Gracieux Moulalard contemple une fille de grande beauté artistique, flanquée d'un mac pour film de série C, laquelle mange des fraises à la table voisine.
Tu vas voir comme la vie est imprévisible et comme le destin s'appuie sur pas grand-chose. La fille en question aurait commandé une crème vanille, ou une tarte Tatin, ou un camembert au sucre pour dessert, je serais probablement passé à côté de la gagne.
Seulement voilà : Dieu (ou son adjoint) a voulu qu'elle mangeât des fraises, prouvant ainsi qu'elle n'est point sujette à des crises d'urticaire, ce qui serait fâcheux dans l'état de beauté qu'elle se trouve, la chérie !
— Tu t'rinces l'œil, Gracieux ? demande Bérurier, déjà émoustillé.
— Tu ne trouves pas que cette personne ressemble a Paulette ? soupire le pharmacocu obnubilé.
Le Gros mate la fraiseuse et hoche la tête.
— Merde, j'sais pas comme t'est-ce que tu voyes la vie, celle-ci est jolie.
Le cornard à bocaux rebiffe.
— Paulette aussi !
— Avant qu'elle empâte, j't'dis point. Mais quand j'l'aye vu, y'a deux piges, ta seringue, j'l'aye trouvée un brin décatie, soye dit sans vouloir t'mortifier. É l'avait un pneu gonflé à 2,5 en guise de gaine Scandale, et t'aurais fait des drôles de blagues à tabac av'c ses bajouxes, sans causer des bacchantes qui lui avaient poussé, à la Vercinclitorixe, elles étaient ses baffies, mémêre. Tu sais, ton préparo, pour s'tirer entre des brancards pareils, faut qu'y l'aye des ambitionnements côté trot-attelé. Si tu voudrais l'fond de ma pensée, Gracieux, puisqu'on est juste entre nous et ces bouteilles vides, mézigue, à ta place, au lieu de traîner des savates de grutier en retraite et une bouille made in Villejuif, je m'saperais mylord et j'irais rouler façon Delon près des poulettes bien fraîches. Une occase rêvée d'renouv'ler l'cheptel, mince, ça s'iaisse pas périmer. Tiens, y t'faudrait une souris dans l'genre de celle-ci qui bouffe des fraises.
Moulalard hausse les épaules.
— Tu ne vois pas que c'est une pute, Alexandre-Benoît ? Rien que la façon dont elle mange sa fraise, on dirait qu'elle pratique la fellation.
— On dirait plutôt qu'elle fait une pipe, moui, rectifie l'Inculte. Mais quoi, pute ? Pute pour pute, autant en avoir une bien roulée que t'ayes plaisir à montrer en société. Moi, j's'rais en compagnie de c'te gonzesse, j'en installerais…
— Il n'y aurait pas de quoi : elle mange ses fraises avec les doigts.
— Oh, dis, Gracieux, tu chipotes ! Une fraise n'a pas de manche, comment voudrais-tu qu'é les clappe, les siennes.
— A la cuiller !
Le Gros va pour récrier, mais il aperçoit ma lividité et s'alarme.
— Y'a un sac d'nœuds, Mec ?
— Et comment !
Je lui dis.
Un mur d'enceinte hérissé de tessons de boutanches redoutables.
Un portail de fer hérissé de pics acérés. Des chienchiens louloups, plus loups que chiens aux ratiches acérées (ou à serrer) dont on perçoit les papattements feutrés de l'autre cote de vantaux. Je déteste les chiens qui n'aboient pas et qui marchent silencieusement près d'une porte. Tu devines tout de suite ce que sera leur accueil si tu te risques sans être reçu officiellement par les maîtres.
Il existe une poignée de cuivre dans la maçonnerie du pilastre. Je tire dessus. Bien que nous ne percevions rien, cela doit faire du bruit puisqu'au bout de très peu de moments une voix retentit dans l'émetteur d'une conciergerie phonique située à l'intérieur du mur d'enceinte pour qu'on ne puisse l'obstruer par malignité.
— Qui est la ? demande la voix.
— C'est la police, répond le petit Chaperon Rouge Sanantonio comptant qu'on va lui tirer la chevillette.
— Quelle police ?
Alors là, j'ai pas i'habitude. D'ordinaire, le quidam ne pose pas cette espece de question. Police, ça lui suffit. Il dit bonjour ou défouraille, mais ne se perd point dans des questions zoizeuses.
Quelle police ? Je vous demande un peu !
Y'a plus d'époque.
— La meilleure, rétorqué-je.
— Ici tout est calme et tout le monde dort, sauf moi que vous venez de réveiller, riposte sèchement la voix. Veuillez repasser quand il fera jour ainsi que la loi vous en fait obligation.
— Ouvrez, c'est une question de vie ou de mort !
— Vous êtes en danger ?
Tu parles d'une gonflade, cette terlocutrice. Car il s agit d'une femme. Au départ, comme elle avait l'enrouement du sommeil, j'ai confondu. Mais à mesure que son timbre s'éclaircit, j'm'aperçois qu'elle est de race donzelle, la voix.
L'ex-commissaire Bérurier m'écarte d'un coup d'épaule. Il a conservé de ses anciennes fonctions le sens de l'initiative et l'esprit dominateur.
— Chérez pas, la mère. On a reçu u'nain formation comme quoi vot'crèche est piégée et qu'é va sauter avant l'jour. Si vous r'fusez d'ouvrir après avoir rappelé vos médors, nous, on s'rabat av'c les pompiers et leur train, et même l'génie au b'soin. Pas çu d'la Bastille : le vrai qui laisse des traces. Compris ?
Un temps d'incertitude.
Sa Majesté vient de marquer un point.
Il me regarde. Le clair de lune lui permet de lire dans mes yeux que, mentalement, j'lui restitue son titre qui vint à échéance à neuf plombes d'hier au soir. Alors, charmé, il chuchote, en masturbant le chef :
— M'ci, m'ci bien…
— Je vais en référer à monsieur le directeur, annonce la voix (en anglais : the voice).
— C'est ça : référez-z'en et maniez-vous le cul ! agrée Bérurier.
Le silence qui suit n'est pas de Mozart, mais de cru de Béru. Il l'entrelarde de vents bien sentis qu'il confie à ceux de la nuit.
— La choucroute, m'explique-t-il sobrement ; car c'est un homme qui abomine toute forme de cachotterie.
Ils sont deux.
Ou plus exactement quatre si l'on tient compte des deux Doberman écumants que chacun tient en laisse à grand-peine.
Un homme et une femme.
Tous deux en pomme de terre, je veux dire en robe des champs, ou de chambre (l'un et l'autre se dit, ou se disent).
Asiatiques. Ça, pas moyen de croire à une double hépatite virale. Leurs yeux bridés, leurs épais cheveux noirs, leurs pommettes saillantes, leur léger zézaiement, leurs passeports de Formose, tout laisserait supposer qu'ils sont chinois de naissance et d'ensuite.
La dame est maigrichonne, avec un nez pointu, une lèvre supérieure pointue, des ongles pointus. Jeune, moins belle qu'elle n'en a l'air, pas de poitrine, ou alors elle l'a oubliée sur sa table de nuit. Lui, il est courtaud, massif, avec une figure ronde et quoi encore ? Peu importe ou exporte. Qu'est-ce que ça peut te foutre le comment qu'il est, c'Chinois ? Tu ne veux pas le sodomiser, si ? Et même, c est pas son visage, dès lors, qui t'intéresserait, espèce de dégueulasse, que si j'm'attendais à une chose pareille de toi, je te jure ! Prendre sa température avec un plantoir, c'est quand même pas des manières, reconnais ?
La dame nous cause et je reconnais sa voix de mélé-casse.
— Si vous êtes policiers, montrez vos cartes ! Et pas de fausses manœuvres, sinon il nous suffirait de lâcher les laisses pour que vous n'ayez plus de gorge.
Bon, la confiance règne. On montre sa carte. Ils la matouzent à la lumière d'une loupiote d'ouvreuse sortie de leur robe de chanvre.
— Très bien, fait l'homme chinois en nous la rendant, qu'est-ce que c'est que cette histoire de bombe ?
— C'est vous le directeur des New Sun Brothers ?
— Pour la France, oui.
— Un coup de fil anonyme nous a prévenus qu'un engin explosif était dissimulé dans le dortoir des filles.
— Je suppose qu'il s'agit d'une odieuse farce destinée à nous créer des tracasseries ? répond le dirlo.
— C est envisageable en effet, cependant il est bon de vérifier.
— Mais nos chères sœurs dorment.
— Il vaut mieux les réveiller plutôt que de risquer que leur sommeil devienne définitif, riposté-je.
Et je m'avance à l'intérieur de la propriété, en espérant fortement que nos hôtes garderont leurs mains fort serrées sur les boucles de cuir des laisses.
On préambule à travers une vaste esplanade pavée. Nous sommes dans la cour d'honneur d'un ancien château qui devait tomber en brioche et que la secte a rebecqueté pour le transformer en centre d'accueil.
Les Chinois paraissent résignés. Leurs toutous ont tendance à les entraîner sur nos pas un peu trop vivement. Tout en me dirigeant vers le perron éclairé, je pense au repaire de l'ancien magasin de fourrure marseillais, avec ses tracts prônant le régime de Mao. Une banderole était placardée au mur : « Mao sait tout », ce qui est, tu l'as à peu près deviné malgré que tu relèves d'une varicelle, la traduction littérale de Mao tsé-Tung. Chinois par-ci, chinois par-là… Ça s'emboxe, hein ?
— Où est le dortoir ?
Le couple jaune a laissé les chiens dehors et refermé les portes. C'est relativement soulageant. Dans la lumière abondante du hall, ils ont un aspect innocent, mes deux bonzes. On dirait des touristes japonais réveillés par un incendie de leur hôtel et cherchant leurs Nikon pour prendre une photo du sinistre avant de prendre le large. Le château a, malgré son architecture, perdu sa féodalité. Il fait un peu école en grève. Y'a une atmosphère belliqueuse dans cet univers, de par les immenses posters et les panneaux qui recouvrent la totalité des murs. Les posters représentent des bonzes en contemplation style lotus (ou loto), et des gonzes à la boule rasée chantant un hymne qu'on peut pas entendre les paroles sur la photo.
Des écriteaux à lettres mobiles, fichés sur un pied, et pareils à ceux qu'on trouve dans les halls d'hôtel pour annoncer la réunion du Rotary ou la réception de mariage de Mme Chibrocdan-Lamoule permettent de se repérer. L'un indique que le réfectoire est au rez-de-chaussée à droite, et l'autre que les dortoirs sont au premier floor.
On grimpe.
Personne cause plus. Le pas clouté de Béru fait un bruit de retraite de Russie sur les marches de pierre. Il est largement réverbéré par l'ampleur des lieux.
Pour dompter mon angoisse, je ligote les panneaux au passage : « Écoute Dieu, et il t'entendra », « Le Figaro existe : Dieu y a rencontré Frossard », « Mets-toi sur la paille puisque Dieu y est né », « Ce que tu donnes au New Sun te sera rendu par Dieu », etc.
Premier rétage.
A gauche le dortoir des hommes, à droite celui des fumelles.
Cela tient de la chapelle et de la salle de réunion où l'on aurait installé des lits d'infortune. Ils sont si légers que, pour les faire, ces plumards, on a meilleur temps d'aller les secouer à la fenêtre comme des carpettes.
Moi, si tellement avide de savoir, j'ai actionné les différents commutateurs superposés dans le chambranle (moifort). Et les loupiotes crachent à bloc. Je m'élance, devançant tonton Bérurier. Je voudrais mater les vingt plumards à la fois, ceux d'à droite, ceux d'à gauche, tout bien. Capter. Savoir !
Et voici qu'un torrent de flammes me choit tu sais z'où ? Sur le cœur. M'inonde tout l'intérieur. M'ennhymne des pieds à la tête.
Elle est là, Marie-Marie.
Le quatrième plumard côté fenêtres. Elle dort.
Je me précipite sur elle. Je la saisis dans mes bras :
— Moustique, ma follingue, ma loupiote, ma gosseline, mon petit bonheur !
Je la secoue. Elle ouvre les yeux. Elle hagarde de ce reveillage en sursaut.
Et le gros Béru finit par méduser le couple en pleine métaformose du fait qu'il éclate en sanglots bouillonnantes, s'affale au pied du lit qui s'en met à genoux de son poids impensable, tu penses, le Gros, un lit tellement léger que les pensionnaires sont obligées de se démaquiller pour se coucher afin d'éviter la surcharge fatale. Et il récite des soulagements sur un ton litanique du docteur Gustin, Bérurier. Que notre père quête essieux merci qu'elle est toujours là, la pécore, vivante, archi-vivante, sans que lui manque le moindre bras, la moindre jambe, pas même un cheveu !
Et les Chinois nous croient dingues do nos grimaceries sous les yeux à qui-mieux-mieusants des autres pensionnaires que nos simagrées réveillent.
— Marie-Marie !
Elle fait des efforts.
— Oh, oui, bonjour, dit-elle.
On dirait qu'elle est mal réveillée, ou bien ivre, voire même droguée, ou peut-être, les trois à la fois.
— Tu n'es pas malade, moustique ?
— Non, Antoine, pourquoi ?
Sa tête dodeline.
— Habille-toi, nous partons.
— Partir ?
— Grouille, môme, on a du boulot à pleins bras, cette nuit.
Elle considère tonton Béru, et puis mézigue, et elle dit :
— Vous me faites un peu de peine, tous les deux.
— Hein ?
— Pitié, plus exactement. Vous vous agitez, vous allez de hue à dia sans songer que le Seigneur vous attend et que vous vous éloignez de lui !
Les brandillards m'en choient.
— Ah, non ! j'esclame : pas déjà ! Pas si vite ! Ils t'ont pas inoculé leur vérolerie de philosophie de merde, ces pommes !
C'est l'moment que profite le Chinois pour intervenir.
— Messieurs, vous avez abusé de ma crédulité avec ses histoires de bombe. En fait vous êtes venus tourmenter une jeune fille innocente, à la nature d'élite qui, spontanément, a adhéré à la glorieuse philosophie du New Sun…
Il n a pas le temps de terminer.
Tu sais quoi ?
Bérurier vient de le cramponner par le collet et le fond de pyjama et te nous le virgule, rrraoûm, à travers le dortoir. Messire la jaunisse se propulse en un vol plané irréel jusque dans le plumzing de la surveillante, une grosse rombière aussi appétissante qu'un sandwich-rillettes oublié pendant deux mois sur un chantier. Le plume s effondre, le Chinois part à dame, ce qu'est le cas d'y dire, avec sa grosse girl-scout à gueule de méduse contagieuse. Ils polochonnent en brandebouillant tous les deux. La Chinoise à la lèvre pointue et aux paupières de crapaud endormi nous saute sur avec des glapissements. Béru gueule plus fort qu'elle, comme quoi Marie-Marie est sa nièce, qu'elle est mineure, qu'il va porter plainte contre les gens du New Sun pour attentat à la candeur.
A ce moment-là, bouge pas, ça se corse pire qu'à Bastia ; v'là qu'un p'tit cuiiit cuiiit se fait retentir, comme tu dirais un mignon zoiseau dans sa cage, quand les doigts de fée de l'aurore viennent y caresser la queue.
Je reconnais ce signal : s'agit de notre w-t gadget. Alors, bon, j'ouvre le tiroir de la table de nuit à Marie-Marie. Son pendentif est bien laguche. L'aimable gadget. Et moi qui croyais qu'on le lui avait dérobé ! Oh ben mince, alors ! Mais comment se fait-ce ? Comment se peut-ce ? Dans ce genre d'instrument, il existe deux parties. Une A et une B. Tout à l'heure, sur la B j'ai appelé la mouflette (enfin, l'ex-mouflette) et un escocroc (ou griffe si t'aimes la convention) m'a répondu sur la partie A. Or, v'là qu'on carillonne le A. Je branche.
— Oui ?
— Décidément, vous êtes des gamins, mes bons messieurs ! me dit la voix d'il y a un peu moins que précédemment.
Et le contact est stoppé.
Nom de Dieu ! comme le disait si pertinemment la princesse en retirant sa main humide de la culotte du capitaine !
Je fonce en cinquième vitesse (la quatrième ne suffisant point) jusqu'au hall. Je crois me rappeler que j'ai passé par-dessus la rampe pour aller plus vite, et sauté directo sur les dalles de marbre. Je vais pour sortir, mais grrrr ! Les doberman ! N'était que temps. Dans la foulée, j'allais laisser une paire de fesses, de burnes et d'amygdales dans l'aventure. Vivement je relourde en force sur un museau grondant.
Des gamins ! Ça oui : des gamins.
Jusqu'à présent on s'est laissé manœuvrer comme des flippers. Il nous reste qu'à faire tilt et à proposer des parties gratuites à ceux qu'auraient encore envie de se jouer de nous !
Le Gros tu croirais la Mutinerie du Potemkine à lui tout seul (demandez Kim, chocolats glacés. Mon pote aime Kim ! etc. Continue si ça t'intéresse, moi tu m'excuseras, mais j'ai Académie Française à préparer : j'ai déjà réussi à l'écrit et je passe les 39 oraux à partir de la semaine prochaine). Il gifle Marie-Marie pour la forcer de se saper, et la gamine chiale en criant qu'elle appartient à Dieu et qu'il faut pas lui casser les roustons, bordel, qu'elle est libre de sa vocation, non ? Et que si Dieu l'appelle c'est pas un gros sac à merde comme son con d'oncle qui va foutre des bâtons dans les roues à son salut éternel, putain d'Adèle ! C's'rait un monde, nom de Dieu ! Tel que, elle exprime la musaraigne, devant ses bonzesses approuveuses.
Le Chinois est parti tubophoner à la gendarmerie, qu'on l'attente en pleine nuit, des faux flics infernaux, suppôts de Satan venus larguer le mal dans son usine à béatitude. La Chinoise glapit en chinois, ce qui est comble qu'elle effervesce, hein, t'es bien d'accord ? parce que pour gueuler en chinois, même quand on est chinois, faut le faire, tonnerre ! Une langue qui s'écrit rien qu'avec des petites pagodes, des trépieds et des fenêtres de maisons Phénix ! Tu t'imagines en train de crier ça, toi ? Eh ben elle, si : tant et tant qu'on lui a déchaîné les courroux, à Mme Tien-Fûm.
Je profite de l'algarade pour esbigner dans les locaux. Ça radine de partout. T'as plein de garçons, à présent, attirés par le raffût. Les plus anciens membres se sont fait raser la boule, qu'il leur reste juste une grosse mèche, genre Hun, un peu en arrière du bocal : Attila !
Je les évite.
Descends dans les infériorités du château. Je cours comme au feu. Traverse des cuisines, des réfectoires, des salles de réunion, des sortes de chapelle où Dieu est présent en grands posters indéniables, qu'on se rende bien compte qu'il existe, notre Seigneur, et qu'il a de la barbe, des cheveux longs que tu le prendrais pour un foteballeur ou un musico d'orchestrion à la con, qui sont jamais plus de trois-quatre, mais te font un raffût comme deux cents grâce à la sono de chiasse que si je rencontrais le gonzier qui s'est permis de l'inventer j'y cracherais en pleine poire, ce saligaud ! Et que les plus nœuds dans ces cas, c'est ceux de la guitare électraque qui ressemble à une planche à découper et qu'ils gratouillent en f'sant mine de la sodomiser, jambes arquées, la paluche branleuse, regard en planeur, tandis que la gonzesserie bieurle dans la salle, s'inonde le slip d'enthousiasme et claudefrançoise dans sa culotte quand elle en porte une par mégarde !
Mais que cherché-je de la sorte ? Courant, courant de plus en plus vitement dans l'immense demeure dont la délabrance transparaît entre les panneaux, les oriflammes et les photos géantes. Où qu'y va, Sana ? L'en ignore. Y court. Y court, il court l'affuré du bois joli dont on fait les pipes et les crosses de colt. Il court et les idées sautillent dans sa tronche comme de la monnaie dans une poche de Kangourou. Complot ! On est visé. On nous a conduits là délibérément. Pourquoi ? Qui a voulu nous attirer dans ce monastère bidon pour moines bidons à cette heure tardive ? Je sens que les deux tauliers chinois sont hors coup. Mais alors quoi ? Je pressens des choses. Mais lesquelles ? Des petits truands évadés qu'on dénonce implicitement. Des sucettes qu'on escamote et qui pourtant sont innocentes à l'analyse. Un walkie-talkie conçu pour notre espionnage du New Sun, mais qu'un hyper-malin utilise contre nous, pour nous gausser, nous exciter, nous amener à réagir comme il le souhaite…
Et je cours toujours. Dévale les escadrins du sous-sol. Il court il court, le furax !
Un économat plein de réserves alimentaires. La chaufferie.
Un monceau de charbon. Pourtant ça se fait de moins en moins, le charbon. Ça appartient au passé comme la tourbe et les lampes à huile. Je m'arrête, essoufflé. De l'autre côté du tas d'anthracite, est une porte de fer. Hauteur un mètre dix, largeur un mètre quarante : à vue d'œil (de nez, j'sais pas faire).
Écoute, l'instinct…
Je t'en recause ? Non, pas la peine, tu sais déjà. Je t'en ai dit tellement sur ce merveilleux pif du flic surdoué. Sur cette vibration qui le pousse à faire ceci plutôt que cela et à se rendre ici plutôt que là-bas.
Alors, oui : l'instinct.
On a retroussé le charbon qui dévalait, jusqu'à la lourde de fer, de manière, je gage, à pouvoir ouvrir icelle. C'est déblayé, ce secteur de la cave. La lourde, elle ferme par un vieux verrou rouillé, banal mais très gros. Je prends ma lampe-stylo à faisceau fluctuflash et j'examine la tige du verrou. La rouille est griffée, écaillée à maints endroits, preuve qu'on a ouvert y'a peu.
Te dire que j'ouvre cette lourde équivaudrait à te prendre pour ce que t'es.
Bien sûr que je l'ouvre.
Et malgré mon chouette costar Lapidus (qui a toujours tendance à craquer ent' les noix parce que le Ted chipote un peu sur la quantité s'il te goinfre en qualité), je m'insère par l'ouverture.
C'est obscur comme les desseins d'un dictateur dans ce coinceteau. Du bout de l'escarpin, je piétonne (on ne peut pas parler de tâtonner) le vide. Découvre une marche, puis une seconde, et encore une troisième et, en cherchant bien, une quatrième. Ces marches se sont réunies là pour composer un petit escalier. J'arrive dans du visqueux, hautement dérapant. Heureusement, ma lampe ! Souterrain. Je me grouille de me réciter de l'Hugo pour meubler :
« Quand on eut sur son front fermé le souterrain
« L'œil était dans la tombe et regardait Caïn.
Caïn caha j'avance, avec, comme œil de Caïn, la petite loupiote au faisceau si dur qu'il fait des trous dans les planches lorsque je le braque contre.
Ça suinte de partout. C'est pataugesque et dégoulineur. Le tout vrai souterrain de château qui conduit vers des sorties obstruées, généralement.
On verra bien.
Hein ? J'ai pas raison ? Qu'est-ce que je risque ? Ma peau, tu crois. Et après ? On avance fatalement, que ça soit dans un souterrain merdeux ou sur le tapis rouge d'un palais, où se trouve la différence ? T'avances toujours pour partir. Avancer c'est partir. D'autres se pointent, de plus en plus grouilleurs, et tu disparais dans un bouillonnement de chiares comme un fleuve se jette dans la mer. Moi, la seule chose qui m'ennuiera un peu, dans la mort, c est d'être absent. Le reste je m'en fous.
Le souterrain oblique. Descend.
Et puis il se termine à une grille. La grille possède des barreaux gros comme ma… Non, j'exagère : gros comme la tienne, mais en fer ça fait tout de même de l'effet, malgré tout…
Je dirige mon faisceau à travers la grille. Et je fais bien, car il me permet de découvrir César Pinaud, attaché à un lit de camp, en position de croix de Saint-André.
Je voudrais chanter. Ce que tu voudras : de l'ancien, du moderne, du grégorien ou du Mireille Mathieu, alors tu vois ! Ce qu'on a bien fait de venir : on retrouve Marie-Marie, on retrouve Pinuche. Que demander de mieux ?
Remarque que la vieillasse est caoutchoutée. Dans le sirop d'oubli jusqu'à la garde ! En tout cas elle respire, je vois se soulever la poitrine de poulet qui lui sert de poitrail sur un rythme régulier.
J'appelle :
— César !
Mais César se fout présentement du rhum antique comme de la Rome antique ou même du romantique. Il est enfoncé dans le sommeil comme un pieu d'amarrage dans l'eau d'un étang.
J'étudie la grille. Scellée comme la voici, y' pas mèche de la forcer.
T'as déjà vu des films d'epouvante, técoince ? Le château, ses hanteries, fantômes, apparitions, grinçages, rire évoquant les Mémoires de Chateaubriand… J'en passe. Chassez le surnaturel, il revient au Gallup !
Comme je médite, le front contre une croix de fer, un ricanement pour film débile éclate. Ça part de loin, ça moutonne dans des profondeurs, ricoche et s'enfle.
— Et à présent, il est trop tard ! lance une voix résolument off.
Je te résume. En réalité ça fait un truc de ce genre :
— Eééééét haaaa présent ésent ésent ésent… Iiiiil est trooooop tard otard otard otaard…
Ce qui renforce la trouille qui consécute à de telles paroles, proférées à un tel endroit.
Je promène mon faisceau désespérément au-delà de la grille.
Je ne découvre que des murs suintants. Il y a seulement, dans un élargissement de couloir, ce lit de camp avec Pinuche ligoté dessus. Et voilà ! C'est beaucoup et c'est maigre. Pinaud surtout !
Alors un roulement de tonnerre retentit. Un vrai zinzin d'épouvante, que je te dis.
Je suis agité d'un violent soubresaut. Une âcre poussière terreuse me noue le gosier.
Vérification faite : la galerie s'est effondrée derrière moi. C'est l'obstruction totale. On l'avait probablement minée et l'on a déclenché le détonateur pendant que je me trouvais devant la grille.
Le bruit tournique longuement dans les profondeurs et meurt.
Le calme revient, à plat comme l'encéphalogramme de Ramsès II.