Certains individus commettent à mes yeux ce que j’appelle « le délit de sale gueule ».
Il est très grave. Impunissable, mais terrible.
L’homme que je découvre dans ma chambre, occupé à se saisir de la valise au complet géant, possède une bouille qui le situerait dans la catégorie top niveau des bouilles cancrelateuses. La vraie figure fétidique, blême et grêlée, aux paupières sans cils, aux lèvres minces. Son regard de bas fumier flanquerait des frissons à Dracula. Il y a quelque chose de cybernétique chez ce gus. Son inhumanité fait peine à voir.
Il a pris soin de refermer la lourde, mais moi, je le guigne par le trou de la serrure, lequel est plantureux comme un anus de cheval ; chez les vieilles portes, le phénomène est fréquent. D’ailleurs mon examen est facile car il se tient face à moi. Il vient de vérifier le contenu de la valise et d’en rabattre le couvercle. Maintenant, il la cramponne pour se barrer.
Comment s’est-il introduit dans l’hôtel ? Mystère. Sous quel prétexte ? Je ne le saurai que dans les pages suivantes, alors fais comme moi, mon vieux camembert frelaté : attends !
Il se pointe à la lourde. Presto, l’Antonio se plaque au mur en mettant son bras droit en arc de cercle après avoir, précisons-le pour la beauté de ce qui va succéder, transformé sa main d’artiste en poing de champion des super-légers.
Le récupéreur de bagages en souffrance délourde mollement. C’est un prudent. Un furtif. Il commence par avancer un brin de museau dans l’encadrement pour s’assurer que la voie est libre. Moi, tu me connais ? Ma cacahuète part en trombe. Dedieu, ce qu’il fulgure, l’aminche. Il a eu le temps d’esquiver, et pourtant j’ai pas fait long, espère ! Mes cartilages entrent pour lors en contact avec le montant de la porte. J’en vois quarante-huit chandelles (on m’en offre une douzaine de mieux parce que c’est moi). Me semble que mon poing a explosé, que mon épaule est démise. J’en biche la nausée. Néanmoins, comme disait Cléopâtre, je me rue à l’intérieur. C’est pas l’entrée des gladiateurs, mais celle des gugus. Mister Sale Bouille me balance la valise dans les flûtes et je trébuche. Le temps que je récupère un semblant d’équilibre, et ce foie-vert a sa panoplie en main : un calibre ultra-chouette, à barillet que, placé d’où I am, je peux mal lire la marque, mais tant pis, on va tâcher de s’en passer pour continuer sans interruption.
— Mains en l’air ! m’ordonne le personnage.
J’obéis. Avec difficulté pour ce qui est de la droite dont l’endolorure est sévère.
Malin, va. Toute cette ruse de l’ambulance, destinée à lui laisser entendre que ses noirs desseins avaient abouti et que son champ d’action se trouvait dégagé, et puis bibi, grand branque, qui foire miséreusement ; merde !
Je me giflerais si je disposais encore de mes dix doigts.
— Ferme la porte avec le pied !
Je repousse le panneau d’un coup de tartine. Ça claque fort. J’espère, à tout hasard, alerter la valetaille, encore que je me voie mal arraché aux griffes de l’escogriffe par la benoîte et variqueuse vieillarde qui soubrette dans le landerneau.
La voix de l’intrus est aussi blanche et grêlée que son visage.
Il me désigne la lourde de la salle de bains.
— Par ici, on sera mieux.
— Mais !
— Vite !
Moi, je sais différencier un index qui va tirer d’un autre qui clitore une bergère. Le sien est fermement appliqué sur la détente, en expert. Et je sais qu’il ne quittera plus ce fatal bitougnet avant de l’avoir pressé à fond, comme un contrôleur fiscal un contribuable mal famé.
Sans joie, j’ouvre la porte de la s. de b. (comme on écrit dans les petites annonces apostoliques). Je regarde le sol : pas de serpent.
L’homme me suit.
— Monte dans la baignoire ! il exige.
Il a un accent duraille à définir. Qui pourrait être de n’importe où, sauf du Cantal ou de Provence.
Je m’avance vers ce monument historique qu’est la baignoire aux pieds tournés (dont il est probable que Napoléon III…). Nouveau regard paniqué sur l’intérieur d’icelle. Mais toujours pas de serpent. Où sont donc passées ces deux aimables bestioles ? Nous ont-elles abandonnés en s’enfuyant par les trous des canalisations ?
— Allez, monte !
J’enjambe l’esquif de fonte émaillée. Comprenant très bien les intentions du gueux. Il va me plomber dans la baignoire afin que ça soit plus propret ; en brave petit homme d’intérieur. Sans doute qu’il passe la cireuse, chez lui, et fait les vitres, les jours où il n’est pas de meurtre.
Donc, il n’y a pas chouchouïe de temps à perdre. Tu m’excuseras de ne pas éterniser la situasse, mais si je veux m’en arracher il faut que je mette en branle les grands, les petits et les moyens moyens.
Dans cette intention, donc, tout en enjambant la barcarolle Louis XV, je cueille sur une tablette mon rasoir électrique. Me retourne aussi rapidement qu’il est possible de l’écrire, et t’expédie ce Braun presque neuf dans la vitrine de l’homme qui lui ne l’est pas.
Si j’ai raté mon taquet, il y a un instant, par contre je réussis admirablement mon lancer. Pan dans l’œil. L’arcane souricière est également concernée puisqu’elle éclate. Le mec titube et défouraille. Mais moi, tu te doutes que je m’ai déjà accroupi in the bath tub, comme disent les Japonais quand ils voyagent en Angleterre.
La salve se disperse. L’homme est tombé à genoux. Il est groggy, à demi seulement, hélas. De sa main libre, il prend appui sur la descente de bain rose, à fleurs et à trous.
Et si, à cet instant, tu pouvais voir ce que je vois, tu ne douterais plus de la providence, homme de beaucoup de foie et de si peu de foi !
Tu veux que je vais te dire ? Le veux vraiment en plein ?
Souate !
Figure-toi, figure de toi-même, que j’avise, dans un pli de la descente de bath, l’un des deux reptiles généreusement offerts par cet honorable gentleman. Te dire lequel des deux, j’ignore ; peut-être est-ce l’un, ou peut-être l’autre, pneu importe. Face de rat malade me consacre ce qui lui reste de lucidité. Il va élever à nouveau son feu pouf vider ce qui demeure de pralines dans son chargeur. Peut-être même se pose-t-il la question de savoir s’il y en a encore ?
Il ne voit pas le serpent, à quatre centimètres de sa main. Il continue de bouger celle-ci. Et moi, chevaleresque, toujours, dans les pires cas, de lui crier :
— Attention !
Il doit prendre ce hurlement pour une ruse car il me braque à nouveau. Je replonge dans la baignoire. Ses deux dernières valduches arrachent un gros morcif de plâtre peint au mur, lequel morceau choit sur mon dos. Des déclics ridicules m’avertissent que son magasin est enfin vide.
Je me redresse. Juste à l’instant qu’il émet une espèce d’étrange exclamance, l’artiste lyrique. Un cri-plainte bourré d’infini désespoir. Quéqu’chose dans le genre de « Holà ho ! ».
Eh voui, nez vide amant, tu le savais déjà : le serpent mutin lui a mordu la pogne. Pile dans la salière entre le pouce et l’index. J’appelle ça la salière biscotte des potes mexicains m’ont appris à déposer du sel dans ce creux, sel que tu lèches après avoir mordu dans un citron et avant d’avaler un godet de tequila.
Le délinquant de sale gueule a moulé son arquebuse pour se choper la pogne. Il enserre le poignet de sa main mordue. Il sait mieux que quiconque ou personne qu’il n’y a rien à faire. Le reptile est un chiracus venimus tropicalus à dents longues ; alors là, t’as le bonjour ! Pour avoir une chance de s’en sortir, il faudrait s’injecter l’antidote avant la morsure, tu juges ?
Et quelle rapidité, mon neveu !
Le mecton halète comme une vache qui allaite. Son vilain museau s’allonge, se crispe. Ses lèvres se retroussent comme les jupes d’une vieille fille marchant entre les flaques d’eau. Et puis son regard vitrifie et il se cache. Je déjambe la baignoire pour, d’un coup de talon rageur écraser la tête du serpent. Quelle impression ! Cette queue d’agonie qui te fouette le mollet !
« Et l’autre ? » me demandé-je en aparté (si j’habitais l’Afrique du Sud, je me le dirais en apartheid). Eh bien, le second serpent est porté disparu. Je crois l’apercevoir partout, mais il est nulle part. Des picotements me parcourent toute la géographie à l’idée qu’il va peut-être jaillir et m’agresser.
Après une brève hésitance, j’écarte du pied la veste du mort (car ça y est, de profundis) et subtilise son portefeuille. D’ensuite quoi, je sors en relourdant soigneusement.
Je remets la valoche en place sur la table basse à claire-voie réservée aux bagages et m’emporte. Les détonations n’ont point été perçues pour la raison ci-dessous que la vieille dadame passe l’aspirateur dans le hall. Et son engin, crois-moi, fait autant de raffut qu’un Bréguet deux ponts.
Je saute l’énorme réacteur dont l’intestin serpente comme un boa (brrrr) et vote à la vieille ancillaire un sourire qui lui détrempe le slip malgré qu’elle n’ait plus l’âge de ses artères les mieux fréquentées.
Une fois encore, je cours droit à la bagnole du vilain plaisantin. Ça l’apprendra à offrir des trucs pareils ! La morale a eu gain de cause. Somme toute, cette affaire, c’est l’histoire du serpent qui se mord la queue !
Il avait laissé les clés au tableau de bord, bien que la chose fût formellement interdite en Helvétie et amendable. Sans doute prévoyait-il la nécessité d’une décarrade expresse, et entendait-il gagner un maxi de secondes en évitant des gestes superflus.
J’ai eu le temps de constater que la chignole est immatriculée dans le canton de Vaud, qui n’est pas un canton de veaux, mais un canton dévot. Me coule au volant. Installé, je mate le larfouillet du tueur-tué. Combien de fois ce geste, déjà ? Cette sinistre exploration ? Combien de fois ai-je ainsi plongé dans l’indiscrétion absolue ? Dur boulot que le nôtre. Il ne tolère pas la sensibilité et le moins possible l’intelligence. Par contre, il exige une forte vocation, du flair et de l’obstination. Et aussi un empire sur soi-même plus vaste que celui à Charles-Quint.
Je tombe sur un permis de conduire bleu, donc suisse, pourvu d’une photo d’identité délavée que ça représente bel et bien « mon » mort. Hans Nacht-Weiss Manager, tel est son blaze.
Poursuivant ma farfouille, je trouve un talon de mandat vert, établi au nom de Nacht-Weiss, pour un montant de douze mille francs, et expédié par une certaine Connie Vance, « Le Bout du Monde » à Bonraisin, Vaud. Un peu des douze tickets subsistent dans le portefeuille : six cent trente points pour être précis. Le reste du contenu est, à première vue, inintéressant et je vais m’abstiendre de t’égarer sur des fausses voies de communication pour le plaisir, à l’instar des polaristes d’autrefois qui s’imaginaient, les cons, qu’un labyrinthe est le plus court chemin d’un chapitre premier au mot fin.
Je dépose le portefeuille in the boxing gloves. Et c’est alors qu’on crie des « Hou hou » du plus gracieux effet. Je me détronche. C’est la taulière, à demi défenestrée (depuis le rez-de-chaussette, heureusement) et qui ponctue ses hululements de gestes forcenés, le tout à mon adresse.
« Misère, me dis-je, ces dames ont déjà découvert le cadavre de Nacht-Weiss. »
Pas faraud, j’abaisse la vitre.
— Téléphone ! me lance la dirluchette de la crèche.
C’est la Pine. Bêlantissime Pinuchet. Grumeleux, chevroteur. Affligé d’un début de rhume, les éponges ravagées par le tabagisme. Il parle du nez, pour tout simplifier.
— Ah ! je suis bien aise. On me disait que tu étais sorti ! Je…
— Dis l’essentiel, je transcrirai en Pinaud moderne tout de suite après, César.
— Il s’agit, tu t’en doutes, de…
— Je m’en doute parfaitement, alors ?
— Eh bien, ce Mamandhréou est mort hier après-midi d’une crise cardiaque à son domicile.
J’enregistre la nouvelle avec un sang-froid polaire.
— Voyez-vous ça !
— Ses funérailles auront lieu demain, dois-je envoyer des fleurs de ta part ?
— Oui, ricané-je : des soucis. Téléphone au Vieux pour lui signaler ce décès et dis-lui qu’on s’assure si cette crise cardiaque est naturelle ou bien consécutive à une morsure de serpent, d’ac ?
— Une morsure de serpent dans le Seizième ! récrie Baderne-Baderne.
— Les reptiles du Seizième sont les plus vénéneux, Pinuche. Au fait, quelles étaient les activités de ce pauvre homme ?
Et le Débris de déclarer dans un éternuement :
— Il était tailleur.