QUATORZIÈME JOURNÉE

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Nous fûmes à cheval longtemps avant l’aurore, et nous nous enfonçâmes dans les vallons déserts de la Sierra Morena. Au lever du soleil, nous nous trouvâmes sur un sommet élevé, d’où je découvris le cours du Guadalquivir, et plus loin le gibet de Los Hermanos. Cette vue me fit tressaillir, en me rappelant une nuit délicieuse et les horreurs dont mon réveil avait été suivi. Nous descendîmes de ce sommet dans une vallée assez riante, mais très solitaire, où nous devions nous arrêter. On planta le piquet, on déjeuna à la hâte, et puis, je ne sais pourquoi, je voulus revoir de près le gibet, et savoir si les frères Zoto y étaient. Je pris mon fusil. L’habitude que j’avais de m’orienter fit que je trouvai aisément le chemin, et j’arrivai à la demeure patibulaire en peu de temps. La porte était ouverte ; les deux cadavres se voyaient étendus sur la terre : entre eux, une jeune fille que je reconnus pour Rébecca.

Je l’éveillai le plus doucement qu’il me fut possible ; cependant la surprise que je ne pus lui sauver entièrement la mit dans un état cruel. Elle eut des convulsions, pleura et s’évanouit. Je la pris dans mes bras et la portai à une source voisine. Je lui jetai de l’eau au visage et la fis insensiblement revenir. Je n’aurais point osé lui demander comment elle était venue sous cette potence, mais elle m’en parla elle-même.

— Je l’avais bien prévu, me dit-elle, que votre discrétion me serait funeste. Vous n’avez pas voulu nous conter votre aventure, et je suis devenue, comme vous, la victime de ces maudits vampires dont les ruses détestables ont anéanti, en un clin d’œil, les longues précautions que mon père avait prises pour m’assurer l’immortalité. J’ai peine à me persuader les horreurs de cette nuit : je vais cependant tâcher de me les rappeler et de vous en faire le récit ; mais, pour que vous me compreniez mieux, je reprendrai d’un peu plus haut l’histoire de ma vie.

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