Ils me fatiguent. À force. Ils n’attendaient que cela, les rapaces, pendant toutes ces années à me demander : « Mais alors, comment faites-vous pour rester fidèle à votre épouse avec toutes les femmes sublimes que vous tenez dans vos bras ? »
Ils m’ont soupçonné d’être l’amant de Claudia Cardinale, de Françoise Dorléac, de Jeanne Moreau, de Jean Rochefort…
Ça a fini par arriver : je suis tombé amoureux, là-bas, en Asie. Ursula Andress, une tigresse suissesse ultra-sportive, dynamique et désirable, une femme divinement belle et drôle, une âme sœur aux attraits de laquelle je n’ai pas eu le cœur de résister.
Ce n’est pas une passade, un besoin de nouveauté ou de conquête ; ce n’est pas non plus une trahison de ma femme, avec qui nous nous accordons bien. Même si je suis désolé de causer de la peine à nos trois enfants.
Mais, quand l’amour vient, il emporte tout. Le phénomène est d’ailleurs d’une telle banalité qu’il ne devrait susciter aucun commentaire particulier, d’autant qu’il se produit dans la sphère intime. Ma sphère intime.
Pourtant, l’annonce de mon divorce fin septembre 1966 fait couler beaucoup d’encre. Chacun y va de son petit couplet sur la légèreté des acteurs, leurs mœurs libertines, et ma soi-disant vie de Don Juan-Casanova permise par mes charmes irrésistibles.
Ils ont l’air de trouver normal que j’aie à payer le prix de la notoriété — une curiosité qui, à force d’être incessante, devient malveillante. Ces médias s’arrogent des droits qu’ils n’ont pas, des pouvoirs qu’ils ne méritent pas toujours. Un torchon comme Paris-Jour titre : « Belmondo divorce, mais Ursula n’a pas gagné », un article dégueulasse d’implicites tous plus nauséabonds les uns que les autres. Ça me met très en colère, parce que le mal est fait : le papier est publié.
J’exige un droit de réponse : « Cet article relatif à ma vie privée que vous vous croyez autorisé à décrire de la façon la plus fantaisiste et la plus désobligeante ne m’entraînera pas à engager avec vous une polémique sur les appréciations que vous portez d’autre part sur mes qualités d’“artiste de hasard”, le public en est seul juge. Je crois cependant faire toutes les réserves sur les conséquences judiciaires qui s’attachent à votre immixtion dans ma vie intime, au risque d’affecter la sensibilité de mes enfants. »
C’est assez amusant de les lire alors que je me trouve précisément sur le tournage d’un film d’un réalisateur de la Nouvelle Vague avec lequel je n’avais pas encore collaboré jusqu’ici et auquel on ne peut pas reprocher de faire des films « de hasard » ou bêtes : Louis Malle. Il m’a proposé de camper un personnage que j’adore, inventé par Georges Darien en plein essor anarchiste de la fin du XIXe siècle, Le Voleur.
Je me découvre quelques affinités avec ce Randal, issu d’une famille bourgeoise mais ruinée, qui se lance dans le vol à grande échelle afin de subsister, certes, mais aussi de dynamiter l’ordre et la morale. Et je lui conserve sa gravité, ses côtés sombres. Je n’en fais pas un Arsène Lupin agité, aux aventures rocambolesques.
Sur le plateau, je ne change pas pour autant mes habitudes de déconnade, ce qui déconcentre ma camarade Françoise Fabian : elle a beau me connaître depuis le Conservatoire, moi et mon petit pull vert dont elle s’amusait à tirer des mailles, elle demeure troublée par ma profonde décontraction dans le travail.
Bien sûr, je la taquine, la divertis autant que je peux. Elle ne comprend pas comment je peux passer en une minute du comique au sérieux de mon rôle, ténébreux et cynique.
Ce que la critique, elle, ne comprend pas à la sortie du Voleur, c’est que je ne fasse pas le zouave comme elle en a l’habitude. Elle m’aurait voulu plus léger, sautillant, primesautier, voire drôle. Si je ne fais pas un truc fou dans un film, une cascade quelconque, si je ne sors pas d’idioties, si je n’exécute pas de pirouettes, si je ne vais pas de liane en liane, si je me mets à être un acteur parlant avec un texte pensé et profond, on m’en veut, on m’étrille.
Je me dois de garder mon emploi : acteur bouffon, gymnaste comédien, interprète dingo. En sortir est un crime de lèse-opinion. C’est dommage parce que, si j’ai choisi ce boulot, c’est justement pour changer sans cesse de costume. Alors, il faudra qu’ils s’habituent. Le Voleur sera finalement réhabilité avec les années, mais moi, ça m’est égal. Avec les années, c’est trop tard. Sur le moment, ça m’a agacé.
L’accueil du Voleur était pourtant contrebalancé par celui de Tendre Voyou, une comédie délicieuse que Jean Becker s’était plu à me proposer, prolongeant ainsi une fructueuse association. Avec, une fois de plus, Michel Audiard aux dialogues et mon copain Jean-Pierre Marielle.
J’y joue un homme qui séduit les femmes en chaîne, ce qui m’a valu d’être entouré d’une ribambelle de copines actrices sur le tournage. Sur mes conseils, Ursula est sollicitée pour ce film, mais elle n’est pas disponible. Elle ne m’a pas envoyé d’assiettes à la figure quand elle a su que j’irais à Tahiti quelques semaines, puis à Megève, avec un avion entier de superbes filles. Nos rapports, je dois l’avouer, n’étaient plus très pacifiques quand la jalousie s’en mêlait.
Un soir où j’avais un peu abusé de la nuit avec mon pote Charles Gérard, j’ai eu à le regretter. J’étais sorti pour un match de boxe, Ursula espérait mon retour à une heure décente. Sauf que je me suis laissé entraîner dans la joie de la soirée et n’ai regagné l’Île-aux-Corbeaux qu’à quatre heures du matin.
Un peu lâche, je l’avoue, j’avais emmené Charlot avec moi pour ne pas affronter seul la furie de mon amoureuse. Je supputais que la présence d’un tiers atténuerait sa colère.
Titubant et pouffant, nous avons voulu entrer dans la maison. Mais elle avait fermé tous les volets de l’intérieur : elle s’était enfermée pour me laisser dehors. Agacé de ne pouvoir pénétrer dans ma propre maison, je suis allé chercher une échelle qui traînait dans le jardin.
Nous nous trouvions, Charles et moi, à la moitié de notre ascension, fiers de notre stratagème, quand la fenêtre du dernier étage, celle sur laquelle s’appuyait l’échelle, s’est ouverte et qu’Ursula y a fait son apparition. Sans prononcer un mot, elle a décollé l’échelle du mur. Nous avons fait une chute sévère, alourdie par l’alcool que nous avions emmagasiné. Nous nous sommes fait mal, mais ça n’a pas empêché Ursula de continuer pendant longtemps à se moquer de nous et de notre plongeon.
J’étais quand même moins nerveux qu’elle, et moins jaloux. Un petit peu moins. Car je supportais mal qu’elle ait à embrasser ses partenaires masculins et qu’elle passe du temps avec eux. J’étais conscient de sa beauté et de l’effet qu’elle produisait, puisque j’en étais la victime, alors j’imaginais sans cesse le pire. Ursula, elle, me trouvait hilarant et craignait que je ne n’abuse de ce charme avec d’autres.
Pourtant, sur le tournage de Tendre Voyou, je me contentais de faire marrer les camarades féminines comme Maria Pacôme ou Mylène Demongeot, avec laquelle j’ai tourné une séquence extrême de conversation à l’arrière d’une voiture tirée par une dépanneuse.
Nous nous trouvions à Megève, où la température glaciale transformait l’attente sur le plateau en calvaire à la Frison-Roche. Nous étions, ma partenaire et moi, suspendus dans la bagnole comme des pièces de chambre froide, au bord de l’endormissement. Alors j’ai avisé un bistrot à quelques mètres de là, qui pourrait nous consoler et désengourdir nos bouches d’un café chaud.
Mylène et moi, après avoir retrouvé quelques couleurs et nous être remis à parler normalement, avons rejoint les autres. Mais, en approchant, nous avons entendu : « Moteur ! », et compris qu’ils ne nous avaient pas vus nous éclipser, et nous imaginaient dans la voiture, sages blocs de glace, prêts à l’action. Un grand silence a naturellement suivi le signal du réalisateur, bientôt craquelé par notre fou rire. Pour une fois, la blague n’était pas volontaire.
Ce qui nous réjouissait beaucoup, avec Jean Becker, c’était que mon personnage savait très mal skier. Ça tombait bien, parce que j’étais dans le même cas. C’est un sport dans lequel je n’ai jamais su m’y prendre.
J’ai d’ailleurs vite échangé contre du vélo-ski, plus proche de mes compétences de cycliste. J’ai pu ainsi emmener mes enfants et Charlot aux sports d’hiver à Crans-sur-Sierre et dévaler avec eux les pentes.
Je suis plutôt gentil. Et parfois crédule. Ce qui me vaut quelques légers désagréments. J’aurais dû notamment me méfier de l’offre amicale de Charles K. Feldman, avec lequel il m’arrivait de passer d’agréables vacances à Palm Springs. C’est comme ça qu’il a fini par me coincer, parce que j’ai perdu un pari avec lui.
Il était en train de préparer un film à gros budget, Casino Royale, une parodie de James Bond avec David Niven, Peter Sellars, Orson Welles et Woody Allen, et nous en parlait, à Ursula et moi. Finalement, il a trouvé cocasse de me donner un tout petit rôle de légionnaire affublé d’une moustache, qui participe à une bagarre générale après avoir sorti deux phrases ridicules en anglais. Comme il s’agissait d’un genre de gage, je ne me suis pas opposé à cette participation bouffonne à l’été 1966. Mais, quand le film est sorti quelque temps plus tard, j’ai eu la mauvaise surprise de voir mon nom figurer en énorme sur l’affiche alors que nous étions convenus que j’étais une surprise, un bonus invisible dans la distribution officielle. C’était parfaitement grotesque.
De toute façon, la lassitude pointait ; tout m’irritait. Je travaillais comme un forcené depuis presque dix ans. Depuis qu’À bout de souffle m’avait lancé, j’avais été littéralement kidnappé par le cinéma. J’enchaînais les tournages, les aventures, les collaborations, les rôles, les cascades, les pays, les hôtels, les voitures. J’avais déployé une énergie plus qu’intense ; j’avais tout donné, à chaque fois, complètement, sans réserve. J’avais fait mes preuves et donné tort aux barbons du Conservatoire ; j’avais acquis une notoriété qui m’apportait de formidables projets et, aussi, des emmerdes considérables.
J’aspirais à me cacher un peu, à ce qu’on me foute la paix, à n’être plus un sujet pour personne, à n’être plus l’objet des calomnies ou des paparazzis.
Pour gagner une tranquillité provisoire, j’ai loué une vieille maison sur la Marne, à quelques kilomètres de la Porte de Charenton, l’Île-aux-Corbeaux. Je me sentais enfin à l’abri de toutes les curiosités, libre de vivre paisiblement avec Ursula et mes enfants quand ils étaient là. Aucun paparazzi ne pouvait nous dénicher là et, s’il y parvenait, il se serait probablement noyé avant d’avoir eu le temps de shooter un orteil de qui que ce soit de mon clan.
Planqué dans la végétation, le moulin était assez isolé et difficile d’accès pour quiconque n’y était pas invité. Jusqu’à ce que soit construite à côté l’autoroute A4, et en particulier l’échangeur vers Créteil.
Las, j’ai alors lâché cette maison où j’avais été vraiment heureux avec Ursula, les enfants et Charlot, avec lequel nous pédalions dans les environs. C’est Johnny Hallyday qui a pris ma suite…
En ce temps-là, ailleurs qu’à l’Île-aux-Corbeaux, nous n’étions jamais protégés de l’assaut d’un photographe mandaté par un canard people. Où que nous allions, nous en avions toujours un ou plusieurs aux basques. Ça me mettait dans des colères froides qui n’excluaient pas toujours les poings. J’avais gardé de la boxe et de mes nuits parisiennes une certaine aisance avec la baston spontanée.
Je ne tapais jamais gratuitement. Ne pas m’avoir demandé l’autorisation pour me choper avec un appareil photo dans mon intimité constituait un motif nécessaire et suffisant pour que je m’énerve.
Nous avions traversé la Manche, avec Ursula, mais ils nous suivaient encore. Et à Londres, où nous séjournions, j’en ai trouvé un qui nous guettait sans gêne dans le hall de l’hôtel. Je lui ai mis une bonne tarte, double, bien sonore, qui l’a envoyé valdinguer jusqu’à la porte à tourniquet.
Une heure plus tard, on m’a réveillé pour me conduire à la réception, où m’attendait la police britannique. L’indiscret que je m’étais autorisé à puncher s’en était plaint aux autorités, qui me demandaient maintenant des comptes. Sans peine, avec un professionnalisme remarquable, j’ai fait l’idiot français qui ne comprend rien. J’ai juré que je dormais à poings fermés à l’heure où j’étais censé avoir agressé le type. Le directeur de l’hôtel confirmait ma version, témoignant qu’il ne m’avait pas vu dans les parages à l’heure du crime. J’aurais pu avoir à régler une amende si je n’avais pas gagné le litige, grâce aux déclarations de mon complice.
L’incident n’avait pas gâché pour autant mon intermède londonien, qui m’avait valu de rencontrer Rudolf Noureev, dont le don de boisson, a priori incompatible avec la pratique à haut niveau d’un art aussi sportif que la danse, me fascinait. Je le regardais, effaré, s’imbiber de volumes gargantuesques d’alcool avant d’aller danser avec la grâce d’une libellule.
Les épisodes désagréables avec une certaine presse s’étaient multipliés au point de me pousser à l’exil. Et l’envie de chômer après avoir tant travaillé, de suivre Ursula sur ses tournages à elle, de me prélasser un peu après avoir usiné, n’était plus répressible.
En France, ils m’avaient trop vu et je les avais trop vus. J’ai annoncé par lettre ma démission de la présidence du Syndicat des acteurs, que je prenais très au sérieux.
En novembre 1963, après le succès de L’Homme de Rio, j’avais été élu à l’unanimité. Je m’étais toujours senti concerné par les combats militants, car il était question de défendre nos droits à une époque où les réalisateurs empochaient toute la gloire, et les producteurs tout le pognon.
Nous figurions en petit sur les affiches, comme si nous n’avions pas été un argument essentiel à la fréquentation des salles de cinéma, et nous nous retrouvions souvent en position de faiblesse dans les négociations. Ma considération pour le métier d’acteur était bien trop grande pour permettre sans broncher qu’on nous dévalue, nous spolie, nous maltraite. J’étais fort honoré d’occuper un rôle que Gérard Philipe avait endossé, et bien décidé à en faire bon usage, c’est-à-dire noble et utile. En plus, j’avais mon copain Michel Piccoli comme second.
J’allais user de ma notoriété et des contacts privilégiés qu’elle m’offrait avec les « grands de ce monde ». C’est d’ailleurs ce que j’ai déclaré quand j’ai été nommé : « J’ai accepté d’être président du SFA pour défendre la profession. Si c’est un inconnu qui est président, il manque de poids. Si moi je demande une audience au Premier ministre, il me reçoit. Le métier d’acteur a besoin d’être défendu. »
Le Syndicat avait un certain poids, du fait de son nombre d’adhérents — 2 500 — et il devait aider à structurer dans la justice et l’égalité un milieu qui évoluait rapidement. Nous comptions profiter de cet âge d’or que traversait le cinéma français pour gagner en importance et en autonomie. Les acteurs commençaient d’ailleurs à se libérer des producteurs en finançant eux-mêmes leurs films. Mais, à la télévision, les problèmes subsistaient : les salaires étaient ridicules et la précarité, qui se résume à travailler pendant trois mois quand on doit en vivre douze, était le lot commun. Les sujets de lutte et les atermoiements de nos interlocuteurs n’étaient pas rares.
Il n’était donc pas question de combattre à distance, de loin, sans être immergé dans les préoccupations communes. J’avais bataillé pendant trois ans, je pouvais légitimement passer le relais. Et fuir, sans scrupules. Mieux valait aller vivre où personne ne me connaissait, où mon anonymat serait parfaitement sauvegardé, où peu d’acteurs français, même quand ils l’avaient ardemment souhaité, réussissaient à se faire un nom : les États-Unis. Ce qui vexait ou déprimait les autres, en l’occurrence, me réjouissait au plus haut point. Sortir, faire l’andouille, sans personne en tapinois pour prendre une mauvaise photo de vous, suant et ivre, affectueux, ou en train de danser comme un canard à trois heures du matin sur une piste de danse.
C’est à Los Angeles, à cause du climat, que j’avais suivi ma dulcinée et retrouvé ma liberté. Là, je fréquentais des types sympas comme Warren Beatty, toujours prêt à rechercher l’ivresse, Kirk Douglas, jovial et bon public, Frank Sinatra, et Dean Martin, avec qui partager ma passion de la boxe. Il habitait précisément avec un boxeur qui lui servait d’homme à tout faire, et assistait à des matchs dès qu’il le pouvait. Nous faisions des virées à Vegas pour les casinos et à Palm Springs pour les bars. Je suis allé le voir chanter et je me marrais de le voir jouer l’artiste bourré alors qu’il était sobre.
Un autre copain durant mon séjour américain était Sammy Davis Junior, tempérament vif et aimable qui avait cru bon, un soir où j’assistais à son spectacle, de commencer en disant : « J’ai le trac, mesdames et messieurs, car ce soir je joue devant un grand acteur : Jean-Paul Belmondo. » C’était une blague, évidemment, car personne ne me connaissait outre-Atlantique.
Au bout d’un moment, la presse américaine a révélé que j’habitais chez eux. Life a fait sa couverture avec ma tête et un commentaire flatteur. Alors des nababs des studios hollywoodiens, comme Sam Spiegel, producteur de Lawrence d’Arabie ou du Pont de la rivière Kwaï, ont pris contact avec moi. Ce dernier était prêt à dépenser beaucoup pour lancer ma carrière là-bas. Mais moi, ça ne me disait rien. Aucun argument n’aurait pu me convaincre. Je les aimais bien comme ça, les « Peaux-Rouges », comme les appelait Gabin, mais je n’étais pas prêt à les épouser.
D’ailleurs, même lui, même le maître, n’avait pas réussi là-bas. Jouer en anglais quand on est français, il y a un truc qui ne va pas, ou alors on reste l’acteur français. Moi, déjà, je refusais de me doubler dans la langue de Shakespeare ; alors, je n’allais pas me mettre à la parler en permanence. Pour cela, en plus, il aurait fallu que je l’apprenne et me soumette à une contrainte que je hais : l’apprentissage scolaire.
En réalité, mieux vaut être complètement italien pour s’en sortir à Hollywood quand on est un émigré européen. Sinon, ça reste hasardeux, voire impossible. J’étais trop fatigué en tant qu’homme et établi en tant qu’acteur pour risquer quoi que ce soit à ce moment-là.
J’étais à l’aise en France, j’étais bien français, culturellement ; je n’étais pas prêt à abandonner mon pays alors que c’était lui qui m’avait donné sa confiance et son estime, que c’était là que j’étais aimé. Qui dépend davantage qu’un acteur de l’amour des autres ?
N’était-ce pas en France que j’étais reçu par le président de la République, comme cela s’est produit à la fin de 1967 ? À une petite réception à l’Élysée, en effet, j’ai été convié avec d’autres artistes — dont Romain Gary, que j’étais heureux de croiser à nouveau.
Le général de Gaulle était le maître des lieux et, au moment où l’on m’a présenté à lui, il s’est exclamé : « J’admire beaucoup votre père, et vous, ça commence. »