Le percuteur extérieur du Makarov claqua avec un bruit sec au moment précis où le cerveau de Malko lançait un message rassurant : il n’y avait pas de cartouche engagée dans la chambre du pistolet automatique. Ses nerfs se détendirent d’un coup. Les traits de Viktoria Posnyaki se défirent et elle fixa le pistolet avec incrédulité. Comme s’il l’avait trahie. Visiblement, elle n’était pas familière des armes à feu. Malko saisit le canon de la main droite et le fit pivoter, forçant la jeune femme à lâcher la crosse. Les prunelles bleues s’agrandirent et Viktoria Posnyaki recula jusqu’au mur, terrifiée.
— Pajolsk ! ne me tuez pas, lança-t-elle d’une voix suppliante.
Elle était si terrifiée que ses jambes se dérobèrent sous elle. Comme une poupée cassée, elle glissa le long du mur, jusqu’au sol. Tout s’était passé si vite que Malko réalisa brutalement que cet incident lui permettait d’entrer dans le vif du sujet, en lui apprenant du même coup que Donald Redstone avait vu juste. Viktoria Posnyaki pouvait lui être très utile.
Afin de la rassurer, il jeta le Makarov sur le lit, puis aida la jeune femme à se relever. Elle tremblait de tous ses membres. Malko l’installa dans un des fauteuils et dit gentiment :
— N’ayez pas peur, je ne suis pas un mokhrouchniV. Elle tendit le bras vers le lit, désignant le pistolet.
— Alors, pourquoi vous avez ça ?
Malko comprit qu’il fallait se jeter à l’eau. Il ne retrouverait pas une occasion pareille.
— Pour me défendre. Maintenant, je dois vous dire la vérité. Je ne vous ai pas rencontrée par hasard.
Viktoria Posnyaki le fixa, abasourdie.
— Qu’est-ce que vous voulez dire ?
— Calmez-vous et je vais vous expliquer, répondit Malko.
Elle récupéra son sac et prit une cigarette très fine qu’elle alluma, soufflant longuement la fumée. Peu à peu, le tremblement de ses mains s’atténuait. De nouveau, elle regarda le pistolet, puis Malko.
— Qui êtes-vous ?
— J’enquête sur la mort de votre amie, Evguena Bog-danov, expliqua-t-il. Je sais que vous étiez liées. C’est pour cela que je vous ai draguée. On m’avait dit que vous veniez souvent à la Maison du Café. Pourquoi avez-vous eu si peur ?
Elle hésita, tira une autre bouffée de sa cigarette.
— Parce qu’Evguena a été mêlée à un truc bizarre juste avant sa mort. Je me demande si ce type, Roman Marchouk, l’a vraiment tuée. Il n’était pas son amant. Je le sais parce qu’elle me disait beaucoup de choses. Son amant, c’était un Polonais dont elle était folle amoureuse. Alors…
Elle laissa sa phrase en suspens.
— Vous avez raison, Viktoria, répliqua Malko.
Evguena a été assassinée, mais pas par Marchouk. Je vais vous expliquer comment. Viktoria l’écouta attentivement, buvant ses paroles, et posa immédiatement la question :
— Comment connaissez-vous tous ces détails ? Vous étiez là ?
— Non. Mais Evguena était sous surveillance.
— De qui ?
— Des amis de Viktor louchtchenko, qui enquêtent sur son empoisonnement, et dont je fais partie. Je suis à Kiev pour comprendre pourquoi elle a été tuée. Et par qui.
— Vous êtes avec les Ameriki ? louchtchenko est soutenu par eux.
— Oui.
— Evguena n’avait rien à voir avec louchtchenko, objecta Viktoria Posnyaki.
— Evguena, non, mais Roman Marchouk, oui. Il est très fortement soupçonné d’avoir versé le poison dans le plat de Viktor louchtchenko. Il travaillait comme extra dans la datcha de Vladimir Satsyuk, le soir de ce fameux dîner.
Viktoria Posnyaki se décomposa.
— Bolchemoi ! fit-elle d’une voix presque inaudible. Elle était si pâle qu’il proposa :
— Vous voulez boire quelque chose ?
— Oui. Un whisky, si vous avez.
Il prit dans le minibar une flasque de Defender et remplit un verre. Viktoria Posnyaki le vida d’un trait. Malko la laissa récupérer avant de reprendre :
— Je pense que vous pouvez me fournir des éléments qui me manquent…
Brusquement, elle se cabra.
— Je ne suis pas une stukacha ! Je ne veux plus entendre parler de tout cela.
Malko la fixa longuement, comme si ses prunelles dorées pouvaient l’hypnotiser. — Viktoria, il ne s’agit pas de moucharder. Plutôt de vous protéger. On a tué Evguena pour l’empêcher de parler. Si on vous soupçonne de connaître certaines choses, vous pourriez subir le même sort. Or, il n’est pas impossible que je sois surveillé. C’est la raison pour laquelle je porte ce pistolet. Ceux qui ont liquidé Evguena sont impitoyables. Peut-être vous surveillent-ils. S’ils vous ont vue avec moi, ils pourraient. ..
— Mais c’est dégueulasse ! explosa la jeune femme. Moi, je n’ai rien fait. Et, si cette conne d’Evguena m’avait écoutée, elle serait toujours là.
Elle se tut brusquement, ayant conscience d’en avoir trop dit.
— Dobre, fit Malko. Je pense que pour vous protéger, le mieux est de me dire tout ce que vous savez.
Viktoria Posnyaki demeura silencieuse quelques secondes, alluma une seconde cigarette et hocha la tête.
— Evguena avait besoin de fric, expliqua-t-elle d’une voix mal assurée. Elle gagnait à peine 2 000 hrivnas dans sa boîte de merde. Qu’elle investissait en fringues pour draguer des hommes riches. Il y a quelques mois, elle a rencontré un Polonais, beau mec, qui paraissait plein de fric. Évidemment, elle m’en a parlé.
— Comment s’appelait-il ?
— Stephan. C’est tout ce que je sais. Elle ne me l’a pas présenté. Je l’ai vu juste une fois, au café, cinq minutes. Elle avait probablement peur que je le lui pique. Ça a marché un certain temps, Evguena roulait sur l’or, se payait des fringues superbes. Elle m’a même offert des bottes, à Metrograd. Elle était folle amoureuse. Et puis un jour, il y a une semaine peut-être, elle m’a appelée pour me demander un service.
— Quel genre ? — Son Polonais lui demandait de planquer un type pendant quelques jours, en attendant qu’il quitte le pays. Un pote à lui. Ça embêtait Evguena à cause de sa fille, Marina, qui vivait dans son appart. Elle m’a demandé si moi, je ne pouvais pas le faire, pour 2000 hrivnas. J’ai refusé. C’était un truc trop risqué. Pourtant, elle m’a juré que la Milicija ne mettrait pas son nez là-dedans, que c’était politique… Je n’ai pas voulu quand même.
— Elle vous a parlé de Iouchtchenko ?
— Non.
— Et ensuite ?
— Elle a planqué le mec chez elle, pendant quelques jours. Jusqu’à ce qui est arrivé. C’était Roman Marchouk.
— C’est tout ?
Viktoria Posnyaki tira sur sa cigarette.
— Tak. Le lendemain de sa mort, je suis allée chez elle. J’étais inquiète pour la petite Marina. Je suis tombée sur son mari venu chercher ses affaires. La Milicija l’avait prévenu la veille. En fouillant l’appart, il a trouvé 10000 hrivnas planqués sous le matelas d’Evguena, en billets de 50. Probablement ce qu’elle avait reçu pour planquer ce type.
— Vous savez quelque chose sur lui ?
— Non, j’ai vu son nom dans les journaux, c’est tout Maintenant, je comprends mieux.
— Vous avez bien fait de refuser, dit Malko, sinon, c’est vous qui seriez passée par la fenêtre. Ces gens-là ne veulent pas laisser de traces. Vous ne savez vraiment rien sur ce Stephan ?
— Pas grand-chose, avoua Viktoria. Evguena m’a dit qu’il habitait dans la datcha d’un copain friqué à Osogorki.
— Et physiquement ?
— Grand, blond, des yeux bleu pâle et, d’après Evguena, il a une grosse queue. Elle aimait les mecs bien montés, presque autant que le fric…
C’était difficile de retrouver quelqu’un avec de telles indications…
— Et le mari d’Evguena ? insista Malko.
— C’est un type sympa. Il s’appelle Iouri Bogdanov.
— Vous savez où il habite ?
— Non, mais il m’a laissé son portable quand je l’ai vu. Vous le voulez ?
— Oui.
Elle prit un petit carnet dans son sac, le feuilleta et annonça :
— Voilà. 8044 2023693. Mais il ne sait rien. Quand elle a rencontré Stephan, Evguena l’avait déjà quitté.
Elle se tut, termina sa cigarette et se tourna vers Malko.
— Je peux partir maintenant ? J’ai plus envie de rien faire. Merci quand même pour le dîner.
Elle était debout.
— Vous pourriez quitter Kiev pour quelques jours ? demanda Malko. Ce serait plus sûr.
— Oui, bien sûr. Je peux aller chez mes vieux, à Khar-kiv. Mais il me faudrait un peu d’argent.
Sans hésiter, Malko prit dans sa poche une liasse de billets de cent dollars, en détacha dix et les tendit à Vik-toria Posnyaki.
— Partez dès demain, conseilla-t-il. Donnez-moi votre numéro de portable. Je peux avoir besoin de vous joindre. Peut-être pour identifier ce Stephan, si je retrouve sa trace.
— Je ne l’ai vu qu’une fois, répéta-t-elle. Et pas longtemps.
Visiblement, elle n’avait qu’une idée : filer. Son manteau enfilé, elle le regarda bien en face et lâcha :
— J’espère bien ne jamais vous revoir et ne plus jamais entendre parler de cette histoire.
Son regard s’était éteint, ses traits étaient tirés, elle avait les épaules voûtées. Il ne restait plus rien de la créature sexy qu’il avait draguée le matin. La porte claqua. Malko regarda sa Breitling. En trois heures, il avait quand même avancé. Stephan, le mystérieux Polonais, faisait sûrement partie du complot contre Iouchtchenko. Cependant, il aurait du mal à le retrouver, avec le peu d’indices dont il disposait, en admettant qu’il se trouve encore à Kiev. Quant au mari d’Evguena, c’était une vérification purement formelle. Les organisateurs de l’attentat avaient bien verrouillé leur affaire.
Nikolaï Zabotine leva les yeux du dossier qu’il étudiait, fixant distraitement l’autre trottoir de Profitoflotskyi Prospekt où se trouvait un magasin de meubles faisant face à la modeste ambassade de Russie en Ukraine. Le Russe, en dépit de son entraînement de bon silovik luttait contre une rage aveugle. Après s’être donné tant de mal pour mettre au point une manip’ tordue et sophistiquée, il se trouvait désormais confronté à un choix douloureux. Soit liquider le grain de sable qui venait de surgir afin de retrouver sa tranquillité d’esprit, au risque de déclencher d’autres problèmes, soit ne rien faire, en priant pour que la chance soit de son côté. Solution qui lui déplaisait souverainement. Dans son métier, il ne fallait jamais laisser de place à l’impondérable.
De nouveau, il contempla la triste avenue où passait un vieux bus rougeâtre. Jusqu’en 1991, il n’y avait pas eu d’ambassade russe à Kiev, l’Ukraine faisant partie de l’Union soviétique. Aussi le Kremlin, pris de court, avait-il installé ses diplomates dans un modeste hôtel particulier au fond d’un quartier assez sinistre. Le personnel était réduit, les locaux exigus et NikolaïZabotine, depuis son arrivée discrète de Moscou par la route, devait se contenter d’un bureau minuscule au second étage de l’immeuble au toit vert qui abritait les services de l’ambassade.
Il alluma une cigarette et réfléchit quelques instants, fixant le mur nu du bureau mis à sa disposition. Il était certain que les Américains écoutaient toutes les conversations de l’ambassade, mais, comme ils ignoraient sa présence, ce n’était pas trop grave. En plus, toutes ses conversations téléphoniques locales se déroulaient en ukrainien, langue qu’il pratiquait parfaitement. De 1988 à 1990, alors qu’il n’était encore que major, il avait séjourné deux ans à Kiev en tant que «contrôleur» du KGB auprès du SBU, comme cela se passait dans tous les pays satellites ou les républiques de l’Empire soviétique. Déjà, à cette époque, Nikolaï avait eu à s’occuper de quelques opposants qui «pensaient mal». C’est à cela qu’il avait été entraîné depuis qu’il avait rejoint le KGB. Avant-centre dans l’équipe de football du Dynamo de Moscou, il avait été sélectionné en partie grâce à ses qualités physiques, après avoir présenté un dossier de candidature au KGB. Le fait que son père soit un apparatchik d’un rang élevé dans le parti avait facilité son entrée dans la Grande Maison. Ce qui avait permis son affectation au Premier Directorate, Département V, le plus secret, chargé de l’élimination discrète des ennemis de l’État soviétique, principalement hors des frontières, le Second Directorate se chargeant des citoyens soviétiques.
Nikolaï Zabotine avait commencé son entraînement de tueur dans un immeuble discret situé au coin de Metrostrovskaia Ulitza et de Turnaninski Pereulok, où il avait appris à se servir de toutes sortes d’armes.
Ces cours terminés, il avait été envoyé dans une grande datcha à Kuchino, dans la banlieue de Moscou, où on lui avait enseigné l’utilisation de toutes les armes «exotiques» fabriquées par la Division technique du KGB et destinées à éliminer les adversaires sans laisser de traces. De minuscules pistolets dissimulés dans des objets usuels, des capsules de poison agissant sans laisser de trace, tout un arsenal que seuls une poignée d’agents de la Centrale connaissaient. Personne, jamais, ne devait soupçonner ces activités qui seraient toujours niées officiellement par les responsables politiques. C’est la raison pour laquelle la «sécurité idéologique» était primordiale. Après quelques opérations réussies, Nikolaï Zabotine avait été envoyé en Ukraine dans un poste officiel, afin d’obtenir ses galons de colonel. Le KGB était quand même une lourde administration aux règles rigides, et il fallait penser à la retraite…
L’effondrement de l’Union soviétique avait été un coup terrible pour le jeune colonel encore plein de foi dans le communisme. Pendant plusieurs mois, Nikolaï Zabotine était resté inemployé, ne sachant pas s’il allait quitter le KGB, mais se demandant où aller. C’est en donnant un coup de fil à un de ses copains de l’académie militaire qu’il avait obtenu un contact avec Nikolaï Patrouchev, le numéro 2 du tout nouveau FSB, qui avait remplacé le Premier Directorate. Il recrutait les meilleurs éléments de l’ancien KGB, ceux qui n’étaient pas totalement gangrenés par la corruption galopante.
Patrouchev avait compris le parti qu’il pouvait tirer d’un homme comme Nikolaï Zabotine. Celui-ci s’était retrouvé dans la Section spéciale du FSB, chargée de tous les coups tordus. Affecté bien entendu en Tchétchénie, où il avait manipulé les groupes armés tchét-chènes, et risqué souvent sa vie. Et puis, un jour, on l’avait rappelé à Moscou sans explications, et il était resté à nouveau de longs mois sans rien faire. Il commençait à désespérer, lorsqu’on lui avait enfin proposé une mission digne de lui : éliminer le candidat à l’élection présidentielle ukrainienne opposé à celui soutenu par le Kremlin, Viktor Ianoukovitch. Officiellement, il était venu à Kiev comme observateur politique. Lui seul savait que ses ordres venaient d’un tout petit bureau situé dans les profondeurs du Kremlin, où se tenait Rem Tolkatchev, un homme doté d’un pouvoir sans limite, chargé de transformer en actes les désirs du nouveau tsar, Vladimir Vladimirovitch Poutine. Nikolaï Zabotine savait aussi que son succès ne serait pas claironné et qu’en cas de problème, il ne devait pas tomber vivant aux mains de ses adversaires. Dans cette époque terne, il retrouvait les émotions fortes de la guerre froide. Hélas, il ne contrôlait pas tout le processus. Son arrivée s’était bien passée et, en quelques jours, il avait réactivé son ancien réseau : des agents du SBU demeurés fidèles à Moscou, une de ses anciennes maîtresses qui ignorait sa véritable qualité, plus quelques tueurs disponibles. Il disposait même d’un joker : Stephan Oswacim, un tueur professionnel polonais qui avait fui son pays et se cachait à Kiev, où, grâce à ses liens avec d’anciens mafieux et des membres du SBU, il avait trouvé une planque sûre pour quelque temps. Or, celui qui la lui avait procurée était justement lié à Nikolaï Zabotine, et il était le pivot de l’opération contre Viktor Iouchtchenko. Insoupçonnable car il avait toujours dissimulé ses opinions prorusses.
À deux ans de la retraite, le colonel Gorodnaya taillait des crayons dans un petit bureau du SBU et personne ne faisait attention à lui. Un homme discret, effacé et sûr, comme les aimait Nikolaï Zabotine.
La première partie de l’opération menée par Nikolaï Zabotine s’était déroulée sans anicroche. A Moscou, avant son départ, un homme envoyé par Rem Tolkatchev lui avait remis une boîte métallique scellée contenant le poison destiné à neutraliser Viktor Iouchtchenko. Il ne connaissait pas sa composition, savait seulement que le produit était inodore et sans saveur et devait être mélangé à des aliments pour agir au bout de quelques heures.
Son ami du SBU, le colonel Gorodnaya, avait recruté les gens nécessaires à l’opération. Y compris Stephan Oswacim qui ignorait pour qui il travaillait vraiment. La manip’ avait parfaitement réussi, mais le résultat n’avait pas été celui espéré par Rem Tolkatchev. Au lieu d’être neutralisé, Viktor Iouchtchenko avait seulement été malade, défiguré, et il avait continué sa campagne. Le second tour des élections, qui aurait dû être une promenade de santé pour le candidat du Kremlin Viktor Ianou-kovitch, avait tourné à la débâcle. Obligés de truquer massivement les résultats, les partisans de Ianoukovitch avaient déclenché une réaction violente du camp orange, une réaction populaire inattendue et la condamnation unanime du monde civilisé. Cerise sur le gâteau : la Cour suprême ukrainienne, terrifiée, avait annulé le second tour et la victoire de Viktor Ianoukovitch ! La manip’ se retournait contre ses auteurs et Viktor Iouchtchenko risquait d’être élu à la présidence de l’Ukraine lors du troisième tour des élections, fixé au 26 décembre. Ce qui signifiait une diminution sérieuse de l’influence russe et la mort politique des hommes proches du Kremlin. Bien entendu, les responsables des services de sécurité allaient retourner leur veste et travailler pour leurs nouveaux maîtres. Viktor Iouchtchenko chercherait aussi à se venger. L’échec total…
Nikolaï Zabotine avait donc été chargé par Moscou d’une nouvelle double mission : faire disparaître toutes les traces pouvant mener au Kremlin, puis, s’il en avait la possibilité, éliminer définitivement l’homme qui osait défier Vla Puis, alors qu’il se détendait un peu, Nikolaï Zabotine avait été brutalement confronté à une nouvelle difficulté : l’arrivée à Kiev d’un chef de mission de la CIA connu comme le loup blanc et redoutable. Heureusement que le SBU contrôlait toujours la douane. La seule présence d’un agent adverse n’était pas suffisante pour le perturber. Mais, à la suite d’une coïncidence fâcheuse, cet agent de la CIA était entré en possession d’un élément éventuellement susceptible de perturber gravement la réalisation du plan B concernant Viktor Iouchtchenko. L’idée était, évidemment, de l’éliminer. Mais c’était une décision politique qui devait être approuvée par le Kremlin. Nikolaï Zabotine prit dans son tiroir un second portable, sécurisé, qui lui servait pour ses conversations avec Moscou. Il composa avec soin un numéro et lorsqu’on décrocha, annonça seulement son pseudo. Puis, d’une voix neutre, il fît son rapport, attendant ensuite la réaction de son interlocuteur. Celui-ci demanda : — Est-ce que cela pose un problème d’exécution ? — Non, fit Nikolaï Zabotine. — Karacho. DavaV. Il avait déjà raccroché. Ce n’était pas un bavard. Aussitôt, Nikolaï Zabotine reprit son premier portable et composa un numéro local. Lorsqu’il eut son interlocuteur en ligne, il demanda d’une voix chaleureuse : — C’est Stephan ? As-tu acheté ton canapé finalement ? — Pas encore, répondit l’homme à l’autre bout du fil. — J’ai un peu de temps aujourd’hui, on pourrait y aller ensemble. Vers deux heures ? — Dobre. On se retrouve là-bas, conclut son correspondant. Satisfait, Nikolaï Zabotine rangea ses papiers, les mit dans le coffre et sortit de son bureau, fermant soigneusement la porte à clef, brouillant ensuite le code digital de l’alarme. Il se méfiait du représentant du SVR à Kiev, un général qui passait le plus clair de son temps à la contrebande de caviar péché dans la Volga dans des conditions douteuses. Il n’avait d’ailleurs eu aucun contact avec lui. De Viktoria Posnyaki, il ne restait qu’un léger parfum flottant dans la chambre. Dès son réveil, Malko appela Iouri Bogdanov, le mari d’Evguena, sans réussir à le joindre. Il n’y avait même pas de messagerie. Il n’y avait plus qu’à tenter de retrouver Stephan le Polonais, dont il ne connaissait, outre le prénom, qu’un vague signalement physique et la zone où il vivait. Autant dire rien. Il descendit et arrêta une voiture pour se faire conduire à l’ambassade US. Le temps s’était éclairci, mais il faisait plus froid. L’incident avec Viktoria lui avait au moins servi à quelque chose : avant de partir, il avait fait monter une cartouche dans le canon du Maka-rov. La veille au soir, son oubli lui avait certes sauvé la vie, mais à l’avenir, il préférait être prêt à riposter instantanément… Arrivé à l’ambassade, il se heurta au sourire de la secrétaire du chef de station. — Désolée, dit-elle, M. Redstone a dû aller à Borystil accueillir un VIP. Il ne sera là que cet après-midi. — Irina Murray est-elle là ? — Non plus. La journée commençait mal. Il n’avait plus qu’à retourner au Premier Palace et à rappeler le mari d’Evguena. Nikolaï Zabotine s’attarda quelques instants devant le marchand de meubles, vérifiant dans le reflet de la vitrine qu’il n’était pas suivi, puis continua à pied jusqu’au coin de la rue Kourska. Comme toujours, quelques marchandes alignées sur le trottoir, au début de la rue, proposaient du poisson, des fleurs et des gâteaux ukrainiens à la graine de pavot. Le Russe s’arrêta pour en acheter quelques-uns avant de continuer son chemin. Cent mètres plus loin, dans la rue Kourska, il s’engagea dans une allée entre deux immeubles, menant à un parking à moitié désert, dont la plus grande partie était invisible de la rue. Il repéra tout de suite une Skoda verte dont le tuyau d’échappement fumait. Un seul homme se trouvait à l’intérieur, au volant, engoncé dans une veste de cuir noir, un bonnet noir sur la tête. Il tourna la tête vers Nikolaï Zabotine qui venait d’ouvrir la portière et lui adressa un sourire froid. Ses yeux bleu très pâle n’avaient aucune expression. — Dobredin Volodymyr, dit-il. Tu as besoin de moi ? Le Russe monta à côté de lui et dit simplement : — Da, Stephan.