ONZIÈME JOURNÉE

Je fus réveillé par Rébecca. Lorsque j’ouvris les yeux, la douce Israélite était déjà établie sur mon lit et tenait une de mes mains.

— Brave Alphonse, me dit-elle, vous avez voulu, hier, surprendre les deux Bohémiennes, mais la grille du torrent était fermée. Je vous en apporte la clef. Si elles approchent aujourd’hui du château, je vous prie de les suivre, même jusqu’à leur camp. Je vous assure que vous ferez grand plaisir à mon frère de lui en donner des nouvelles. Quant à moi, ajouta-t-elle d’un ton mélancolique, je dois m’éloigner. Mon sort le veut ainsi, mon sort bizarre. Ah ! mon père, que ne m’avez-vous laissé une destinée commune. J’aurais su aimer en réalité, et non pas dans un miroir.

— Que voulez-vous dire par ce miroir ?

— Rien, rien, répliqua Rébecca, vous le saurez un jour. Adieu, adieu.

La Juive s’éloigna avec l’air fort ému, et je ne pus m’empêcher de songer qu’elle aurait de la peine à se conserver pure pour les Gémeaux célestes dont elle devait être l’épouse, à ce que m’avait dit son frère.

J’allai sur la terrasse. Les Bohémiens s’étaient encore plus éloignés que la veille. Je pris un livre dans la bibliothèque, mais je lus peu. J’étais distrait et préoccupé.

Enfin on se mit à table. La conversation roula comme à l’ordinaire sur les esprits, les spectres et les vampires.

Notre hôte dit que l’antiquité en avait eu des idées confuses sous les noms d’empuses, larves et lamies, mais que les cabalistes anciens valaient bien les modernes, bien qu’ils ne fussent connus que sous le nom de philosophes, qui leur était commun avec beaucoup de gens qui n’avaient aucune teinture des sciences hermétiques. L’ermite parla de Simon le Magicien, mais Uzeda soutint qu’Apollonius de Thyane devrait être regardé comme le plus grand cabaliste de ces temps-là, puisqu’il avait pris un empire extraordinaire sur tous les êtres du monde pandémoniaque. Et là-dessus, étant allé chercher un Philostrate de l’édition de Morel, 1608, il jeta les yeux sur le texte grec ; et sans paraître éprouver le moindre embarras à le bien comprendre il lut en espagnol ce que je vais raconter.

Загрузка...