— Non, lui re-réponds-je, non, vous n’êtes pas l’assassin, et cependant, sans le vouloir, vous êtes la cause du meurtre.
— Moi !
— Vous.
— Je…
— Tu, il, nous, vous, ils, achevé-je pour la bonne règle. Avez-vous votre idée quant à l’identité du meurtrier ?
— Ma femme ?
— Non.
— Alors je donne ma langue au chat.
— Votre épouse en sera ravie. C’est elle qui vous a parlé de ce manuscrit ancien décrypté par Bruyère-Empot ?
— Non, c’est lui, un jour que nous déjeunions chez les d’Anqueu de Ploton. Il savait que je m’intéressais, non pas aux langues orientables[25] mais aux antiquités de cette région.
— Et alors ?
— Je lui ai demandé de me le montrer.
— Il a accepté ?
— Naturellement.
— Et puis ?
— J’ai été terriblement excité.
— A cause de la découverte qu’il recelait ?
Il hoche la tête.
— Dans un sens, oui. Bien que…
— Alors vous vous êtes mis dans la tête de posséder ce manuscrit.
— Hélas, oui.
— Pour ce faire, vous avez soudoyé le bon jeune homme que voici ?
— Exact.
— Il a accepté de s’emparer de la chose moyennant la confortable rétribution de cinq millions anciens, seulement il avait peur.
— Oui.
— Alors, pour détourner les éventuels soupçons qui pèseraient sur lui, vous avez imaginé que des hommes mystérieux voulaient négocier l’achat du document avec Bruyère ?
— Exact.
— D’où ces coups de fil anonymes chargés d’alarmer le cher comte, lequel, bien entendu, les a envoyés au bain ?
— Toujours juste.
— Riri, ici présent, vous a donc donné la chose ; vous lui avez remis le fric promis, et le comte s’est cru volé ?
— Parfaitement.
— Pourquoi n’a-t-il pas porté plainte ?
Là, il est gêné, ce grand dégueulasse. Il baisse la tête, ce qui ne m’empêche pas de lire en lui.
— Mouillechagatte, je suppose que vous l’avez menacé — anonymement, bien sûr — de faire éclater un grand scandale à propos de ses relations avec votre délicieuse épouse ? Cet homme d’honneur a donc renoncé à prévenir la police.
Il n’opine plus, ce vieux triqueur. Pas flambard. Se rend compte de l’étendue de sa dégueulasserie à présent que je l’étale sur le fil de la vérité. (Ce que c’est bellement dit ! Mon bicorne, ça vient, voui ? Dutourd, merde, qu’est-ce que tu fous !)
— C’est cette saloperie qui a causé la mort du comte, déclaré-je tout de go.
— Co o o mment ça ? balbutie-t-il.
— Le photographe de presse qui lui avait remis sa trouvaille à traduire a voulu la récupérer. Alors le comte s’est mis à ergoter puisqu’il ne pouvait dire qu’on la lui avait volée. Il a gagné du temps, mais l’impatience du garçon montait, montait. Les appels téléphoniques se faisaient de plus en plus aigres et comminatoires entre eux. Tant qu’en fin de compte, pensant que Bruyère voulait l’arnaquer, Léon de Hurlevon est allé le voir, muni d’une arme à feu comme on écrit dans les rapports de police. Le comte lui avait fixé rendez-vous en forêt afin que les éclats qu’il prévoyait échappassent à ses domestiques. Ce qui s’est passé alors, entre les deux hommes, on ne le saura jamais, mon cher Mouillechagatte. Toujours est-il qu’au cours de cette fâcheuse entrevue, le bon comte (qui ne faisait pas en l’occurrence les bonzes amis) fut trucidé. Fou d’épouvante devant sa réaction, Hurlevon s’enfuit sur sa moto de feu et se péta la gueule dans l’heure qui suivit, ce qui constitue une fin assez shakespearienne, non ?
— Ce sont les meilleures, répond Adolphe. Mon Dieu, si j’avais su.
Remords tardifs, comme le château du presque même nom ; mais à enregistrer pourtant à toute (ma) fin utile.
— Et à présent, mon compère, si vous me disiez ce que recèle ce manuscrit ? De quelle découverte jugée la plus importante après celle du feu et de la roue, il est question sur ce vénérable parchemin ?
Mouillechagatte reprend des couleurs.
Réanime d’excitation.
— Un document inestimable, s’exclame-t-il, du plus haut intérêt !
— Eh bien ! disez-moi, mon cher, disez-moi !
Il retient pour quelques secondes encore son secret, histoire de le déguster une suprême fois.
— C’est la formule de la poudre à canon, monsieur le commissaire.