CHAPITRE IRRÉVOCABLEMENT DIXIÈME, PLEIN DE SUSPENSE ET D’AGRÉMENT.

Les heures qui succèdent sont indécises. Tu vas comprendre pourquoi, avec le bout d’éponge racorni qui te tient lieu de cerveau. Une femme à qui tu viens de pratiquer la vocalise parisienne a droit à des égards ; d’autre part, malgré ma séance de langue au chat, je ne suis pas certain des bons sentiments de l’heureuse bénéficiaire. La prudence exigerait que je la ligotasse ; mais la galanterie me l’interdit. Or, Santantonio a toujours prouvé que les mots flic et gentleman n’étaient pas fatalement irréconciliables. Voilà pourquoi il opte pour un moyen bâtard, à savoir que je laisse à la chérie la liberté de ses mouvements, sans toutefois la perdre de vue.

Nous sommes assis face à face dans le bureau. Elle connaît quelques mots d’allemand, moi aussi, et l’emmerde c’est que ce ne sont pas toujours les mêmes. J’essaie de la rassurer par de la pauvre salade teutone. Invente une piètre histoire de panne, et comme quoi ayant vu la fruitière, je me suis permis d’y venir téléphoner. J’attends un ami. Je suis ravi de cette occasion de lui faire la connaissance. Je la trouve belle et délectable, ce qui est presque vrai. Elle est jolie, sensuelle je m’en suis rendu compte, malheureusement, on constate chez elle une certaine dureté d’expression.

La chère petite n’est guère causante, tout ce qu’elle consent à m’apprendre, c’est que je me trouve dans une fabrique de yogourt dont son mari et elles sont les gardiens ; mais son bonhomme est à l’hôpital pour y soigner un mal dont je n’arrive pas à saisir l’identité, ce qui n’est d’aucune importance, étant donné que son mec, je m’en tambourine les jumelles. Je viens de faire ce que j’ai pu pour lui porter chance ; là-dessus, mes vœux l’accompagnent.

Une grande torpeur s’insinue, contre laquelle j’ai grand mal à lutter. La môme se lève soudain de son siège et annonce qu’elle va préparer du café. Je lui réponds que l’idée est déjà fumante (avant le caoua) et je l’escorte jusqu’à son logement. Ce dernier n’est pas chouillard : deux pièces. Une cuisine à vivre et une chambre à coucher. Mon hôtesse s’active autour d’une cafetière émaillée qui me rappelle des souvenirs de grand-mère à la cambrousse. Elle a une silhouette intéressante, et une gueule que j’aimerais confier à la maison Carita pour qu’elle lui donne l’éclat qu’elle mérite.

Bientôt, une odeur ragaillardissante se répand dans l’humble logis. La poupée sort deux bols, du sucre jaunâtre, des cuillers d’étain.

Je louche sur ma tocante. Bientôt cinq plombes ! Il en met un temps, le Gravos ! Je crains que ça n’ait foiré à son niveau. Nous ne sommes pas dans un pays où il est aisé d’obtenir un sapin à pareille heure. Sa requête aura mis la puce à l’oreille du concierge de nuit, lequel en aura informé les autorités… Tout est à redouter.

Je récapitule les événements de cette nuit tragique. La fin de Siméon Grozob, celle beaucoup plus atroce de son garde du corps. Et le gros barbu que j’ai lardé à distance ? Est-il clamsé ?

Le café n’est pas de first quality, pourtant il me dope un peu. Je vais branler qui ou quoi, moi, si Sa Majesté ne vient pas ? Où me planquer ? Ici ?

Tu parles ! Dans quelques plombes, les ouvriers de la yogourterie vont radiner et je serai marron. Car, je le sens intensément, je ne puis faire confiance à cette femme et lui demander asile. Pas le genre de la maison. Y a que dans mes autres bouquins qu’on peut lire des conneries du genre : la ravissante nana qui planque le beau fugitif, au péril de sa vie simplement parce qu’il l’a bitée de première.

Je souffle sur le breuvage, comme on le fait toujours au cinoche dans ces cas spéciaux. Un homme, une femme, la nuit, tête-à-tête silencieux. Ils se regardent à la dérobée. Monosyllabes. Soupirs. On souffle sur le café. En plus y a le tic-tac d’une horloge, mais ici, c’est une pendule électrique avec une lumière aiguille rouge qui s’en va toute seule autour du cadran, semblant dire merde à l’éternité entière.

— Quel est votre nom ? je lui questionne doucement.

L’idée me vient que si le Mastar n’apparaît point, je vais entreprendre une nouvelle fois ma donzelle, lui chiquer le grand jeu, avec toutes les brêmes. La grimper royale, parcours intégral : bas en haut, emplâtrage-maison, pile-face, avec arrêts-buffets, titillages mammaires, complément dans l’œil de bronze. La réussir au-delà de tout. La mettre en folie complète. Des fois qu’elle aurait ensuite la reconnaissance du cul et consentirait à m’aider. Non ?

— Ivana, elle répond.

Merde, ce que c’est choucard. Ma première Ivana. Pour fêter ça, j’avance ma main vers ses loloches, lesquels sont de taille moyenne, mais de forme et de consistance parfaites.

Ivana a un mouvement sauvage de recul. Holà ! pas touche. Tout à l’heure, elle a été dégustée par surprise, mais maintenant elle reste sur ses gardes et refusera mes avances. Peut-être qu’après tout, son potentiel de jouissance est limité à un pied par vingt-quatre heures ? Vat’en savoir…

Je n’ai pas le temps de surmonter cette rebuffade désobligeante qu’un bruit de moteur se fait entendre.

Je bondis sur le pas de la porte. Une bagnole sombre est là, Bérurier descend du siège passager. Il m’avise dans le rectangle de lumière et m’écrie :

— M’v’là t’enfin, Mec. C’est pas d’la sucrette d’obtiendre un bahut, espère. T’es peinard, ici ?

— Pas mal, mais…

— Jockey, j’arrive !

Mais au lieu de se conformer à cette promesse, il se met à discutailler avec son chauffeur.

— Va-t’en pas tout d’sute, mon lapin. Kome in with moi, qu’on cause ! T’es pas pressé, c’est pas l’heure d’influence !

Alors un être bizarre se dégage du volant. Un tonneau revêtu de cuir. Petit, tout rond. Le chauffeur doit posséder un tour de taille supérieur à sa hauteur.

Son manteau râpé est serré à la taille par une ceinture très large qui confirme la ressemblance de l’individu avec une barrique. Il a la tête posée directement sur le buste, sans le moindre soupçon de cou pour servir d’intermédiaire, et il est coiffé d’une gigantesque casquette à visière marxiste-de-l’Est. Mon pote lui met la main sur l’épaule et s’avance vers le logis de gardien.

C’est seulement lorsqu’ils débouchent dans la lumière que je réalise la vérité : le chauffeur d’Alexandre-Benoît, contre toute apparence, appartient au sexe féminin. Il n’ajoute rien à sa gloire, convenons-z’en. Pourtant, c’est bel et bien une femelle qui pénètre dans la cuisine d’Ivana. Tronche comme une boule, pommettes violacées, bouche aux lèvres lippues, nez camard, yeux minuscules, frangés de cils décolorés. The monstre !

— B’jour maâme ! fait le Gravos à Ivana. Hmm, qu’est-ce j’aspers-je : du caoua ! V’là qui tombe à pic.

Ce qu’il y a de forcené, chez Bérurier, c’est qu’il ne s’étonne pratiquement jamais de rien. Il accepte sans barguigner n’importe quelle réalité. Ainsi, ma présence en cet endroit ne lui pose aucun problème et il salue mon hôtesse comme s’il s’agissait de la vendeuse d’un magasin où il vient d’entrer.

— Grand, me dit-il, en désignant le tonneau, j’te présente ma dernière conquête : Mme Slavadsoua, chauffeuse professionnelle qu’on a aussitôt eu l’coup d’foutre, moi et elle, l’un pour l’une et l’une pour l’autre. Croise en ma vieille expérience, mais c’te pétroleuse doit raffoler la biroute chercheuse. Dieu d’Dieu, elle a répondu présent à mes avances qu’c’en est une bénédiction. J’l’eusse bien fourrée dans sa tire, mais outre qu’on s’serait caillé les meules, vu qu’elle est pas chauffée, les routes sont pleines de militaires. On a été arrêtés au moins quat’cinq fois. Cte doudoune a un bagout d’marchand d’poissecaille. Et en bulgare, j’te précise ! Chaque fois, elle a bradé des salades, vu qu’é dispose d’un condé officiel, et les bidasses n’nous ont pas p’lé la prostate. Ce sidi, on est, moi et elle au point d’surchauffe, étant donné toutes les agaceries qu’j’y ai manipulées en route. C’est pourquoi, si la petite Maâme que j’voye là voulait bien nous prêter son plume pour un quart d’heure, c’serait une bonne action, et j’sus sûr qu’l’Bon Dieu l’lu rendrait.

Il me soufflera toujours, le Mammouth.

— Bien vrai, balbutié-je, tu as envie d’embroquer ce cauchemar, Gros ?

Il se fâche.

— Où qu’tu voyes un cauchemar, dis, l’artiss ? Videmment, toi t’aimes calcer les p’tites frivoles sucrées. Ton style, c’est la pompe à vélo ; moi, Dieu tank you, j’ai d’autres contraceptions d’l’amour, mon pote.

Là-dessus, péremptoire, flic en plein, il va ouvrir d’autor la lourde de la chambre.

— Ah ! v’là l’at’lier qui m’faut ! s’exclame-t-il joyeusement. Par ici, ma petite biche ! Komme ton gros cul, ma poule.

Une nature, je te dis.

En friche.

La monstresse en manteau de cuir roule docilement jusqu’au plumard. On la voit qui s’assoit.

— C’qu’est démoralisant, chez toi, ma gazelle, c’est c’pantalon de chiasse que t’as cru obligé d’affubler, déclare le Souverain Zob. Les gerces en futiaux m’font tarte’, biscotte l’isolement qu’est leur moulasse. C’est déjà assez des vérol’ries d’collants qu’on doit batailler avec, nous aut’z’hommes. S’y faudrait encore dégoupiller un’braguette pour palper une chaglaglatte, merci bien ! Allez, décarpille, la mère ! Annonce ta contr’basse à poils, qu’je lu interprètre « L’Beau Danub’Bleu » av’c mon archet magique ! Tu m’portes aux sens, ma grande ! Mate un peu, si j’mens. Attends qu’je dégage la bête d’sa cage. En v’là une, quand elle est prête pou’l’défilé, é d’vient duraille à manœuvrer. J’ai toujours peur d’la casser, d’un mouv’ment trop brusque, ça arrive ! Allez, yoooooop ! J’vas-t’y l’estrapoler d’ma sous-ventrière, oui ou merde ! Ell’coince. Putain d’elle, é veut v’nir ou pas ! Aye pas peur, la belle, c’est pas pou’t’plonger dans la grande friture, mais pou’la tournanche des grandes duchesses. Là, v’là l’monument ! Qu’est-ce t’en penses, Ninette ! Quoi ! T’as peur ? Faut pas, ma belle ; y a pas plus caressant qu’c’te mignonnette. Ell’mord pas, croye-le. Qu’est-ce y t’intimide ? L’ampleur à mad’moiselle ? Tu r’doutes qu’ça force un peu tes voies sur berges ? Inquiète-toi pas, ma Chouquette, é l’a déjà visité des centres d’accueil plus exigutoires qu’l’tien. T’sais : tu y joues un p’tit solo de flûte enchantée, manière d’l’apprivoiser, et ensute, é t’glisse dans l’trésor comme sur une piste de bob-chlingue. Ça paraît en, nickelchrome, quand t’est-ce on la considère de palpu, mais é sprête à l’usage interne, croive-moi. Et dans les cas estrêmes, tu fais appel à une noisette d’beurre ; alors là, velours garanti sans coutures, chérie. « Bon, t’as tombé ton froc de métallo ? Bravo ! Vu qu’on est déjà en transes, j’te prélimine pas, t’es d’ac ? J’y vais recta-rectum au grand enfourchement, façon Charlemagne. Allonge-toi bien, ma bougresse. Tourne ton cul du côté d’Moscou. Seigneur, c’panorama ! On t’a jamais défriché l’delta, ma gosse ! Vingt gu, j’eusse dû amener une tondeuse à gazon ! L’plus simple, c’s’rait qu’on y fout’le feu un grand coup qu’après on t’limerait sur brûlis. Attends qu’j’te coiffe un peu la crinière avant d’monter en ligne…

Tandis qu’il se livre à ce commentaire d’une indéniable portée philosophique, mon attention est sollicitée par le comportement d’Ivana. Depuis un bon bout de moment déjà, c’est-à-dire depuis la survenue du gros et de sa nymphette, elle semble anxieuse, la jolie gardienne. De toute évidence, elle tend l’oreille. Et qui plus est, je la vois jeter, mine de rien, de fréquents coups de z’œil par-dessus le petit rideau de la fenêtre. Il me semble qu’elle attend quelqu’un. Cette impression se mue en certitude. Et voilà qu’un solide traczir me biche. Serait-elle parvenue à donner l’alerte ? Mais comment ? Je ne l’ai pas quittée du regard.

Pourtant, son manège est révélateur. A mesure que le temps passe, sa nervosité croit.

Je mate un poste téléphonique mural, archaïque. Elle ne s’en est pas servie, je peux en jurer.

Soudain, je tique en découvrant, fixée au-dessous de l’appareil, une plaque émaillée sur laquelle deux mots sont écrits. Sous les deux mots, se trouve un gros bouton rouge. Le bouton sert de voyant et je constate qu’il est présentement allumé.

Mamma mia ! S’agit-il d’un signal de secours ? Elle a dû enclencher le bouton, mine de rien, en passant devant lui. Fastoche 1 Oui, oui, oui ! Je te parie ma première dent de lait, que « la petite souris » m’a payée deux francs, contre ton bridge en or de la Rivière Kwaï, que cette foutue garce a mis en action un dispositif d’alarme. Et maintenant, elle attend « du monde ». Qui ? Des flics ? Des vigiles ?

Je bondis jusqu’à la chambre où se perpètre un abominable coït.

— Hé, Gros ! Un homme à la mer, stoppe les machines. Vite, vite, y a urgerie !

Il désembroque sa partenaire en grommelant :

— Quoi, merde ? Ah ! c’est joyce d’ larguer une mère en pleine seringuée ! R’garde-moi, c’te pauvrette, la manière qu’é gémit d’ la moule, bordel ! Sont-ce-t-ils des manières ?

— Rentre ton grimpant et taillons la route rapidos, des perdreaux vont rabattre d’un instant à l’autre.

Comme pour confirmer mes dires, Ivana, profitant de ce que je ne suis plus dans la pièce, vient de s’élancer hors de son logis en courant comme une éperdue. Et voilà précisément qu’au loin dansent des phares sur la route ravinée.

— Vite, viiiiiite ! Les voilà !

Bérurier ramasse son futal en hâte, le jette sur son épaule, chausse ses godasses en quatrième vitesse.

— ’scuse, ma poupée, j’te finirai une autre fois ! lance-t-il poliment à sa belle.

— On cavale à la tuture de la monstrueuse. Je me fous au volant. Contact !

Contact, ma bite ! La gorgone l’a pris en quittant sa chignole.

Et l’autre voiture radine. N’est plus qu’à trois cents mètres !

D’un commun accord, Béru et moi détalons en direction des bâtiments. Lui, cul nu au clair de lune ! Splendide !

Beau comme du Fellini qui serait devenu dingue.

Un troisième bruit de course ! C’est la gravosse mégère qui file le train à son cavalier sergent, elle aussi a le dargif à l’air.

Je lui montre la voiture.

Lui crie en : allemand, anglais, italien, espagnol, patois dauphinois, espéranto, finnois « la clé ! » LA CLEEEEEE ! Mais elle se tapote les meules, m’expliquer qu’elle est restée dans son falzar, cette conne connasse !

Malédiction ! Je continue de tracer derrière Béru, et la grosse barrique me court après.

Et l’auto achève de survenir. Stoppe à l’hauteur d’Ivana qui filait à sa rencontre.

— Pssst ! fait Mister Gradube.

Il vient d’ouvrir une petite porte d’un coup d’épaule. S’introduit dans un vaste bâtiment tout en longueur.

J’en fais de même.

Puis la grosse !

Du Dubout grande époque !

* * *

Une âcre odeur de lait suri me prend à la gorge et au nez.

Par les parties vitrées courant le long du toit, j’avise de gigantesques chaudrons de cuivre dans lesquels tu pourrais faire tenir un pavillon de banlieue avec ses quinze occupants et leur R 5.

Combien de chaudrons ? Quatre ? Cinq ? Davantage.

De petites échelles sont appuyées contre chacun d’eux. On est sous le signe de l’échelle, cette nuit, décidément.

— Allez, viens, gars ! hurle Bérurier, en gravissant les degrés accédant au second chaudron. Merde, que voyé-je ! La Grosse qui nous file le dur ; elle va nous faire repérer, c’te grosse vache ! Fous-y des coups de pieds dans le ventre, qu’elle se taille !

Malgré la judiciosité du conseil, je ne le mets point à profit, par galanterie d’abord, et surtout parce que je n’en ai pas le temps.

Hop ! Dans le chaudron !

Glaoup glaoup ! Il est à demi empli de yogourt (goût bulgare). J’en ai jusqu’au menton. C’est froid, velouté, insinueux, insidieux, chatouilleur, sédatif.

Ça vous investit de tout bord. Ça faufile. Ça pénètre suavement.

Un gros chplaouf. La rombière qui vient nous rejoindre ! Qu’est-ce qui lui prend, à la taxiwoman, de partager notre sort alors que rien ne l’y contraint ? Pourquoi vient-elle prendre son bain de yaourt, la femme sans cou ? Par passion spontanée pour le Gravos ? Elle me fait songer à ce bélier qui s’était attaché à ses pas, obstinément, dans « Tango Chinetoque » et qui ne le quittait plus, où qu’il allât lahilahitou. T’as des êtres primitifs qui ont besoin de s’offrir totalement à d’autres qui les dominent, et qui sont fanatisés par eux, devenant leur ombre docile.

Bon, ainsi nous sommes tous les trois dans l’un des gigantesques chaudrons où se fabrique le délicieux yogourt bulgare qui fait les centenaires prétend-on (à la prétentaine).

Maintenant, ne reste plus qu’à attendre. A prier notre ange gardien de ne pas s’absenter jusqu’à nouvel ordre.

— S’ils vont viendre, faut qu’on va plonger dans le yaourt, chuchote Béru. Dis-y à ma gosse. Un grand coup d’respirance dès qu’on les entend grimper à l’échelle et on se laisse couler dans la vas’line. Esplique-lu, Mec, dans la langu’qu’tu pourras.

Je m’emploie à la chose, usant pour cela des différents patois européens que je parle ou écorche. La mère Dondaine paraît avoir compris, car elle murmure des « ja ja mein Herr » qui me laissent espérer.

Et bon, tout s’opère comme défini par le Mammouth. On entend cavalcader, dehors. Des cris, des appels, comme naguère à l’usine. Cliquetis. Ordres gutturaux (puisque policiers ou militaires).

Des mecs finissent par se pointer dans le local que soudainement, les calbombes s’éclairent en grand, nous prenant au tu sais quoi ? Dépourvu.

On cille. On se défrite. Nos bouilles à peine émergées de cette onctuosité blanche, un spectacle unique au world ! Tu peux pas croire, Béru et sa conquête, leurs hures crémeuses posées à la surface du yogourt onctueux ! Un rêve ! Pas un cauchemar, quelque chose d’assez plaisant au contraire un peu onirique sur les bords, mais joyce avant tout.

Ce qu’on redoutait s’opère. L’échelle métallique vibre. Un gonzier grimpe. Et des potes à lui escaladent les autres échelles en même temps. Bottes sur barreau de fer dans cette nef, ça fait un boucan du tonnerre de Zeus. Le vacarme soudard. Achtung ! Gestape ! Nous autres, gentils tritons, une grande goulée d’air, et flouiiiit, à moi le Cousteau des Epinettes ! La plonge. J’espère qu’on ne va pas trop faire de bulles.

Faut croire que non, puisque le mec qui gravit redescend immédiatement. Il a passé son œil. N’a rien vu. Bye bye ! Je réhasarde mon faciès de don Juan à la surface. Nobody ! Je respire doucement.

Les allées-venues continuent. Et puis s’en vont plus loin. La lumière s’éteint. La rumeur s’éloigne.

— Ils ont mis les adjas ? demande Bérurier à voix basse.

— Il semblerait, mais ne nous pressons pas de sortir.

Le Gravos maugrée.

— J’sais pas comment t’est-ce j’m’y ai pris, magine-toi qu’j’ai paumé mon râtlier. Va falloir qu’je le trouve, bordel ! J’peux pas m’en t’nir, cette saleté-là ; reusement qu’j’ai un copain qui m’en fabrique en série : un ancien horloger très bricoleur…

— Dans l’immédiat, tu devrais pouvoir t’en passer, objecté-je.

Néanmoins, je l’entends qui clapote. Mais ses tentatives restent infructueuses. Résigné, il revient à sa séductrice.

— T’as bu la tasse, hein, ma p’tite reine ? Quoi qu’le yogourt, c’est ton élément naturel, toi, pour ainsi dire, non ? Tu claques des chailles ? T’as d’la chance. C’t’un lusc qu’j’peux plus me permett’avec mes ratiches qu’ont choisi la liberté. Mais t’as ton gros cul tout glacé, ma pauvrette. Qu’on dirait une esquimaude qu’attendrait l’dégel su’sa banquise. Viens qu’j’te réchauffe, ma jolie ! Dis voir, c’est pou’l’coup qu’t’as plus d’souci à t’faire question d’l’entrée d’mon gladiateur dans ton mignon circus. Le yogourt, c’est mieux qu’d’la vas’line, hein, chérie ? Surtout qu’ là, on pleure pas la came. Tu veux qu’j’t’embroque dans l’velours, ma gazelle ? On va profiter d’c’t’embellie pisqu’on a du temps d’vant soye. Tiens, je te vas tringler à la Ferdinand l’taureau. Si tu voudras just’me brandir un peu tes miches, belle colombe ! Là, un peu plus qu’j’te fasse l’coup du facteur et d’la lavandière. La feurste fois que je vas limer sur un nuage ! On se croirait au Paradis ! Putain d’elle, c’t’emplâtrage d’ beurre. Qu’est-ce tu dis ? Tu pâmes ? Y a de quoi, hein, la mère ? T’as déjà connu ça, malgré qu’tu soye native d’ici qu’on a inventé le yaourt ? Non, hein ? Là, c’est du yogourt goût français. Débats-toi pas, tu vas me faire déjanter. Faut qu’tu vas m’laisser manœuvrer à mon idée, ma gosse. Sur un tandem, y en a un qui drive et l’autre qui pédale. Penche-toi plus, nom d’foutre ! Merde, attends qu’ j’t’appuille la nuque, ça t’obligera d’cambrer. Là, bravo ! Super ! La classe ! Oh, misère, ce qu’on peut s’faire reluire ! Y a que ça d’vrai. Quand j’s’rai à Pantruche, faudra qu’je vais essayer av’c ma Berthe. Tu parles d’une inition à lu faire ! Remarque, chez nous, au prix du pot d’yaourt, même qu’on s’contenterait d’remplir la baignoire, ça r’présente une sacrée mise de fond. T’vas me dire qu’ensute on peut l’bouffer, mais moi, le yaourt, c’est pas ma longueur d’ondes, et d’alieurs, ça s’conserve pas une fois ouvert. Faudrait l’revendre aux voisins, par grandes jattes. On leur f’rait des prix. J’réfléchirai au problo. Mais c’que c’est voluptueux, charogne ! Hé pourquoi qu’tu bouges plus ton moule à gaufre, ma fleurette ? T’as pris ton fade à la sournoise, sans crier Edgar ? Attends, j’y vais aussi d’ma croisière. Oh ! Oh ! là là… C’est bioutifoule ! J’m’envole ! Attends-moi, j’te rattrape, espèce d’sale vache vérolée ! Youyouille ! Arrrrrrrrr ! Bon. Fin d’section. Ça valait d’connaître, non ?

Je perçois les ahanements généreux du Mastar qui, très lentement, se remet de ses émotions sexuelles.

Un certain temps passe, puis il m’hèle, dans l’obscurité clapoteuse.

— Dis voir, Sana…

— Quoi donc ?

— J’sus embêté.

— Je le suis autant que toi, bougre de vieux bouc déliquescent.

— Non, mais moi, c’t’à cause de ma p’tite potesse qu’ j’sus embêté, Mec ?

— A cause ?

— Elle est morte. A s’est noyée dans le yogourt. J’croye qu’j’ai dû trop la pencher en avant pour y placer mon bec verseur.

Il soupire :

— Note qu’c’t’une belle fin, somme toute, si tu compares à Jeanne d’Arc par exemple qui, elle, a cramé sans même s’être pris un chibre dans la calebasse.


Telle fut l’oraison funèbre de la gentille Slavadsowa.

Загрузка...