Il est trois heures de l’après-midi le lendemain, quand je pousse la porte de mon pavillon de Saint-Cloud.
Qui aperçois-je, dans l’encadrement du perron ? Félicie ! Ma brave, ma chère, ma merveilleuse Félicie.
Je me précipite dans ses bras.
— Déjà rentrée, M’man ?
— Tu vois. Loin de toi, les vacances ne sont plus des vacances, tu sais, mon grand.
Elle m’entraîne à la salle à manger. Je m’immobilise, la bouche et les yeux grands ouverts. Irène, la môme que j’avais levée dans le train en revenant de Dordogne, est toujours là, tricotant paisiblement.
Elle rosit en me voyant et déclare en me tendant la main :
— Vous voyez, je vous ai attendu. Votre maman est très gentille, c’est elle qui a insisté…
Je bredouille, éperdu de stupeur :
— Ah bon ! Bien ! Hum ! Je… c’est-à-dire… oui… Bien sûr que… Mais néanmoins… Il est vrai…
M’man rit sous cape de ma confusion. Et moi je pense que ça va être drôlement coton de la virer, cette nana. Bonté divine, comment que je vais la décramponner !
Je suis aux prises avec ce problème, beaucoup plus délicat et embistrouillant que mon enquête, lorsque la porte s’ouvre avec fracas et le Gros que j’avais déposé devant sa porte entre sans saluer personne.
— San-A ! hurle-t-il, en brandissant France-Soir. San-A ! San-A ! Lis, mais lis donc ça, b… de m… !
Je m’empare machinalement du baveux et je lis en première page :
« Le Monstre du Lac de Stingines (Écosse) n’était pas un leurre. »
— Après ça tu viendras pas me raconter que je bluffe, hé, patate ! aboie Béru.
J’ai un haussement d’épaule agacé et je poursuis ma lecture.
« Ce matin, des pêcheurs matinaux qui parcouraient les rives de Stingines Lok eurent une forte émotion en découvrant, gisant au milieu des ajoncs, une bête effroyable, issue en droite ligne de la préhistoire et appartenant probablement à la famille des sauriens. L’animal mesure vingt-deux mètres de la tête à la queue. Il possède des nageoires dorsales et des pattes atrophiées comme les crocodiles. Il a été tué de huit balles de revolver bien groupées, de calibre 7mm 65 d’origine française. Le Muséum d’histoire naturelle de Londres offre mille livres de récompense à la personne qui a accompli cet exploit unique. »
Je lève une tête titubante d’admiration sur Béru.
— Ça fait combien, mille livres ? me demande-t-il doucement.