CHAPITRE XII

— Il s’agit d’un des oligarques les plus riches du pays, lié au système Koutchma, expliqua Evgueni Tchervanienko. Il est dans le pétrole, producteur de vodka et importe des télés. B s’appelle Igor Baikal. Le portable a été enregistré au nom de sa société de production de vodka, mais à son adresse personnelle, sa datcha d’Osogorki.

Satisfait, le responsable de la sécurité de Viktor Iouchtchenko alluma un cigare. Malko n’en revenait pas. La permanence du candidat de la «révolution orange» était particulièrement calme ce matin là, et il n’avait même pas aperçu la belle Svetlana, la boudeuse du vol de Moscou. La découverte d’Evgueni Tchervanienko ouvrait des horizons.

— Quel pourrait être le lien de cet oligarque avec notre affaire ? demanda-t-il.

— À première vue, je ne vois pas, avoua Tchervanienko. Igor Baikal n’est pas un politique. Il fait du business, c’est tout. Comme c’est l’équipe Koutchma qui est au pouvoir, il marche avec eux. Mais il a donné un peu d’argent à la «révolution orange». Il préserve l’avenir.

— Vous le connaissez ?

— Pas personnellement. Il sort peu. Je sais seulement qu’il est lié à Vladimir Satsyuk, qui est plus ou moins son voisin. Et que ce sera extrêmement difficile d’enquêter sur lui. Il a tout le gouvernement actuel dans sa poche. En plus, c’est un ancien mafieux, qui, en 1993, a fait alliance avec le SBU pour sauver ses affaires. À l’époque, il importait la vodka Smirnoff et possédait des boîtes et des restaurants. Quand le SBU a décidé de s’approprier les affaires des mafieux, il a eu l’intelligence de traiter avec eux.

— C’est peut-être là qu’il faut chercher, avança Malko. Vous pourriez retrouver ses interlocuteurs d’alors au SBU ?

— Je vais essayer, promit Tchervanienko. Mais cela sera très difficile. Il y a plus de dix ans de cela. Dobre, je vous laisse.

— Vous avez un numéro de téléphone pour Igor Baikal ?

— Oui, mais il ne répond jamais lui-même. S’il découvre de quoi il s’agit, vous n’arriverez jamais à l’avoir et, si vous insistez, il vous fera liquider.

Encourageant.

Malko pensa soudain à Tatiana, l’assistante de Vladimir Sevchenko, qui devait arriver par le vol d’Athènes au début de l’après-midi.

— Vous pensez que Vladimir Sevchenko connaît Igor Baikal ? demanda-t-il.

Evgueni Tchervanienko éclata de rire.

— Bien sûr ! Mais ils ne se sont pas vus depuis un moment. Demandez-lui quand même.

Malko ressortit perplexe de cette entrevue. Pourquoi un milliardaire abritait-il un petit voyou polonais dans sa datcha ? Qui le lui avait demandé ? S’il répondait à cette question, il pénétrerait au cœur du complot monté pour liquider Viktor Iouchtchenko.

Mais c’était comme plonger dans un marigot grouillant de crocodiles très affamés.


* * *

Noyé dans la foule de l’aérogare de Borystil, Malko guettait la porte coulissante par laquelle les voyageurs quittaient la zone sous douane. Pendant le trajet, il avait beaucoup réfléchi. Plus qu’un combat d’arrière-garde, il avait la sensation qu’il menait une vraie bataille. Son sixième sens lui hurlait en effet que ceux qui avaient tenté d’éliminer Viktor Iouchtchenko de l’élection présidentielle n’avaient pas renoncé.

Tatiana Mikhailova émergea des deux battants de verre dépoli comme une déesse. Drapée dans un manteau de fourrure de coupe très mode, qui tenait du poncho, de l’étole et de la peau de bête de l’époque jurassique… Dessous, elle était moulée dans un cachemire noir et un pantalon de cuir. Les seins étaient toujours aussi aigus et le regard aussi dur. Il s’adoucit lorsqu’elle aperçut Malko et, sous le regard ahuri des badauds, vint se coller à lui, dardant jusqu’au fond de son gosier une langue vive comme celle d’un lézard. Malko eut la sensation de recevoir une décharge de 100000 volts.

Dobredin, dit-elle joyeusement, quand elle eut repris son souffle. Vladimir Ivanovitch m’a chargée de te transmettre toute son amitié. Il regrette de ne pas avoir pu venir.

Son bassin se frottant à celui de Malko s’appliquait activement à la transmission de cette amitié. Il entraîna la Russe avant qu’un milicien ne les arrête pour attentat à la pudeur… En touchant son manteau, il réalisa, à sa douceur, qu’il s’agissait de zibeline… La fourrure la plus chère du monde.

— Ce que tu portes est magnifique, remarqua-t-il. Tu as trouvé ça à Chypre ?

— Non, à Paris, chez Revillon, fit simplement la Russe. Vladimir avait de l’argent là-bas. Je l’ai utilisé.

Malko la guida jusqu’à son taxi loué au Premier Palace, une superbe limousine Mercedes 600, et Tatiana s’étala voluptueusement sur les sièges arrière.

— J’ai un message pour toi ! annonça-t-elle. De la part de ton ami.

Malko n’eut pas le temps de demander la teneur du message.

Sans se préoccuper du chauffeur, Tatiana avait posé la tête sur ses cuisses. Elle entreprit immédiatement de déboucler la ceinture Hermès de Malko. En sentant sa langue s’enrouler autour de lui, celui-ci se souvint du surnom donné à Tatiana par Vladimir Sevchenko. Elle n’avait pas perdu la main, si on peut dire. Il explosa dans sa bouche juste avant le grand pont sur le Dniepr et ne put s’empêcher de crier, ce qui provoqua une légère embardée de la lourde Mercedes. Il avait l’impression qu’on venait de lui aspirer la moelle épinière. Le chauffeur, lui, serrait son volant comme pour l’étrangler.

Tatiana se redressa, impassible, et lança :

Dobre. Zu rabote Qu’est-ce que je peux faire pour toi ?

Malko laissa ses neurones reprendre leur place tandis qu’elle allumait une cigarette, fière de cette démonstration de son savoir.

Il valait mieux ne pas la présenter à Irina, qui flairerait immédiatement une rude concurrence.

— J’ai besoin de joindre quelqu’un, fit-il. Un certain Igor Baikal. Tu le connais ?

— Non, mais je vais demander à Volodia.

Il lui avait réservé une chambre à côté de la sienne. À peine arrivée au Premier Palace, elle appela Chypre sur la ligne personnelle de l’ancien mafieux. Celui-ci tint à parler lui-même à Malko qui réitéra sa demande. Vladimir Sevchenko éclata de son gros rire.

— Igor Baikal ! Bien sûr que je le connais ! Il a gagné beaucoup d’argent avec la vodka. C’est le plus gros producteur d’Ukraine. À un moment, il a même racheté toutes les boîtes de nuit de Kiev. Les anciens propriétaires ont terminé dans le Dniepr. Il était protégé par Koutchma, mais ce n’est pas un politique. Son grand copain, c’est Oleg Budynok, le chef de l’administration présidentielle. C’est aussi son associé. Qu’est-ce que tu lui veux ? Attention, ce n’est pas un craintif.

— Lui poser une seule question, lui dit Malko. Tu crois que c’est possible ?

— Je vais le joindre. Je te rappelle.


* * *

— Tu appelles le 228 8027, dans une heure, annonça Vladimir Sevchenko. Et tu ne communiques ce numéro à personne. Quand Igor te donnera rendez-vous, tu y vas seul. Même Tatiana ne peut pas t’accompagner. Il accepte de te voir parce que jadis je lui ai rendu un grand service et qu’il voudrait bien investir à Chypre. Mais fais attention.

— C’est-à-dire ?

— Il s’est engagé à te recevoir. C’est tout. Tu y vas à tes risques et périls.

Malko crut qu’il plaisantait.

— Tu veux dire que…

Vladimir Sevchenko eut un rire assez sinistre.

— Tu sais ce qu’il faisait à un moment ? Il avait dans un entrepôt de grandes cuves de vodka qui vieillissait. Il importait de la Smirnoff et en fabriquait autant clandestinement. Quand il avait un concurrent, il l’invitait à dîner et ensuite ils allaient dans son Jacuzzi, avec des filles toujours superbes. Il le faisait boire, les filles s’occupaient de lui. Quand il était à point, on le balançait dans une cuve. Un jour, la Milicija, en vidant une cuve, a trouvé six cadavres conservés dans la vodka… L’affaire a été classée, grâce à Budynok. Voilà. Tu es un grand garçon…

— Merci, fit Malko.

Visiblement, son «contact» réclamait certaines précautions. Laissant Tatiana descendre au fitness club, il fila à l’ambassade américaine. Lorsqu’il annonça au chef de station qu’il avait identifié le protecteur de Stephan Oswacim, l’Américain faillit l’embrasser sur la bouche.

— C’est formidable ! exulta-t-il. On va franchir une sacrée étape.

Quand Malko lui eut décrit le personnage, il fut moins enthousiaste.

— Vous croyez vraiment qu’il faut y aller ?

— C’est la seule chance d’avancer. Pouvez-vous mettre son numéro sur écoutes ?

— Bien sûr, approuva l’Américain, mais cela prendra quelques heures et on ne pourra pas écouter les conversations, simplement enregistrer les numéros appelés et ceux qui appellent.

— C’est déjà pas mal. Igor Baikal n’est pas un simple exécutant. S’il accepte de coopérer, nous remonterons très haut dans le complot.

— Dieu vous entende ! soupira l’Américain. À Langley, on est très inquiet pour l’avenir de Viktor Iouchtchenko. Ses partisans continuent à occuper le terrain, mais ce calme de l’autre côté ne me dit rien qui vaille. Or, Viktor Ianoukovitch sait qu’il n’a aucune chance de l’emporter le 26 décembre. Je n’arrive pas à croire que Vladimir Poutine lâche la partie si facilement.

— Moi non plus, conclut Malko.


* * *

Nikolaï Zabotine regarda pensivement le portable sécurisé qui le reliait au Kremlin. Certes, il était protégé par un code très sophistiqué procuré par le FSB, mais il se méfiait de la technologie américaine. Si une seule de ses conversations était écoutée, cela pouvait avoir des conséquences incalculables. Pourtant, le coup de fil qu’il venait de recevoir, hélas sur une ligne non protégée, lui confirmait une de ses plus grandes craintes : en dépit de ses efforts pour établir un cordon de sécurité autour de son opération, l’agent de la CIA s’approchait d’un point ultrasensible. Bien sûr, Nikolaï Zabotine avait toute latitude pour prendre les contre-mesures nécessaires, et c’était déjà fait, mais il devait rendre compte à l’homme qui l’avait envoyé à Kiev. Cela devenait un problème politique. La mort dans l’âme, il se résolut à composer un numéro qu’il avait appris par cœur. Même si on le criblait, on n’aboutirait qu’à un bureau annexe de l’administration du Kremlin, au nom d’un obscur fonctionnaire qui ignorait même que ce téléphone, dans l’annuaire administratif, se trouvait à son nom.

Lorsqu’il eut son interlocuteur en ligne, il relata avec précision et rapidité les derniers événements. La voix neutre de Rem Tolkatchev conclut simplement :

— Continuez à agir comme vous l’avez fait.

En clair, cela signifiait : continuez à éliminer tous ceux qui se mettent en travers de votre chemin. Il fallait tenir encore cinq jours. Donc sécuriser la dernière phase de son opération, ce qui aurait dû être fait par cet imbécile de Polonais.


* * *

Malko composa avec soin le numéro communiqué par Vladimir Sevchenko. Tatiana était à côté de lui, silencieuse et attentive.

— Tak ?

Une voix d’homme, basse et rauque, comme celle d’un grand fumeur.

— IgorBaikal ?

— Tak.

— Je suis l’ami de Volodia Sevchenko, dit Malko. Je veux vous voir.

Visiblement averti, Igor Baikal n’hésita pas une seconde.

— Une voiture viendra vous chercher dans une heure devant l’hôtel. Venez seul…

Ils avait déjà raccroché.

— Il t’a dit où c’était ? demanda Tatiana.

— Non.

— C’est ennuyeux. Tu as besoin de protection. Je vais m’en occuper, tout de suite.

Ils était déjà cinq heures de l’après-midi. Tatiana sortit de la pièce. Malko descendit prendre un café. L’homme qu’il allait rencontrer connaissait-il l’échelon supérieur du complot ? Accepterait-il de parler ? De donner un seul nom ? Ils y avait des chances que la majorité politique bascule dans les prochaines semaines, donc, il avait tout intérêt à préserver l’avenir…

C’est du moins ce que se dit Malko en prenant l’ascenseur. Une fois de plus, il allait jouer avec le feu. À six heures pile, une Opel beige vint se garer en face de l’entrée du Premier Palace. Son conducteur baissa sa glace et demanda :

Pin Malko ?

Da.

— Montez.

Malko prit place à l’avant et le conducteur repartit aussitôt. Du coin de l’œil, il aperçut une voiture décoller du trottoir, derrière eux. Tatiana veillait sur lui. Son véhicule descendit jusqu’en bas de Tarass-Sevchenko, puis tourna à gauche dans Khreschatik, barrée deux cents mètres plus loin par le rassemblement des partisans de Iouchtchenko.

Soudain, le conducteur de la voiture ralentit, donna un coup de volant et monta sur le trottoir de droite ! Il le traversa en biais, fonçant vers une ouverture voûtée, surmontée d’un panneau publicitaire pour un casino. Malko se dit qu’ils auraient pu aller à pied… La voiture, sans souci des passants, s’engouffra à toute vitesse sous la voûte et s’arrêta dessous, bloquant le passage. Le chauffeur se tourna vers Malko et lança :

— Vous descendez !

Malko, interloqué, obéit.

Au-delà de la voûte, il aperçut une petite cour où était garée une Mercedes 600 noire. Un chauffeur en jaillit et ouvrit à Malko la portière arrière, avant de se remettre au volant. L’autre voiture bloquait toujours le porche. Malko comprit l’astuce. De l’autre côté de la voûte, il y avait une rue parallèle à Khreschatik, qui permettait de s’éloigner du centre. Il tapa contre la vitre blindée. Un claquement sec lui apprit que les quatre portières venaient de se verrouiller.

Il se retourna : pas de Tatiana.

Le chauffeur avait levé la glace de séparation. Malko en profita pour prendre son portable et appeler Donald Redstone. Pas de réseau. À la quatrième tentative, il comprit : le chauffeur avait activé un champ magnétique qui empêchait de téléphoner. Personne ne savait où il se rendait et il ne pouvait joindre personne. Ou Igor Baikal était un homme extrêmement prudent, ou il avait de mauvaises intentions à son égard.


* * *

La Mercedes 600 avait franchi le pont Pivdenny, le plus au sud sur le Dniepr. Arrivé dans Mykoly-Bazhana Pro-pekt, le chauffeur tourna à droite, entrant dans une zone industrielle sinistre et s’enfonçant ensuite sur une route rectiligne et déserte, filant vers le sud. Malko aperçut un panneau : Sadova Boulvar. La zone industrielle disparut, faisant place à des datchas essaimées dans un paysage pouilleux, de part et d’autre de la route, entrecoupées de terrains vagues. Cela n’avait rien de luxueux, plutôt des pavillons. Pas un commerçant ! Il réalisa qu’il se trouvait pourtant à Osogorki, là où tous les oligarques de Kiev possédaient une datcha. Ce n’était pas le luxe moscovite. Les maisons étaient affreuses, souvent inachevées. Il se retourna : personne ne les suivait. Tatiana avait bel et bien été semée. La voiture ralentit. Ils longeaient un haut mur fait de plaques de béton accrochées les unes aux autres, surmontées par endroit d’une caméra. Puis la Mercedes 600 s’arrêta devant un portail métallique bleu, encadré par deux caméras. Le chauffeur donna deux coups de klaxon légers et le portail s’ouvrit en coulissant.

Malko aperçut une cour où plusieurs voitures étaient garées et différents bâtiments sans grâce, évoquant plus un camp de concentration que le palais de Versailles. Quelqu’un ouvrit sa portière, il émergea de la Mercedes face à deux malabars en noir, le crâne rasé.

L’un d’eux s’approcha avec un sourire froid.

— Pajolsk.

Rapidement, il tâta Malko, trouva immédiatement le Glock et le prit, sans commentaire. Malko suivit ensuite les deux hommes jusqu’à un second bâtiment en rotonde. On le fit entrer dans un petit salon désert, meublé en faux Louis XV dégoulinant de dorures, au sol recouvert de tapis caucasiens. Un grand lustre, dont plusieurs ampoules étaient grillées, jetait une lumière glauque. Le silence était absolu. Soudain, une porte s’ouvrit sur ce qui ressemblait à un ours. Un homme drapé dans un peignoir de bain, mesurant près de deux mètres, les yeux charbonneux, les mains et les mollets extraordinairement poilus, s’avança vers Malko et le serra contre lui, à l’étouffer.

Dobredin ! Quelle joie de recevoir un ami de Volodia ! Comment va-t-il ?

Les deux hommes qui avaient accueilli Malko s’éclipsèrent après avoir posé son Glock sur une commode, la chargeur à côté.

Pendant quelques minutes, ils chantèrent les louanges du mafieux ukrainien. Puis son hôte l’entraîna dans une autre pièce, qui ressemblait à un salon oriental. Des divans et des coussins partout, avec quelques tables basses en cuivre repoussé, un éclairage très doux et, au fond, un magnifique Jacuzzi où s’ébattaient deux femmes dont on ne voyait que les cheveux blonds.

Ils s’arrêtèrent devant une table chargée de bouteilles diverses, du whisky Defender, de la Stolychnaya Stan-darte, du Taittinger Comtes de Champagne, dont plusieurs bouteilles refroidissaient dans une immense vasque remplie de glaçons. Igor Baikal prit une des bouteilles de Taittinger, la déboucha avec ses dents, et hurla en direction du Jacuzzi :

— Ioulia ! Alyona !

Les deux filles émergèrent du Jacuzzi, en maillot de bain, et nouèrent des serviettes à leur taille, avant d’accourir. Mêmes yeux bleus, même visage à la fois sensuel et inexpressif, même corps parfait. Igor Baikal fronça les sourcils, désignant le haut de leur maillot.

— Enlevez ça !

Elle obéirent, avec un ensemble touchant, et Igor Baikal soupesa un des seins de celle qui était la plus proche.

— Ce sont mes masseuses, expliqua-t-il. Elles vont te masser aussi, si tu aimes.

Elles glissèrent à Malko un regard soumis, promettant beaucoup plus qu’un massage. Ils levèrent leur flûte de Champagne et trinquèrent. D’abord à l’amitié, puis à Vladimir Sevchenko, puis à l’Ukraine, enfin à l’Autriche. La seconde bouteille de Taittinger Comtes de Champagne était déjà bien entamée quand Igor Baikal reposa son verre et lança, adoptant le tutoiement fréquent en Russie :

— Je ne vais pas recevoir un ami de Volodia entre deux portes. Mets un peignoir comme moi, tu seras plus à l’aise. Alyona va te montrer.

Alyona, celle qui avait la plus grosse poitrine, même pas siliconée, le mena jusqu’à un dressing aux parois de bois et tint elle-même à lui ôter ses vêtements, l’effleurant souvent de ses doigts fuselés. Lorsqu’il eut enfilé un épais peignoir de bain aux initiales d’Igor Baikal, elle se planta en face de lui, offrant silencieusement une prestation supplémentaire, puis, comme il ne réagissait pas, ils regagnèrent le salon.

À demi allongé sur un divan, Igor Baikal puisait dans une boîte de caviar à l’aide d’un biscuit, tout en flattant la croupe de loulia. Il avait ôté son peignoir, ne gardant qu’un caleçon rayé jaune et bleu, visiblement en soie. Torse nu, il ressemblait à un gorille : une forêt de poils. De nouveau, il leva son verre.

— Na sdarovié !

Attentive, Alyona tendit un biscuit surmonté d’une petite montagne de caviar à Malko, le frôlant de la masse tiède d’un sein. La bouche pleine, Igor Baikal précisa :

— Mon caviar vient d’Iran ! Celui de Russie sent la vase ou il est dangereux.

— Effectivement, il est bien meilleur que celui que j’ai déjà mangé à Kiev, reconnut Malko.

Ils se goinfrèrent de caviar pendant un moment, arrosé tantôt de Stolychnaya, tantôt de Taittinger. Quand elle pensait qu’on ne la regardait pas, loulia glissait une main aventureuse dans le caleçon de soie, récompensée d’un grognement heureux de son maître. Alyona, installée aux pieds de Malko, se contentait, pour le moment, de le nourrir. Ce n’était pas une ambiance de travail et Malko dut faire un sérieux effort de volonté pour dire à Igor Baikal :

— Volodia m’a dit que vous pourriez peut-être m’aider.

— Si c’est possible, avec plaisir, confirma l’Ukrainien, dont le caleçon commençait à se tendre sous les doigts de fée de Ioulia.

Dobre, fit Malko, je sais que vous avez récemment hébergé un Polonais, Stephan Oswacim. Je voudrais savoir pourquoi.

Igor Baikal ne broncha pas, termina son caviar et laissa tomber :

— Parce qu’un vieil ami me l’a demandé.

Le pouls de Malko commença à s’emballer. Jamais il n’aurait pensé que ce serait aussi facile… Encouragé, il continua :

— Pouvez-vous me dire qui est cet ami ?

— Bien sûr. C’est Oleg Budynok. Maintenant, il travaille à la présidence et jadis, il m’a rendu de grands services.

Malko en avait le souffle coupé. Les yeux plissés sous ses énormes sourcils, Igor Baikal le fixait en paraissant s’amuser beaucoup. Malko repensa soudain à ce que lui avait dit Vladimir Sevchenko et comprit pourquoi Igor Baikal lui avait parlé avec autant de candeur.

Il n’était pas prévu qu’il ressorte vivant de cette datcha.

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