15. Vivre libre

Mon personnage s’appelle Ferdinand, en référence à Louis-Ferdinand Céline, l’auteur d’un livre qui ne me quitte jamais.

Je suis tombé sur Voyage au bout de la nuit à l’époque du Conservatoire, ou plutôt il m’est tombé dessus pour ne plus me lâcher. Depuis, je rêve d’être Bardamu.


À l’automne 1964, mon fantasme s’est précisé, grâce à Michel Audiard, qui partage le même goût pour l’œuvre de l’écrivain sulfureux. Il a écrit une adaptation qu’il a transmise à Godard, plutôt partant.

Mais le producteur n’est pas parvenu à boucler ses comptes, astronomiques, à cause du gigantisme du projet, et un problème de droits est survenu. Las, Audiard a abandonné l’histoire — et moi, je suis resté avec ma frustration.


Jean-Luc Godard, quant à lui, toujours en train de méditer un film, m’a confié un roman policier de Lionel White, Obsession. Il y était question d’un redoutable gangster des années 1940, Pierre Loutrel, connu pour son alcoolisme et sa violence sans borne. Surnommé « le Louf » ou « le Dingue », il avait laissé une trace puissante dans les mémoires, comme s’il avait été une pure incarnation du Mal.


Godard voulait en faire un film, attiré par cette figure de type sans limite, immoral jusqu’au bout de son âme, diaboliquement émancipé. J’étais d’accord pour l’interpréter, parce que j’avais bien aimé le bouquin, et que c’était lui qui réalisait le film. Je ne prêtais pas attention aux remarques aigres de certains qui me trouvaient déraisonnable de retravailler avec lui. Je réitérais dès qu’il me le proposait. Je prenais un tel plaisir dans cette complicité qui nous liait et ouvrait tous les possibles sur le plateau. La liberté fabuleuse qu’il nous autorisait créait des films fous, intelligents et sincères. Pour rien au monde, je n’aurais raté une aventure avec lui. Cette fois encore, je sentais que son sujet, cette course tumultueuse vers le soleil de personnages trop fulgurants pour ne pas mourir, nous mènerait vers une expérience précieuse et une œuvre étonnante.

Comme de coutume, deux jours avant le début du tournage, je n’avais ni scénario, ni dialogues à apprendre. Pierrot le fou démarrait selon les mêmes règles que celles d’À bout de souffle, notamment l’improvisation extrême. La veille de commencer, nous avons ce court échange, avec Godard :

« Il est bien, ce roman policier que tu m’as passé.

— Oui, mais ce n’est pas du tout ce que nous allons tourner. »


Nous commencerions à Paris, nous terminerions à Porquerolles, et entre les deux nous ferions les dingues. Dans le « nous », il y avait Anna Karina, au sujet de laquelle Godard continuait de se tourmenter sans cesse et qui finirait par le quitter pour Maurice Ronet. Avec elle, c’était aussi facile qu’avec Jean Seberg.


L’année précédente, j’avais retrouvé l’ancienne lubie de Jean-Luc, avec laquelle les liens avaient été si joyeux et créatifs. Jean et moi étions embauchés par Jean Becker pour tourner une sorte de policier comique, préfiguration du Corniaud de Gérard Oury : Échappement libre, qui nous a fait sillonner l’Italie, la Grèce, le Liban et l’Espagne. Où mon cher Jean-Pierre Marielle nous a brièvement rejoints, ainsi que le nouveau compagnon de Jean Seberg, Romain Gary, avec lequel je m’entendais presque aussi bien qu’avec Jean-Luc !

Un soir, nous sommes tous invités à un dîner à l’ambassade de France. À la table d’à côté, une vieille pimbêche aigrie, très haut placée, nous observe en biais depuis le début du repas. Au bout d’un moment, elle s’adresse à Jean Seberg : « Ça ne vous dérange pas d’être avec un homme beaucoup plus vieux que vous ? » L’écrivain tourne alors les yeux vers la dame d’un air méprisant et triste, sans prononcer un seul mot. Jean est estomaquée. Je me lève et dis : « On s’en va. » Nous quittons aussitôt la réception à laquelle, de toute façon, nous nous ennuyons.


Globalement, le tournage d’Échappement libre se déroulait sous un ciel plus joyeux que celui de cette scène déplorable. En Espagne notamment, j’ai ajouté une nouvelle farce à mes faits d’armes.

Dans un hôtel de Grenade, surpris par l’alignement des paires de chaussures que les clients abandonnaient à la porte de leur chambre et dans lesquelles il n’était pas rare de se prendre les pieds, j’ai eu l’idée saugrenue de les crucifier sur les portes.

Le résultat aurait fait pâlir de jalousie Marcel Duchamp, et je n’étais pas peu fier. Sauf que mes expérimentations contemporaines n’ont pas trouvé de public autre que mes partenaires de jeu, dont Jean Seberg qui se marrait. Mon accrochage de souliers a même déclenché une tempête de critiques virulentes de la part de leurs propriétaires et du tenancier de l’hôtel. Lequel a même eu à cœur de virer l’auteur de cette brillante exposition et tous ses collègues. Bref, toute l’équipe.

Pour être tout à fait certain que nous n’allions pas profiter de notre départ forcé pour nous livrer à un nouvel acte de ce qu’il estimait être du vandalisme, cet homme sans goût a fait appel à la police pour surveiller notre sortie des lieux.

Nous avons dû obtempérer et trouver un nouveau lieu d’hébergement à l’esprit assez large pour nous accueillir. En espérant que la concurrence dans l’hôtellerie empêcherait la circulation des renseignements sur les clients à ne pas admettre.


Jean Becker tolérait mes bêtises avec le sourire, sans même penser à m’engueuler. Lui et moi étions copains depuis ma participation à son premier long métrage, Un nommé La Rocca, en 1961, réalisé sur un scénario du talentueux José Giovanni.

L’histoire, dure et édifiante, m’avait plu : un truand qui succède à un autre à la tête d’affaires crapoteuses, puis en prison. En plus, le fait de m’avoir au générique devait l’aider à trouver des financements.


Pour ce film, il avait prévu pour moi de bons camarades de jeu : Pierre Vaneck, Michel Constantin, que je ne connaissais pas encore, et Mario David.

Avec ce dernier, c’était un cirque permanent. C’était à celui qui dégainerait le premier sa connerie. Et nous étions chargés. Hélas, nous avons déchanté à la sortie du film. Il ne correspondait pas à ce que nous avions l’impression d’avoir tourné ; il avait été largement édulcoré au montage pour ne pas fâcher les hypocrites et les sensibles en leur imposant un monde réel, mais trop violent pour eux.

Comme il ne se remettait pas de sa déception et de ce qu’il prenait pour une trahison, onze ans après Un nommé La Rocca, Giovanni a refait un film comme il le voulait, La Scoumoune, à partir de son bouquin, et m’a convié à y participer aux côtés de ma vieille copine Claudia Cardinale. L’occasion de revenir sur une frustration n’étant pas souvent donnée, j’ai accepté. Et le plaisir de tourner dans les Studios de la Victorine à Nice ne se néglige pas. Surtout quand Michel Constantin est de la partie.


Nous avons tourné dans le Sud, à Perpignan et dans des zones assez marrantes où j’ai, au fil des années, pris des habitudes : Nice et Saint-Tropez. Là, les opportunités de déconner et de très bien vivre foisonnaient. L’alcool, les filles, les concours de course à pied organisés par Constantin, que je gagnais trop souvent, ou les matchs de volley, dans lesquels Michel excellait pour figurer dans l’équipe de France de ce sport — il y avait pire, comme environnement et distractions.

Et puis j’avais conservé ce tic, contracté avec Philippe de Broca, de tout déménager dans les hôtels. Je sortais les meubles dans le couloir, ou intervertissais le mobilier de deux chambres ; mieux encore, je déplaçais mon habilleuse Paulette, abîmée dans un sommeil de plomb, dans le hall, où elle se réveillait le matin au milieu d’un attroupement de clients curieux.


Avec Godard, c’est sur le plateau que je donnais le meilleur de ma créativité, ce qui me laissait peu d’énergie pour faire le zouave entre les scènes. Comme toujours avec le réalisateur suisse, le naturel s’imposait dans nos scènes ; tout était fluide et évident.

Jean-Luc prenait des notes pendant la nuit sur ses fameux cahiers d’écriture et ouvrait les hostilités le matin avec quelques pistes d’action. Nous grimpions dessus et lâchions notre imagination. Godard me tendait un pinceau et de la peinture bleue, et, comme si c’était un geste quotidien, accompli mille fois, je me barbouillais le visage. Il parlait à peine, mais nous savions quoi faire, parce qu’il y avait entre nous cette sorte de communication silencieuse qui lie les amants, même à distance — une précieuse osmose.

Il avait des propos à tenir dans ses films, nous en devenions spontanément la forme. Il ne restait pas grand-chose de l’histoire de Loutrel : il n’était plus qu’une vague référence parmi d’autres, nombreuses, dont Céline ou Rimbaud.


Pierrot le fou brouillait les pistes pour ceux qui recherchent la simplicité, la certitude, les idées toutes faites, les conventions rassurantes. Il choquait, comme il fallait, au point d’être interdit aux mineurs pour « anarchisme intellectuel et moral ».

L’art de Godard, encore une fois, sapait les autorités, qu’elles soient morales, esthétiques ou culturelles, et explosait dans les yeux de ses spectateurs.

Hélas, le film a fait un bide. Ça ne m’a pas influencé, moi, qui ai longtemps chéri ce film comme un de mes préférés — avant que je mûrisse et admette la bêtise de n’en élire qu’un.


D’ailleurs, un autre de mes favoris est sorti en même temps, réalisé par un homme que j’admire avec constance. Les Tribulations d’un Chinois en Chine, inspiré de Jules Verne, c’était d’abord la trouvaille d’Alexandre Mnouchkine, emballé par le succès de L’Homme de Rio, désireux de répéter la joie d’un tournage dans des pays étrangers où l’improbable est le plus sûr.

Cette fois, il avait décidé de faire encore mieux, encore plus loin. Et Philippe de Broca, lui, n’attendait que ça : une occasion d’épater vraiment la galerie. Ils allaient voir ce que c’était, des scènes périlleuses, des rebondissements, un héros attachant, survivant et romantique. Broca tournerait tous les boutons à fond sur ce film, il ne s’empêcherait rien et me ferait tout faire.

Le trio infernal que nous formions, Mnouchkine, Broca et moi, après avoir voltigé au Brésil, avait prévu de troubler l’impassibilité asiatique. Et, pour nous aider dans notre entreprise, bon nombre de mes copains acteurs ont été engagés : Jean Rochefort, Mario David, Maria Pacôme, Darry Cowl, Paul Préboist et, bien sûr, mon ami et superviseur de cascades, Gil Delamare.

Toutes les chances étaient de notre côté pour se marrer comme jamais.


À Hong-Kong, nous nous sommes surpassés dans la malice jusqu’à ce que la place du directeur de l’hôtel soit mise en jeu et que, par charité, nous nous calmions.

Un soir, tard, avec Gil, nous décidons d’emmerder Broca, qui dîne avec Mnouchkine. Nous le faisons appeler par l’un de ses assistants, au prétexte que nous sommes complètement à poil et que nous semons la zizanie dans la discothèque du sous-sol. Le connaissant, nous savons pertinemment ce qu’il va faire.

Et, en effet, il débarque, nu, dans la boîte. Sauf que nous sommes évidemment habillés, et même très bien, sapés en pingouins, costard-cravate-cigare. Comme la totalité des clients qui dansent tranquillement, jusqu’à l’interruption de cet exhibitionniste. Nous nous esclaffons tandis que lui se décompose, avant de nous féliciter pour ce tour.


L’épisode me donne une autre idée : prendre l’ascenseur comme ça, en tenue d’Ève, avec le pantalon bien plié sur le bras, et saluer les gens quand les portes s’ouvrent.

J’avoue avoir pris goût, à cet instant, aux effets produits par mon exhibitionnisme amateur, et avoir volontairement multiplié les arrêts aux étages.

Ensuite, parce que je suis insatiable quand il s’agit de surprendre, je propose aux copains de vider la piscine du Hilton afin d’aller s’y baigner nus et sans eau.

Averti qu’un attentat à la pudeur est en train de se commettre dans son établissement, le directeur débarque et nous voit, nageant la brasse dans un trou de ciment. Par acquit de conscience, il nous demande ce que nous sommes en train de faire. Tout naturellement, nous répondons : « Ça se voit, non ? On nage ! »


Nous avons failli nous faire embarquer par la police hongkongaise, qui n’était certainement pas plus tendre que la française, surtout vis-à-vis de trublions étrangers et provocateurs comme nous.


Le directeur, un Italien avec lequel nous sympathisons à force de nous expliquer de nos bêtises, fait un jour l’erreur de nous mettre au défi, Gil et moi, de déambuler sur la corniche du dernier étage de l’hôtel, le soixante-cinquième ! Tout ce que nous attendons : un truc risqué. Nous nous exécutons, Gil devant, moi derrière, et nous lançons dans un numéro d’équilibristes en duo.

Après seulement quelques mètres, sous le regard des anges, nous entendons de là-haut la voix du patron du Hilton qui nous supplie de cesser notre jeu dangereux. Il regrette ce pari, du plus profond de lui-même.

Un rapide coup d’œil au bonhomme pourrait me faire tomber, tant il est cocasse à voir : à genoux, les mains jointes et l’œil implorant, il crie : « Pitié ! Pitié ! » Nous finissons par éprouver de la commisération, âmes généreuses que nous sommes. Le pauvre gars risque son boulot quand nous nous amusons à risquer notre vie.


Gil Delamare m’a appris précisément à réaliser des cascades sans me mettre trop en danger, en minimisant les possibilités d’accident.

Pendant toute la suite de ma carrière, je profiterai de ce qu’il m’a enseigné pour m’en sortir indemne. Et puis j’aurai, comme pour tout le reste, de la chance. Contrairement à Gil qui, un an après nos tribulations asiatiques, se tuera au Bourget en doublant Jean Marais dans un tête-à-queue sur une route glissante.

C’est un grand chagrin que de le perdre, lui, le demi-dieu rigolard, franc et solide, bienveillant et tellement gentil.


La mort brutale de mon copain ne me dégoûte pas des cascades, ni ne me détourne de la culture du risque. Comme si vivre à fond, sans peur, sans regard derrière son épaule puisque la route défile trop vite pour ça, était devenu la ligne directrice de mon existence.

La paternité aurait pu m’inoculer l’inquiétude, l’esprit de conservation, la crainte de l’avenir. J’aurais dû, si j’avais été un père « ordinaire », garder mes enfants sous cloche pour les mettre à l’abri. De quoi ? De la guerre ? De la mort ? Je n’avais pas ce pouvoir-là. De l’imprévu ? Certainement pas. Ne pas les priver de ce qui a si bon goût, de ce qui ravive sans cesse, de ce qui anime. Je voulais qu’ils aient une enfance aussi souriante que la mienne ; je voulais être un père aussi indulgent et tendre que mon père l’avait été.

En revanche, je n’avais pas son calme, mais une frénésie à faire le pitre, à être le clown personnel de mes trois petits chéris, Patricia, Florence et Paul.


Pour amuser les copains et satisfaire les réalisateurs, je me dépasse ; pour entendre le rire de mes gamins, je me surpasse. En donnant, bien souvent, le mauvais exemple. Ou le bon ? Parfois, ça se termine mal. Surtout pour moi.


L’une des acrobaties que je peux réaliser à domicile et qui les enchante est celle de Tarzan. Je prends mon élan du bout du couloir en me tapant sur le torse et en émettant le cri approprié, avant d’aller me suspendre à la barre fixe accrochée dans l’encadrement de la porte de la salle de bains. Je me balance vivement avant de faire une sortie bondissante.

Sauf que, un jour, le matériel me trahit. Et, au moment de me jeter sur la barre de tout mon poids, je sens qu’elle va céder. Je retombe d’un coup, la barre dans la bouche, comme dans un dessin animé.

Je suis très mal en point, les dents cassées, le bec arraché, le sang affluant à gros bouillons, mais il faut bien sauver la face devant les petits, faire en sorte qu’ils n’aient pas trop peur. Alors j’essaie de rigoler, mais mon sourire ne ressemble plus à rien. Il en sort des bouts nacrés et rouges.


L’inconvénient de mon métier est qu’il faut être en bon état ; sinon, on pose problème au rôle ou aux producteurs pusillanimes. Je ne peux pas rester comme ça, avec une béance à la place de la bouche, d’autant que ce n’est très pratique ni pour manger, ni même pour parler.

Je saute dans un avion pour les États-Unis afin d’aller récupérer un râtelier acceptable. Pour qu’il n’y ait aucune rumeur à mon sujet et que personne n’ait la mauvaise idée de nouer conversation avec moi, je me colle un énorme cigare entre les lèvres.

Hélas, je tombe sur une connaissance. Ou plutôt une connaissance tombe sur moi, à côté de moi. L’acteur allemand Horst Buchholz, un homme bavard et chaleureux, qui s’entête à vouloir tuer le temps du trajet en conversant. Ce qui ne m’arrange pas. J’ai beau marmonner dans mon barreau de chaise des trucs assez incompréhensibles pour le dissuader, il s’accroche, m’inondant de mille questions. Un des pires voyages de ma vie.


En voiture, je ne suis pas tellement plus calme quand mes enfants sont à bord. Je crois leur avoir très vite transmis le plaisir d’aller vite, surtout à Paul qui est devenu, comme je l’espérais quand il est né, pilote de Formule 1.

Petits, je les mettais sur mes genoux pour qu’ils conduisent et je leur laissais, dès qu’ils le pouvaient, les manettes. Je déclenchais des cris de joie quand, revenant dans notre maison à Saint-Maurice, je bombardais jusqu’au parking en terre cendrée à côté de l’église, où j’exécutais des dérapages au frein à main.

À cette époque, je jouais avec une Mini-Cooper aux suspensions raides, dont je testais aussi la tenue de route et la fiabilité. Remise en question le jour où elle s’est mise à brûler tandis que je la faisais tournoyer sur le parking.

J’ai pu vite faire sortir mes trois anges. Mais j’avoue que je n’étais pas très fier, a posteriori, de l’opération. Mon copain Charles Gérard dirait que ce n’est pas la faute du fabricant, et que j’ai toujours eu le chic pour casser les engins : les voitures, les raquettes, les skis, les bateaux…

Ce qui l’a toujours beaucoup emmerdé, c’est que je ruine les bateaux. Parce que nous nous sommes, à cause de moi, souvent retrouvés en panne, au milieu de la mer, avec des heures pénibles de nage devant nous pour rejoindre la rive, ou de rame à bord d’une barque.

Quand Charles se permettait de m’engueuler, tandis que nous transpirions pour nous sauver, je le faisais taire d’un : « Ferme ta gueule et rame ! »


La mauvaise foi fait partie de notre complicité, qui dure depuis soixante-quatre ans ! Il a vu grandir mes enfants, m’a accompagné dans toutes les vacances que je prenais avec eux, dans une villa près de Grimaud.

Aujourd’hui encore, nous ne nous quittons pas. Il vient déjeuner tous les jours avec moi. Comme autrefois, nous parlons de sport, des actualités, et nous disons des conneries. Nous sommes joyeux tous les deux, nous sommes en vie.

Parfois même, à ne pas nous quitter, nous n’avons pas vu le temps défiler sur nous, il nous arrive d’avoir l’impression de n’avoir pas vieilli, d’être hier.


La mère de mes trois premiers enfants, Élodie, ne m’a jamais fait de reproches sur ma façon un peu libre de les élever. Une fois séparés, nous avons toujours été en bonne intelligence. Elle me laissait les prendre pendant les vacances et les emmener sur mes tournages, du moment que je les ramenais à temps pour l’école. J’ai globalement respecté le contrat.


Sauf une fois où, happé par les délices d’Antigua, privé de moyens de communication modernes, j’ai oublié la rentrée scolaire de septembre.

J’ai prétexté qu’il n’y avait aucun avion pour rentrer et nous nous sommes amusés comme des fous. Nous sillonnions l’île à bord d’une Mini-Moke que j’autorisais les enfants à conduire. Paul avait alors onze ans.

Une fois, tandis que Florence, quatorze ans, était au volant, les freins ont lâché dans une descente impressionnante. J’ai juste eu le temps de récupérer le volant pour nous emmener foncer dans un gros buisson touffu, mais sans épines. La peur les avait émoustillés, et moi aussi. Nous avions vécu une aventure dont il serait bon de se souvenir… plus tard.

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