— CHAPITRE ÉTROIT —

— Alors, mon cher petit, s'agissait-il d'un canular ?

Je contemple les quatre cadavres (car le dernier gars a cessé ses simagrées) et je murmure :

— Absolument pas, monsieur le directeur.

— Racontez-moi ça, mon cher petit.

Le cher petit ne sait pas par quel bout attraper son récit. Le cher petit trouve l'existence conne et saumâtre. Ces quatre vilains garnements, allongés dans leur sang et de la vaisselle brisée… Abominable spectacle ! Quel âge peuvent-ils avoir ? De vingt-deux à vingt-six ans. Dans quelle effroyable équipée se sont-ils engagés, ces presque enfants ? Pourquoi étaient-ils si tôt, si cyniquement, des assassins ? Au nom de quoi ? Pour servir quelle cause ? Et les voici morts avant d'avoir vécu. Leur malfaisance stoppée à coups de feu. Pauvres petits bonshommes, si mauvais et si près encore de l'innocence. Mais l'innocence est brève. Je vois chez nous, le mignon Antoine, la manière rapide qu'il devient canaille, ce trou du cul. Qu'est-ce qui les arrache aux tendresses maternelles, les petits d'homme, pour les propulser vers les sombres charogneries de l'existence ? Quel démon les pousse à vouloir s'affirmer ? A vouloir rompre d'avec les protections de la tendresse. Un gosse, tu l'aimes, il t'aime. Tu le choies, il se blottit. Et voilà qu'un matin, ça n'est plus pareil. Il regarde ailleurs. Il a besoin d'ailleurs. De te fuir, d'être lui, pour lui, sans toi. Merde. Je raconte succinctement le carnage au Vioque.

Et, au fur de l'à mesure, je cesse d'être son cher petit. Je retombe dans les présents fonctionnarisés, hiérarchisés, engueulatoires.

— Alors, si je comprends bien, San-Antonio, tout est perdu ?

« Sauf ma vie. Ai-je grande envie de lui répondre. Seulement, ce genre d'objection n'est pas valable, Votre Honneur. J'étais pas venu ici pour garer mes os, mais pour découvrir un mystère. Et voilà que le mystère demeure à peu près entier. Néanmoins, j'objecte :

— Il nous reste quatre cadavres, monsieur.

— Et alors ?

— Lorsqu'ils seront identifiés…

— Lorsqu'ils seront identifiés, ils continueront de se taire !

— J'ai aussi à disposition vingt-trois convives dont je vais relever les identités. Parmi eux se trouve la victime désignée aux quatre voyous.

— Facile de la découvrir ! persifle la Vieillasse.

— Je vais essayer.

— Oui : essayer… Bien entendu, essayer…

Oh, classe à la fin. U me pèle, le Dabuche. C'est fastoche, bien installé derrière un burlingue ministre, de critiquer. J'aurais voulu l'y voir, au Pompon Rouge, ce bougre de facho.

Il reprend.

— Vous pensez : toute cette mise en scène, ce hold-up, ce côté malfaisant… S'ils ont pris des jeunes pour perpétrer le meurtre, c'est afin de nous faire croire à une espèce de meurtre gratuit, par excitation de hippies enivrés. On a voulu donner à l'affaire un côté Sharon Таtе : tuerie de camés en délire… Mais nous ne saurons jamais qui ils voulaient assassiner.

— Si, monsieur. Nous le saurons, coupé-je.

— Et quand donc ?

— Quand « ils » tueront la personne qui vient d'échapper à l'attentat !

Là-dessus je raccroche sans autres civilités. Pépère me tartine mes burnes. J'ai pris des goûts de l'indépendance depuis que nous avons créé cette agence qui constitue une sorte de fosse d'orchestre entre lui et nous.

Dans la salle, pendant que je tubophonais, le délire s'est porté au comble. Des dames évanouissent à mater les cadavres sanguinolents. Des messieurs crient police et tambourinent le rideau de fer. La Pinuchette, à grand mal, contient ceux qui entendent mettre les adjas. Pour ce faire, il doit décrire des moulinets avec sa rapière, le bêlant, et calmer en chevrotant.

Les hommes les plus calmes de l'assemblée déclarent que c'est une affaire de racket et engueulent le patron, comme quoi quand on est restaurateur marseillais, on est un criminel de ne pas cracher au bassinet. Que ce sont des économies de bouts de chandelles, et avec ça, il est bien avancé, ce gros lard : quatre mecs viandés dans sa boutique. Il va comprendre sa douleur, au plan représailles, le Gradu. Ah c'est malin !

Les plus hardis déclarent qu'ils veulent récupérer leurs fraîche et autres objets de valeur engourdis par les petits matafs d'opérette.

Bon, enfin, Police Secours se pointe, alertée par le voisinage. Je me fais connaître. Ça continue de confusionner. Mince ; mon boulot, tu parles d'une sinécure !

Et la presse qui se pointe. Les gars du télébaveux régional ; toute la lyre, le big circus ! Les magistrats, l'Identité Judicieuse, les experts, les ambulances, motards et consorts, et consœurs. Un vrai tourbillon. Tu veux bosser, tézigue, dans des conditions pareilles ?

Le soir, fourbus, étourdis, on se rapatrie à l'hôtel d'Athènes et du Colorado Réunis prés de la Canebière. Dans les piaules y'a la téloche et, justement, les informes causent de nous. On commence déjà à se faire traiter d'assassins, Pinuche et moi, d'avoir démoli sans sommations des petits mariolles qui ne songeaient qu'à chahuter un peu. On nous conteste la légitime défense. Avaient-ils tiré un seul coup de feu, ces mômes ? Non. C'est nous qu'on leur a défouraillé contre, en pleine poire, sans sommations. Des petits malheureux qui ne savaient même pas se servir de leurs pétoires, à preuve c'est qu'ils n'ont blessé personne, eux ! On nous avertit, la Rousse, que ça va chier pour notre matricule. On aura droit aux Assiettes et on se fera saler. Si on prend pas dix ans de bigntz y'aura levée de fourches.

J'écoute, prostré, en me demandant si le commentateur n'a pas raison, dans le fond. Auraient-ils tué, les quatre branques ? Ne s'agissait-il pas, en fait, de grandes gueules un peu défoncées ? Et si tout ça n'était pas qu'une lugubre, une monstrueuse farce ? Supposons qu'un copain de la bande ait été au courant du hold-up mijoté par ces vauriens contre le Pompon Rouge. Il a des raisons de se venger d'eux. Alors il écrit au chef de la Police Parisienne pour casser le morcif et il l'allèche en faisant état des quatre affaires dont…

Oui, mais la lettre a été postée à Londres. Et comment un malfrat marseillais serait-il au courant des quatre meurtres en question ?

Le Vieux doit avoir raison : elle est plus élaborée que ça, l'affaire du Pompon Rouge. Plus vicieuse.

— On casse une croûte ? demande Pinaud après que j'eusse éteint le poste.

— Pas faim.

J'inventorie le petit réfrigérateur installé dans la chambre. Je sors tout ce qu'il contient d'alcoolisé : champagne, digestifs, apéritifs.

— Je vais essayer de dormir après avoir pris quelque somnifères, dis-je.

Mais Pinaud ne l'entend pas de cette oreille.

— Écoute, mon garçon. Murmure-t-il, je réalise très bien ton état d'âme. Ce que tu viens d'entendre, joint à ce que tu pensais déjà, te crée un cas de conscience. Moi, je vais te dire une chose : le lascar sur qui j'ai tiré allait te tuer, je te le jure sur notre amitié. Et toute cette bande s'apprêtait à commettre du vilain. Évidemment, leur jeunesse nous bouleverse. Seulement, dans la vie, il faut choisir : laisser se développer le crime ou s'interposer dans la mesure du possible. Tout le monde trouve normal qu'on lutte contre des microbes, non ?

— Tu les as regardés, les quatre microbes allongés entre les tables ?

— Mince, personne ne leur avait demandé de venir humilier, voler, et tuer des gens dans un paisible restaurant !

— Si, Pinuche, justement : quelqu'un leur a demandé, voire ordonné la chose. Et c'est ce quelqu'un qui porte la responsabilité du carnage.

Le radieux me tapote l'épaule.

— Eh bien, tu le dis toi-même, presque involontairement : quelqu'un porte la responsabilité de ce qui s'est passé. Quelqu'un que nous devons retrouver absolument, mon garçon, et à qui il faudra faire payer ses manigances. Au lieu de nous désespérer, retrouvons-le ! Et dis-toi que si je n'avais pas déclenché le tir, tout à l'heure, tu serais mort. Je préfère que des voyous soient morts à ta place.

Il a un bon sourire grand-paternel, César. Le v'là qui rallume son mégot creux. Qu'il ne se soit pas encore foutu le feu au pif, je ne pigerai jamais.

Là-dessus, il replace dans le frigo les flacons que j'en avais sortis.

— Allons nous restaurer, Antoine. Car nous n'avons pas terminé le repas de midi. Par exemple, je ne reprendrai pas de poisson sans lunettes, c'est franchement déraisonnable.

Il a des goûts bizarres, Pinaud. Les soirs d'équipées, quand on bringue un peu, il se lance dans le sucré, Pépère, sans se soucier de son diabète ni de son tonnagede cholestérol. Il tute de la Mandarine, l'ancêtre. Napoléon ! Vive l'Empereur ! Des pleins godets, dans des verres à demis, avec quelques glaçons. Il dit que c'est l'odeur qui l'enchante. Au bout du quatrième glass, il parvient plus à décoller sa menteuse de son palais, tellement qu'il enlise du clappoir, le biquet. Ça poisse, la Mandarine. Au matin, pour se lubrifier les badigoinsses, il est obligé de s'asperger au muscadet.

Nous sortons d'un bar assez sélect, où la musique ne te lézarde pas trop les trompes et nous décidons de regagner à pincebroque notre hôtel, manière de s'aérer un peu.

A un moment donné, Pinuche me chope le bras.

— On nous file, annonce-t-il.

— Tu crois ?

— Certain. Te retourne pas. C'est une femme. Une grande brune avec une veste d'ocelot. Elle nous suivait déjà avant que nous n'entrions dans le bar. Et maintenant elle est encore derrière nous.

Je ne me retourne pas, malgré l'envie que je peux en avoir, mets-toi à ma place !

— Tu vois cet hôtel, là-bas, César ?

— Eh bien ?

— Parvenu devant, on va se dire au revoir et tu y pénétreras, comme si tu y logeais. Moi je continuerai mon chemin. Au bout d'un moment, tu suivras notre suiveuse, banco ?

— Bien vu, félicite Pinuche.

On procède.

Me voici seul, ce qui est façon de causer, car malgré l'heure tardive, la rue est encore très fréquentée.

Je vais sans m'hâter pas fatiguer la dame : on est galant ou on ne l'est pas. En larguant le Débris, je lui ai balancé un vibrant« à demain », qui a dû être entendu jusqu'à Aix-en-Provence.

Suivi ! Par qui ? Pourquoi ? En général ce sont les flics qui suivent les gens, et non eux qui sont suivis.

Sans me retourner une seule fois, je rallie l'hôtel d'Athènes et du Colorado.

Le hall est pénombreux. Ne subsistent que des loupiotes confidentielles autour de la réception où le concierge de nuit prépare son tiercé.

Je lui demande ma clé.

Tandis qu'il la décroche, il demande avec un accent corse conforme à la tradition :

— Vous êtes le commissaire ?

— En effet, pourquoi ?

— Quelqu'un vous a demandé et vous attend.

Il esquisse un geste désamorcé vers les obscurités du salon. Je croyais que c'était l'appareil à air conditionné qui produisait ce bruyant ronron, en fait il s'agissait simplement de Bérurier.

Le Gros est affalé dans un fauteuil club, les jambes allongées très loin, le dargif touchant presque le parquet, les bras accrochés aux accoudoirs, le bitos sur le visage. Sa braguette est ouverte et ses souliers posés. Il lui manque la moitié d'une chaussette, ce qui permet à ses orteils de s'ébattre gaiement au rythme de ses songes.

Je donne un coup de pompe au fauteuil, et sa Majesté, évictée, se retrouve au sol, grognante et fumante.

Béru met un moment à se reconvertir aux réalités. Il est là, pataud comme un tourteau, à remuer ses yeux et à émettre des rots de plus en plus musclés.

Il finit par rallier suffisamment de lucidité à sa cause pour articuler une question cohérente :

— On est quel jour ? il demande.

— Marseille, je lui réponds.

Il fait du crapahutage avec ses énormes lèvres et grommelle :

— Moui, c'est bien c'qu' j'pensais.

Sur quoi, je m'enquiers du comment-se-fait-il-qu'il-soit-là.

Pleinement éveillé, l'Énorme me pousse son récit.

— Hier, j'm' trouvais en journée d'campagne chez mon beauf' à Nanterre, dont tu sais qu'il possède un coquet pavillon de trois pièces av'c un bout d'jardinet, quand c'con a mis la radio, consécutiv'ment t'à un matche de fotballe. On est tombé su' les informes qui causaient de vos esploits, toi et la Pine. J'm'aye dit qu'v' s'aurez p't'êt' b'soin de renfort, et j'sus été prend' l'premier avion pou' Marseille. Une fois arrivé, j'ai pris la liste des hôtels, et j'ai tubé. Connue habituellement d'ordinaire tu descends dans les meilleurs, av'c tes goûts princeurs, j'vous ai retapissés au troisième coup d'turlu. Alors j'ai v'nu. V'v'niez de filer. J'sus été me coller un' p'tite bouillabe, au troquet d'à côté, et j'ai r'venu v's'attend'.

A mon tour, je lui retrace notre épopée de la journée. Il est très captivé, le Mastar. Bien qu'ayant bouffé seul, il n'est pas défoncé.

— V'v's'êtes filé dans des draps qu'ont pas la blancheur Persil, il note sentencieusement. D'nos jours, ça devient de plus en plus périlleux de buter du malfrat quand t'est-ce qu'on est flic. Je vous annonce un drôle de cri dans la presse.

— C'est déjà parti, confirmé-je amèrement.

— L'mieux, c'est d'enchaîner fissa, Mec, histoire de découvrir à quoi qu'é correspondait c't'opération des quat' grelus.

— Je compte bien m'y atteler.

— Donc, j'ai eu de l'inspiration à m'pointer, non ?

— Tu peux en effet te, montrer de quelque utilité à l'occasion, le calmé-je.

Il s'embourbine, renifle, retient des mots en même temps que des résidus nasaux et s'approche de la caisse où le concierge de notte vient de se décider pour le 13, le 18 et le 23.

— Va m'falloir une piaule et du champ' ! annonce sèchement le Mammouth.

L'homme aux clés d'or lui octroie une turne au même étage que nous et lui explique qu'il assouvira ses penchants alcooliques dans la chambre même puisqu'elle est pourvue d'un réfrigérateur.

Il ressemble à un gros cervelas affublé d'une veste à carreaux, Alexandre-Benoît. Il en a la luisance, le dodu, ce duvet graisseux qui stimule les appétits robustes.

— On va attendre la Pine en biberonnant un chouïa décide-t-il, une fois installé dans sa chambre où il range ses bagages, c'est-à-dire : un crayon Bic, un mouchoir sale et la cravate qu'il avait roulée et flanquée dans sa poche pour des fois qu'il se rendrait dans le monde.

Là-dessus, il déballe le frigo, peste parce que le champ' s'y trouve à l'état de demi-boutanche, alors qu'il eût souhaité un magnum pour le moins, se rassérène quand je lui annonce que mon propre réfrigérateur est vierge et peut servir d'appoint.

Ses godasses à nouveau ôtées, sa braguette derechef dégrafée, il retrouve]a position du cachalot en visite dans un fauteuil.

— Faut vraiment que j'aye l'esprit d'équipe pour êt' v'nu, déclare ce prince de l'amitié. Figure-toi qu'avait chez mon beauf' une p'tite voisine salingue comme un' gu'non à qui je commençais à faire un doigt de cour…

Il joint en bourgeon les cinq doigts de sa main droite et se met à les humer avec l'air captivé d'un chien policier auquel on fait renifler le slip d'une jeune fille disparue.

— Charogne, c'tait bien parti, moi et cette bourrique. Son vieux est voiliageur d'commerce. Y fait les Pyrénées, c'est t'dire qu'elle a des loisirs, la Zézette.

— Tu la récupéreras en rentrant, fais-je miroiter.

Il opine.

— Certes. S'l'ment, les gonzesses, tu sais comment t'elles sont ? Un jour é t'sautent au paf, et la fois d'après, comme ell' sont en main av'c un croquant nouveau, ell' t'envoyent aux pelosses. Y'a rien de plus azalée-à-toir.

Il continue de promener ses doigts chargés de souvenirs sous ses narines palpitantes.

— Faut dire qu'l' beauf' a été d'première à mon égard pou' c'qu'est de me faciliter la tâche. Toi, av'c ta chopine d'cheval, y n'f'sait qu'm' dire. Tu penses que ça n'tombait pas dans l'oreille d'une sourde ! E m'filait des coups de périscope su' les bas morcifs, la môme Zézette. E me supputait, quoi. Et moi, quand j'me sens supputé par un' frangine, ça m'fout de l'enthousiasse dans le kangourou ; rien qu'l'idée…

On écluse.

Une première bouteille, puis une seconde. Ensuite de quoi, on se fait des petits flacons de scotch, ensuite de gin. On s'arrondit gentil, en causant cul.

Deux hommes, à cette heure, tu voudrais qu'ils causent de quoi ? C'est l'instant où t'as que deux solutions : tu parles de Dieu ou bien des fesses. Nous, Dieu, c'est l'affaire de chacun. On ne peut pas se raconter Dieu. Tandis que des dargifs de petites salopes, ça pullule dans notre mémoire. Un cul chasse l'autre.

Le Béru beurré finit par se rendormir dans son fauteuil. Moi-même je tombe de sommeil et de biture en demi-teinte. Pinuche n'est toujours pas rentré. La fille au manteau d'Oslo (Vive la Norvège !) a dû l'entraîner à dache. Bon, comme dit le Gros : il rentrera quand lui !

Je vais me pager.

* * *

Il est des lieux où, lorsque tu t'y éveilles, tu sais immédiatement où tu te trouves. Marseille est de ceux-là. Ouvrir les yeux à proximité de la Canebière ne laisse place à aucune incertitude. De même que lorsqu'on se réveille à Venise. Poum, les bruits t'envahissent bien avant que tu aies repris conscience. Ton sub' fait le boulot et quand t'open tes vasistas, te v'là aussitôt renseigné.

Un léger mal de caillou, consécutif aux mélanges, me file des lancées dans la calandre. Je m'empresse d'aller prendre une douche froide. Après quoi je commande six cafés simples, car il va me falloir cette charge d'explosif pour assurer ma mise à feu de la journée.

En attendant que le room-service s'occupe de moi, je pousse la porte de communication pour demander à Pinuche où il en est de ses filoches.

Un coup de cymbale sur mon occiput !

Le Débris n'est pas là. Et son plume n'a pas été défait. Alors là, je trouve le matin saumâtre. Pinaud, ma vieille Pine ! Il a dû suivre l'osleuse comme un branque et se faire repérer.

En trombe, je vais réveiller Bérurier. Je le trouve assis sur la lunette de ses chiottes, la tête dans les épaules, plutôt sublime dans son maillot de corps à grille plus troué que des filets de basket-ball. Il somnole en déféquant, le chéri, ne suspendant ses rêves que pour fournir des contractions libératrices.

— Pinaud n'est pas rentré de la nuit ! lui lancé-je.

Il mélode un long pet langoureux et balbutie, ayant repris souffle :

— Il a dû faire un coucher. J'ai jamais v'nu à Marseille av'c Pinaud sans qu'y fasse un coucher. Ça lu vient d'son voiliage d'noces qu'y l'a fait à Marseille. La mère Pinuche voulait pas s'laisser déberlinguer, tu la connais, c'te vieille galoche av'c sa frime de chaisière ? Alors César, pendant qu'é f'sait ses balblutions, y disait qu'y l'allait ach'ter l'journal et y grimpait une pute en vitesse. D'puis, il a le culte ds putes marseillaises et c'est fou l'nomb' de chaudelances qu'il a ram'nées d'ici, la Pine, comm' d'aut' ramènent des coquillages. Son vice c'est un coucher, pour s'rattraper du va-vite qu'il était obligé lors d'son voiliage d'noces, l'pauvre, pas inquiéter sa mégère. J'te parille qu'il s'sera payé son coucher, l'César. Tu vas l'voir rentrer, av'c sa chaude-pisse en brandoulière, comme d'ordinaire. Enfin, maint'nant qu'a des suflamides, c'est moins contraignant qu'à son époque qu'y d'vait se macérer l'panoche dans c'te saloperie violette qu'j'me rappelle plus l'nom.

Ayant dit, il achève de larguer sa cargaison et se met à dérouler un fort kilométrage de faf à train. Je le laisse effectuer son ultime manœuvre et vais me raser.

* * *

Le commissaire Poilala me reçoit avec des cris de liesse. Il est le neveu du brigadier Poilala qui est chef planton à la Grande Taule de Pantruche. C'est un Corse athlétique et beau garçon, avec des grains de beauté plein la devanture et une raie impec comme sur la publicité de Silvikrine.

Il porte un costar de flic élégant, retapissable sans jumelles depuis Notre Dame de la Garde, bleu clair, à rayures noires et blanches, une chemise bleu marine et une cravate blanche servant d écrin à une perlouze véritable de la grosseur d'un petit pois britannique.

Je l'ai déjà vu la veille, puisqu'il est chargé officiellement de l'affaire du Pompon Rouge, mais il y avait trop de trèpe et de cadavres autour de nous pour que nous puissions donner libre cours à notre amitié.

— Eh ben dis donc, tu fais causer, me lance-t-il de toute la puissance de son accent méridional. Ah, ça, pour faire causer, tu fais causer ! Oh, fend de Diou ! T'as vu les journaux ?

— Je les ai survolés, oui, fais-je sans joie.

Il brandit le Provençal dont la manchette m'est consacrée sur toute la largeur.

— Dis, s'ils avaient pu agrandir le format, ils l'auraient fait ! plaisante mon ami.

— Et que pense-t-on de notre exploit chez nos collègues d'ici ?

Gabriel Poilala repose le journal et m'adresse un clin d'œil.

— Pour une fois que ce sont nos confrères parisiens qui viennent foutre la merde, on n'est pas mécontents. Mais alors, pas mécontents du tout. Ça soulage, comprends-tu ? C'est comme si tu avais apporté un peu d'oxygène. Du temps qu'on va crier haro sur vous, on nous foutra la paix à nous autres et on pourra se permettre quelques opérations tapageuses sans qu'elles fassent trop de tapage, justement !

Je prends place sur le siège qu'il pilote vers moi.

— Tant mieux que ça serve au moins à quelque chose, soupiré-je.

Poilala tire une bouteille et deux verres d'un placard.

— Allons, ne pousse pas cette gueule, Antoine. Ça s'oubliera très vite. Tout s'oublie très vite, tu as dû le remarquer ? L'actualité, c'est comme les allumettes : tu la frottes, elle s'enflamme, puis elle s'éteint et t'as plus qu'à jeter ce qui reste. Tiens, bois, c'est un petit marc de chez nous : y'a mieux, mais y'a pire.

Je trinque. Pas mal : fruité.

L'alcool me met un léger feu sous la langue et réveille mon mal de tronche qui venait de s'assoupir.

— Je suis en pleine chiasse, avoué-je d'entrée : Pinaud a disparu.

Et je lui raconte l'histoire de la filante avec la môme à la veste d'ocelot.

Il cesse de sourire.

— Dis voir, j'ai l'impression que vous avez déclenché un truc pas piqué des vers, les deux ! Cette affaire du Pompon doit avoir de sacrées ramifications.

— Je le crois aussi.

Poilala décroche le bigophone et réclame un rapport concernant toutes les urgences de la nuit dans les hôpitaux et les commissariats marseillais.

— On saura d'ici quelques minutes, promet-il.

— Merci, et de ton côté, où en es-tu ?

— Je t'ai fait préparer ça, comme promis.

Il me tend une chemise transparente recelant deux feuillets. Le premier comporte la liste de tous les clients qui, hier, déjeunaient au Pompon Rouge avec leurs adresses. Sur le second, il y a seulement quatre noms : ceux des agresseurs.

— C'est du tout frais, m'avertit Poilala, elle vient de me parvenir.

— Bravo, ç'a été rapide, pour des gars qui n'avaient sur eux aucune pièce d'identité…

Ils avaient conservé leurs empreintes, plaisante mon collègue.

Je lis :

— Donato Crucci, né à Gênes, 25 ans, trois condamnations pour vol à la tire et attaque à main armée, évadé de la prison de Nîmes où il purgeait une peine de 4 ans de réclusion.

Les trois autres ne sont pas italiens, mais français. Tous sont évadés de la prison de Nîmes depuis deux mois. Ils s'y sont connus et ont joué la belle ensemble.

— Comme tu peux le constater, il ne s'agissait pas de petits boy-scouts, soupire Gabriel Poilala. Voilà qui va un peu refroidir les indignations de la presse et plus encore celles du public qui ne pleure jamais longtemps le décès d'une gouape.

— Il serait fichtrement intéressant de savoir où ce gentil quatuor s'est planqué depuis l'évasion, dis-je.

— Ah, ça, that is the question ! Mes hommes sont dessus et crois-moi, leurs indics ne chômeront pas aujourd'hui.

On toque à la porte. C'est un planton qui communique quelques notes à mon confrère. Gabriel y jette un rapide coup d'œil, puis me les tend.

— Tiens. R.A.S. en ce qui concerne Pinaud. Pas plus dans les commissariats que dans les hôpitaux ou à la morgue, on ne signale un personnage correspondant à ton tireur d'élite.

J'en suis vaguement soulagé.

Vaguement, seulement : au premier degré, quoi.

Je remercie et rejoins Bérurier à l'hôtel.

— Tu sais ce qui m'arrive ? s'écrie-t-il m m'apercevant.

— Non.

— J'ai pris un bain !

— Bravo.

— Non, mais attention : un vrai, av'c d'la mousse, d'l'eau, tout bien, quoi. J'sais pas c'qui m'a pris, en t'attendant. Y'a longtemps qu'ça m'était pas arrivé. L'plus fort, c'est qu'j'm'étais déjà sapé. Et puis, hop ! D'voir c'te baignoire rose et noire, j'm'ai 'dit « Et pourquoi pas moi ? ». J'm'ai aussi sec mis à poil.

— C'était préférable.

— Et attends, c'est pas l'tout. Une fois dans la tisane j'm'y ai senti si bien que j'm'ai mis à réfléchir.

— Deux événements coup sur coup, mazette ! Et à quoi as-tu pensé en ces instants d'exception, Gros ?

— A votre affaire.

Il me montre des journaux, au sol, froissés, mouillés, en haillons pour avoir été lus par Alexandre-Benoît Bérurier.

— C'est gentil de ta part, conviens-je.

Sa Majesté, quand elle se met à ignorer le sarcasme, o bien à passer outre, est intangible ; d'airain, comme aurait dit mon camarade Victor Hugo qu'en raffolait (la plupart de ses meilleurs vers sont en airain véritable entièrement taillé dans la masse).

— Quand on considère « votre » histoire, les deux, des choses frappent en prime d'abordage[2].

Car pour lui c'est « notre » histoire. Il tient farouchement à ne s'y point associer autrement que de façon marginale, ne l'ayant pas démarrée en notre compagnie. Il s'octroie un rôle purement consultatif, le Mastoche ; juge arbitre, conseiller technique. Ça lui permet de planer, à cet aigle monocéphale. De toiser. De critiquer à son aise.

— Quelles choses frappent, Maître ?

— Le gonzier qu'a écrit pour préviendre l'Vieux a fait état de quat' crimes précédents pour démontrer qu'c'tait du sérieux ; or, les petits brigands étaient quatre. Ça ne signifille p't'êt' rien, mais ça signifille p't'êt' quéqu'chose.

— Est-ce tout, ô divin Sherlock ?

— Les petits gonziers savaient qu't'étais un pulman, puisqu'y z'ont alié droit t'à toi pou' t'rafler ton feu. Or, soye dit sans vouloir t'vexer, tu n'fais pas tenement flic quand on t'voye av'c du monde autour… Si y savaient qu' t'appartenais à la Grande House, c'est qu'y z'étaient au courant qu'on avait prév'nu la Rousse d'ce qu'allait s'passer au Pompon Rouge.

Là, il commence à m'intéresser, l'Épanoui ; vu que ce qu'il énonce si clairement, je me le suis déjà raconté confidentiellement dans la douillette intimité de ma pensée.

Bérurier enchaîne :

— Si y savaient qu'on avait prév'nu la'Police et qui qu' t'étais, et si y z'ont opéré leur fantasia tout de même, c'est qu'y z'avaient b'soin qu'un poulet fusse présent. Or, pourquoi auraient-ils eusse b'soin de la présence d'un royco dans cette eau-cul-rance ? Hmmm ?

— Je ne vois pas, avoué-je.

— Moi non plus, consterne-t-il. Moi non plus. J'ai beau efforcer, ça reste à l'état gazeux dans ma gamberge.

— Peut-être, suggéré-je, qu'il leur fallait un témoin officiel ?

— P't'êt', moui.

Et cependant, lorsque Pinaud a défouraillé, l'un des gars allait m'allonger, ça, aucun doute, je l'ai vu écrit en lettres grosses commak dans ses prunelles.

Le Monumental émet un rot pré-gastronomique, de ceux qui consécutent d'un estomac en manque, et non d'un estomac en surcharge. C'est le rot joyeux du matin, celui qui clame la disponibilité bienheureuse de l'organisme.

— Écoute, dit-il.

— J'ai entendu.

— Non, pas ça… Écoute ce que je vais te dire, mais écoute bien.

Je me recueille. Regard tamisé, mains jointes, comme le fidèle qui s'approche de la table de communion pour se faire pratiquer à l'âme l'opération « coup de fouet ».

Et il parle.

— C'est toi, balluche, qu'as fait basculer leur topo quand t'est-ce tu leur as dit de pas jouer aux glands et de buter franco qui y v'naient buter. Car tu leur as bien lancé c'vanne, non ?

— En effet.

— Alors cherche pas. Y z'ont pigé que leur cinoche avait été compris et ça les a enrognés au point d'vouloir t'carboniser aussi sec. Tout ça n'est qu'une monstre manigance, Sana. Un coup de buffle énorme dont j'm'esplique pas encore l'pourquoi du comment, mais qui dissimule une drôle d'arnaquerie, croye bien. Et si tu voudras l'fond de ma pensée intime et véridique, eh ben, la meilleure chose qui pouvait arriver, c'est ce qu'est arrivé. Pas s'l'ment pacequ' t'as eu la vie sauf, mais pacequ'y z'avaient tout prévu sauf ça. Les v'là contraints de recommencer une autre opérance et de la recommencer autrement. Qu'est-ce c'est que les papelards dans c'te chemise ?

Je lui présente les deux feuillets et point n'est besoin de lui signifier ce à quoi ils se rapportent : homme d'expérience, Alexandre-Benoît les interprète aussitôt.

— Va falloir qu'on potasse ça à tronche reposée, assure-t-il. Vingt-trois blazes chez les victimes possibles. Quatre chez les assassins présumés, ça fait du peuple.

Le bigophone gazouille. Je dépote vivement le combiné.

— Allô ?

— C'est toi, Antoine ?

Pinuche ! Le cher débris ! Vivant ! Parlant !

— Mais où es-tu, bougre de vieux lavement ?

— Avec des gens qui… heu… m'ont invité chez eux à la campagne… Ils aimeraient te rencontrer.

Il parle curieusement, d'un ton très appuyé, comme s'il cherchait à me faire comprendre qu'il est sous contrainte. Et puis, tout à coup, comme un prisonnier se met à détaler, risquant le tout pour le tout, la Vieillasse me lance :

— Ils m'ont d'abord embarqué dans un magasin près de la Bourse qui sentait la naphtaline, ils sont trois, la femme est brune, l'un des hommes est très très gros…

Le tout en moins de trois secondes. J'entends un bref remue-ménage, un cri. La voix de Pinuchet qui hurle dans les lointains :

— Y fiennent de me faffer mon denfier !

On coupe.

Sans perdre un instant, je répète à haute voix :

« Un magasin, près de la Bourse, qui sent la naphtaline. Ils sont trois, dont l'un très gros. La femme est brune. »

— C'tait la Pine ? questionne gravement Béru.

— Oui. Ils l'ont en otage. Ces mecs veulent me rencontrer et lavaient chargé d'un message pour moi, mais César les a bités en me balançant un maxi de tuyaux à leur propos.

— Il va a sentir passer, pronostique mon ami.

Et il ajoute, lugubrement, cette phrase sibylline dont je ne puis comprendre la motivation profonde :

— Pour une fois que j'ai pris un bain, c'est ben pour dire…

Un instant passe. Nous attendons la même chose, lui et moi, d'instinct de flics. Et elle se produit : le téléphone sonne à nouveau.

Une voix très feutrée (mon interlocuteur doit garder une main en conque entre ses lèvres et l'émetteur) me dit :

— Je suis l'ami de votre ami, commissaire. Si vous tenez à sa peau ne faites absolument rien de la journée, ab-so-lu-ment rien. Je vous rappellerai ce soir à neuf heures.

Il raccroche.

La vie n'est pas simple.


Béru, je vais te dire, quand il est sérieux, il paraît malade. Il est si rarement sérieux, mon cher hippopotami.

— Ça se confirme, finit-il par soupirer.

— Qu'est-ce qui se confirme ?

— Tu leur as cassé la cabane au Pompon Rouge. Les v'là en pleine désorientance.

Je hausse les épaules.

— Tu m'croyes pas, Mec ?

— Je ne crois rien.

— Je t'ai jamais vu à zéro, Sana, or t'as l'air au-dessous de zéro. C't'à cause de Pinuche ?

— De lui et du reste.

— Le reste, c'est les quatre jeunots que vous avez bousillés ?

— Probablement. Ce carnage m'a traumatisé.

— Mouais, j'comprends. Mais pourquoi t'achèt'rais pas un fond d'épicerie fine dans un quartier sélecte, comme la Muette, par exemple ? J't'imagine av'c une blouse bleue et un crayon su' l'oreille, charmant les rombières de ton zœil v'louté quand t'irais leur livrer leurs biscottes d'régime. P't'êt' que t'as raté ta convocation, Gars. C'est pas un pétard qu'y t'fallait comme outil, mais un carnet d'commandes.

— Tu me les casses, Gros.

— On peut connaît' tes projets dans l'immédiat ?

Va savoir les méandres de l'humain, técolle ! V'là que des larmes me giclent, nom de Dieu ! J'ai l'esprit vide comme l'intérieur d'un cerceau. Alors Sa Majesté se fait opérationnelle.

Elle me caresse la tronche rudement, qu'il va falloir que je me recoiffe, ce con !

— On a tous les nôtres, déclare-t-il.

Nos quoi ? Je m'abstiens de lui demander.

— Tu sais ce qui s'rait chouette, l'artisse ? murmure le Chérubinbin. C's'rait qu'tu m'laisses usiner aujourd'hui. Une suppose qu'tu me délégationnes tes pouvoirs ? On percute nos fonctions, c'est moi qu'ai commissaire et toi l'subordonneur. Banco ?

— Et t'en ferais quoi, de mes pouvoirs, Pomme à l'huile ?

— J'en ferais bon escient.

— C'est-à-dire ?

Il ouvre sa braguette pour remiser Coquette qu'était partie en dérapage incontrôlé, la referme point trop hermétiquement afin qu'elle ne s'asphyxie pas, et me tient le langage :

— D'puis des chiées qu'on s'pratique, t'as confiance en moi, ou non ?

— Évidemment !

— J't'aye donné des preuves de tout ?

— De tout, mon Béru, c'est juste.

— Alors j'te demande un' faveur dans not' carrière, qu'un jour, juste un jour, c'soye mézigue l'patron.

— Ça s'est déjà produit.

— Jamais vraiment. J'veux qu'tu me donnasses ta parole de m'obéir pieds et poings liés. Tu t'rappelles c't'émission d'radio, aut'fois : la Reine d'un jour ? Une gonzesse, l'plus connasse possib', était élue reine et on y f'sait des cadeaux à la pelle. Moi, j'veux êt' commissaire d'un jour. J'sais bien qu'j'y s'rai jamais réell'ment, vu que ces cons, doré de l'avant, un commissaire y éguesigent qu'y soye mondain, abrégé ès lettres, médecin en droit et toutim ; qu'y save bien sa grammaire et aussi causer l'anglais, l'latin et conscrit. Alors, v'là : j'sus commissaire d'un jour. Ici, ça ressemblera à une histoire marseillaise. Je décide d'tout. T'obéis sans rechigner. Un jour, Toinio : rien qu'un jour dans une vie, merde ça va pas chercher bézeff ! T'as un coup de suie, p'tit Mec. Et l'temps nous bouscule. Alors tu m'laisses agisser s'lon ma guise.

— Bien, patron.

Il rayonne.

— Vrai, t'acceptes ?

— D'accord.

— Tu l'peux d'autant plus mieux qu'officiellement on n'est plus des roussins, mais des privates. Suppose qu'tu me cèdes l'Agency, hein ?

— O.K. O.K. !

— Ta parole, mon drôle. Y m'faut ta parole : la vraie, celle qu'tu jures su' la tête d'ta mère ! Allez, annonce ! Dis : « J'jure su' la tête de ma mère de t'laisser l'command'ment des opérances et d't'obéir toute la journée !

— Jusqu'à quelle heure ?

— Une journée se termine à minuit, que je susse ?

— Je veux bien jurer, mais jusqu'à neuf heures seul'ment.

Il grogne :

— Çui-là, s'il a pas son taf d'pinailleries, merde ! Bon, soite. On dit jusqu'à neuf plombes. J't'écoute, jure !

Docile, j'engage mon honneur sur une voie qui, tu vas bientôt t'en apercevoir, le mènera loin.

Lorsque mon serment est proféré dans les règles, le Gros ajoute.

— C'que j'voudrais encor' te d'mander est flacutatif, mais si t'accepterais, ça m'f'rait une énorme plaisir : ça n't'ennuillerait pas de m'app'ler commissaire ?

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