

— J’ai demandé conseil.

En même temps, il la regardait. Voyant qu’elle ne réagissait pas, il précisa :

— Conseil à Alexis.

— Oui, et alors ?

— Il m’a demandé de lui envoyer Monique Rieux.

Dans le désordre de son esprit, comment put-elle garder autant de sang-froid pour lui demander :

— Et vous avez suivi son conseil ?

— Oui, je l’ai fait, et je le regrette. Monique Rieux serait encore en vie si je n’avais pas commis cette folie.

Une fureur glacée s’emparait de Marjorie. C’était tout ce qu’il avait trouvé pour la conquérir, laisser planer un doute, pire, une grave accusation sur Alexis pour qu’elle le prenne en horreur et se jette dans ses bras ?

— C’est tout ce que vous avez trouvé ? fit-elle en se contenant.

— Ce que j’ai trouvé… Oh ! vous pensez que j’invente ? Monique Rieux s’est effectivement rendue à l’hôpital psychiatrique, au service du docteur Brun, au moins deux fois. Mais je sais, maintenant, car j’ai effectué une enquête, qu’ils se sont rencontrés fréquemment.

— Alexis aurait pris plaisir à la revoir ?

— Monique Rieux également… Du moins, au début, mais par la suite, je me suis rendu compte qu’elle changeait, qu’elle n’était plus aussi sereine… D’ailleurs, elle travaillait moins bien, paraissait inquiète.

— La petite amoureuse type, fit Marjorie acerbe, sans se rendre compte que son visage grimaçait.

— Un jour, elle est venue me trouver à la fin de mon cours et m’a posé quelques questions.

— Sur Alexis ?

— Sur vous également, sur votre couple, votre façon de vivre… En fait, elle voulait savoir si vous viviez en complète harmonie. J’ai dû, malheureusement, lui dire qu’à mon avis vous ne paraissiez avoir aucun problème et que votre union donnait l’impression d’être parfaite.

— Vous avez dit ça ? ricana-t-elle.

— Oui, je l’ai dit… Parce que moi seul pouvais le dire étant donné l’intérêt que je vous porte.

Il haussa les épaules.

— Vous savez bien que je vous aime et que je suis désespéré de vous voir si insensible à mon égard. C’est un peu bêbête de le dire ainsi, mais c’est la vérité.

— Et que s’est-il passé ?

— Monique Rieux n’a plus cherché à me parler et, quelques jours plus tard, on découvrait son cadavre. Elle avait été violée et étranglée… Mais vous le savez.

— Pourquoi n’êtes-vous pas allé raconter tout cela à la police ?

— À cause de vous.

Elle se mit à rire.

— Vous avez gardé ça durant des semaines ?

— Non… J’ai réfléchi longtemps. L’évidence ne m’a pas sauté aux yeux du jour au lendemain. Comment imaginer que votre mari ?…

— Pourrait être l’assassin ?

— Oui. Il a fallu que je le regarde vivre avec plus d’attention, que je le surveille, l’épie dans ses paroles, ses gestes pour me faire une conviction. Ce qui a demandé des mois. Si je vous disais qu’Alexis me fascinait depuis toujours, que je me sentais si inférieur en sa présence, comment aurais-je pu démolir du jour au lendemain cet homme-là ?… D’ailleurs, j’ai agi sans préméditation. Il y avait la mort de Monique Rieux qui me bouleversait et votre mari. Le trait d’union n’est venu qu’à la longue.

— Mais il vous a parlé, de Monique Rieux ? Puisque s’il l’a connue, c’est grâce à vous.

— Une seule fois. Après la première rencontre, il m’a téléphoné pour me dire qu’après ce premier contact il ne pouvait se prononcer mais que Monique lui avait fait une forte impression. Par la suite, je n’ai jamais pu m’entretenir d’elle avec lui.

— Mais vous avez découvert qu’ils se rencontraient ?

— Il venait l’attendre en voiture et ils roulaient dans la campagne.

— C’est tout ? Ils se contentaient de rouler ?

— Je ne sais pas.

— Était-elle devenue sa maîtresse ?

— Je ne pense pas… Cette fille aurait eu des scrupules à démolir un couple uni.

— Je crois que vous mentez, dit-elle. Pour illustrer votre thèse, il faut que Monique Rieux se soit obstinément refusée à Alexis. Parce que vous voulez me forcer à penser que, fou de désir, mon mari l’a entraînée dans un coin désert où il a fini par la violer et par l’étrangler. C’est bien cela ?

— Je n’essaye pas de vous le faire croire. C’est certainement la triste vérité. Ce qui expliquerait son acharnement à présenter Hondry comme le véritable coupable. Hondry qui n’est qu’un affabulateur très bien connu des services de police.

— Comment le savez-vous ?

— Je me suis intéressé à son cas, bien évidemment, et j’ai eu ces précisions grâce à un journaliste.

— Alexis a truqué son rapport ?

— Il a fait beaucoup plus grave. Possédant forcément des éléments que tout le monde ignorait, y compris Hondry, il les a habilement fait assimiler par Hondry qui n’a pas su discerner le vrai de ses inventions. Et devant le juge d’instruction, avant la reconstitution, il a su emporter l’intime conviction du magistrat en répondant correctement à ses questions. Mais Hondry, plus tard, en butte à l’hostilité des autres détenus et des gardiens, a compris qu’il avait été joué, sans même se douter que c’était le véritable assassin qui l’avait influencé. Lui, dans son délire de psychopathie, ne voyait que machination obscure et pensait qu’on le persécutait.

— Était-il capable de montrer quelque lucidité ?

Marjorie avait essayé de garder, au début, ce ton froid et distant qui laissait entendre qu’elle ne se laissait nullement impressionner par les révélations de Michel Lombard. Mais, depuis quelques minutes, elle devait faire un effort constant pour ne pas trahir son appréhension.

— Je le crois… Et lorsqu’il a été en cellule avec deux hippies, ces derniers ont dû l’aider à faire la part des choses. D’après mes renseignements, il s’agit de garçons cultivés et intelligents.

— Et vous pensez aussi que Hondry rôde dans le coin pour essayer d’influencer Alexis, sans savoir que son psychiatre connaissait tout de l’affaire puisqu’il était l’auteur du crime ?

— Il est venu ici dans l’espoir de rencontrer Alexis, de lui parler. Peut-être de le supplier de l’aider… Vous savez, Hondry est certainement un homme assez timide malgré ses fanfaronnades. Certainement un type très effacé qui, par moments, s’éclate en s’accusant de n’importe quel crime, mais retombe ensuite lorsqu’on ne s’occupe plus de lui dans une très grande banalité et même, je vous l’ai dit, une grande timidité.

Timide, Hondry ? Cet homme qui, au téléphone, se montrait exigeant et autoritaire ?

— C’est tout ?

— Marjorie, je suis désolé, mais je voulais que vous sachiez… Je n’aurais pu aller trouver la police si je ne vous avais pas raconté tout ça… Croyez-moi, ce n’est pas pour vous éloigner d’Alexis… Mais pour vous protéger, en quelque sorte.

— Je suis capable de le faire seule… Partez, maintenant… Je ne veux plus vous voir… Jamais… Rejoignez votre imbécile de femme, vos piètres amis… Mais partez donc !

Elle hurlait.

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