Chère Mado !
Dans sa limouille de noye, elle accède au sublime. La pure merveille. Tu croirais une statue de beurre. Lothe changée en saindoux. Sa frite est piquetée de points noirs très vigoureux pour leur âge. Tu souhaiterais les lui enlever à la gouge. C’est un outil qui m’a toujours fasciné, la gouge. Dans mes jadis, quand j’étais chiare, j’allais regarder œuvrer mon tonton Gustave, lequel, à l’époque, faisait dans la gravure pour un imprimeur sur étoffes. Il découpait des motifs dans d’épaisses tranches de bois qui ressemblaient à des gâteaux. Il se servait d’un maillet et d’une flopée de gouges de tailles variées. C’était passionnant. Je ramassais les copeaux de bois rouge. On voyait naître des fleurs, surtout des fleurs, avec leurs feuilles, tiges, corolles et pétaux. De toute beauté. Le bois, quel ami de l’homme !
Mado me considère sans rien marquer de ses sentiments pour l’idéale raison qu’elle n’en a pas.
— Navré de vous importuner, madame Moulfol, bredouillé-je, tout clappeux d’amour et de frivolance. J’ai besoin d’un petit renseignement.
Je la repousse doucettement.
Sa chambre ressemble à ce qu’elle doit être : conne à se pisser parmi, mobilier à la con, tapisserie hyperconne. Un rêve. L’écrin de rêve pour cette femme de rêve.
Le temps de considérer cet ensemble cacateux et vite je referme les volets, les rideaux, avide de pénombres voluptueuses.
La chambre est riche en effluves de tanière. Avec en suce, des élans olfactifs de ménagerie délaissée.
Une lampe de chevet à abat-jour jaune m’attire vers la couche, comme un phare bienveillant attire un navigateur vers l’entrée du port.
— Mado, ma chérie, mon idole, fais-je en l’étreignant en toute faroucheté, baisant ses lèvres molles, pétrissant son cul fluide, reniflant son parfum de femme croupie. Mado, ma folie, ma virgule, louche mobilisation de mes sens déréglés, je te veux une fois encore, mais vraiment, mais bellement, mais à l’aise.
Et tout en prononçant, je me dévêts à la diable — oh, celui là, il n’est pas de trop ! Mes fringues éparsées recouvrent l’hideux tapis merdiquement chinois, lui apportant une heureuse diversion.
Me voici nu.
Elle me dévisage Popof, si j’ose employer. Lui découvrant belle allure. Dans la bagnole, hier, elle n’a pu que s’en faire une idée générale.
Moi, hardant, je lui pose sa nuiteuse chemise. Hop, hop-là.
— Vous vouliez me demander quoi t’est-ce ? s’informe l’objet inanimé, mais sans âme, de mes désirs.
Ah, oui, c’est juste.
Je vais récupérer dans l’une de mes vagues les deux portraits-robots nés du mariage : Mathias-Riri.
Les lui montre.
— Ces deux hommes sont-ils venus déjeuner ou dîner à l’auberge ces temps derniers ?
Elle hoche la tête.
— Jean Marais est venu, il y a trois ans, avec sa fiancée qui rentrait du service militaire, mais on n’a jamais eu De Funeste. C’est dommage, qu’on lui aurait fait signer le livre d’or. Jean Marais nous a donné un orthographe très gentil, comme quoi il avait adoré le tournedos et le nègre en chemise. Et sur la page d’à côté on a un orthographe de M. Le Canuet.
— Ça n’est pas grave, dis-je, vous pourrez toujours coller par-dessus la photo de Jean Marais qui, lui, est un grand comédien. Ainsi ces deux portraits ne vous rappellent personne d’autre que les deux merveilleux comédiens que nous venons d’évoquer ?
— Ils devraient ?
— Je ne sais pas. Je vous pose la question.
— Non, non, personne.
— Fort bien. Maintenant oublions un instant la vie et ses misères, ma très belle, ma surdivine, mon emblême, mon état d’âme, toi dont le regard me met en état d’érection. O que te voici belle en cette nudité équestre, chère chérie. O que l’existence parcimonieuse sait parfois se montrer prodigue. Je te jouis du regard, ma splendeur. Viens t’abîmer au creux du néant le plus suave, ma fée Mélusine, ma fée Cellulite, ma conquête qui quête quiquette.
Et là-dessus, tel un ouragan sur la malheureuse Jamaïque si propice, je la renverse, l’empare, l’emporte, l’investit, la baise comme une vache. Gloire ! Gloire ! Elle réagit. Ce n’est pas une amante motorisée. Elle ne se révèle que dans un lit, et dans le sien de préférence, sur son terrain familier.
Oui, le miracle des miracles s’accomplit : Mado Moulfol prend son panard. Et, Seigneur, ce qu’elle est belle dans l’orgasme, mon étoile de margarine. Elle fait « afflou, afflou, afflou » comme les chaudières d’un steamer submergées par l’océan naufrageur. Elle tourne la tête brusquement à gauche, puis brusquement à droite, et vice versa, bis repetita placent. Elle va même, tiens-toi bien, et tiens-moi aussi par la même occasion, jusqu’à dodeliner le fion, tu m’entends ? Oui, mon grand : elle s’est rendu compte, cette fille bourrée de zob et de jugeote, qu’un mouvement complémentaire de son chef donnerait au mien sa pleine signification. Alors elle, tu sais quoi ? Remue. Je répète en deux mots : re-mue. C’est un résultat, non ? Tu verrais le Sana, défatigué, soudain, impeccable de brio, la tringlerie chevaleresque, Fontenoy, Austerlitz (et non pas austère Liszt, comme d’aucuns s’imaginent). La marche triomphale. Gloire immortelle de nos aïeux !
Je pourrais loncher jusqu’à la fin des temps. Je passe outre son fade. Continue imperturbablement ma limance. Ma vie ne sera jamais assez longue pour me porter à l’assouvissement complet. Elle s’apprête à remettre ça. Remet. Bravo ! Et de deux. Tu penses que ça va freiner ma fantasia ? Que nenni ! On continue. La valse du sommier. Epéda multispires, qu’est-ce qu’on risque ? Non seulement tu peux rêver à Tarzan sans faire chier ton vieux, mais tu peux brosser carrément avec Tarzan sans importuner le cocu endormi. Merci Epéda, le nobel du matelas, tu mérites ! M. Epéda à l’Institut, j’exige, et tout de suite, merde ! Quand tu ligotes la liste des kroums qui s’y trouvent, tu es en droit de demander l’élection d’urgence de M. Epéda, bienfaiteur de l’humanité. Tu parles d’une épée, Epéda, d’un espédassin ! La bouillave, il doit s’y connaître, ce gus, pour avoir inventé un truc pareil ! Multispires, fallait y penser, non ? Que tous les autres, jusque z’alors cantonnaient dans l’unispire. Mais non, Epéda, lui, multi, allez, hop ! Et que ça baise ! Je l’aime. Je lui rends grâce en tronchant la Mado Moulfol. En avançant en enfilade, je pense très fort à M. Epéda. J’ignore son prénom, et c’est dommage, sinon je l’aurais tutoyé. Et je te calce, je te cake. Le troisième feet se produit. Cette fois, elle l’a marqué d’un beau long cri, Mado. Elle a lancé un chant de triomphe, kif le mecton qui a planté son drapeau au sommet de l’Anapurna. Et l’Antonio continue. Impossible de l’arrêter. Je ne songe même pas à ma propre apothéose. J’en ai rien à branler. La lime. Tatsoin tatsoin, uniquement. Je foutrais le feu par frottement au frifri de Mado. Le mouvement perpétuel enfin découvert. Le prose à bascule. Jamais, c’est clair, je me mouille, mais j’ose le dire, jamais elle y est allée d’un pareil voyage, la reine du Saint-Hubert. Cette croisière, madoué !
Je pourrais manifester vocalement, lui dire des trucs salingues pour corser. Pas la peine. Je joue sobre. Tout dans les reins, le reste dans les coudes. Et ses fades se font de plus en plus rapides. Quatre ! Cinq ! Six !
Elle murmure qu’elle va en mourir. Tant pis, je paierai ce qu’il faudra. Je ne peux pas reculer, en tout cas pas plus que de vingt centimètres ! Elle chevrote, ma chevrette. Une tringlée pareille, faut remonter aux croisades, quand les potes rescapés de Godefroy de Royco rentraient déverrouiller bobonne afin de lui compenser les annuités de retard. Sept ! Huit ! Elle regimbe maintenant ! Elle rejambe. Dit que c’est trop ! Plus possible ! Que ça y est, elle est mortibus, de profundis ! Mais on me tirerait une salve de mitraillette dans le dossard que je poursuivrais en vers et contre toux ; en verve et contre tous. Peux plus stopper. Mon frein a sauté. Je dévale dans son corps, Mado. Elle jouit encore une demi-douzaine de fois, du bout des lèvres, puis perd conscience. Il n’importe. Je continuerai seul.
Encore, encore. Cent mille fois sur le métier je remets mon ouvrage. Tant qu’au bout du compte, et après des heures de folie, j’explose. C’est l’inouï à ma portée. J’entre dans une autre dimension. M’y engloutis.
— Mado ! Oh ! Mado ! Oh ! ma Mado !
Je me dégomme du néant, du baigneur de Mado.
M’abats sur le flan et j’aperçois le taulier, toujours en tenue de chasse, mais sentant la marée. Il est là, ce con, qui regarde à ne plus pouvoir. Qui a eu du mal à comprendre, mais qui a compris ; ne peut encore admettre ni tolérer. Et litanise ses « Mado, oh ! Mado », si curieusement qu’avec un accompagnement de jazz ça pourrait se chanter.
Fichtre Dieu, quelle heure est-elle ? Ciel : presque dix heures !
Il hennit, soit, car mal il pense. Se jette sur un tiroir, le tire comme on arrache un clou rouillé, prend un pistolet.
— Vous n’allez pas faire ça au moment où les Gault et Millau vont vous décerner les clés d’or de la gastronomie ! lancé-je.
D’emblée, il abaisse le canon ravageur de sa pétoire.
— Les clés d’or. Qu’est-ce que vous en savez ?
— Vous oubliez que la police est bien informée. Avant de débarquer chez vous, j’ai pris mes renseignements.
— Alors ce serait vrai ?
— Pensez-vous que je blufferais dans une situation pareille ?
Il hoche la tête, remise son feu.
— T’entends, Mado, ce qu’il dit ? fait le cher gargotier. Les clés d’or de la gastronomie…
Lors, Mado, contre toute attente, parle.
Oui, parfaitement, elle s’exprime vocalement.
Et sais-tu ce qu’elle profère ?
— Je m’en fous de tes clés d’or, tu pourras te les foutre dans le cul, pauvre pomme !
Très nettement, en mettant parfaitement l’accent tonique là où c’est nécessaire et en respectant la ponctuation, chose que seuls les acupuncteurs réussissent.
Elle se lève en geignant car elle a la Volga en flammes, ma tourterelle.
— Je pars avec lui ! elle déclare tout net.
— C’est pas vrai ! il clafouille, le malheureux. Mado, voyons. J’allais faire une mousse d’anguille que tu raffoles tellement !
— M’en fous, de ta mousse d’anguille…
Elle explique :
— Tu te rends compte qu’il m’a baisée jusqu’à ce qu’en évanouisse, Moulfol ? J’ai joui consciemment douze fois, ensuite, j’sais plus.
— Oui, c’est beaucoup, admet le vaincu.
— Et puis, c’est pas tout, poursuit l’impitoyable, il est monté pour. Toi, ton zizi est tout nerveux, tout grenu comme de la saucisse d’Auvergne…
— C’est pas ma faute, plaide le pauvre époux. Je faisais de mon mieux avec.
— Je te dis pas, Moulfol, mais y a rien de comparable…
Le bergiste baisse la tête, accablé par ce coup du destin.
Vaincu et l’admettant. Les testicules en berne.
— Mado, tu ne vas pas me quitter, dis ? larmoie-t-il.
— C’est la vie, que répond ma conquête.
Drôlement féroces, les nanas, quand elles n’aiment plus. Des couperets à cisailler le bonheur. Elles te hachent menu la félicité d’un bonhomme. Ne veulent rien savoir de ses chagrins, détresses, agonies de l’âme. Fini finito, te l’évacuent tel un tampon changé. Qu’il crève ! Y en a qui crèvent. J’en sais. N’ai connus. Le guignol : poum ! Qui craquait de désespoir. Elles s’en foutent. Pourvu que l’autre soit bien bandant, en forme, dans des douilletteries propices.
La Moulfol se tourne vers moi.
— On part tout de suite ou si vous préférez déjeuner d’abord ? Il va faire une mousse d’anguille, c’est sa spécialité.
Je l’imagine à mon côté dans l’existence, Mado. Me pointant chez nous, maman, avec ce tas pareil à la graisse d’un confit d’oie. La stupeur à Félicie, Seigneur ! Et puis moi débarquant dans des endroits que je fréquente, du genre intellectuels débonnaires. Cet éberluement général !
Elle m’excite dans son contexte, cette bonne truie. N’en est pas dissociable. Qu’autrement, ça devient plus rien, en très lamentable.
— Ma petite Mado, dis-je, vous n’avez pas le droit de quitter votre mari, qui est un homme de bien, plein de talent, un maître queux hors ligne…
— Vous pouvez pas comparer avec la vôtre, elle décrète.
— Sur le point d’obtenir les clés d’or de la gastro-entérite ! coupé-je. L’une des plus grandes toques de France, qu’on dirait la cheminée d’un paquebot grec. Non, non, ma jolie. Vous vous devez a lui, unis que vous fûtes par les sacrés liens du mariage. Songez à vos enfants.
— On n’en n’a point !
— A ceux que vous aurez !
— Je peux pas t’en avoir.
— Alors songez à ceux que vous auriez pu avoir. Ils vous crient, du fond de leurs limbes, ces chers innocents : « Maman, maman, n’abandonne pas papa ! »
— Je peux plus me passer de vous, éclate-en-sanglots Mado.
La chérie ! L’adorable ! L’exaltante ! O ces mots, comme ils musiquent mélodieusement à mes oreilles. Elle ne peut plus se passer de moi ! Aveu divin. Source d’énergie détonante. Mado, si bellissime, avec sa peau molle, ses points noirs, ses yeux d’un crétinisme éperdu. La troublante, la flasque !
Lors, le mari intervient, timide, mouillé d’amour, frileux d’espoir :
— Mado, monsieur le commissaire passera te voir ici, n’est-ce pas, monsieur le commissaire ? Même, il pourrait coucher avec toi, mes jours de halles, moi je dormirais dans une autre chambre, déranger personne vu l’heure que je me lève…
Quel grand cœur bat dans la poitrine foutrique de ce grand con !
— T’accepterais ? demande Mado, prête à un compromis.
— Mais j’insiste, Mado. J’insiste. Monsieur le commissaire, vous qu’êtes un homme de bon sens, qu’avez la tête sur les épaules…
— Et une bite comme ça, brandit-l’avant-bras Mado.
— Et une bite comme elle dit, consent à inclure Moulfol, vous ne pensez pas que cet arrangement conviendrait à tout le monde ? Bien entendu, je ne vous compterais pas la chambre ni le petit déjeuner ; vous auriez juste votre dîner avant de monter dormir.
— Si tu crois qu’il viendra pour dormir ! place ma bouleversante maîtresse.
L’homme toussote et se détourne.
Je regarde ma partenaire. Une gigantesque envie de lui faire rebelote me point. Un vrai mystère ! Je ne vais pas pouvoir attendre plusieurs jours, moi. Oh ! la la ! que non.
— C’est à envisager, certes, admets-je, mais si vous le permettez, cher ami, je vais en discuter avec Mado pendant que vous allez confectionner votre matelote d’anguille.
— Ce n’est pas une matelote, mais une mousse, rectifie le cuisinier. Autrement délicat à préparer.
Il s’en va. On l’entend fredonner dans l’escalier. Je remets le verrou.
— Regarde, dis-je à Mado en lui désignant mon métronome a frifri, c’est mon chant du coq !
Et tout recommence.
— Vous ne voulez pas un petit Meursault avec la mousse ? demande Moulfol à voix basse, car je suis installé au téléphone.
— Non, non, du Bourgueil ! C’est le sang de la France.
Il hoche la tête, impressionné par cette formule tricolore.
Ça carillonne à la maison. Enfin, maman décroche, essoufflée.
— C’est toi. Je t’ai fait attendre, mais figure-toi que je ne parviens pas à ouvrir la porte des toilettes au rez-de-chaussée, comme si elle était fermée de l’intérieur.
— Elle l’est, maman. Pinaud y roupille depuis hier soir.
— M. Pinaud ! Mon Dieu, il ne serait pas malade ?
— Non, non, il dort. Il finira bien par sortir. Utilisez les tartisses du premier en attendant qu’il quitte sa chambrette. A part ça, quoi de neuf ?
Comme si je ne le savais pas, ce qu’il y a de neuf. Il y a de neuf le Vieux, pardine. Et m’man me relate le coup de turlu incendiaire qu’elle vient d’essuyer, la pauvre choute, comme quoi je suis banni à tout jamais, expulsé de la Rousse, excommunié. Quand il ne m’a point vu dans son antichambre, à dix plombes, aussitôt il a prévenu qui de droit. Sanctions disciplinaires au plus grave niveau. Fini, Santonio. Trop individualiste. Son s’enfoutisme est un mauvais exemple, pernicieux à outrance au moment où les poulagas descendent monomer dans la rue, avec des pancartes revendicateuses.
— Il m’a laissé un numéro où il te sera possible de le joindre avant midi, annonce ma chère Félicie pour conclure. Tu devrais peut-être lui lancer un petit coup de fil, non ?
Ce conseil, par esprit de devoir. Pour mon standinge professionnel, que sinon, elle en rêve, je te dis, de ma mise à pince, maman. Mais elle sait bien, dans son for intérieur, que ça ne se produira jamais.
— Je vais le noter, dis-je pour la rassurer.
Et de sortir mon porte-cartes plein de petits bouts de papelards portant des notes, des adresses, des réflexions, menus fafs dont je ne me ressers jamais.
Que j’évacue lorsque je juge mon larfouillet trop rebondi.
Elle me dicte un numéro de Passy. Je griffonne distraitement. Distraitement car mon regard toujours à l’affût s’est posé sur une tache jaunasse-verdâtre qui s’inscrit à travers le plastique transparent du porte-brèmes. Il s’agit d’un billet de cinq cents pions. Mais pas d’un billet courant, un faux talbin que j’ai conservé en souvenir d’une enquête sur une affure de fausse mornifle. Je le garde comme on laisse traîner un gadget sur un meuble, sans se décider à l’évacuer par le vide-ordures. Et bon, pendant que ma douce mère m’articule le numéro de raccroc du Dabe, une idée me télescope la coiffe ; une très choucarde idée, un poil rocambolesque, mais pas trop, compte tenu du participant auquel je veux l’appliquer.
Et plus je me la distille, plus je la juge intéressante, susceptible de porter des fruits.
Maman me lance vivement qu’elle entend la chasse d’eau de nos chiottezings du bas. J’espère que la Membrure ne s’est pas suicidée par trombe d’eau ? Tu l’imagines, l’épave, engouffrant le siphon des toilettes et s’abîmant corps et montre dans les tuyauteries jusqu’à la fosse à merde ? Sa fin excrémentielle, César. Troumf ! Un colombin de mieux. Ici repose César Pinaud, poulet de métier, ami fidèle, baderne de naissance…
Je raccroche.
Mon déjeuner est servi par un Moulfol aux petits soins, frémissant comme un chiot. Que sa dame a exigé de bouffer en tête-à-tête avec moi (en anglais : with me). Et c’est ma pomme qu’elle dévore du regard. Le traumatisme intégral. Je la fais devenir chèvre, cette vachasse. Tout commence et tout finit par le fion, ici-bas, le reste n’est que littérature de branleur.
Je clappe d’appétit, malmené par mes prouesses plumardières. Alfa, c’est les chevaux de feu, moi, c’est le piston incandescent. Va falloir que je me l’enveloppe dans de la mousse carbonique, miss Coquette, sinon elle va s’éplucher comme une banane.
A propos de mousse, celle d’anguille est succulente. C’est pas un bon baiseur, Moulfol, mais il s’exprime beaucoup mieux au piano qu’au dodo. Les clés d’or, je pense pas, mais il l’aura sa toque et sa petite étoile, un jour bientôt.
— A quoi t’est-ce vous pensez ? me demande Mado, enamourée. A nous deux ?
— Gagné ! Vous continuez ?
En fait, je pense à mon faf de cinq cents points de la très sainte farce.
Je sais comment l’utiliser, mais c’est la suite des événements que j’aimerais mettre au point.
Je me dresse comme un diable de sa boîte, une bite d’une braguette ou comme tout ce qu’il te fera plaisir de vouloir, merde, je ne vais pas user mon temps en métaphores de concierge en chômedu, non !
— Vous allez où est-ce ? demande Mado.
— Mettre ma montre à l’heure.
— Faisez vite, parce qu’on va nous servir le poulet au vinaigre.
— Considérez que je suis déjà de retour, ma tendre maîtresse, réponds-je, en la voussoyant pour la commodité du service et en l’appelant « maîtresse » pour faciliter celle de nos transports en commun. Si drôlement dégueulasses, moi je te le dis ; parce qu’une limerie pareille, c’est tunique dans les anus.
En trombant, je fonce à la recherche de Mister Tournelle, dit Riri.
Il est occupé à fendre des bûches sous le hangar, vu que Moulfol est un cuisinier formé à l’ancienne école et qu’il prépare sa tortore au feu de bois.
Me voyant radiner, il prend une mine tout enchifrognée. Je ne lui présage rien de fameux.
— Riri, dis-je, une chose me turlupine dont j’aimerais avoir le cœur net. Tu veux bien, je te prie, me montrer à nouveau ton magot ? Il s’agit simplement d’y jeter un coup d’œil.
Le gars renifle des choses, plante sa hache dans le billot avec presque autant de satisfaction que si c’était dans mon crâne et m’emmène chez lui.
Détail amusant : il a changé de cachette du fait que je connaissais la précédente. Maintenant, son auber est punaisé sous la table. Bon, il va devoir se mettre la cervelle en pas de vis pour dégauchir une troisième astuce.
J’ouvre son enveloppe, tire un talbin d’une liasse et m’approche de la fenêtre histoire de le mirer en transparence.
— Mouais, mouais, mouais, soliloqué-je (à l’économie, ça, j’en conviens). Mouais, mouais, mouais, c’est bien ce que je pensais…
Tu le verrais fondre comme une bougie de boîte de nuit, le gus ! On dirait que sa frime s’allonge de dix bons centimètres.
— Quoi ! Quoi ! Quoi ! il lance en ouvrant grand son bec.
Les corbeaux sont dans la plaine !
— Les deux types t’ont possédé, mon pauvre Riton.
— Possédé ?
— Ils t’ont payé avec de faux billets.
Il est tellement décomposé, ce chéri, que sa bouille ressemble à une tête de mort. Tu peux lui compter les chailles à travers ses lèvres.
— Tout à l’heure, j’ai eu une curieuse impression en voyant tes talbins, mon grand. Et puis ensuite je me suis mis à réfléchir. Des anomalies me sont apparues en mémoire. Attends, bouge pas, tu vas piger.
Je tire mon porte-lasagne et sors le billet bidon cité quelques merveilleuses pages plus haut, à peine.
— Tiens, fils, si tu n’as pas de la terrine de lièvre en guise de cervelle, compare et comprends. Sur l’avers et sur l’envers du billet il y a des églises. Sur l’église de l’envers, on peut voir un clocher dont l’horloge indique l’heure, tu aperçois bien ?
— Voui.
— Ta vue est bonne, fiston ?
— Moui.
— Alors il est quelle heure à tes billets, à toi ?
— Dix heures, il me semble ?
— A moi aussi, il me semble. Et il est quelle heure au mien, gros malin ?
Il exorbite des coquilles.
— Neuf heures vingt, non ?
— Oui, mon grand. Et attends, ce n’est pas tout. Sur la partie face, on distingue, dans le lointain, tout à fait sur la droite, une petite maison au toit noir. La maison de mon faf comporte six fenêtres ; sur les tiens, elle en possède huit ! De plus tu peux te rendre compte, en le comparant de façon très serrée, que la couleur diffère un brin. Le jaune de tes talbins est plus pisseux que le jaune du vrai, t’es d’ac ?
— Zoui.
Voilà, terminé, vaincu, ruiné, out.
Je récupère mon faf. D’un geste dérisoire, je brouille les siens, comme un jeu de cartes.
— Tu sais ce que je ferais, à ta place ? J’en tapisserais mes chiottes, ce serait marrant, non ? Surtout, n’essaie pas de les écouler, tu te ferais poirer et tu sais ce qu’il en coûte ? Lis le texte, là, concernant l’article 139 du Code Pénal : réclusion criminelle à perpétuité ! Tu sais que c’est longuet, perpète. T’as beau compter les jours, les années, y en a toujours davantage derrière !
Riri se laisse tomber sur la chaise la plus dépaillée. On sent que son existence vient de s’infléchir du côté du précipice.
Je lui tapote l’épaule.
— Ils t’ont eu, mon vieux lapin. Comme quoi, tu le constates : quai Malaquais ne professe magie. N’empêche qu’il est con que tu ne possèdes pas l’adresse de tes deux vilains guignols, t’aurais eu deux mots à leur dire, non ?
— Le poulet au vinaigre est sur table ! m’avertit charitablement Mado Moulfol, laquelle vient de clapper les deux pilons en m’espérant.
Elle se sert une aile afin de fêter ma venue.
Je dépose un bisou fripon sur sa nuque en peau d’andouille.
— Impossible de déguster, ma chérie, une affaire de la plus haute importation m’appelle à Paris, je viens d’en être informé à l’instant.
— Mais y a pas eu de téléphone pour vous !
Je sors d’une poche ma petite calculatrice réclame, offerte par une maison de débigornage.
— Je suis relié à mon P.C. par modulation de fréquentation.
— Ah, non. On n’arrête pas le…
— Non, confirmé-je, il va trop vite.
Pendant qu’elle m’admire, je fonce au biniou, fais mine de turluter, et entreprends de le détériorer, en diffasant l’incommodeur de blennorageance.
Bon, ils seront sans turlu aujourd’hui, les Moulfol’s. Déjà que les clients sont rares, en cette saison… Mais tous les moyeux sont blonds pour aviver sa faim.
Re-bise à la patronne, compliments réitérés au patron. Je lui dis ma navrance de ne pouvoir déguster son poulet au vinaigre, ce sera pour la prochaine fois. Je promets de revenir bientôt.