CHAPITRE HUITIÈME DANS LEQUEL CE QUI SE PASSE TE LAISSERA PANTOIS (AU MOINS).

Les instants finissent toujours par arriver

Depuis combien de temps l’appréhendait-il, celui qui se goupille présentement ?

Des années ?

Il devait mal dormir en l’envisageant. Traîner cette redoutable arrière-pensée comme une maladie incurable.

Et voilà que ce fameux instant radine, avec un bruit de grolles. Pour lors, il paraît presque soulagé à travers l’angoisse qui lui embue le front, mon pote Siméon. Il guette la lourde. Ecoute survenir ces pas sans retenue, pas appuyés de soudards pour qui tout sol est en conquérance.

On frappe à la porte et il crie d’entrer.

C’est le gars au pardingue de cuir verdâtre qui ouvre. La frite décomposée, presque de la couleur de son manteau. Ils sont unifiés, le vêtement et sa gueule, dans les tons bronze patiné.

Il murmure quelques bulgareries. Grozob acquiesce et répond : « qu’il entre », je pige à l’intonation. Toujours cette superfluance des mots… Des expressions, des intonations, et le vocabuloche peut aller se rhabiller.

Le verdâtre s’efface, comme on dit puis dans la littérature domestique à prix honnête, pour laisser passer un homme impressionnant. Il est grand, gros, avec une barbe noire et frisée bien taillée. Il porte une pelisse grise à col de fourrure noire. Des bottes fourrées. Il garde ses deux mains dans ses poches.

Grozob lui adresse des mots de bienvenue, je suppose. L’autre monosyllabise. Grozob désigne un siège.

— Asseyez-vous !

Je te reconstitue à l’estimation.

— Non, merci, camarade, rétorque le gros barbu. Tu vas mettre un manteau et nous suivre.

— Où cela ?

— Tu le verras, considère-toi comme étant destitué de tes fonctions et en état d’arrestation.

— Qui a pris cette décision ?

— Le Grand Conseil Chmurtz, répond le personnage à la chaude pelisse, impavide (ou ssible, au choix).

— Quand ?

— Peu importe, fais ce que je te dis !

— Je ne quitterai pas mon poste tant que le Scodbeleff Klappatios ne me l’aura pas signifié, fait Grozob, non sans une certaine noblesse de ton, d’allure et autre.

— Epargne-moi de t’emmener par la force, soupire le barbu en sortant un étui à cigarettes de sa poche.

Ce sont de grosses cousues à papier jaune. Il en visse une entre ses grosses lèvres et l’allume au moyen d’un briquet à essence qui pue comme le naufrage d’un pétrolier au large des côtes bretonnes.

Pendant que Grozob regarde son sous-main d’un air perplexe, le visiteur du soir demande en me désignant :

— C’est le flic français ?

— Oui.

— Il va devoir nous suivre aussi.

Puis, à moi, en français dans le texte :

— Apprêtez-vous à nous accompagner !

— Pas question, réponds-je, je suis un fonctionnaire français et…

— Cela ne vous dispense pas d’être arrêté pour atteinte à la sûreté de l’Etat.

— Je n’ai jamais…

Il balaie mes objections d’un claquement de doigts agacé.

— Vous parlerez quand on vous interrogera.

Là-dessus, le barbu s’écarte et fait un signe. Des types très tibulaires arrivent, gueules d’ombres, z’yeux d’acier, mâchoire en tiroir bloqué. Fringués sinistres. Ils sont cinq. Emplissent la pièce comme cinquante. Occupent tout l’espace. Ils ne bronchent ni ne parlent. Respirent-ils ?

— Allons-y ! enjoint le camarade à barbe.

Vaincu, Grozob se redresse, va ouvrir une penderie pour y prendre un manteau à carreaux écossais dans les teintes marron-beige.

Il le boutonne posément, prend une toque de fourrure et, par son attitude, indique qu’il est prêt. Je me sens peu euphorique. Du train où vont les choses, je risque fort de moisir dans des fesses-de-basse-fosse jusqu’à ce que des champignons de Paris me poussent sur la plante des pinceaux.

J’ai l’impression de tourner dans un film et de jouer un rôle dûment répété. Me semble presque percevoir le doux frisson de la caméra en action et recevoir la chaleur tonitruante des projos en pleine poire.

Nous sortons.

Et alors, là, c’est chiément impressionnant, mon pote. Tu constates que tout ça n’est pas de la plaisanterie, non plus que du cinoche. Plusieurs tires sont alignées devant la résidence à Siméon ; des grosses bagnoles hautes sur pattes, espèces de fourgons grillagés.

Des soldats battent la semelle sur le trottoir.

Les gonziers en civil nous invitent à prendre place chacun dans une tire différente, Grozob, son verdâtre et moi.

Me voici sur un banc luisant d’usure. Le fourgon pue le feutre mouillé, le mauvais tabac, les pieds…

On décarre. Cortège.

Je suis en compagnie de militaires armés qui ne mouftent pas. Tout le monde paraît se faire chier à outrance. Les plus optimistes rêvent de leur lit. Le sommeil, c’est une ultime forme de liberté, somme toute.

Le convoi ferraille et teuf-teufe par les rues vides. Des flocons de neige tournoient dans l’air noirci. On longe une avenue mal éclairée. On passe devant une église dont les clochers à bulbe sont ramassés en forme de grosse grappe, et qui luisent à la clarté lunaire. Je me sens loin de tout, perdu…

En somme, je vis une page d’histoire. Demain, la presse de mon dentier, pardon, je m’égare : du monde entier, relatera ce qui est en train de s’opérer. Mais en quels termes ? Siméon Grozob, le secrétaire général du Parti communiste bulgare destitué de ses fonctions. Ou « démissionné » de ses fonctions.

Le convoi quitte le centre. A nouveau, on longe des cités ouvrières auxquelles des lampadaires clairsemés donnent un aspect angoissant. Tout cela est funèbre.

Nous gagnons une prison excentrique, je suppose ? Le cortège roule bon train. Mon fourgon chlingue de plus en plus. Les troufions, dans leurs capotes pisseuses, dodelinent au gré des cahots. Leurs armes sentent la graisse. Ils portent une étoile rouge à leurs kibours. Pensent-ils ? Et si oui, à qui, à quoi ?

Bientôt, on ralentit. Voici qu’on tourne à quarante-cinq degrés pour s’engager dans un chemin bordé de hauts murs.

Et puis, au bout de quelques centaines de mètres, nous stoppons. J’essaie de mater à travers la vitre défendue par un fort grillage. L’endroit est certes rébarbatif, imposant, même, mais ne ressemble pas à une prison. Il n’est pas conçu de la même manière.

Un civil me touche l’épaule et m’invite à descendre.

Je déboule sur une vaste esplanade éclairée par quatre gigantesques projecteurs où sont rangés des camions industriels dont la raison sociale est peinte en caractères blancs sur les ridelles.

Des effluves métallurgiques m’agressent. Ça pue la ferraille et l’huile chauffée. Je constate que Siméon Grozob est déjà descendu. Il est seul. On m’indique de le rejoindre. Le barbu est là, son gros mégot jaune fiché aux commissures des lèvres, les mains toujours enfouies au fond des poches de sa pelisse. Quatre civils nous encadrent et nous nous dirigeons vers une immense porte vitrée coulissante, elle-même percée d’une porte plus petite par laquelle on nous force à passer.

C’est bien d’une usine qu’il s’agit. D’énormes machines se dressent sous un formidable hangar, sorte de troupeau de mammouths immobile et silencieux. L’éclairage y est chiche, pourtant, à une certaine distance, il y a comme une clairière lumineuse où se tiennent cinq personnes. Grozob se fige en les apercevant. Il a de bonnes raisons pour, du moins une ; parmi les cinq se trouvent sa femme et son gorille à tête de marteau.

Il regarde le barbu et le barbu lui décoche un sourire ironique, presque diabolique, moi je trouve, et pourtant je hais l’excès, tu me connais. L’air de dire au Secrétaire : « Mais oui, mon vieux, nous étions déjà autour de chez toi à faire bonne garde lorsque ta bonne femme a voulu s’enfuir. »

Nous recollons au groupe, outre les deux personnes citées, se trouvent deux flics et un gars habillé en bleu de travail. Sa combinaison graisseuse est serrée à la taille par une large ceinture de cuir. Il est presque rouquin, avec une forte moustache stalinienne et des petits yeux enfoncés.

Mme Grozob est blafarde. Voyant surgir son époux, elle se précipite vers lui. Et Siméon lui passe le bras sur l’épaule dans un mouvement protecteur très émouvant, franchement, je te raconte pas de salades. J’en sais qui chialeraient comme dans des pots de chambre en visionnant une scène pareille.

Alors voilà ce qui va se passer maintenant, Ducon. Je te requiers toute ton attention, merde, c’est grave, arrête de bouffer ta saloperie de chewing-gum qui te fait ressembler à une vache !

Le vilain barbu dit deux trois mots, pas plus, à ses sbires. Les deux gus qui surveillaient dame Grozob et son chourineur à pull roulé passent des menottes aux poignets du gorille. Après quoi, ils l’entraînent vers une échelle de fer, assez roide, fixée parallèlement à une énorme machine composée de cylindres superposés. Ça ressemble un peu à des rouleaux de papier empilés dans une fabrique, sauf que les rouleaux sont en acier.

Parvenu au pied de l’échelle, le gorille renâcle pour l’escalader. L’un des deux vilains sort un couteau de sa manche, dégage la lame à ressort d’une pression du pouce, et se met à lui larder les meules. Pas de l’asticotage, comprends-moi : non, non, de violents coups de sacagne impitoyables. Que chaque fois, la lame pénètre de cinq à dix centimètres dans les miches au gonzier.

Le gorille, pour lors, crie de douleur, mais force lui est de gravir les échelons à la suite du premier flic, l’autre continuant de le pousser au cul du bout de sa rapière.

— Que comptent-ils faire, camarade ? demande Grozob au barbu.

Du moins estimé-je qu’il pose une question de ce baril.

— Tu vas voir, dit l’autre sans se biler.

Curieux mec. On sent qu’il vit son heure. C’est « sa » nuit décisive. Il déguste chaque instant avec une délectation silencieuse qui en accroît la volupté.

Les trois mecs sont parvenus sur une passerelle étroite qui surplombe le bloc-machine. Les deux flics poussent d’un commun accord le malheureux gorille, lequel bascule et choit entre deux formides rouleaux.

Aussitôt, l’homme à la combinaison bleue demeurée en bas enclenche des manettes. Un sourd grondement se fait entendre et les cylindres se mettent à tourner. Là-haut, le gorille est comme happé. Les cris qu’il pousse, tu ne les oublieras jamais ! Indicibles, tu comprends ? La gueulée surhumaine. Le fin fond extrême de l’horreur. Voilà que ses cannes s’engagent dans le laminoir. La machinerie, inexorable, le bouffe lentement. Il s’enfonce avec une lenteur majuscule au cœur de cet engin fait pour laminer l’acier, et qui se joue de la chair humaine, tu parles Charles !

Le voici happé jusqu’aux genoux. Ses beuglements continuent, mais en s’affaiblissant. Mme Grozob défaille Elle dit, en bulgare, bien sûr, mais c’est pathétique tout de même : « Oh ! Grand Dieu ! Arrêtez ! Vous n’avez pas le droit ! Je vous en supplie ! » Tout ça, bien, d’une voix blanche, œuf corse. Puis elle se voile les yeux.

Grozob apostrophe Pivot, qu’est-ce que je raconte, moi : apostrophe le barbu d’un ton cinglant. Il lui dit comme ça qu’il est barbare, digne d’un capitaliste américain ! Indigne d’appartenir au P.C., ni d’être bulgare et autre…

Mais le barbu se contente de contempler le spectacle d’un œil satisfait.

Là-haut, le gorille n’émet plus que d’ultimes geigneries. Il agonise. Pris jusqu’à l’aine, pis que broyé, réduit limande ! Filet de sole dans un carton à dessin.

S’enfonce, s’enfonce dans le mugissement vorace du formidable appareil à rouleaux, qui fait « arrrhvrouhhhhhmmmm » (à peu près, sauf qu’il doit y avoir davantage de « h » aspirés avant de servir).

Il est laminé au niveau de l’hypogastre…

Grozob s’occupe de sa dame qui vient de s’écroulaga, terrassée par l’horreur, cette chérie.

Un moment interminable s’écoule. Le gorille n’a plus la moindre réaction, vu qu’il est davantage mort que le cousin germain de Vercingétorix (celui qui avait du diabète). Et puis le laminoir continue de le laminer, et alors, extrémité de la nuit, apothéose de l’insoutenable, le corps se met à réapparaître, épais comme une tarte au citron, large et sanguinolent, et déchiqueté. Semblable à quelque odieuse silhouette humaine grossièrement découpée dans de la chair à pâté.

J’essaie de défrimer les assistants. Ils ne se signalent pas par la luisance de leurs pommettes, mais enfin, ils tiennent le choc.

Et voilà, le Gorille a disparu.

N’est plus qu’une flaque grotesque, de la viande à tartiner.

Le barbu s’approche de Grozob, et, écoute bien ; mais alors n’en perds pas une broque ou miette, l’artiste, c’est du sérieux, la finalité de la séance. Tu penses que le gorille laminé constituait seulement les amuse-gueule. Ce qui va suivre sera plus palpitant. Y a progression dans l’atroce.

L’homme à la pelisse parle à voix basse. Il chuchote presque, mais son organe grave et l’acoustique du local permettent de définir ses paroles.

Selon moi, et tu peux me croire, je me crois bien ! Selon moi, dis-je, il est en train de lui poser un marché joli. Style : tu me dis ton secret, et on vous embastille purement et simplement, ta rombiasse et toi, ou tu refuses de parler, et alors c’est mémère qui va avoir droit à la séance de pressing.

Je suis parfaitement cela sur le visage fou de détresse de Siméon. Aux regards éperdus qu’il pose sur sa moitié. Pas qu’elle soit laubée, la chérie, mais il y tient. Trente-cinq ans de conjugat. Des enfants, probable ; des cataplasmes, des chagrins affrontés en commun. Il l’a eue vierge, lui a fait gonfler le ventre. A subi sa méno. Des choses, la vie. Les habitudes sempiternelles. Elle fut sa confidente, le principal témoin de son action. Elle a su ses défaillances. A vécu ses espoirs. Elle a tremblé pour lui, s’est réjouie de sa réussite. A partagé les luttes, puis les honneurs. L’attelage, quoi ! Hue, cocotte !

Et voilà que son ancien compagnon, le barbu, infâme traître, Ganelon, Judas, lui pose ce marché effroyable.

Pour montrer que ça n’est pas du charre, il ordonne qu’on escalade la vieille[5] sur la passerelle. Elle est toujours évanouie. Cette fois, ils se mettent à nombreux pour la grimper, tant est roide l’échelle et inerte la victime.

Mais alors ? Attends, espère… Mais alors, me diras-tu, que devient le fameux Santonio dans ce circus ? Il fait quoi t’est-ce, le beau commissaire ? Simple témoin ? Il assure la retransmission et point à la ligne ? Pas dans son tempérament, ça, au noble fougueux. Ame d’airain, l’Antonio. Indomptable !

La situasse, il tente de s’y adapter. Faut qu’il va la dominer, comme dirait mon cher Bérurier, lequel est en train de pioncer, à l’hôtel Varna.

Et un élément intéressant le fascine, mister commissaire. Un détail pas négligeable dont il faut que je te relate.

Tout à l’heure, quand les deux vilains ont forcé le gorille à grimper, celui qui lui lardait le joufflu a lâché son ya, une fois là-haut, à cause d’un mouvement de cul de sa victime. Le couteau est tombé sur un cylindre d’acier, ensuite sur un autre, et commako jusqu’au sol où il a amorcé un traînard sur la droite. D’où je suis, je l’aperçois comme je te vois, à pas dix mètres de moi. Ce serait mignon de le récupérer, non ? Mais faut y aller molo, sans trop se faire retapisser.

Présentement, la position de chacun est quoi-ce ?

Nous avons : le barbu, six sbires, un ouvrier.

Quatre des sbires sont en train d’hisser mémère jusqu’à la loge présidentielle. Le barbu entreprend Grozob. L’ouvrier, aidé d’un flic, déménage le corps suraplati du gorille dans un grand rectangle de plastique. Le dernier sbire nous surveille.

Faudrait qu’il pense à autre chose, le gueux. Qu’il regarde ailleurs.

Barbu et Grozob discutent. Grozob, sa nature foncière l’empare, le domine. Il n’est pas de la race des gens qu’on réduit. S’il cédait au chantage, il n’aurait pas occupé ses hautes fonctions pendant tant d’années !

Sans doute qu’il dit « Va te faire mettre, camarade, quoi que tu fasses, je ne parlerai jamais », car le barbu crie aux autres de là-haut de filer Bobonne dans les rouleaux.

Ce qu’ils s’empressent de faire.

Moteur !

Ça tourne !

Laminage de Mme Siméon Grozob, première !

Pour la seconde fois, le monstre haletant se met en marche.

Ça réveille la daronne, espère ! On n’a jamais trouvé mieux pour arracher les gens au sirop, non plus que pour traiter les cors aux pieds.

Son cri ! C’est pas l’air de la Strada joué au piano punaise, crois-le !

— Arrêtez ! crie Grozob.

Le barbu répercute l’ordre. La machine-outil stoppe. La vioque a les deux pinceaux carbonisés et repart aux quetsches.

Alors, là, on se pointe carrément dans du Shakespeare de la belle année. Pour Stratford on Avon, en voiture siouplaît !

— Elle ne sait rien ! Personne d’autre que moi ne sait ! Et vous ne saurez jamais rien, bande de maudits ! hurle Siméon Grozob.

Il porte la paume de sa main à sa bouche et gobe quelque chose. Le temps de compter jusqu’à un, virgule zéro cinq, le voici qui tombe raide mort.

Confusion !

Le barbu est médusé. Là, il les a bités savamment, le secrétaire général !

Le sbire de garde se précipite, l’ouvrier rouquin idem.

Si bien que le très considérable Sana, jouant son va-tout avec brio, brioche et le reste, peut se couler jusqu’au couteau et s’en saisir.

Hélas, le barbu qui a l’œil à tout s’aperçoit de la chose.

Il me désigne en bulgarant à pleine vibure.

Et mes réflexes parlent.

Ça doit venir de la technique Alex Andri. J’ai été trop bon élève. Surdoué en tout, l’Antonio ; chez nous autres d’élite, on ne peut s’empêcher. L’instinct, c’est la fulgurance de l’individu. Le mien établit un rapport instantané entre le couteau ramassé, le tortionnaire qui me désigne à ses sbires et mes nouveaux dons de lanceur.

Pas à réfléchir, non plus qu’à décider : vzoum, c’est parti !

Et ça arrive.

A bon port.

A bon porc, puisque dans la brioche du barbu. Jusqu’à la garde. Sifflet coupé, tu penses ! Il ne porte même pas ses mains sur le manche du surin. L’étrangeté de la scène, c’est qu’il continue de rester debout, les pognes enfouies dans les vagues de sa pelisse. Je n’ai plus le temps d’admirer le panorama.

Un pour tous, moi pour moi. Il y a des moments, dans l’existence, où votre propre santé passe avant les vieilles dames et les paralytiques dans le métro.

Je pique un sprint de dessin animé à travers l’usine.

Dieu merci, ne se trouvait éclairée que la zone opérationnelle. Je fonce donc dans la pénombre à travers les gigantesques engins, sans savoir où je vais, mais foutrement pressé d’y parvenir.

Derrière moi, on tire des rafales de mitraillette. Ça glingue-glinge tout azimut. Pas le temps de réfléchir sur la conduite à suivre. Je file en louvoyant, contournant une machine, et une autre… Mes poursuivants ne mitraillent plus, mais galopent sur mes talons.

Je finis de traverser le gigantesque local. Me trouve face à un mur de briques. Et alors, l’Antoine de tes deux chéries, qu’est-ce que tu décides, mon bout d’homme ?

Pour commencer, j’ôte mes mocassins et les fourre chacun dans une poche de mon veston. Il me semble que le temps suspend son vol de rapace. Cela fait comme si l’existence s’enlisait dans un plan fixe. Je regarde autour de moi, à la faible lueur lunaire perçant les verrières poussiéreuses. La ténèbre est au sol. La clarté commence à se faire au-dessus de mes épaules. Et alors tout m’apparaît, avec une netteté impressionnante. Seulement, il faut faire fissa.

J’escalade une échelle de fer semblable à celle qu’on fit gravir au pauvre gorille. Me voici sur la passerelle huileuse. Au-dessus d’elle pend la chaire d’un palan coulissant. Au bout de la chaire, un énorme crochet monté sur poulie qui doit peser au moins trente kilos. Je le biche, lui imprime un balancement et le propulse en direction de la verrière. La masse d’acier pulvérise le vitrage, y ouvrant une brèche d’un bon mètre carré.

Je virgule mes pompes par l’ouverture ; puis, avec une célérité qui n’a d’égale que ma discrétion, je me jette sur les rouleaux d’acier et m’y allonge. D’en bas, il est impossible de m’apercevoir. Ma ruse va-t-elle donner le cambio ? La suite nous le dira.

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