CHAPITRE VII

Plusieurs éléphants roses passèrent lentement au fond de la chambre, levant joyeusement leur trompe pour saluer. Au fur et à mesure, ils s’enfonçaient dans le mur. Malko se fit la réflexion que la maison était vraiment solide.

Un animal de race indéterminée, mais d’un très joli mauve, gambada un instant derrière les éléphants puis s’évanouit aussi vite qu’il était venu.

Il fut remplacé par une créature de rêve : une femme longue et sinueuse comme une liane, aux traits hiératiques de princesse d’Asie, qui avança vers Malko en ondulant et immobilisa une cuisse fuselée et brune à proximité de sa main, dévoilée par l’échancrure d’une robe chinoise.

La suite se passa dans un nirvana brumeux et multicolore. Deux longues mains terminées par des griffes rouges recourbées dansèrent un ballet érotique autour du corps de Malko, le dépouillant de ses vêtements comme par miracle. Elles tournèrent et virevoltèrent, déclenchant à chaque frôlement un délicieux fourmillement. Quand chaque muscle de Malko fut tendu comme une corde à violon, l’apparition tournoya, la robe s’envola. Puis le corps parfait se fondit au sien, dans une gerbe d’étincelles aux couleurs irréelles.

Des siècles après, Malko ouvrit les yeux. Il lui fallut plusieurs minutes pour reprendre contact avec la réalité. Le corps soyeux et tiède de Lili Hua allongé contre lui l’y aida beaucoup. A l’exception de ses escarpins noirs flambant neufs, elle était nue. La lampe accentuait les reflets cuivrés de sa peau et la rondeur de sa poitrine.

Il passa une main légère sur ses seins et elle ouvrit les yeux en frissonnant. Et Malko retrouva sous ses doigts la sensation extraordinaire des instants précédents.

L’opium continuait à faire son effet. Mais pas assez au goût de la Tahitienne.

Lili Hua roula avec souplesse hors du lit et s’accroupit près du plateau à opium. La petite lampe brûlait toujours. La jeune femme prit la longue aiguille d’argent la passa à la flamme et la trempa vivement dans le flacon contenant la pâte brune.

La boulette grésilla une seconde au-dessus de la flamme, se gonfla. Lili Hua plaça la cloque d’opium dans le fourneau de la pipe.

— Tiens, dit-elle en la tendant à Malko.

Il prit à deux mains l’ivoire travaillé, appliqua sa bouche à l’embout et aspira, gardant la fumée le plus longtemps possible. Enfin, il la rejeta très lentement les yeux fermés. Lili Hua regardait avec attendrissement :

— Tu fumes très bien, remarqua-t-elle.

Malko sourit, flatté. Il avait rarement fumé l’opium, mais toujours avec plaisir. Et il se sentait assez fort pour ne pas céder à la tentation de la drogue.

Encouragée, Lili Hua lui prépara une autre pipe. On n’entendait plus que le grésillement de l’opium et le cliquetis de l’aiguille. On se serait cru très loin, au fond de la Chine.

Les yeux clos, Malko se détendait.

Tout s’était passé merveilleusement bien. Il avait sonné à la porte du premier.

La porte s’était ouverte aussitôt. Lili Hua se tenait devant lui, un doigt sur les lèvres, vêtue d’une robe chinoise de couleur corail, fendue jusqu’en haut de la cuisse. Ses cheveux étaient soigneusement coiffés en chignon et elle portait les escarpins en crocodile. Elle avait embrassé Malko et lui avait pris la main pour le guider à travers un couloir sombre jusqu’à une petite chambre aux murs rouges, meublée en tout et pour tout d’un lit bas et d’une commode.

— C’est chez moi, ici, dit Lili.

Un peu gêné, Malko s’était assis sur le lit.

Elle avait disparu dans le couloir pour revenir aussitôt, portant un petit plateau d’argent qu’elle posa avec soin par terre.

— Mon grand-père est sorti, avait-elle dit. Il ne vient jamais dans ma chambre quand il rentre.

Malko avait ôté sa veste et s’était allongé sur le lit, pendant que Lili s’accroupissait près de lui. La suite avait été un festival d’érotisme dont Malko émergeait à peine.

Lili lui avait d’abord préparé plusieurs pipes. Le goût âcre de l’opium l’avait fait tousser puis la fumée brune l’avait délicieusement engourdi. Peu à peu, il avait eu l’impression que ses nerfs sortaient de sa peau, que sa sensibilité se multipliait par dix mille. Lili suivait les progrès de la drogue dans les yeux d’or de Malko. Elle lui avait donné une dernière pipe et avait commencé à le déshabiller avec une légèreté de fée. Ensuite, elle s’était étendue près de lui. Tous les fumeurs d’opium savent qu’il y a dans l’intoxication, une période aphrodisiaque suivie d’une sorte de nirvana. Lili connaissait cette particularité.

Un peu dégrisé, Malko écoutait le babillage de Lili.

— C’est dommage que tu ne connaisses pas mon grand-père, dit-elle, c’est un homme très savant et très intelligent. En Chine, il avait une position importante avant d’être obligé de se sauver.

Malko dressa l’oreille. Une idée folle venait de lui passer par la tête.

— Sais-tu s’il écrit le mandarin ?

Lili opina de la tête, très fière.

— Bien sûr, je n’ai jamais vu quelqu’un d’aussi savant. Il a une pièce pleine de livres. Il sait encore écrire sur du papier de riz avec des pinceaux.

— Je pourrais peut-être faire gagner de l’argent à ton grand-père, dit Malko.

Lili frotta sa joue contre sa poitrine.

— C’est gentil, l’opium coûte cher. Et il n’a pas beaucoup d’argent.

Elle demanda, un peu intriguée :

— Mais alors tu es très riche ?

Malko sourit :

— Pas moi. Les gens pour qui je travaille.

— La grande photo qu’il y a dans la chambre, le château, qu’est-ce que c’est ? C’est là que tu travailles ?

— Non, fit Malko avec une pointe de fierté. C’est là que j’habite.

La révélation coupa le souffle à la Chinoise pour cinq bonnes minutes.

— Je ne savais pas, dit-elle d’un ton presque pathétique, qu’un seul homme pouvait avoir tant d’argent.

Si elle avait su.

Ils restèrent un long moment étendus l’un près de l’autre. Lili Hua parlait de Tahiti, du soleil, de la vie sans problèmes qu’elle avait connue dans l’île. Malko l’écoutait avec un peu de mélancolie. Tout cela était si loin des dangers qu’il courait sans cesse, et la fraîcheur de Lili était si touchante…

Elle lui prit la main dans le noir et la serra.

— Je t’emmènerai à Moorea, murmura-t-elle ; je t’apprendrai à pêcher de gros poissons. Tu seras très beau quand ta peau sera bronzée, avec tes cheveux blonds. Il ne faudra pas trop me tromper…

La vie, la vraie vie, sans complexes, sans complications… Malko déposa un baiser sur l’épaule de Lili et se leva, la tête un peu lourde, mais le corps merveilleusement léger.

— Tu pars déjà ? soupira Lili Hua.

— J’ai du travail, dit Malko. Et je préfère rencontrer ton grand-père dans d’autres circonstances.

Elle l’aida à se rhabiller, laçant même ses lacets, boutonnant sa chemise, vêtue seulement de ses belles chaussures. Quand il fut prêt, elle se colla contre lui et l’embrassa.

— Tu m’aimes un peu ? demanda-t-elle avec inquiétude.

Malko posa ses mains sur ses hanches et lui rendit son baiser. Il éprouvait une étrange tendresse pour Lili. De nouveau, au contact de sa peau, une onde délicieuse se promena dans sa colonne vertébrale et finit en boule dans son estomac. Il faillit étreindre la jeune femme. Mais la pensée des deux gorilles qui l’attendaient, sans doute inquiets, au Mark Hopkins lui donna mauvaise conscience.

Il détacha doucement les bras de Lili. Elle le suivit en trottinant dans sa tenue sommaire jusqu’à la porte. Malko l’embrassa encore dans le cou et la quitta. Le lendemain elle ne travaillait pas. Elle attendrait chez elle qu’il lui téléphone, s’il avait le temps de la voir.

Avant de sortir dans la rue, il inspecta les alentours. Tout était désert. La Ford n’avait pas bougé. Dix minutes plus tard, il était à l’hôtel.

Le hall du Mark Hopkins était désert, à l’exception d’une fille en robe du soir abandonnée par son cavalier, et pleurant sur un canapé. La liftière chinoise avait l’air d’une belette et Malko fixa son regard dans le vague, encore tout imprégné du charme de Lili.

Un rai de lumière filtrait sous la porte de Chris Jones. Malko frappa un coup léger. Le gorille ouvrit immédiatement. Brabeck était vautré dans un fauteuil, en manches de chemise, son Magnum sur les genoux. Une bouteille de whisky à moitié vide était posée devant lui, avec deux verres.

— Il était temps ! dit Jones sombrement ; on allait aller vous chercher. Il est une heure et demie.

Malko leur dit bonsoir et referma la porte sous leur regard réprobateur. La journée allait être chargée. Il s’endormit pourtant en pensant au corps minuscule et parfait de Lili Hua.

Un Chinois qui devient blanc comme un cierge c’est un spectacle à ne pas rater. Et l’honorable M. Tchou-Laï – c’est le nom qu’il avait donné – était positivement cireux. Non sans raison, Chris Jones était appuyé négligemment à la porte de la boutique, interdisant toute sortie ; Milton Brabeck, flegmatique, était en train d’enfoncer dans le ventre replet du Chinois la pointe d’un poignard de parachutiste de vingt centimètres de long.

— Tu fais aussi le stoppage ? demanda Milton, sérieux comme un pape. Parce que tu vas avoir besoin de quelqu’un de qualifié pour te recoudre cette mignonne boutonnière…

Le Chinois gargouilla. Milton l’avait coincé dans la cabine de déshabillage et enfonçait la lame millimètre par millimètre. Fasciné comme par un reptile, le Chinois se contentait de gémir et de se tortiller.

— Attends, fit Jones, jovial ; je branche le fer. On va lui repasser la gueule. C’est souverain contre les pertes de mémoire.

— Je préfère l’épingler au mur, dit Milton. C’est plus joli. Et puis comme ça il va bouger un bon moment.

— Mais enfin, qu’est-ce que je vous ai fait ? gémit le Chinois. Je suis un honnête commerçant…

— Toi peut-être, mais pas Chong…

— Vous n’en tirerez rien, dit Malko en sortant de l’arrière-boutique.

Il avait fouillé parmi les tas de vêtements sales sans trouver le moindre indice.

Ils étaient arrivés à la boutique dès l’ouverture. Mais Chong n’était pas derrière le comptoir. C’était un petit Chinois pansu comme un Bouddha qui clignotait derrière des lunettes de soudeur.

— M. Chong, il est pas là, avait-il dit. Je suis son cousin. Je remplace, je fais même service.

— Ah, tu fais le même service, mon salaud, avait ricané Chris.

Tranquillement, il avait accroché à la vitrine l’écriteau « Fermé » et donné un tour de clef à la serrure. Puis il avait commencé l’interrogatoire.

Sans résultat, M. Tchou-Laï avait reçu un coup de téléphone lui demandant de s’occuper de la boutique, parce que Chong était malade. Son visage graisseux ne reflétait aucune expression. Impossible de savoir s’il était de mèche ou non. C’est ce qui avait énervé Chris Jones. Comme tous les gorilles, il avait un peu assassiné au cours de ses missions. Alors un de plus, un de moins… Et au dernier moment, souvent, ils parlent quand ils sentent qu’ils vont mourir…

— Posez-lui une dernière question, dit Malko. Où habite son cousin. S’il ne répond pas, tuez-le.

C’était dit d’un ton tellement calme que le Chinois se mit à trembler de tous ses membres.

— Non, ne me tuez pas, gémit-il. Je vais vous dire. Il habite pas très loin d’ici, Jackson Street, numéro 1965.

Chris Jones enfonça imperceptiblement la pointe du poignard.

— Si tu nous racontes des histoires, je reviens et je t’épingle comme un papillon. Ou si tu téléphones pour prévenir… Vu ?

Le Chinois jura sur sept générations d’ancêtres qu’il oublierait jusqu’à l’existence de son bourreau. Quand le gorille retira le poignard, une tache de sang s’élargit sur la chemise du teinturier.

Ils sortirent. Malko était soucieux.

— Dépêchons-nous, dit-il ; ce chat ne devait pas être tellement inoffensif.

Jackson Street était à trois blocs, à l’ouest. C’était une rue étroite descendant vers la mer, bordée d’éventaires chinois. Le numéro 1965 était un vieux building d’une dizaine d’étages.

Malko entra le premier. Dans le couloir, il y avait une plaque sur une boîte aux lettres : Chong, second étage.

Les trois hommes montèrent. La porte était ouverte. Une odeur d’encens filtrait sur le palier. Malko entra le premier. Une vieille Chinoise ridée, tout de blanc vêtue s’avança vers lui et s’inclina.

— Je voudrais voir M. Chong, demanda-t-il.

Elle lui fit signe de le suivre. Après un petit couloir, il y avait une chambre dont la porte était ouverte.

— M. Chong est là, dit la vieille.

Malko entra, les deux gorilles sur ses talons. C’était trop beau. Ils tombèrent en arrêt tous les trois.

M. Chong était bien là. Étendu sur un lit les yeux fermés, aussi mort qu’on peut l’être. Son visage rond avait une expression angélique.

— Il est mort hier soir, fit la vieille, derrière le dos des trois hommes. Le cœur. C’était un de vos amis ?

Chris Jones plongea ses yeux gris dans ceux de la vieille.

— Oui. C’est ça. Nous venions… lui rendre un dernier hommage.

Malko donna le signal du départ. Il n’y avait plus rien à faire.

— Encore une étrange coïncidence, dit-il ; M. Chong était pourtant bien portant hier soir. Peut-être que ceux qui l’ont télécommandé n’étaient-ils pas absolument sûr de lui…

Encore une piste qui s’effondrait. Ceux qu’il traquait n’hésitaient pas à mettre la ville à feu et à sang… Il n’avait aucune preuve matérielle mais Malko aurait juré que cette série de meurtres avait un lien avec l’épidémie de communisme qui touchait les environs de la ville. En quelques jours, on avait tenté de le tuer deux fois. C’est donc qu’il était sans le savoir sur une piste importante : cela corroborait son intuition. Car c’étaient des Chinois qui tentaient de le tuer. Or s’il y avait à San Francisco un réseau communiste, chinois ou non, il était fatalement mêlé à l’intoxication.

À la réception du Mark Hopkins, il y avait une épaisse enveloppe cachetée au nom de Malko, avec le cachet de la police de San Francisco.

C’était le rapport toxicologique. Les gorilles lurent par-dessus l’épaule de Malko :

L’analyse de la substance recouvrant les griffes du chat a décelé deux composantes : d’une part une laque ordinaire très forte à base d’alcool, sans aucune nocivité. D’autre part une substance végétale hautement toxique, de la famille du curare dont nous n’avons encore pu déterminer exactement la composition. Un rat, inoculé avec cette substance, est mort cinq minutes après, paralysie des muscles cardiaques. Les effets sont vraisemblablement les mêmes sur l’homme bien que plus longs. L’action ne laisse aucune trace dans l’organisme.

Malko replia la feuille et croisa le regard horrifié de Milton Brabeck.

— On l’a échappé belle, fit le gorille. Moi, la prochaine fois que je vois un chat dans la rue, je le flingue à vue.

— Votre tête va être mise à prix par la Société Protectrice des Animaux, répondit Malko.

— Qu’est-ce qu’on fait maintenant ? interrogea Jones.

— Nous allons nous occuper de la Chinoise de la banque, dit Malko. Vous allez aller me louer une seconde voiture, pas trop voyante. Heureusement, cette fille ne vous a jamais vus. Et nous, nous connaissons ses heures de bureau. Le mieux est d’y aller vers cinq heures et d’attendre qu’elle sorte. Chris la suivra si elle part en voiture et Milton, si elle est à pied. Pendant ce temps, je vais essayer d’en savoir plus long sur elle, par notre ami Richard Hood.

Il était près de midi. Jones et Brabeck sortirent louer la seconde voiture. Malko resta dans la chambre. Il appela le bureau de Richard Hood mais le chef de la police était absent. Il laissa à sa secrétaire un signalement détaillé de la mystérieuse Chinoise, le peu qu’il savait sur elle, et l’adresse de la banque, en demandant qu’on réunisse tout ce qu’on pourrait apprendre à son sujet. Après avoir raccroché, il appela Lili pour l’inviter à déjeuner.

Elle arriva presque en même temps que les gorilles qui soulevèrent poliment leur chapeau. Pour ne pas les vexer, Malko leur proposa de déjeuner tous ensemble. Ils prirent l’ascenseur pour aller au 32e étage, au « Top of the Mark », le restaurant de l’hôtel qui dominait toute la ville. On y mangeait très bien mais les prix étaient prohibitifs. Un simple steak coûtait huit dollars. Il est vrai qu’il était servi avec une sauce béarnaise préparée par un chef français, gangster retraité.

Intimidés, les gorilles mangèrent en silence. Lili ne dit pas grand-chose non plus. Elle dévorait Malko des yeux et, sous la table, lui caressait la cuisse timidement.

Malko signa l’addition et ils redescendirent. Jusqu’à la moitié de l’après-midi, ils n’avaient rien à faire. Les gorilles allèrent au bar et Malko se retrouva dans sa chambre avec Lili. Elle prit une brosse dans sa valise et ouvrit l’armoire.

— Je vais nettoyer tes costumes, dit-elle.

Malko accepta, attendri.

— Tout à l’heure, je dois m’en aller, dit-il. J’ai à travailler.

Déçue, elle demanda :

— Je ne peux pas t’aider ? C’est ton travail de détective ?

— Oui, dit Malko, et je ne veux pas que tu te mêles à cela. C’est dangereux.

Lili fit la moue :

— Je sais me défendre, tu sais.

— J’en suis sûr. Mais quand même !

Malko s’installa au bureau et commença à écrire. Pour donner des instructions à son entrepreneur autrichien. Devant lui, la photo panoramique de son château lui rappelait qu’un jour il serait terminé et qu’il pourrait enfin vivre la vie dont il avait toujours rêvé. À moins qu’il ne soit mort avant dans l’une de ses missions insensées.

Le téléphone sonna. Richard Hood apprit à Malko que ses services ne possédaient rien sur la Chinoise de la banque. Il allait demander au F.B.I. d’enquêter, mais cela prendrait quelques jours. Malko remercia et raccrocha.

Lili avait fini son brossage. Elle vint derrière Malko et passa les bras autour de son cou. Il tourna la tête et l’embrassa. Il sentait les pointes de ses seins s’écraser dans son dos et son baiser se fit plus insistant.

Un coup discrètement frappé à la porte de communication les ramena sur terre.

— On y va ? cria la voix de Jones à travers la porte.

— D’accord, dit Malko, je ne bouge pas d’ici. Dès que vous avez quelque chose, appelez-moi.

— Où vont-ils ? demanda Lili.

— Ils doivent suivre quelqu’un, répondit Malko.

Il la reprit dans ses bras et entreprit de continuer ce que Jones avait interrompu. Mais, les deux gorilles partis, il fut pris de scrupules. Ses adversaires lui avaient déjà montré à quel point ils étaient retors. S’ils s’apercevaient de la filature, ils risquaient, soit de semer leurs poursuivants, soit de leur tendre un piège.

Il fallait mettre au point un plan de secours. Pour ne pas affoler Lili, étendue sur le lit, il passa dans la chambre de Jones et appela Hood.

— Pouvez-vous prendre discrètement en filature un véhicule dès que je vous donnerai son numéro et sa description ? demanda-t-il.

— Bien sûr, fit Hood. S’il sort de la ville je lui mettrai un hélicoptère au cul. C’est ce qu’il y a de plus sûr. Avec les jumelles on peut pas le perdre.

— Merci, dit Malko. Je vous préviens dès que j’ai quelque chose.

Il repassa dans sa chambre, soucieux. C’était trop risqué d’aller lui-même expliquer à Chris et à Milton le nouveau plan. Il suffisait d’un hasard malencontreux pour que la Chinoise l’aperçoive et soit encore plus sur ses gardes. Et impossible de téléphoner aux gorilles.

Lili s’aperçut de son air tendu.

— Qu’est-ce qu’il y a ? demanda-t-elle.

— Rien, dit Malko.

Elle insista :

— Je crois bien que tu as quelque chose. Je peux t’aider ?

Elle le regardait, suppliante :

— Oh, laisse-moi faire quelque chose pour toi.

Son visage resplendissait de joie. Il lui aurait demandé de vider la baie avec une petite cuillère, elle s’y serait mise immédiatement.

Malko hésitait. Il ne voulait pas la mêler à son dangereux métier. D’abord, pour ne pas lui faire prendre de risques, ensuite par discrétion. Mais, là, il y avait un problème urgent à résoudre, sans danger pour elle. Il suffisait qu’elle aille prévenir Chris et qu’elle revienne.

— Écoute, dit Malko. J’ai oublié de dire quelque chose aux hommes qui travaillent avec moi. Veux-tu leur porter un mot, de ma part ? C’est tout. Ensuite tu reviens tout de suite et nous allons voir ton grand-père pour l’affaire dont je t’ai parlé.

— C’est tout ? fit Lili déçue.

Elle s’attendait au moins à ce qu’il lui demande d’assassiner quelqu’un.

— Oui, mais c’est très important, précisa Malko. Je ne peux pas y aller moi-même.

Malko lui expliqua où se trouvait la voiture et griffonna un mot pour Chris. Lili trépignait d’impatience. Il la prit dans ses bras et plongea ses yeux dorés dans les siens. Elle baissa la tête et se blottit contre lui.

— Je ferais n’importe quoi pour toi, murmura-t-elle. Tu es si gentil.

Elle lui posa un baiser rapide sur la bouche et dit :

— Je reviens tout de suite.

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