Et qu’or donc sur moi cette troupe s’avance. Le bruit du bris a guidé mes poursuivants. Ils sont là, au pied du laminoir, braquant la lumière de leurs torches électriques sur le crochet qui continue de se balancer, puis sur la brèche ouverte dans la verrière. Ça discutaille ferme. Ensuite un détachement s’éloigne au pas de charge, et je pige qu’il va jeter un z’œil à l’extérieur. Du temps passe. Oui : j’entends des bruits de voix, dehors ; au niveau de la brèche. Un type crie qu’ils ont retrouvé mes tartines. Idée géniale que j’ai eue là. Grâce à cette ruse, ces messieurs ne doutent pas que je sois hors de l’usine. Ceux qui attendaient, auprès de ma machine, s’éloignent. Longtemps, je continue de percevoir des cris, des piétinements, des appels. Et puis, il s’opère un break en moi ; terrassé par la fatigue, l’émotion, le reste, d’autres trucs encore, je m’endors brusquement, couché entre deux rouleaux d’acier.
Sommeil de courte durée, mais réparateur. Le temps de soulager ma carcasse et mon esprit, de reprendre haleine, de puiser une énergie nouvelle. J’ai dû en écraser une heure, tout au plus. En écraser sur un laminoir, faut le faire, non ?
Ayant recouvré ma pleine lucidité, je tends l’oreille. Tout est silence autour de moi.
Un silence de catacombes. Je laisse filocher quelques minutes, tous mes sens aux aguets ; mais je comprends qu’il n’y a plus personne dans l’usine. Rassuré, je descends de mon étrange couche pour chercher une issue.
Sortir par la grand-porte, je préfère ne pas. Gidien, mézigue, dans ces cas-là. La porte étroite est plus avantageuse. Ayant fureté, je découvre un local vitré réservé aux vestiaires, douches et toilettes. Pile ce qu’il me fallait, dis donc ! Des fenêtres basculantes aèrent les lieux. Je risque une tronche à l’extérieur. J’avise un horizon d’usines, à perte de vue ; avec des pylônes à haute-pension (comme dit Béru) et, çà et là, des lampadaires blafards. Le ciel se couvre, s’alourdit. Curieux comme il devient noir avant de cracher sa blancheur.
Un rétablissement des plus classiques et me voici out. Jouant les Figaro, je rase les murs.
Où aller ? Au hasard, c’est préférable. S’en remettre au pif, ou à la Providence.
Alors je longe jusqu’au bout le bâtiment, traverse en rampant une zone dégagée pour aller me plonger dans l’ombre d’un autre, et ainsi de suite, jusqu’à ce que je parvienne à l’extrémité de ce complexe sidérurgique. Maintenant, je débouche sur une espèce de terrain vague qui sépare l’usine d’où je viens d’un second groupe de bâtiments aux toits en dents de scie. Courbé en deux, je m’élance. Et là, mon pote : the tuile, my birthday ! La scoumoune ! Pour une déforme, c’est une vraie déforme ! La toute grande tartiné de merde en branche ! Une chiée de projecteurs m’illuminent comme si je traversais la plage de Saint-Trop’ à midi.
Une voix, dans un haut-jacteur, crie :
— Stoooop !
Les petits futés se gaffaient bien que je n’avais pu aller bien loin, alors ils se sont mis à l’affût. Et crois-moi, mais y a du trèpe pour m’assurer une haie d’honneur. J’aurais obtenu la grande palmure dorée au Festival de Cannes ou de Pointe-à-Pitre, on ne me mettrait pas davantage en lumière.
N’écoutant que mon courage (coudésespoir, couvieillessennemie) je place ma pointe de vitesse. Du courage, il en faut pour s’enfuir dans de telles circonstances, avec une demi-douzaine de projecteurs qui t’arrosent, et des flingueurs répartis en arc de cercle. Je te parie ton drap de dessous contre mon drap de dessus qu’à ma place, tu resterais coi, les mains dressées aussi haut que tu le pourrais, en demandant pardon à la Sainte Vierge Marie d’être né et d’avoir enfilé tellement de gonzesses que je ne saurai jamais combien.
Le feu se déclenche. Je me laisse choir sur le sol. Vive l’herbertisme ! Le terrain est défoncé. Il y a des monticules, des fondrières, de profondes flaques d’eau. Je repte mieux qu’un alligator qui a les boy-scouts de la maison Hermès au fion. Vite-vite. Les balles sifflent, crépitent, fendent des cailloux, perforent des déchets métalliques. Je me dis très succinctement ceci : « Tant qu’ils mitrailleront, ils ne pourront s’élancer à ta poursuite. L’enjeu consiste donc à ne pas être touché. » C.Q.F.D. !
Par très grande veine, j’atteins une sorte de tranchée dont mes mitrailleurs n’ont sûrement pas une notion précise. M’y laisse couler avec soulagement et me mets sur mes patounes afin de courir pour de bon. Je parviens à tracer sans m’élever à plus de soixante centimètres du sol, ressemblant probably à ces acrobates cyclistes qui parviennent à se déplacer sur un vélo qui tiendrait dans le soutien-loloches d’un travelo.
La tranchée file droit ; sans doute s’apprête-t-elle à héberger une canalisation ?
Lorsque le feu cesse, je suis au bord d’un chemin de terre qui longe la seconde usine. Les projecteurs ne peuvent plus m’atteindre. Allons, du nerf, commissaire. Crache-toi sur les doigts de pieds et montre-nous un peu ce que c’est que de conjuguer le verbe courir au présent de l’indicatif musclé.
Suppose une immense ferme très plate, tout en toits (et en camions de laitier). Des bâtiments disposés en quinconce. Cela sent le laitage, odeur aigrelette qui frise celle du dégueulis.
Je suis exténué, vidé, rincé, à demi mort. Plus de jambes ni de souffle. Une forge dans le poitrail ; les tempes qui bourdonnent comme une ruche ; la sensation désobligeante que mon cœur en a classe d’expédier du sirop de vie dans mon réseau et qu’il veut aller vivre sa vie ailleurs.
La neige s’est mise à tomber dru. Avisant un tracteur, remisé sous un hangar, j’escalade son marchepied, ouvre sa portelle vitrée et me love sur le plancher.
Voilà, je suis au bout du rouleau (pas de ceux du laminoir : du mien). C’est tout ce que je peux faire pour ma santé ; à partir de dorénavant, je déclare forfait. S’ils viennent m’arracher à cet engin agricole, c’est que mon bol proverbial se sera fêlé. Il ne m’est plus possible d’ajouter un geste à ce qui précède. Ma fuite insensée, éperdue, tragique, sous les balles… Ensuite talonné par une horde silencieuse dont les pas nombreux composaient une sorte de roulement, comme celui que produit un troupeau de buffles en fuite. Et puis le bruit a diminué. Et j’ai continué de cavaler à travers la nature, cherchant l’ombre à tout prix. A courir au point de sentir mes jambes pénétrer dans mon buste. Qu’à présent, si tu as une glace à trumeau à me présenter, je suis sûr-certain de ressembler à un nabot (Léon) de Vélasquez.
Ma poitrine incandescente ne se refroidira jamais. Et pourtant, Dieu sait qu’il ne fait pas chaud dans ce tracteur. Je suis engourdi au bout de dix minutes. Continuant d’haleter et d’essayer de réorganiser ma respiration. Tout mon corps grelotte de dénuement extrême. Jamais je n’ai ressenti une telle fatigue, du moins, cela fait au moins cinq ou six polars que ça ne m’était point arrivé.
Je reste coincé entre les pédales du tracteur et les montants métalliques du siège. Ça pue le fumier et le caoutchouc pourri. Mes pinceaux privés de chaussures deviennent (Autriche) de marbre ; marbre de sépulcre plutôt que marbre à garnir les salles de bains.
Je reste blotti, n’ayant que ma propre chaleur pour me réchauffer, que ma vitalité pour me récupérer. J’écoute, mais ce que je reçois, en fait de son, est perdu dans l’espace, comme illusoire ; en tout cas ne semble pas me concerner. Merde, tu parles de coriaces, ces mirontons ! Charogne, ils en veulent, quand ils traquent un gusman ! Tu parles d’une chasse à courre. Et l’Antonio jouait le rôle de renard. Heureusement qu’ils n’avaient pas de chiens à disposition !
Le cadran lumineux de ma tocante marque 3 heures 10. Décidément, la soirée a été longue et rude ! Je poireaute encore un quart de plombe, captant toujours la rumeur indécise venue de l’espace. Mes poumons ont retrouvé le chemin salvateur de l’oxygène. Par contre, je ne me sens plus mes panards.
Va me falloir aviser. Je dois avoir trouvé une planque sérieuse avant le jour, qu’autrement sinon, ce sera l’emballage immédiat.
Avec moult précautions, je redescends de la cabine. Tout est infiniment tranquille. Les bâtiments s’allongent en sinuant géométriquement. L’odeur insistante du lait tourné et le nombre des camions-citernes me donnent à penser qu’il s’agit d’une fruitière. En boitillant, je pars en repérage. Tout spontanément, j’ourdis un plan qui vaut ce qu’il vaut, mais si tu as mieux à me proposer, adresse-moi tes suggestions en double exemplaire, écrites très lisiblement, en joignant pour le retour une enveloppe timbrée à ton adresse.
A musarder, dans le froid, sous les tourbillons de neige, je finis par dégauchir ce que je cherche, à savoir les bureaux de l’entreprise. Bien que ce soit rédigé en bulgare, je décide que cette annexe moins sinistre et copieusement vitrée constitue le P.C.
Une porte vitrée munie d’un volet. Je la crochète. Débarque dans une petite salle de réception, carrelée comme un labo, et limitée par un long guichet de bois verni. Enjambe ce comptoir. Des bureaux de fer, gris, très fonctionnels sont alignés. Ils supportent des machines à écrire et des piles de carnets à souches. J’ouvre l’un d’eux. Ce que j’espérais y lire s’y trouve. Manque plus que deux éléments assez complémentaires : un appareil téléphonique et un annuaire.
Je dois fracturer une deuxième porte et pénétrer dans un burlingue destiné au camarade-chef-d’entreprise pour les dénicher.
Je m’installe dans un fauteuil pivotant. Ouf ! c’est bon de déposer son baigneur dans quelque chose conçu pour le recevoir. J’allonge mes cannes et me renverse un instant, les bras noués derrière la nuque.
Allez, au turf, mon gros canard. Songe que des femmes en peine d’amour se languissent de toi dans l’hexagone, à commencer par ta Félicie. Je feuillette l’annuaire. Sofia. Hôtels. International, ce mot. Je découvre aisément l’hôtel Varna. Plus qu’à composer le numéro.
Ça grésille un bon bout. Le concierge de nuit doit en concasser, à moins qu’il n’y en ait pas dans cet établissement. J’insiste, insiste. Rares doivent être les appels tubophoniques à une heure aussi induse.
Enfin, une voix se met à faire pareil que quand tu bats des œufs pour confectionner une omelette.
— Do you speak english ? je l’interromps.
— Nein !
— Deutsch ?
— Ja.
Tant pis. Concentrant ma bochophonie, je lui réclame d’urgence la chambre de Herr Bérurier. Le gars tergit le verse un instant, voulant savoir le pourquoi-ce du comment-t’est-ce : mais je me fous à gueuler Polizei tellement fort qu’il s’hâte de me donner satisfaction avant que j’aie réveillé tout l’hôtel.
Là encore, ça carillonne un fameux bout avant que l’organe pour chiottes bouchées du Gros ne défèque un peu amène :
— C’qui m’fait chier la bite à c’t’heure-là, merde, bordel ? On est p’t’ét’ chez les communiss, mais y roupillent z’aussi, les communiss, non ?
— Ta gueule, manche à burnes ! m’emporté-je.
Et, in petto je pense que Dieu est loué qu’on n’ait pas encore arrêté Mister Queue d’Ane.
En quelques phrases, je lui brosse un papier de la situasse. Il y a de quoi écrire sur la table, lui dis-je, et tu trouveras du faf à en-tête de l’hôtel pour noter. Munis-toi, je vais te dicter l’adresse où je suis.
J’épelle avec l’application requise par l’analphabétise d’un individu de cet acabit. Après quoi, je lui enjoins (juillet, août, septembre) la chose suivante :
— Saboule-toi, Mec, prends tous les fafs, ta fraîche, et la photo de ta Morue si tu l’as amenée avec toi. Cherche quelque chose qui puisse te servir d’arme, je sais que tu es ingénieux, tu trouveras. Ensuite, descends à la réception, réveille le pipelet de noye s’il s’est rendormi, et demande-lui de t’appeler un taxi. Je suppose qu’à pareille heure, ça doit être coton et qu’il faut un motif solide, en ce cas, dis que tu dois te rendre à l’hôpital où l’on vient de conduire ton frère dans un état grave. Quand tu disposeras d’une bagnole, ordonne au conducteur de te piloter à l’adresse que je viens de te dicter. Gaffe-toi bien, ça se trouve à une vingtaine de bornes de Sofia, sur l’Ouest. Il s’agit d’un complexe laitier, très bas, avec des toits de tôle verte. Si le mec refuse, menace-le : il faut, et je le souligne en te parlant, il faut, et je le resouligne en le répétant, que tu viennes m’arracher avant le jour. Fais au mieux, mes vœux t’escortent. De toute manière, il est grand temps que tu évacues tes bas morcifs : je m’étonne qu’on ne soit pas encore allé t’emballer.
Là-dessus, je raccroche.
Ouf !
Pas tant que ça, mon pote !
Je reprends mon « ouf », et le coule pour une meilleure occasion dans le tiroir du dessous de mon slip.
Parce que, dans le mouvement que je fais pour m’éloigner du téléphone, je découvre un canon de fusil.
De l’autre côté du canon, se trouve une dame plutôt pas mal, quoique son expression manque d’aménité.
Elle est en chemise de nuit. Mais elle a enfilé un manteau par-dessus et chaussé des bottillons.
Je m’avise très tout de suite que son index droit repose sur la détente de l’arme.
Elle me fixe farouchement. Je me demande si elle n’aurait pas envie de défourailler sans explications, histoire de se défouler un brin.
J’essaie de lui placer mon charme nocturne, goût bulgare, pour dame de trente-cinq armée jusqu’au sein droit.
— Navré de vous importuner, chère madame, soyez pleinement rassurée quant à la pureté de mes intentions.
Elle m’interrompt d’une interjection que je ne saurais te traduire sans un dico franco-bulgare, mais qui devrait signifier : ta gueule !
Je la boucle.
Elle ponctue d’un mouvement ascendant de son arme.
Je me lève.
Et à présent.
Elle me parle.
J’y réponds dans mon français gazouilleur, à mélodiance bivalente, que je ne pige pas, alors que j’ai parfaitement compris qu’elle me demande de sortir en levant les bras.
Moi, j’ai tout de suite réalisé que le bureau n’est éclairé que par la lampe dont j’ai actionné l’interrupteur moi-même personnellement, en chair et noce de ma propre main, laquelle était droite, si tu veux tout savoir. Le fil de cette lampe descend du burlingue pour aller chercher une prise.
— Was dites-you ? je demande à la guerrière.
Et, de mon panard providentiellement déchaussé, je capte le fil, à travers la chaussette, lui fais décrire un discret tour mort après ma cheville, et attends.
— Go ! Go ! elle m’agonise, la dame.
Je lui indique, d’un n’hochage de tête, que j’ai pigé et je me mets en marche.
Un coup sec. Crac ! J’arrache le fil de la prise. Obscurité. Vite, à plat ventre. Hop ! je passe sous le bureau pour revenir derrière la jolie petite grand-mère.
Bien entendu, elle comprend que je cherche à la doubler et tire deux coups, pan, pan, contre moi qui ne lui prendrais pas très cher pour en tirer un troisième avec elle. Les deux volées de plombs fracassent du matériel de bureau. Comme il s’agit d’un flingot à double canon, je me dis qu’il va lui falloir recharger. Auparavant, je me redresse et l’enlace par-derrière ! Je ne m’en lasse pas de l’enlacer, chanson idiote. Ah ! la lutte ardente et noire que voilà ! C’est pas triste comme combat ! Tu sais qu’elle a pratiqué le judo, cette frangine, et qu’elle manque bel et bien me jeter ! Alors là, ça me ferait mal aux seins ! Je conforte ma prise, lui passe une clé santantoniaise aux jarrets (dévots), la plie, la vaincs. Elle est étalée au sol. Je suis sol, ce soir… Autre chanson. Moi, plaqué à elle de telle sorte de façon, mon pauvre petit, que j’ai mon museau d’archange vicelard en plein sur sa chaglattoune à crinière. Car, au cours de notre lutte, sa chemise of night s’est retroussée, nécessairement. Dans un bouquin à moi, comment en serait-il autrement, Bazu ? Elle se cambre, la fière si (au sud de chez Lippe[6]). Pour se dégager, mais ce chemin faisant, elle me brandit, si l’on peut dire (et tu parles qu’on peut ! la preuve) son aimable trésor, que moi, nonobstant les circonstances si hautement particulières, comment voudrais-tu que je résiste ? D’ailleurs tu ne veux pas, dégueulasse comme je te sais, voyeur, branleur à deux mains, toucheur. J’y vais d’une tyrolienne à ondes courtes magistrale. Sous le signe de la Veuve Clito. Essuyez vos moustaches ! Une que ça déconcerte foutriomphalement, c’est la dame qui est autour de ma menteuse. Qu’au grand jamais, dans ses territoires bulgares, on ne parlait de choses pareilles ! Elle crie non, non, dans sa langue maternelle, moi, avec la mienne d’origine, j’accélère mon credo voltigeur. Et, peu à peu, Ninette se dit que, tiens tiens tiens, c’est pas si mal que ça après tout ! Et que c’est même extrêmement bon. Et, pour aller jusqu’au fond de sa pensée : suave ! Goût suave the queen ! Elle scarabouille de la grande Albion, la chérie. Fini les regimbades. Oh ! mais c’est qu’elle découvre de l’inédit, ma flingueuse. Extase à tous les niveaux !
Trop aimable à vous, mon bon monsieur. Elle grand écarte progressivement, que ses cannes finissent par ressembler à un compas en train de tracer un cercle maximal. La taverne d’Ali Babasse ! Coupe sublime au nectar ensorceleur ! Mais qu’est-ce que je déconne, moi : ça ne s’arrange pas, la tronche ! Y a du cloaque dans mon bulbe, non ? Ils vont encore me traiter de libidineux, ces engoncés du faux savoir ! Tous les merdiques baveurs. Ratiosingeurs de mes merveilleuses couilles si altières. Vont dire que je complais dans le salace. Que je sarabande de la mouillette. Et pourtant, hein ? Je peux pas te passer sous silence l’agrément de cette minette improvisée ? Judo-bouffe party !
Je m’en goinfre, de cette nana soudainement débarquée dans mon destin, flingue en main ! Elle est délectable ! Qu’à peine eus-je le temps d’apercevoir sa figure, et déjà je suis attablé à son frifri gourmand !
Merde, y a bien qu’à moi, non ? Toi aussi ? Tu me raconteras, hein ? Dégustation à toute heure ! Son premier mouvement de défense calmé, son second mouvement de surprise surmonté, elle débouche dans les grands espaces de la volupté à l’état pur. Elle en oublie le B K P, Marx, Lénine, Paul et les autres. Le sensuel, rien ne le prévaut[7]. La furie de la chatte for ever, über alles, merci petit Jésus, ça c’est du meuble ! Elle se met à roucouler sur son plancher, la mignonne. Bengali song ! Aloyau, le chant des îles. Elle est tellement offerte, consentante et lubrifiée que je dois adopter la technique du crawleur pour pouvoir respirer à bon escient. Un coup à droite, un coup à gauche, et Dieu pour tous ! Merci, papa ! La très superbissimo séance paradisiaque, extatique, complète.
Je la drive de première, la camarade jeune dame. Lorsqu’elle est sur le point de partir, hop, hoooo ! Doucement les basses, je décélère, pas qu’elle s’envole trop vite, la belle colombe bulgare. « Chanson bulgare » il annonçait papa, quand y avait fête de famille et qu’il s’en était pris un coup dans les carreaux. Je t’ai jamais raconté, depuis le temps qu’on se pratique ? « Chanson bulgare ! » Alors il chantonnait un truc dans le genre de Hanana hanana, hrrrr, pfuuuuut ! Qu’il achevait en se mettant l’index dans le nez, puis en suçant le médius subrepticement, en laissant croire qu’il s’agissait du même doigt, papa. Les noces, les communions, baptêmes. Catholiques, apostoliques romains, tous à la maison. « Chanson bulgare ! », là, t’étais sûr certain qu’il avait sa dose, mon cher chéri, une toute belle biture dans les vasistas, et qu’il atteignait la cote d’alarme. M’man le regardait avec crainte. « Chanson bulgare », ça annonçait la couleur, le degré d’alcool, l’imminence de la beurranche intégrale, profonde, qui affecterait la journée entière, de celle que seule une nuit de dorme peut guérir.
Et voilà que je l’entends, la chanson bulgare à papa, fredonnée par une fille en pâmade. Je la glousse moi-même dans la case-extase à la personne. Et puis, pour t’en reviendre, une fois qu’elle s’est ressaisie, je ré-accélère pour lui remonter la mayonnaise au plus haut niveau, point de rupture, cirage. Lalalahitou, lahilahitou… C’est chouette, la vie dans ces cas-là. Tu la crois éternelle et belle, pas mesquine ni dangereuse, juste à notre convenance, quoi. Une sorte de bonheur, dans un sens.
Mais à la longue, ralentis ou ralentis pas, mon Pierrot, faut qu’elle parte en apothéose, ma noble conquête. Chanson bulgare, pour lors, ça oui, tu peux croire. Une bramante éperdue, qu’au début tu crois à un exercice d’alerte, en mélodieux. Elle fait « Vouhahahahaaaaaa yaaaa lalaasaa ». Et ce que ce cri serait beau, dans les montagnes, le soir, au crépuscule, s’en allant d’écho en écho, à perte d’ouïe, vers les confins d’Europe centrale. Loin, tout là-bas, chez les Ruskis, et plus loin encore. J’en ai des frissons jusque sous la langue, de l’entendre. Je serais pas en train de lui filer un petit doigt subsidiaire dans l’oigne, pour lui parachever l’agrément, je me signerais, tant tellement t’es convaincu, à un moment de cette qualité, que tu le dois à Dieu seul. O, mon doux Seigneur, tu n’es pas descendu racheter nos fautes en pure perte, crois-le bien, et ta mort n’est pas tombée dans l’oreille d’un sourd !
Elle est là, ma Bulgare. Silencieuse, terrassée par le panard à grand spectacle qu’elle vient de prendre. Respirant saccadé, la poitrine ronflante. Le gars ma pomme, nanti d’un tricotin atomique, hésite à faire jouer son ventral. Une bite de cette monumentalité, faut s’en débarrasser d’une manière ou d’une autre. Tu veux te promener, toi, avec une hallebarde pareille ? Pour aller où, hé, l’aminche ?
Calcer la môme serait la moindre de mes choses. Dans l’état qu’elle se trouve, elle ne serait même pas capable de souffler sur une mouche qui lui butinerait le bout du pif. Mais justement, je me dis qu’une tringlée autoritaire manquerait d’élégance. J’ai réussi à faire reluire cette petite fée (goût bulgare) de cette délicate manière, lui sauter dessus maintenant histoire de me démembrer la mâture passerait pour une égoïsterie masculine. Les misters-videburnes de la vie, à la tienne ! Ce sont eux qui font la déplorable répute des matous. C’est à cause de leurs goujateries libérateuses que ces connes fondent l’M.L.F. Un mouvement de mal baisées et de gouines, moi je déclare depuis le début. Les glandes uniquement qui les ont incitées. Jamais tu trouveras parmi ces amazones (d’influence) des poulettes royalement sabrées, je jure. Le régiment des chattes en berne ! La carotte, nous voilà !
Gentilhomme, Antonio. Fair play (et bosse). Je me remets dans le sens des aiguilles d’une montre et dépose un baiser sur chacune de ses paupières.
Est-elle sensible à cette marque de sympathie ? Toujours est-il qu’elle soulève ses stores. Je ne puis voir ce que contiennent ses yeux, étant donné la pénombre.
— Alors, la môme, je murmure, tu admettras, je l’espère, que c’est beau, la France, non ?