Lui et moi, c’est le jour et la nuit. Mais, depuis nos premiers pas, nous menons des carrières en parallèle au cinéma : nous sommes révélés la même année, 1960, lui avec Plein soleil, moi avec À bout de souffle ; nous avons tous deux fait un tour par l’Italie ; nous partageons des réalisateurs comme Jean-Pierre Melville ; nous jouons souvent des personnages de gangster et/ou d’homme solitaire ; nous avons tous deux acquis une notoriété suffisante pour être en position de choisir, d’être libres ; nous sommes tous deux producteurs.
Alain Delon et moi, malgré nos différences substantielles, avons beaucoup en commun. Jusqu’alors, nous n’avions pas eu d’occasion sérieuse d’un tête-à-tête à l’écran. En 1957, nous avions tous deux participé au Sois belle et tais-toi d’Allégret, mais nous n’étions alors que des seconds rôles, des jeunes premiers. Puis nous nous étions revus en 1965, dans Paris brûle-t-il ? Mais jamais de confrontation majeure.
En 1969, Alain y a remédié. Il rêvait pour nous d’un duo aussi mythique et vivant que celui formé par Paul Newman et Robert Redford dans Butch Cassidy et le Kid, filmé par Jacques Deray, avec lequel il en parlait. Il se documentait sur les gangsters en potassant des bouquins sur le Milieu comme celui d’Eugène Saccomano, Bandits à Marseille. C’est ainsi qu’il est tombé sur l’histoire de Carbone et Spirito, caïds majeurs des années 1930, figures de la French Connection qui avait mis les États-Unis sous perfusion d’héroïne.
Emballé, il m’en a touché un mot, convaincu qu’il venait de rencontrer nos personnages. D’abord réticent, j’ai changé d’avis à la lecture qu’il m’a faite du scénario, écrit par Jean-Claude Carrière, à partir d’un script de Jean Cau et Claude Sautet.
Les rôles avaient été conçus pour nous et l’histoire de ces deux loulous, ennemis puis amis, qui se hissent à la tête de la pègre marseillaise, me semblait accrocheuse et intéressante à raconter.
Nous avons rejoint Marseille pour le tournage où, très vite, les ennuis ont commencé. Des figurants ou des techniciens qui avaient été recrutés se désistaient du jour au lendemain, sans raison.
Manifestement, la famille Carbone avait conservé des restes de pouvoir dans la cité phocéenne et ne cautionnait pas l’idée que Delon mette le nez dans la légende de leur héros et fasse un film dans le titre duquel leur nom figurait. Car le film s’appelait d’abord « Carbone et Spirito ». Pour pacifier la situation et faciliter le tournage, après une entrevue avec l’un des rejetons du clan, Alain l’a rebaptisé Borsalino et a modifié nos noms dans le film.
Avec moi aussi, il était capable de discuter et de s’arranger. Comme nous n’avions définitivement pas la même manière d’aborder le plateau, lui en se concentrant, moi en me déconcentrant, nous avons opté pour une séparation temporaire avant l’action. J’allais faire le con plus loin avec les copains, qui logeaient avec moi dans un hôtel marseillais, et lui pouvait rester sur place à réfléchir à son jeu en silence. Ça fonctionnait comme ça. Il savait que j’étais un trublion et que, en dehors du travail, il m’arrivait de faire n’importe quoi. Comme d’oser, avec Mario David, faire plonger un flic dans l’eau froide du port de Marseille, tout habillé, en képi et armé, en échange de cent balles !
Les limites, Delon les connaissait aussi, lui qui frayait depuis son enfance pauvre et vagabonde avec toutes sortes de gens plus ou moins recommandables. Il s’intéressait aux truands, aux vrais, aux méchants de la mafia. Au point de lui prêter des amitiés avec ces infréquentables.
Pendant le tournage de Borsalino, parfois, débarquaient des types à la mine patibulaire et aux chaussures de parrain. Ils venaient jeter un œil sur un film qui les concernait de près ou de loin. Les Guérini rôdaient aussi dans les parages. Pour les besoins du film, Alain était obligé de faire avec.
Des années après Borsalino, un jour, il m’a proposé de passer boire des coupes de champagne au casino de Nice, alors que je résidais, comme d’habitude, au Negresco. Parmi les invités, un mafieux s’est pris de passion pour moi. Il voulait absolument m’emmener dans sa voiture au stade Louis-II, à Monaco, voir un combat de boxe où tout le monde se rendait.
J’avais beau décliner son invitation, il insistait lourdement. Mais, comme je déteste que l’on me force à faire quoi que ce soit, j’ai continué de refuser. Il s’est découragé en faisant la grimace, il a tourné les talons et il est parti tout seul. Sauf qu’il n’est jamais arrivé, puisqu’on l’a tué en chemin, au volant de sa voiture, sur la Promenade des Anglais.
À la première de Borsalino, le 20 mars 1970, tout Paris se pressait pour voir ce que le plus grand nombre imaginait comme un duel esthétique d’acteurs. Si j’étais heureux de l’enthousiasme suscité par le film, j’étais en revanche fâché qu’Alain Delon n’ait pas respecté notre pacte d’égalité sur l’affiche. Nous étions convenus que son nom ne figurerait qu’une fois, en tant qu’acteur, à côté du mien et de celui de sa société, Adel Production. Mais il a commis la maladresse de faire apparaître son nom deux fois, comme producteur et comme acteur : « Alain Delon présente un film avec Alain Delon et Jean-Paul Belmondo. »
De là est née cette menue brouille que les médias ont monté en épingle. Nous n’avons pas été fâchés longtemps. Et nous étions ravis, vingt-sept ans plus tard, que Patrice Leconte nous réunisse autour de la jeunesse et de la fraîcheur de Vanessa Paradis dans Une chance sur deux. Je leur ai d’ailleurs offert ma dernière cascade sur l’échelle d’un hélicoptère, à soixante-deux ans.
Quelqu’un d’autre que moi était fâché à la sortie de Borsalino : Alain Prost.
En regardant le film, il s’est rendu compte que son bateau avait été loué à son insu par celui qui était chargé de le garder. C’était ainsi que ces traces de pas qu’il ne s’expliquait pas s’étaient déposées sur son bijou.
Après Borsalino, Jacques Deray a mis treize ans à revenir à moi avec un rôle de flic, cette fois, qui s’attaque aux barons de la drogue. Un film dont la succession de cascades à réaliser, réglées par Rémy Julienne, me plaisait beaucoup.
Dans Le Marginal, j’expérimente notamment une acrobatie hyper-dangereuse : sauter d’un hélicoptère rapide dans un hors-bord lancé à grande vitesse. La difficulté provenait du timing extrêmement serré de l’opération. Je devais me jeter au bon moment, pendant les deux secondes où c’était possible, lorsque les deux engins étaient alignés.
Malgré l’entraînement de deux semaines auquel je m’étais soumis avant le tournage, au bout de quelques prises, je fatiguais. Or Deray avait besoin de plusieurs angles, ce qui m’obligeait à réitérer l’exercice et à multiplier les risques. Pour cette séquence hélico/bateau, il a fallu recommencer cinq fois. À la dernière, j’ai raté mon coup et suis tombé à l’arrière du bateau, trop près du moteur. Avec sagesse, Jacques a alors considéré qu’il valait mieux s’arrêter là.
J’ai également eu la chance de m’adonner à mon goût pour la conduite rapide en m’éclatant dans une Ford Mustang lors d’une scène de course-poursuite. Le film est tourné à Marseille, puis à Paris, dans des coins louches du dix-huitième arrondissement où régnait une faune peu fréquentable de bookmakers, de maquereaux, de dealers et de putes. L’une de celles-ci est ma fiancée dans le film, et dans la vie aussi. Il s’agit de Carlos Sotto Mayor, une magnifique exilée brésilienne, comédienne et chanteuse, avec laquelle j’entretiens une relation pimentée et festive.
Elle partage avec mon ancien amour, Ursula Andress, un tempérament jaloux jusqu’à l’extravagance, que je mets sur le compte des mœurs d’Amérique du Sud où les femmes surveillent, à juste titre, leur homme avec l’attention d’un contrôleur aérien sur les munitions d’un avion militaire américain. La possessivité de Carlos a d’ailleurs inspiré un canular à Gérard Oury sur le tournage de L’As des as.
L’un des dompteurs d’ours qui gravitent autour de nous pour les besoins du film ne se promène jamais sans sa sœur, jeune Munichoise fort gironde qui espère devenir actrice. Elle insiste un peu auprès de Gérard, au cas où il aurait quelque chose pour elle, en lui confiant une photo où elle est à son avantage.
Le réalisateur se frotte les mains à l’idée de l’utiliser pour me faire une blague. Il écrit au dos un mot extrêmement romantique dans un français qui ressemble à de l’allemand et me le fait porter, la nuit venue, dans la chambre que je partage avec Carlos.
Je comprends immédiatement le stratagème et en identifie l’auteur, auquel je décide de donner une leçon de type arroseur-arrosé. Avec la complicité amusée de mon amoureuse, nous mettons au point le scénario. Nous commençons par simuler une violente dispute en nous criant dessus assez fort pour que Gérard nous entende.
Le lendemain matin, mon frère Alain lui explique que je suis très fâché, car Carlos, furieuse, a claqué la porte et pris un avion pour Paris. Je fais mine de faire la gueule. Gérard panique ; il veut rattraper le coup et tente de joindre ma fiancée offusquée, mais on lui fait dire qu’elle est carrément rentrée au Brésil. Gérard ne dort pas, cette nuit-là. Au réveil, je lui bats froid et le regarde méchamment. L’après-midi, il est en train de visionner des rushes quand il entend Carlos exploser de rire dans son dos. Gérard comprend qu’il s’est fait avoir.
Le Marginal ne montrait pas que des loustics pourris ou des filles de mauvaise vie ; on y découvrait aussi un attaché culturel de l’ambassade de Turquie mouillé jusqu’à l’os dans un trafic de drogue. Ce qui a profondément déplu au pays en question, de la part duquel nous avons reçu — Deray en tant que réalisateur et moi en tant que producteur — des missives agressives. Finalement, l’incident diplomatique s’est doucement éteint et nous avons pu nous consacrer à notre joie du triomphe en salle du Marginal.
Mon plus gros succès la première semaine, le record de L’As des as battu. Enchantés par les fruits de notre collaboration, Deray et moi avons eu envie de recommencer trois ans plus tard avec Le Solitaire, qui s’est planté au box-office aussi brillamment que Le Marginal y avait rayonné. Le flic justicier ne marchait plus. Peut-être fallait-il redevenir voyou.
C’est Henri Verneuil qui, le premier, m’a mis dans la peau d’un flic en 1974. Jusqu’à Peur sur la ville, j’incarnais facilement des marginaux du mauvais côté de la loi, des électrons libres sans insigne, sans permis de port d’arme, sans raison d’État pour les protéger. Comme c’était le cas dans Le Casse, avec Henri, trois ans plus tôt. J’y campais un mec singulièrement pourri qui monte un cambriolage. C’est lui qui se fait courser par les forces de l’ordre, ce qui l’amène à conduire une bagnole comme sur un circuit dans les rues d’Athènes, à se transférer d’un bus à un camion en route, à marcher sur des voitures…
Avec Henri, nous adorions Bullitt et en cherchions les effets magistraux. Il avait remarqué que la fameuse course-poursuite avec Steve McQueen et sa Ford Mustang Fastback verte se déroulait dans les rues d’un San Francisco désert, vidé de ses piétons, voitures, motos, etc. Alors il a proposé d’aller plus loin que Peter Yates en reprenant la même séquence folle, mais dans la circulation dense de la capitale grecque, sans évacuer personne.
Les audaces de Verneuil me plaisaient et m’entraînaient à cultiver les miennes. Comme de louer un avion privé avec mon camarade amateur de boxe et partenaire sur Le Casse, Omar Sharif, pour aller en Italie regarder sur la RAI la retransmission, oubliée en Grèce, d’un match essentiel qui se passait trop loin, aux États-Unis, pour que nous y assistions.
Le 8 mars 1971, à cinq heures du matin, nous étions devant la télé, fatigués mais excités, concentrés sur le combat du siècle : Mohamed Ali, le danseur agile, contre Joe Frazier, le technicien affuté — le contre-pouvoir contre le pouvoir, l’objecteur de conscience contre le militariste. Les quinze rounds sont féroces, dominés d’abord par le premier, ensuite par le second. Finalement, Frazier fait subir sa première défaite à Ali.
Quand Verneuil m’a soumis son personnage de bon flic chargé de dissiper la peur sur la ville, j’ai accepté pour me faire pardonner celui du Casse ! En plus, j’étais prêt au changement, comme toujours. Après avoir investi le costume de voleur, j’allais tester celui de gendarme. Sauf qu’il n’était pas question pour moi qu’il soit rigide, amidonné. Je me voyais plutôt adopter un style décontracté, à l’américaine, à l’image d’un Serpico ou d’un inspecteur Harry.
Comme ça, à ma manière, j’étais d’accord pour prendre ma carte de policier. J’étais assez mûr, à quarante et un ans, pour me sentir légitime du côté de l’ordre. D’autant que, en termes de panache, je ne perdais pas franchement au change. Le commissaire Letellier n’est pas un simple flic, mais une espèce de génie de la traque et un voltigeur émérite et téméraire.
Verneuil ne lésine pas sur les moyens : son poulet est capable de descendre suspendu à un hélicoptère et d’atterrir dans l’appartement d’une tour parisienne, en même temps qu’interviennent les types cagoulés — et authentiques — du GIGN, ou de se balader sur le toit d’un métro en marche. Toutes choses que je me suis régalé à faire, avec d’inévitables petits dérapages tels qu’une chute dans une verrière, ou un bras déchiré, parce qu’à l’entrée d’un tunnel j’ai eu le mauvais réflexe de vouloir me protéger avec les bras alors qu’une barre de fer se trouvait là.
J’avoue d’ailleurs avoir eu peur dans les séquences où le métro entrait dans les tunnels à toute blinde, m’obligeant à m’aplatir dans le noir à deux centimètres du plafond électrifié, mais aussi à Bir-Hakeim, au moment où je dois passer du toit d’un métro à celui d’un autre arrivant en sens inverse. Les séquences aériennes sont toujours plus impressionnantes.
L’intelligence des dispositifs de Verneuil, sa rigueur et son attention empêchaient les accidents. Le résultat était à la hauteur des folies consenties : l’ampleur de ses scènes.
Ce qui était appréciable avec lui, c’est que nous tournions le même film. Un bon film comme ce Peur sur la ville qui a séduit quatre millions de spectateurs !
Deux ans plus tard, Verneuil m’a confié le rôle de François Leclercq, spécialiste de blagues dans un superbe film, Le Corps de mon ennemi, avec mes vieux complices Bernard Blier, Michel Beaune et Charlot. L’histoire très sombre de cet homme sortant de prison, où une conspiration l’avait jeté alors qu’il avait pris le pouvoir, et revenant se venger dans sa ville, m’a enchanté.
Mon personnage est, avant sa chute, le patron de l’équipe de foot locale, ce qui nous a valu de tourner dans un stade et de naviguer un peu dans l’une de mes passions. Largement partagée avec mon pote Charles Gérard, entretenue par les Polymusclés, une équipe de foot amateur qui se produisait avec professionnalisme partout où on l’invitait, comme à Monaco, chaque année, pour le bal de la Croix-Rouge.
Après Peur sur la ville, le constat était qu’on m’aimait autant en flic qu’en voyou. Georges Lautner le résumait quatre ans plus tard dans Flic ou voyou. C’est Michel Audiard, avec qui j’aurai en tout collaboré sur quinze films, qui tenait à faire les présentations. Il s’étonnait que nous n’ayons jamais travaillé ensemble, alors que nous avions respectivement une inclination reconnue pour la comédie et le genre policier. Lautner avait sous le coude un roman de Michel Grisolia, L’Inspecteur de la mer, qui procédait du même mécanisme que l’intrigue de Razzia sur la chnouf, d’Henri Decoin, avec Gabin : un gentil qui infiltre les méchants en se faisant passer pour l’un d’entre eux.
Cette fois, à l’inverse du Casse, j’étais faussement un truand pour mieux être un bon flic. Mon personnage choisissait de passer la frontière du monde des flics à celui des voyous, mais sans hésiter sur sa nature, sans ambiguïté. En plus de mon personnage qui m’allait bien, et de l’agréable facilité avec laquelle Lautner faisait ses films, j’avais le bonheur de tourner dans le Sud, aux Studios de la Victorine, avec plein de vieux camarades : Marie Laforêt, Michel Galabru, Michel Beaune, Charles Gérard, Georges Geret, Jean-François Balmer.
Vu le succès qu’il remportait à sa sortie, Flic ou voyou, nous a disposés, Audiard, Lautner et moi, à prolonger notre trio et à faire dans la foulée, avec la même bande, Le Guignolo. Nous nous sommes un peu hâtés, je crois, et avons commis quelques erreurs.
Notamment de nous être contentés d’un scénario très imparfait et d’avoir osé une affiche de mauvais goût : un homme, en l’occurrence moi, qui se balance sous un hélicoptère en caleçon à pois rouges.
En fait, nous avions surtout favorisé la rigolade et pris le film comme prétexte à une déconnade géante pendant trois mois à Venise. Nous nous permettions toutes les fantaisies, ce qui nous égarait dans un grand n’importe quoi. Le Guignolo a malgré tout eu du succès : il a amusé trois millions de spectateurs. C’était ma première fois en tant que distributeur, et j’étais satisfait.
Le public, lui, se moquait bien de mes rôles divers derrière l’écran. Il m’avait adopté en tant que voyou puis flic et me croyait désormais doté de pouvoirs surnaturels. Comme je réalisais l’impossible à l’image dans des cascades aberrantes, que j’obtenais toujours gain de cause à la fin du film dans ma quête, ou mourais, on a fini par me percevoir comme un héros, voire un demi-dieu. Dans la réalité aussi, sans plus faire la distinction entre mes personnages et moi. Alors qu’avec Laura Antonelli, nous profitions du luxe d’un voyage de trois heures à New York en Concorde, j’ai eu l’occasion d’expérimenter cette confusion.
Nous sommes tranquillement et confortablement assis quand l’avion se met à brinquebaler. Les passagers sont surpris, certains ont peur. Le pilote prend la parole pour expliquer que l’un des quatre moteurs de l’engin supersonique a cassé. Il nous encourage au calme, certifiant que trois suffisent amplement pour assurer le vol, lequel sera seulement un peu plus long puisque nous venons de passer en subsonique.
Malgré cette annonce rassurante, mon voisin de droite ne semble pas se détendre du tout. Il enchaîne les verres d’alcool, frénétiquement. Trente minutes après le premier incident technique, un second se produit. Cette fois, nous décrochons violemment et une odeur de brûlé envahit la cabine. Le pilote se manifeste à nouveau, d’une voix moins sereine que tout à l’heure, afin de nous informer qu’un deuxième moteur a cramé, qui nous obligera peut-être à nous poser quelque part avant New York. Cette fois, mon voisin est au bord de vomir, blême, les yeux écarquillés. Soudain, il se tourne vers moi, m’agrippe le bras et me hurle : « Monsieur Belmondo, faites quelque chose ! »
Je n’ai rien pu faire et nous sommes quand même arrivés sains et saufs à New York. Mais sept heures plus tard !
Lautner m’a encore sollicité pour son film Joyeuses Pâques, nostalgique de Flic ou voyou, puisque tourné aussi à Nice, avec Marie Laforêt dans le rôle de ma femme. Mais dans un genre bien différent, vaudevillesque. Nous formons avec cette dernière et ma jeune maîtresse, interprétée par Sophie Marceau, que je fais passer pour ma fille, un triangle amoureux qui sert de point de départ à une série de péripéties impliquant des cascades. En hors-bord, avec lequel je passe sur une île à travers une cabane à bateaux, et aussi en voiture, avec laquelle je vole à travers une large vitre.
Le ton du film, enlevé et frais, les séquences spectaculaires, la vivacité de jeu de mes deux partenaires féminines, enchantent le public. Un avis infirmé par les critiques, impatients d’annoncer ma chute, contents de conclure à une « spirale de l’échec » en s’appuyant sur le nombre modeste d’entrées pour Les Morfalous, réalisés par Henri Verneuil.