CHAPITRE IV

Le major Fu-Chaw rota discrètement en expectorant une multitude de grains de riz qui arrosèrent la table et l’assiette de son vis-à-vis.

D’une baguette experte il attrapa la dernière langoustine du plat, la trempa dans la sauce et l’amena à sa bouche en arrosant copieusement la nappe.

Soulevant son bol de riz, il se mit en devoir de le vider, poussant directement les grains dans sa bouche grâce aux baguettes jointes. Mais une grande partie du riz échappait à ce pont aérien et venait s’engluer sur la nappe pleine de taches. Ce qui n’empêchait pas Fu-Chaw de ponctuer sa déglutition de grognements heureux.

Le major lapa une pousse de bambou qui traînait, avala une gorgée de thé en gargouillant comme une vieille chaudière et reposa ses baguettes, repu, une auréole de graisse soulignant ses lèvres épaisses.

Bien que vivant à Los Angeles depuis vingt ans, Fu-Chaw pouvait se rassurer : il mangeait toujours d’une façon aussi traditionnellement chinoise.

Comme un cochon.

Malko en était hérissé de dégoût. Heureusement, ses lunettes noires lui permettaient de garder son appétit.

Déjà, l’aspect du restaurant l’avait inquiété. Une façade délabrée dans une petite bicoque en bois de l’Avenue La Bréa avec une vitrine sale. L’intérieur n’était pas mieux. Une douzaine de tables branlantes recouvertes de nappes en papier, un éclairage au néon et de mystérieux alignements de caractères chinois peints en rouge sur les murs. La porte de la cuisine était ouverte et ce qu’on y voyait n’incitait pas à s’asseoir.

Pourtant, aux dires de Fu-Chaw, c’était un des meilleurs « chinois » de Los Angeles.

L’estomac plein, Fu-Chaw fut repris par son tic : il clignait des yeux comme un hibou en folie, à toute vitesse.

Malko l’observait derrière ses lunettes noires. En venant à Los Angeles, il avait obéi à son intuition. Apparemment, il n’y avait aucun lien entre le document dont Fu-Chaw devait lui parler et « l’épidémie ». Mais Malko était persuadé que la Chine était derrière cette histoire. Or Fu-Chaw était chinois.

De plus, il ne voyait pas comment faire démarrer son enquête sur l’épidémie proprement dite. Le F.B.I. avait creusé le problème avec des moyens énormes, sans résultat.

Quand il aurait reconnu son erreur – si vraiment Fu-Chaw et son document n’avaient rien à voir avec son affaire – il serait toujours temps de se frapper la poitrine et de reconnaître que l’amiral Mills avait raison.

— Regagnons mon bureau, proposa le Chinois à Malko, nous y serons plus tranquilles pour bavarder.

Malko ne discuta pas. Il était avec Fu-Chaw depuis deux heures et n’avait encore pu placer un mot de ce qui l’intéressait. Quand on parle de la patience des Asiatiques c’est plutôt celle des gens qui ont affaire à eux qui est admirable…

Seulement Fu-Chaw était un personnage important. L’amiral avait bien recommandé à Malko de ne pas le brusquer :

— Il est persona grata auprès de Tchang Kaï-chek lui-même et de tout le lobby chinois à Washington. Il a dû tremper dans tous les trafics du Kuomintang.

Officiellement, le major Fu-Chaw tenait un commerce de perles d’ameublement. Il régnait sur une vingtaine d’ouvrières chinoises qui enfilaient des perles de toutes les couleurs huit heures par jour pour en faire des tentures ou des motifs de décoration.

Fu-Chaw, bien que n’ayant pas porté un uniforme depuis vingt ans, était officier de l’armée nationaliste chinoise. Il était même le chef pour la Côte Ouest des États-Unis, du « 2e Tsou », c’est-à-dire du Service de contre-espionnage du maréchal Tchang Kaï-chek. A ce titre, il collaborait avec la C.I.A. et parfois avec le F.B.I.

Il avait la haute main sur la population asiatique de San Francisco, Los Angeles et San Diego. De temps à autre il signalait un agitateur au F.B.I. mais retombait dans la poussière des mystérieux et volumineux rapports adressés à ses chefs directs, à Formose. Il vivait confortablement, dans une grande maison de North Hollywood, sur la colline, au-dessus de Hollywood Boulevard. Les agents de la C.I.A. qui l’avaient approché avaient eu l’impression qu’il tirait au maximum d’argent de sa sinécure et se souciait peu de se créer des problèmes.

Les mauvaises langues de la C.I.A. disaient même que Fu-Chaw avait monté une chaîne d’infiltration d’agents en Chine communiste qui fonctionnait si bien qu’on n’avait jamais revu aucun des agents « infiltrés », via Hong-kong et Canton. Heureusement, ce n’était que des Chinois et Formose semblait trouver la chose toute naturelle.

Malko songeait à tout cela en suivant la silhouette rondelette de Fu-Chaw hors du restaurant. Le Chinois lui faisait une curieuse impression. Extérieurement, c’était une boule de graisse ; sa main ressemblait à une méduse et les plis de son cou cachaient le col de sa chemise. Mais ses petits yeux noirs pétillaient d’intelligence. Il se dégageait du personnage une impression d’efficacité qui jurait avec sa réputation.

Les deux hommes parcoururent à pied les cent mètres les séparant de la boutique peinte en noir à la vitrine pleine de perles multicolores.

Fu-Chaw guida Malko dans le petit escalier en colimaçon qui menait au premier étage. Ils se retrouvèrent dans un confortable bureau où ils s’assirent tous les deux dans de profonds fauteuils de rotin. Malko n’avait pas enlevé ses lunettes. Pour amorcer la conversation, il posa une question indiscrète.

— D’où tenez-vous votre chevelure de neige, major ?

Fu-Chaw eut une crispation imperceptible et ses yeux battirent plus vite, mais son sourire fut presque amical :

— J’ai éprouvé un choc émotif très violent, il y a longtemps. Mes cheveux ont blanchi en une nuit…

En fait de choc émotif, il avait bien failli être le dernier pour Fu-Chaw. Cela se passait à Shanghai, en 1938. Les armées de Tchang Kaï-chek venaient de reprendre la ville et liquidaient les milices et les organisations communistes. Fu-Chaw en faisait partie. Il avait été arrêté par la police du Kuomintang et condamné à mort.

Afin d’infliger aux sympathisants communistes une terreur salutaire, le Kuomintang menait ses exécutions d’une façon un peu particulière : on jetait les prisonniers par grappes dans des chaudières de locomotives… C’était une méthode très propre qui frappait beaucoup l’imagination.

Fu-Chaw avait tenu le coup jusqu’au moment où il avait vu la vapeur blanche fuser de la trappe où deux géants allaient le jeter.

Un officier de Tchang Kaï-chek assistait à toutes les exécutions. Fu-Chaw, mû par le courage du désespoir, avait réussi, traînant ses bourreaux, à se rapprocher de lui. Il connaissait, avait-il juré, tout un réseau de poseurs de bombes communistes. Qu’on le laisse vivre un tout petit peu et il mènerait les honorables policiers jusqu’à eux. Il rachèterait ainsi ses erreurs. L’officier avait hésité et Fu-Chaw avait déjà la vapeur brûlante dans les yeux quand on l’avait rejeté en arrière… C’est à ce moment que ses cheveux avaient blanchi.

Après, cela avait mieux marché. Il avait guidé une des sections spéciales dans un quartier pauvre et leur avait désigné une vingtaine de jeunes gens. Tous avaient été arrêtés, en dépit de leur dénégation. L’après-midi même, ils passaient dans les chaudières. Seul, Fu-Chaw savait qu’aucun d’eux n’était communiste. C’étaient seulement ses anciens camarades de classe… Il s’était fait une raison en pensant que les inondations du Yang-tsé tuaient beaucoup plus de monde que ça.

Pour prolonger son sursis, il s’était proposé comme « mouton ». C’est-à-dire qu’on le jetait dans une cellule où se trouvaient d’autres suspects et qu’il devait les faire parler. Pour donner plus de vérité à son rôle, les agents de Tchang le torturaient un peu avant, lui écrasant les parties sexuelles entre deux planchettes de bambou. En dépit de ces menus inconvénients, Fu-Chaw était resté en vie. Il s’était fait beaucoup d’ennemis à cette époque, mais heureusement, ils mouraient très vite.

Son zèle avait plu. De torturé il était passé tortionnaire. Son don d’adaptation avait fait merveille. Il se chargeait de toutes les besognes un peu délicates – femmes enceintes, enfants, vieillards, blessés – qui ennuyaient ses collègues. Et à la fin de la campagne, il était sous-lieutenant.

Demeuré dans les Services de Renseignements, d’abord en Chine continentale, puis à Formose, il avait demandé un poste à l’étranger le jour où une liste d’hommes dont la tête était mise à prix par le gouvernement de Pékin lui était tombée sous les yeux. Il y était en très bonne place, avec un prix intéressant : 5.000 dollars.

Malko en avait assez de tourner autour du pot.

— L’amiral Mills m’a dit que vous possédiez dans vos dossiers un mystérieux document chinois qu’on avait été incapable de traduire, dit-il.

Fu-Chaw agita ses mains grassouillettes et sourit.

— Oh, il n’y a rien de mystérieux. Et le texte a été traduit par mes soins. C’est assez banal et ne méritait pas qu’on déplace un homme aussi important que vous.

— Je ne suis pas venu spécialement pour cela, dit Malko.

Il y eut une longue minute de silence. Fu-Chaw clignotait paisiblement des yeux mais ne bougeait pas de son fauteuil. Malko réattaqua.

— Cela m’amuserait quand même de jeter un coup d’œil sur ce grimoire.

Fu-Chaw s’arracha à son fauteuil et, sans répondre, trottina jusqu’à son bureau. Il prit dans un tiroir un dossier qu’il tendit à Malko.

— Voici le rapport qui vous intéresse, dit-il de sa voix fluette. Malheureusement, je ne pense pas qu’il puisse vous être très utile…

Le document était à en-tête du F.B.I. Dans la marge, il y avait en lettres rouges la marque X-100, code connu de Malko. Cela signifiait qu’il s’agissait de faits s’étant déroulés aux U.S.A. et recueillis par un agent responsable.

Il y avait d’abord la déposition d’un certain James Bozant, quatorze ans, marchand de journaux, demeurant à San Francisco, 2549 Foster Avenue :

« Je descendais l’escalier d’un immeuble de trois étages au 3403 Foster Avenue, disait-il, lorsque je trébuchai. Je venais de recevoir d’un client cinquante cents en petite monnaie et l’argent m’échappa et tomba sur les marches. Quand j’ai ramassé les pièces – un quarter et cinq nickels – j’ai vu qu’un des nickels s’était fendu en deux. J’ai ramassé les deux morceaux et j’ai vu que d’un côté, il y avait un bout de microfilm, couvert de caractères étranges. Comme je vais souvent au cinéma je savais ce que c’était. On aurait dit qu’il y avait une rangée de fiches dessus. J’ai aussitôt téléphoné au F.B.I. à qui j’ai remis la pièce. Je ne sais rien d’autre. » C’était signé du 13 juillet 1968. Malko lut le second document, rapport du F.B.I. de San Francisco. Agrandi, le microfilm avait fait apparaître des rangées de caractères chinois. Tandis qu’on transmettait le document au décryptage, le F.B.I. chercha à retrouver l’origine de la pièce.

En vain. Tous les locataires du 3403 Foster Avenue avaient été interrogés, ainsi que le dernier client, leurs vies fouillées. Après six mois et une tonne d’interrogatoires, le F.B.I. en était au même point. La pièce pouvait venir de n’importe où. C’était une pièce trop répandue pour qu’on puisse la suivre à la trace. Une fois les deux morceaux réemboîtés, on ne s’apercevait pas du trucage. Si le petit marchand de journaux n’avait pas trébuché dans l’escalier, la pièce servirait encore à acheter des journaux. Le F.B.I. pensait qu’elle était entrée accidentellement dans le circuit commercial. Impossible de savoir où et quand. L’épaisseur – deux millimètres – et le diamètre – douze millimètres – se prêtaient parfaitement au trucage, une cavité faite vraisemblablement au tour.

L’histoire du contenu de la pièce n’était pas plus encourageante. Pendant six mois les meilleurs décrypteurs de la C.I.A. et du F.B.I. s’étaient penchés sur les caractères sans résultat. Les hommes ayant échoué, on avait essayé les machines. La C.I.A. possédait un ordinateur capable de traduire Autant en emporte le vent en russe et en quatre minutes. Mais cette machine merveilleuse avait vomi des kilomètres de ruban magnétique sans aucun sens. Il y avait certainement un code mais personne ne l’avait découvert.

Ensuite, à tout hasard, on avait transmis le dossier à Fu-Chaw. Il avait fait effectuer un décryptage. D’après lui, c’était le signe de reconnaissance d’une des sociétés secrètes – le Lotus Blanc – qui pullulaient encore dans les milieux chinois. De plus, d’après Fu-Chaw, la pièce pouvait avoir beaucoup voyagé, venir de Singapour ou de Hong-Kong. Connaissant le désir forcené du Chinois de ne pas perdre la face, les Américains avaient poliment remercié, pensant que Fu-Chaw avait trouvé une façon élégante de masquer son incapacité de traduire le texte, qui avait continué sa ronde dans les services officiels.

Malko se plongea dans la contemplation du fac-similé du microfilm.

Les caractères étaient disposés de façon curieuse. Au nombre de 56, ils formaient un carré parfait, 14 par côté. Dans chaque coin de ce carré il y avait un idéogramme différent. Puis trois octogones d’idéogrammes remplissaient l’intérieur du carré. Enfin au milieu, un idéogramme seul dans un losange.

Le major Fu-Chaw avait gardé le plus profond silence pendant la lecture de Malko. Quand ce dernier referma le dossier, il eut un rire de crécelle surprenant chez un personnage de sa taille et remarqua :

— Vous voyez que tout cela n’est pas bien sérieux.

Malko le regarda ingénument.

— Mais major, ne trouvez-vous pas que c’est une façon bien compliquée de véhiculer un signe de reconnaissance ?

Fu-Chaw éleva ses mains grassouillettes.

— Les Chinois sont souvent compliqués et enfantins. Les membres de l’honorable société du Lotus Blanc échangent une correspondance mystique sur les astres, en prenant des précautions extraordinaires…

— Je vois, je vois, dit Malko.

Derrière ses lunettes noires, il ne quittait pas le Chinois des yeux. Fu-Chaw semblait indisposé par les questions de son vis-à-vis. De minuscules gouttes de sueur perlaient au-dessus de sa lèvre supérieure. Raison de plus pour continuer.

— Je crois que vous avez fait le tour de la question, dit-il en souriant. Vous êtes certain de votre traduction, n’est-ce pas ?

— Absolument.

Cette fois, c’était parti comme un coup de feu. Fu-Chaw en avait oublié de cligner des yeux.

Malko sentait le Chinois sur des charbons ardents. Il fit semblant de détourner la conversation, tout en restant sur le sujet qui l’intéressait.

— Y a-t-il des cellules communistes parmi la population jaune de la Côte Ouest ? demanda-t-il.

Fu-Chaw regarda Malko comme s’il avait évoqué le diable, et dit :

— Je n’en connais pas. J’ai des informateurs dans toutes les classes de la société chinoise, depuis les putains de Tijuana jusqu’aux familles les plus riches de San Francisco. Bien sûr, il y a parmi eux des sympathisants communistes. Mais ils ne sont pas dangereux parce qu’inorganisés. Et ceux qui seraient tentés par le nouveau régime ont toujours la ressource de prendre le premier bateau pour Hong-Kong. De toute façon, le F.B.I. suit de très près cette question et a fiché tous les individus suspects ou dangereux.

Malko écoutait patiemment.

— Mais il doit bien y avoir des services secrets à Pékin ?

Fu-Chaw cuisait dans son bain. Il dit à voix basse :

— Oui, bien sûr. Cela s’appelle le… Lien-lo-pou.

Il avait prononcé le nom à toute vitesse et Malko dut le lui faire répéter.

Malko avait retiré ses lunettes et plongeait son regard doré dans les petits yeux noirs du Chinois. Gêné, Fu-Chaw se tortilla sur son fauteuil. De nouveau, Malko changea de sujet.

— Cela m’amuserait de conserver ce document, vous n’y voyez pas d’inconvénient ?

Fu-Chaw acquiesça avec enthousiasme.

— Prenez tout le dossier. Il m’encombre.

Malko se leva et lui tendit la main. Encore une fois il eut l’impression de tenir une jeune méduse dans sa main droite.

Il lui restait une question à poser :

— L’amiral Mills m’avait parlé d’un certain Jack Links, qui s’était également occupé de cette traduction. Il travaillait pour vous, n’est-ce pas ?

Le major secoua la tête et prit une expression affreusement humble.

— Les Américains n’ont jamais tout à fait confiance qu’en leurs propres capacités, laissa-t-il tomber. En dépit de ma traduction, la C.I.A. avait demandé à Jack Links, que je connaissais d’ailleurs, de voir s’il n’y avait pas une autre signification possible à ce document.

— Et il n’a rien trouvé bien entendu ?

Fu-Chaw prit l’air surpris.

— Comment, Mills ne vous a pas dit ? Ce pauvre Jack est mort. Un arrêt du cœur. Il s’était beaucoup fatigué. C’est bête de mourir ainsi, encore jeune.

— C’est toujours bête de mourir, conclut Malko.

Sur ces paroles définitives, il quitta Fu-Chaw. Le major ne le raccompagna pas. Il tombait visiblement de sommeil. Malko se retrouva sous le soleil de Californie, seul avec ses pensées et reprit la voiture qu’il avait louée dans son parking, puis s’engagea sur le Sunset Boulevard, pour rejoindre le Harbor Freeway et l’aéroport. Il n’avait plus rien à faire à Los Angeles. Mais il était songeur. Des années dans les services spéciaux lui avaient appris à se méfier des coïncidences. Ainsi, quand tous les décrypteurs de la C.I.A. avaient échoué la C.I.A. s’était souvenue qu’il existait à San Francisco un nommé Jack Links qui avait passé quarante ans de sa vie en Chine, parlait plusieurs dialectes et écrivait comme un mandarin. Or, la mort de cet expert tombait un peu trop à pic. Bien sûr, tout cela n’avait aucun rapport avec l’épidémie de « communisme », et l’amiral serait furieux s’il voyait Malko perdre son temps de cette façon.

Malko sentait quelque chose. C’était flou et fragmentaire, mais suffisant pour le préoccuper. L’épidémie sévissait à San Francisco, Jack Links habitait dans cette ville, la pièce truquée y avait été retrouvée… Cela faisait beaucoup de coïncidences…

Et, au fond, pourquoi Fu-Chaw n’avait-il pas fait appel à son ami Jack Links pour le document chiffré ?

Tout en roulant sagement sur le freeway à 65 milles, Malko éprouva une furieuse envie de se pencher sur la mort de Jack Links.

Dans le Bœing 727 qui le ramenait à San Francisco, Malko s’orienta vers des pensées plus agréables. Il arriverait juste à temps pour retrouver Lili à l’aéroport. Comme il ne pouvait commencer son enquête que le lendemain, il avait la conscience tranquille.

La Tahitienne n’avait même pas grogné quand il l’avait sortie du lit, à huit heures. Il l’avait déposée chez elle, en haut du Télégraph Hill, avant d’aller prendre l’avion.

Il était 8 h 27 quand le Bœing se posa à San Francisco. Malko se dépêcha le long des interminables couloirs. Lili n’était plus au bureau Hertz. Il la trouva sagement assise dans la Mustang rouge. Elle l’embrassa avec tendresse et lui dit :

— Tu es fatigué ? Je vais te masser partout, comme on fait aux pêcheurs, chez nous.

Elle avait remis sa robe chinoise et expliqua à Malko qu’elle avait emporté de quoi se changer pour ne pas être obligée de repasser chez elle.

— Mais ton grand-père, dit Malko, il ne te dit rien ?

— Oh non ! Je lui ai dit que j’avais rencontré un homme gentil et riche, il est très content. Il m’a seulement dit de ne pas me faire faire un enfant tout de suite…

Évidemment.

Ils allèrent dîner dans un petit restaurant chinois de Mason Street. Malko commençait à trouver Lili adorable.

Pendant tout le repas, elle le regarda d’un œil soucieux.

— Tu es fatigué, répéta-t-elle. N’allons pas danser. Je vais te masser.

Il se laissa faire. Quand ils furent à l’hôtel, elle fit déshabiller Malko et il s’étendit sur le ventre, nu. Lili avait retiré sa robe mais gardé son slip et son soutien-gorge. Pendant que ses doigts couraient sur son dos, Malko pensait à la mort étrange de Jack Links. Il y avait peu d’espoir de découvrir un indice mais c’était sa seule piste à ce jour.

Ses pensées dévièrent soudain. Le massage de Lili avait évolué. Elle s’amusait maintenant à lui chatouiller le dos avec la pointe de ses seins… A partir de cette minute, Malko fut perdu pour la C.I.A.

Il s’endormit, longtemps après, repu et vanné, le corps ferme et chaud de Lili contre lui.

Quand il ouvrit les yeux, il la chercha. Elle avait disparu. Sa montre disait 9 heures. Sur le bureau, il y avait un petit mot en français :

« Dors bien. Je ne veux pas t’envahir. Si tu veux, téléphone-moi à Hertz. LILI. »

Malko n’en revenait pas de tant de gentillesse. Ou alors, c’était d’une rouerie abominable. Car il commençait à s’habituer au corps doré de Lili et à sa douceur.

S’il n’y avait pas eu toutes ces histoires…

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