Sa première pensée fut de rentrer chez elle pour prendre une éponge et essuyer ces gouttes suspectes avant le retour de son mari. Qu’il ignore tout de cette farce grotesque qui devenait vraiment insupportable. Laissant la porte ouverte, elle se précipita dans la cuisine. Au même instant, le téléphone retentit. Elle prit quand même l’éponge, alla faire disparaître toute trace devant sa porte et la repoussa. La sonnerie se répétait régulièrement sans paraître vouloir cesser.
Ce fut avec une sorte de violence qu’elle arracha le combiné à son support.
— J’écoute, dit-elle.
— Vous avez regardé devant votre porte ? demanda la voix lointaine.
— Ainsi, c’est encore vous ? Il ne vous suffit pas de m’importuner avec cette imbécillité, il faut aussi que vous répandiez un liquide rouge ressemblant à du sang, à moins que ce ne soit celui d’un lapin…
— Non, madame Brun… Je suis allé devant le 153, j’ai défait mon garrot et vous avez vu le résultat.
Elle revoyait Vicky et Arturo Marino s’éloignant dans la tempête de sable, disparaissant vite aux regards. En compagnie de Pauline et de ses gosses, elle avait marché lentement, leur laissant peut-être le temps de pénétrer dans sa pyramide, de laisser tomber quelques gouttes d’un liquide rouge…
— Pourquoi persistez-vous alors que je vous ai percé à jour ? Qu’attendez-vous de moi, que je tombe dans le panneau et vous apporte un panier de victuailles et une trousse de secours ? Vous feriez mieux de laisser tomber. Cette histoire est désagréable au possible et les plaisanteries les plus courtes sont les meilleures.
À peine avait-elle raccroché qu’on rappelait.
— Ce n’est pas une plaisanterie.
— En voilà assez ! Mon mari va arriver et je ne tiens pas à ce qu’il soit mis au courant de cette stupidité… Il réagirait beaucoup plus brutalement que moi.
— Vous êtes mariée, madame Brun ?
— Je vous en prie, fit-elle à deux doigts de se mettre à hurler.
— Des enfants ?
— Non… Vous êtes satisfaits ?
— Je suis jeune, madame Brun… J’ai besoin qu’on m’aide… Je vous en prie. Il vous suffit de déposer ce que je vous demandais avant votre long silence, dans le couloir du niveau supérieur… Cela ne vous prendra que quelques instants.
— Mon mari arrive, inutile d’insister.
Elle raccrocha, resta immobile, en attente.
Au bout d’une minute, elle se rendit compte que, retenant sa respiration, elle étouffait et haleta durant un bon moment.
— C’est complètement fou, dit-elle à voix basse.
Sans même s’en rendre compte, elle brancha la télévision, pénétra dans la cuisine pour boire un verre d’eau glacée. Mais ce n’était pas suffisant et elle se servit un scotch avec de la glace, le but avec beaucoup de plaisir.
Puis elle prépara un plateau pour son mari. Il aimait dîner devant la télé lorsqu’il rentrait assez tôt pour le faire. Pendant une heure, il restait silencieux, spectateur en apparence du programme, mais elle savait qu’il se décontractait, faisait le vide pour redevenir un homme normal capable de parler avec elle, de rire sans penser à sa journée de médecin psychiatre.
Lorsqu’il arriva vers 21 heures, il lui parut plus fatigué que d’habitude. Il passa sa main dans ses cheveux puis la secoua des grains de sable qu’il avait recueillis sur son crâne. Elle lui apporta son scotch qu’il but debout, d’un trait, l’aida à se défaire de son pardessus léger, de ses chaussures. Puis elle lui apporta son plateau, alla chercher le sien, regarda la fin de « La tête et les jambes » sans même y faire attention.
Ce soir-là, Alexis récupéra plus vite que d’habitude et lui sourit à la fin de l’émission.
— C’est idiot, dit-il. Dramatiser ainsi un jeu c’est rejoindre la vie moderne. En aucun cas, cela ne peut détendre les gens fatigués par une longue journée de travail. Sur l’autoroute, le sable crépitait contre la carrosserie et le pare-brise de façon effrayante. C’est la deuxième tempête de cet hiver, non ?
— Oui. Veux-tu boire un peu de rosé ?
— S’il est frais, bien sûr.
Elle aimait ce visage marqué de rides, ces cheveux qui commençaient à grisonner sur les tempes. Il n’avait que trente-cinq ans mais toujours sa face, son corps avaient marqué une grande maturité. Dans vingt ans, elle pensait qu’il serait le même homme. Elle ne savait pas si ses malades l’aimaient mais en avait la certitude.
— Pour dimanche, la sortie de voile est bien compromise, dit-il, à moins que le vent ne faiblisse un peu. Bonne journée ?
— Oh, la routine, dit-elle naturellement, le regrettant aussitôt.
Maintenant, il lui était difficile de parler de ces coups de fil stupides. Lorsque Alexis était là, l’appartement se transformait vraiment en chez soi. Le reste demeurait à la porte.
— Tu es sortie ?
— Juste boire deux portos à L’Escale…
— Il y avait Michel ?
— Non, mais tous les autres. Arturo veut faire mon portrait.
Les lèvres un peu violettes d’Alexis se détendirent.
— Portrait ou un nu ?
— Ça ne me plairait pas. Juste le portrait, mais je vais essayer de me défiler… Je n’aimerais pas être seule en tête à tête avec lui.
— Peur qu’il te viole ?
— Non, mais je suis gênée lorsque je reste seule avec lui… Je sais que l’amitié est faite surtout des silences qui s’installent mais avec lui ce n’est pas ainsi. Je trouve son mutisme lourd, comme s’il ne parvenait pas à traduire quelque chose d’important.
— La solitude de l’artiste… Du peintre, surtout, qui ne peut communiquer que par des images…
Puis il secoua la tête.
— Allons bon, je deviens professionnel… ou professoral… Donc, pas de Michel, ce soir ?
Pourquoi insistait-il sur le professeur ? Avait-il remarqué, lors du dernier bal, que Michel Lombard la serrait de près ? Il y avait eu aussi d’autres tentatives maladroites du mari de Vicky. Dans des circonstances que Marjorie s’était dépêchée d’oublier.
— Mais elle était là, dit-elle. Surtout préoccupée du bal costumé du club nautique. Tu as de la veine, car elle compte se parer de voiles transparents qui laisseront deviner sa poitrine.
— Elle a de jolis seins.
— Et le sait… Veux-tu un fruit ?
— Un yaourt.
Il y mettait beaucoup de sucre. De même, il sucrait abondamment son café.
— Et toi, qu’as-tu choisi ?
— Je ne sais pas, ça m’agace un peu… Je trouve ça futile, enfantin.
— Il faut se distraire, et nous avons des amis charmants, non ?
Marjorie, qui allumait une cigarette, ne répondit pas et il se tourna vers elle.
— Tu n’approuves pas ?
— Je me demande si ce sont vraiment des amis.
— As-tu quelque chose à leur reprocher ?
Elle finit par secouer la tête, prit le plateau sur les genoux de son mari et l’emporta jusqu’à la cuisine. Elle lui prépara une tasse de café, lui apporta le sucrier dans lequel il plongea la main.
— Tu devrais te déguiser en mousquetaire… Pour tromper tout le monde.
En riant, elle alla chercher la bouteille de fine champagne et la déposa près du fauteuil de son mari.
— Pourquoi pas ?
— Ce n’est pas très original. Vas-tu reprendre ton costume de Napoléon d’asile ?
— Je ne sais pas… Ce ferait bien la troisième fois et il faut savoir mettre un terme aux meilleures plaisanteries.
Elle crut se souvenir de quelque chose, mais oublia.
— Pourquoi pas en cheval ? dit-il. À nous deux, ça serait drôle.
— Pas pour danser.
— C’est vrai… Alors, je serai corsaire, torse nu… Sais-tu pourquoi ? Pour sentir sur mes pectoraux puissants les pointes érotiques des seins de Vicky. Ce sera très excitant, je suppose. Si elle raconte partout son intention, tous les mâles de la station risquent de faire la même chose. Et Michel Lombard, que choisit-il, lui ?
— Comment veux-tu que je le sache ? Il n’était pas présent, ce soir…
Le téléphone lui coupa la parole. À la troisième sonnerie, voyant qu’elle ne bougeait pas, Alexis fit mine de quitter son fauteuil.
— Non, j’y vais, fit-elle, affolée.
Si c’était encore cette blague stupide qui continuait, elle ignorait ce qu’elle ferait. Mais la voix aiguë de Vicky lui vrilla l’oreille.
— Marjo ? Je ne dérange pas ?
— Non, pas du tout.
— Pas d’ébats sur la moquette lorsque le maître retourne à son foyer ?
Un jour qu’il avait bu un peu trop, Alexis avait déclaré qu’il aimait faire l’amour sur la moquette et cette sotte ne l’avait pas oublié.
— Rien de cassé ?
— Non… Michel n’est pas chez vous ?
— Il est sorti ?
— On s’est un peu chamaillé et il est sorti…
— Peut-être est-il à L’Escale… La fermeture n’est qu’à 22 heures.
— Tu crois que je vais me risquer au-dehors par ce temps ? Tant pis, je me couche.
— Il a pris son chien ?
— Bien sûr, ricana Vicky. Mais ça fait quand même plus de deux heures. Quand je suis rentrée, j’ai eu une réflexion malheureuse et il a filé.
Dès qu’elle était entrée ? Et si c’était Michel qui avait essayé de l’attirer dans un piège ? Cette blessure, n’était-ce pas maladroitement exprimer une blessure d’amour-propre parce qu’elle le repoussait ?
— Excusez-moi, tous les deux, de vous avoir appelés.
— Mais tu as bien fait… Je suis sûre qu’il va rentrer…
Vicky raccrocha la première et Marjorie n’attendit pas les questions de son mari pour expliquer la situation.
— Je comprends parfaitement Michel, dit-il. Vivre avec une douce idiote comme Vicky… Tiens, rien que ce surnom alors qu’elle s’appelle… comment est-ce, déjà ?
— Corinne.
— C’est ça… Ça n’a rien à voir, mais ça fait bien, parisien, mannequin… Je suis sûr que le Michel a une petite amie dans le coin… Et qu’il choisit le premier prétexte venu pour filer vers elle…
Bien qu’elle s’en défendît, Marjorie éprouva une sorte de vexation. Michel n’était donc qu’un coureur d’aventures, et il avait tenté sa chance auprès d’elle comme auprès de n’importe quelle femme ?
— Beaucoup d’épouses solitaires dans le coin… Celles dont les maris travaillent à Fos, par exemple, dit Alexis en savourant son cognac.
— Je crois que je vais aller au lit, dit-elle.
— Bon, je te rejoins dans une demi-heure.
Allongée, elle pensa que son mari se trompait. Michel pouvait très bien être l’homme qui téléphonait. Elle n’était pas certaine que c’était un homme, mais il ne lui déplaisait pas d’imaginer le professeur d’université en train d’essayer maladroitement de la séduire. C’était un garçon très secret, certainement compliqué. Pourquoi n’aurait-il pas attendu dans l’un des appartements vides ? Il n’était pas rare que les gens de l’été laissent les clés aux habitants permanents pour aller ouvrir leurs baies, vérifier si le service spécialisé faisait bien son travail. Eux-mêmes possédaient une demi-douzaine de clés et les Lombard certainement plus.
Lorsque Alexis fut à côté d’elle, elle commença de lui caresser la hanche, puis le ventre, se rendit compte qu’elle s’imaginait que c’était Michel Lombard qu’elle touchait ainsi. Rouge de honte, elle atteignit très vite son plaisir, ce soir-là.
Après le départ de son mari, le lendemain matin, vers 8 heures, elle s’attarda devant son petit déjeuner et la femme de ménage, une fille brune et solide qui venait du village voisin, la trouva dans la cuisine.
— Bonjour, Maryse. Vous êtes venue en mobylette avec ce vent ?
— J’ai pris le car…
Depuis le living, elle regarda longtemps les vagues dans le port, le brouillard de sable qui arrachait au soleil montant de la mer des rouges et des jaunes superbes mais glacés. Elle frissonna.
Ce fut pendant que Maryse faisait les courses que l’inconnu appela.
— Vous m’avez laissé tomber, fit-il d’une voix toujours lointaine.
Pourtant, Marjorie y décela une grande déception. En même temps, elle se demandait si le professeur Michel Lombard était déjà parti pour Montpellier.
— J’ai de la chance, reprit l’autre, le sang ne coule plus, mais j’ai besoin de sulfamides car la plaie n’est pas très belle…
— Est-ce vraiment une blessure physique ? dit-elle d’une voix moqueuse.
— Que voulez-vous dire ?
— Je pensais plutôt à une plaie secrète, celle d’un grand amour malheureux ou de l’amour-propre tout court.
— Dites, vous racontez n’importe quoi ? Vous feriez mieux de venir à mon secours.
Cette fois, avec déception, elle remarqua la vulgarité sous-jacente de l’homme.
— Vous parlez toujours comme ça ? demanda-t-il.
— Vous voulez me faire croire que vous vous cachez dans un appartement de cette pyramide, fit Marjorie, les sourcils froncés, mais vous n’y parviendrez pas.
— Non ? Vous n’avez pas lu les journaux ? Ils doivent en parler, tout de même.
— Parler de quoi ?
— De notre évasion.
Elle sursauta.
— Votre évasion ? Vous êtes plusieurs ?
— Au départ, nous l’étions, puis chacun pour soi, hein ? Moi, je me suis souvenu de cet endroit et j’ai pensé pouvoir m’y planquer… Mais je suis mal tombé, il n’y a même pas un morceau de sucre à se mettre sous la dent.
Marjorie, bouleversée, ne pouvait plus répondre. Cette référence aux journaux était-elle un prétexte, une ruse ?
— Vous êtes toujours là ? Je la saute, vous savez… Je prendrais bien un café bien noir avec des sandwiches… Vous pouvez bien faire ça pour moi, non ? Je vous l’ai dit, dans deux jours, je me tire…
— Dans quel appartement vous trouvez-vous ?
Il eut un rire sec et presque méchant.
— Vous me prenez pour un imbécile ? Pas question que je vous le dise.
— De toute façon, si vous vous trouvez dans cette pyramide, on pourrait vous retrouver aisément. Pas moyen de fuir par les toits… Si vraiment je croyais en vous, je pourrais appeler la police et vous seriez pris.
— Vous ne l’avez pas fait, lança-t-il joyeusement.
Par moments, il lui semblait que l’intonation de cette voix était bien celle de Michel Lombard. Ce garçon si secret avait parfois des réactions puériles et sympathiques lorsqu’il éclatait de rire, par exemple.
— Je sais que c’est une farce et je n’aurais pas le ridicule…
— Une farce ? Vous avez l’habitude qu’on vous en fasse de pareilles ?
Non, bien sûr, mais elle soupçonnait chez tous les gens qu’elle fréquentait un secret désir de pousser les autres dans des situations déplaisantes, du genre dont on ne se relevait jamais. Appeler la police serait une faute grave qui ferait rire pendant des mois. Alexis et elle en souffriraient énormément.
— Donc, vous vous êtes évadé ?
— Comme je vous le dis.
— Et de quel endroit ?
— Centrale de Nîmes… Vous avez dû en entendre parler… C’est pas ce qu’on peut appeler un paradis. Écoutez, discutez pas tant et envoyez-moi à bouffer.
— Comment dois-je procéder ? fit-elle calmement.
— Préparez un sac et portez-le dans l’ascenseur du fond du couloir… Ne vous en occupez plus.
— Si quelqu’un l’appelle entre-temps ?
— Je veillerai au grain. On va se mettre d’accord sur le temps, à une seconde près. Je programmerai l’appareil et après votre appel ce sera le mien qui sera satisfait.
— Non, dit-elle, je ne marche pas.
— Vous allez me pousser à bout. Si je ne bouffe pas, je descends et sous la menace de mon flingue, je me procure à bouffer n’importe où. Paraît qu’il y a des vieux, dans le coin. Je m’en fous de devoir en buter un ou deux, au point où j’en suis.
— Vous avez de mauvaises lectures, dit-elle.
— Hein, ça veut dire quoi ?
— Vous parlez comme dans un mauvais bouquin policier. Et ça se sent vraiment.
Il y eut un silence.
— Bon, ça va… Je ne suis pas un truand, c’est vrai, mais je suis quand même en fuite. Et j’ai réellement un revolver… Ne m’obligez pas à m’en servir. Vous auriez bonne mine si je tuais un petit vieux dans son appartement. Et si les flics me reprenaient, je dirais que pendant vingt-quatre heures ou plus vous n’avez pas daigné les prévenir.
Ce n’était qu’une farce de plus en plus sinistre, mais elle voulait continuer à le croire. Si elle avait la faiblesse de lui obéir, est-ce qu’un sac de provisions la ruinerait à jamais dans l’esprit des habitants de la station ?
— Alors ? s’impatienta l’homme.
— Il est 9 h 24 à ma montre… À 44, j’appellerai cet ascenseur.
— Bien, d’accord.
— Vous l’avez bien choisi car il ne sert que très rarement dans ce coin… Je suis surprise que vous ne me demandiez rien au sujet des rondes du service de surveillance…
— Ils n’ouvrent quand même pas tous les appartements ?
— Non, mais il suffit d’un hasard malheureux.
— Alors, donnez-moi ces heures de ronde.
— Plus tard, dit-elle en raccrochant.
Rapidement, elle prépara du café avec de l’instantané, en remplit une thermos, confectionna des sandwiches. Elle faillit arriver en retard pour appeler l’ascenseur. Lorsqu’elle plaça le sac en plastique dans la cage, elle doutait encore, s’attendait presque à ce que ses amis surgissent d’un appartement voisin pour l’accabler de leurs rires.
La flèche verte pointée vers le haut s’alluma, preuve que l’appareil montait vers les niveaux supérieurs. Elle n’aurait jamais le temps, par les escaliers, et les autres ascenseurs, de tenter d’apprendre à quel étage il s’arrêterait.
Au bout d’un instant, elle se demanda ce qu’elle attendait, revint dans son appartement. Maryse était de retour avec les provisions et secouait ses cheveux pleins de sable.
— On a beau mettre un foulard…
— Où sont les journaux d’hier et d’avant-hier ?
— Toujours au même endroit.
Elle trouva l’article en première page dans le quotidien de l’avant-veille. Jamais elle ne lisait les faits divers. Pour cette raison, elle n’était pas au courant de l’évasion de trois dangereux repris de justice. Tous accusés de meurtre. Dans les pages intérieures, elle apprit qu’un certain Merkes était soupçonné d’avoir tué trois personnes au cours d’un hold-up. Jouillet, lui, avait abattu un agent de police et blessé un passant lors de l’attaque d’une banque. Le dernier, Hondry, était le meurtrier d’une jeune fille de dix-sept ans qu’il avait prise en stop, violée et étranglée.
« Ce n’est pas l’un d’eux, se dit-elle, c’est absolument impossible. »
Pourtant, quelqu’un avait appelé l’ascenseur des étages supérieurs. Quelqu’un se cachait dans l’un des appartements. Et l’on pouvait pénétrer dans la pyramide de plusieurs façons.
Lorsque le téléphone sonna, elle n’eut que le temps de bondir pour empêcher Maryse de décrocher. L’homme parlait déjà alors que la jeune fille quittait à peine la pièce.
— Merci, c’est parfait. Vous avez oublié les sulfamides.
— Qui êtes-vous ? Merkes, Jouillet ou Hondry ?
Il y eut un rire lointain, comme s’il se tenait à distance du micro.
— Ce n’est pas drôle, dit-elle.
— Qui préférez-vous ? Merkes ? Assez joli garçon, mais déjà marié et fidèle. Jouillet, peut-être ? L’ennui, c’est qu’il a un œil de verre et qu’il est assez sauvage. Hondry, alors ? Eh ! vous êtes émoustillée par ce qu’il a fait à cette gosse de dix-sept ans ? Les journaux ne donnent pas tous les détails, mais moi je les connais.
Elle réfléchit très vite.
— Vous êtes Jouillet, dit-elle.
— Comment pouvez-vous savoir…
Cette fois, elle comprenait mal.
— Excusez-moi de parler la bouche pleine, mais vos sandwiches sont excellents. Bon jambon, bon pâté, bon fromage. Pour midi, prévoyez du plus consistant… De la viande, par exemple… Pour le soir, ce que vous voulez… Mais j’aime bien les crudités, radis, oignons, chou rouge… On doit trouver ça dans vos boutiques de luxe. Je crois qu’il y a un bon traiteur…
C’était Vicky qui avait déclaré que lorsqu’elle verrait Marjorie acheter plus de nourriture que besoin était, il faudrait alors la soupçonner d’alimenter quelque clandestin des pyramides.
— Vous pensez que je suis Jouillet le borgne ? Pourquoi ?
Ça n’avait pas d’importance.
— Il faut que je raccroche, dit-elle.
— N’oubliez pas un steack à midi… Bien saignant avec du poivre, de la moutarde. Bien salé, aussi.
Elle raccrocha. Tout de suite après, il rappela.
— Arrêtez, dit-elle, ma femme de ménage est là… N’appelez plus. Je dois sortir.
— J’ignorais, dit-il. Mais alors, pour midi, comment ferez-vous ?
Bien décidée à lui cacher que Maryse s’en allait et ne faisait qu’une demi-journée, elle répondit sèchement :
— Vous vous passerez de steack pour aujourd’hui, devrez vous contenter de viande froide.
— Je boirais bien du vin. Du bon, rouge, de préférence.
— Ne rappelez pas avant midi un quart.
Elle prit une longue douche, puis essaya l’eau glacée, dut couper le robinet car elle suffoquait. Mais ses idées n’étaient pas plus cohérentes. Elle ne parvenait pas à croire à la présence d’un assassin dans cette immense unité d’habitation.
Lorsqu’elle fut prête, elle appela Vicky, lui demanda si elle s’était réconciliée avec Michel.
— J’ai fini par m’endormir et il a couché dans l’autre chambre. Ce matin, il est parti de bonne heure. Tu sais que je ne me lève jamais tôt… Quelle mouche l’a piqué ?
Michel jouait avec les nerfs de sa femme. On ne découvrait qu’à la longue la véritable personnalité des êtres proches. Pourquoi ne jouerait-il pas aussi avec les siens ? Mais dans quel but ?
— Tu devrais aller le rejoindre à Montpellier.
— Pas question ! Qu’il aille au diable ! Je vais aller faire un tour en voiture. On se verra ce soir à l’apéritif ? Alexis sera peut-être là puisqu’on est vendredi.
— C’est possible. Le vent a l’air de tomber, non ?
— Espérons-le.
Jamais Vicky ne sortirait tant qu’il y aurait un grain de sable en suspension dans l’air, Marjorie pensait plutôt qu’elle irait rejoindre Arturo dans son atelier.