Malko était à mi-chemin de l’escalier menant au lobby lorsqu’il se dit brusquement que c’était idiot de laisser filer Irina Murray de cette façon, après avoir eu envie d’elle toute la soirée ! Surtout pour la laisser partir chez sa grand-mère. Pris d’une pulsion irrésistible, il redescendit le grand escalier et ressortit. Irina était en train de marchander avec le conducteur d’une voiture qu’elle venait d’arrêter. La discussion tourna court et le véhicule repartit sans elle : ils n’avaient pas pu se mettre d’accord sur le prix.
Malko y vit un signe du destin.
— Irina, appela-t-il en se dirigeant vers elle.
La jeune femme se retourna au moment où il la rejoignait.
— Qu’est-ce qui se passe ? demanda-t-elle, un peu surprise.
— Je n’ai pas envie d’aller en boîte, expliqua Malko, mais nous pouvons rester encore un peu ensemble. Votre grand-mère n’en mourra pas.
Irina Murray sourit.
— Non, avoua-t-elle. Mais…
— Venez, on ne va pas discuter dehors.
Ils se retrouvèrent dans le minuscule lobby. Malko hésitait à emmener Irina directement dans sa chambre. C’était peut-être un peu abrupt…
— Allons prendre un verre au bar, suggéra-t-il.
Irina fit la moue.
— C’est sinistre !
— Ou au restaurant du huitième ?
— Cela ne vaut pas mieux. Il n’y aura pas un chat. Malko sentait bien que la jeune femme n’avait pas vraiment envie de partir. C’est elle qui les tira de ce mauvais pas en suggérant :
— Il y a un café branché, sympa, en face, dit-elle, le Nika. On peut aller y boire un verre.
— Va pour le Nika, approuva Malko.
Ils durent redescendre Tarass-Sevchenko jusqu’à la place Bessarabiaska, pour gagner le trottoir d’en face et revenir sur leurs pas. Le Nika ressemblait à une bibliothèque, avec des rayonnages de livres aux murs, des tableaux, des petites tables. Une ambiance de club intellectuel. On pouvait même acheter des livres ! Irina et Malko s’installèrent au premier, dans deux profonds fauteuils, dans un recoin calme.
Dès qu’elle eut retiré son manteau, Malko fut à nouveau frappé par l’extraordinaire magnétisme sexuel de la jeune femme. Chaque fois qu’elle croisait ses longues jambes, il ne pouvait s’empêcher de lorgner vers l’ombre au creux de son ventre. Irina s’en rendait parfaitement compte mais ne semblait pas s’en offusquer. Ils commandèrent : Defender pour elle, vodka Stolychnaya Standart pour lui; bavardèrent de choses et d’autres, de l’Ukraine, de la politique, de la vie, jusqu’à ce que Malko remarque :
— Votre relation avec votre peintre est quand même étrange…
— C’est vrai. Mais je peux rester longtemps sans faire l’amour. Au bout d’un moment, je n’y pense plus.
Il se revit effleurant ses seins, trois jours plus tôt, et dit en souriant :
— Moi, dès que je suis avec vous, j’y pense beaucoup. Vous êtes extrêmement attirante.
Irma eut un petit rire gêné.
— Regardez autour de nous ! C’est plein de filles jeunes et superbes. Il n’y a que l’embarras du choix pour un homme comme vous.
D’un geste spontané, Malko se pencha et posa une main sur le genou gainé de nylon noir.
— C’est de vous que j’ai envie, dit-il. Dès que je vous ai vue à l’aéroport.
Leurs regards se croisèrent et demeurèrent rivés l’un à l’autre. Les doigts de Malko remontèrent un peu, emprisonnant la cuisse d’Irma, dans un geste à la fois possessif et intime.
Elle n’écarta pas sa main et il sentit une vague euphorique l’envahir. Le silence d’Irina valait consentement. Il ne fallait pas rompre le charme. Sans un mot de plus, il déposa quelques hrivnas sur l’addition puis aida la jeune femme à enfiler son manteau. Sans qu’un mot fût échangé, ils redescendirent vers la place Bessarabiaska puis remontèrent vers le Premier Palace.
Le cœur de Malko battait comme celui d’un collégien. À chaque seconde, il craignait que le charme se rompe. Un des deux ascenseurs était là. Au moment d’y entrer, il aperçut un homme derrière eux et le maudit silencieusement. Sa présence allait retarder son idylle de quelques minutes.
Stephan Oswacim avait attendu près de dix minutes près de l’ascenseur, ne comprenant pas pourquoi sa cible n’arrivait pas. D’abord indifférent, puis perturbé. Que s’était-il passé ? L’homme chargé de le prévenir du retour de celui qu’il devait abattre était parti. Désormais, il ne pouvait plus compter que sur lui-même. Au bout de quelques minutes, il était retourné dans sa chambre, ne sachant que faire. Il était comme un ordinateur programme pour un logiciel précis, et ce «cas non conforme » n’était pas prévu. Revenu dans sa chambre, il réalisa d’abord qu’il n’avait plus de cigarettes, puis s’allongea sur son lit, le cerveau en ébullition.
Plusieurs solutions s’offraient à lui. Soit il repartait comme prévu, mais sans avoir rempli son contrat, soit il essayait de le remplir, en improvisant. Il n’ignorait pas que son employeur n’apprécierait pas sa désertion. Or, il était entièrement entre ses mains. Un seul mot de lui et la Milicija venait le cueillir, pour l’extrader vers la Pologne. Un avenir pas vraiment riant.
Au bout d’une demi-heure de réflexion, il décida de prendre un risque calculé et appela la chambre 408. Le cœur battant, il laissa sonner cinq fois : sa cible avait donc changé d’avis et n’était pas rentrée. Il pouvait se trouver soit au restaurant du huitième, soit au bar du premier. Ou encore être ressorti. Cette dernière hypothèse lui laissait une occasion de l’intercepter, mais cette fois sans aide extérieure.
Stephan Oswacim se releva et, sans mettre son manteau, gagna le couloir et l’ascenseur.
Le bar-restaurant du huitième était vide. En reprenant l’ascenseur, il aperçut la pub pour le fitness club. À cette heure tardive, il y avait peu de chance que sa future victime ait été y faire un tour… Il restait donc le bar du premier. Il n’y trouva que deux Russes en train d’engloutir des bières à la chaîne. Pour éviter d’attendre l’ascenseur, il redescendit à pied jusqu’à l’étage de la réception, se glissant ensuite dans le petit couloir desservant les ascenseurs. Il n’eut pas le temps de faire demi-tour : un couple arrivait. Il ne connaissait pas la femme, mais l’homme était celui qu’il devait abattre.
Malko s’effaça pour laisser passer Irina Murray. Un homme pénétra sur leurs talons dans l’ascenseur. Sûrement un client de l’hôtel, car il ne portait pas de manteau. Malko, furieux d’être dérangé, lui accorda un bref regard : blond, la quarantaine, visage lisse aux yeux d’un bleu très pâle. Un homme du Nord, Pologne, Baltique ou Sibérie. L’inconnu regardait dans le vide, les bras croisés devant lui.
— What floor ? demanda Malko.
— Five, please.
Malko appuya sur les deux boutons, du quatrième et du cinquième, se plaçant entre l’inconnu et Irina, impassible. Comme s’ils étaient déjà amants. Au quatrième, ils abandonnèrent l’inconnu pour gagner la chambre de Malko. L’épaisse moquette bleue étouffait le bruit de leurs pas.
L’hôtel était absolument silencieux. C’était Marienbad. À peine dans la chambre, Irina déboutonna son long manteau de cuir et fit face à Malko dans la petite entrée. Celui-ci posa sa bouche sur la sienne et aussitôt une langue douce mais décidée vint au-devant de la sienne. Il fit ensuite ce dont il avait eu envie toute la soirée. Lui prenant les seins à pleines mains, à travers le fin cachemire, il joua avec leurs pointes, les caressant, les faisant durcir sous ses doigts. Irina entreprit de défaire les boutons de sa chemise et posa ses longs doigts sur sa poitrine, lui agaçant les mamelons avec habileté. Il avait appuyé la jeune femme au mur, et, le bassin en avant, Irina s’offrait sans retenue à ses caresses. La grande glace de la penderie reflétait leur étreinte, ajoutant à la scène un supplément d’érotisme. Malko froissa la jupe noire, découvrant la bande des bas stay-up et un peu de chair.
Excité comme un collégien, il écarta le string et plongea dans un sexe déjà onctueux.
— Regardez, fit Irina Murray, c’est excitant, on voit tout dans la glace.
Enfin une authentique salope. Quand il fit glisser le string le long de ses cuisses, puis de ses cuissardes, elle souleva un pied afin de pouvoir s’en débarrasser, et laissa le string noir accroché à sa cuissarde gauche. Malko sentit son ventre s’embraser. Irina Murray venait de prendre à pleine main son sexe, à travers le tissu de son pantalon. Il voulut défaire sa ceinture, mais elle l’arrêta, descendit le Zip et plongea la main dans l’ouverture.
— C’est plus excitant comme ça.
Elle fit jaillir du slip le membre bandé, le caressa un peu puis s’agenouilla avec naturel, les pans de son long manteau noir répandus autour d’elle, avant de le prendre dans sa bouche. Comme il savourait la caresse, elle saisit sa main droite et la posa sur sa nuque, comme s’il la forçait à lui administrer cette fellation. Il en profita pour observer leur reflet dans la glace, ce qui l’excita encore plus. Il se pencha et défit les boutons du cachemire, libérant deux seins incroyablement fermes. Irina comprit le message : retirant le sexe de Malko de sa bouche, elle le glissa entre ses seins pour le masser entre les deux globes tièdes.
Il n’en pouvait plus de ses hors-d’œuvre.
La saisissant par les cheveux, il força Irina à se relever. Leurs bouches se soudèrent à nouveau et il sentit sous ses doigts le miel couler de son ventre. Brutalement, il lui écarta les cuisses d’une poussée de son genou et son sexe entra en contact avec le ventre nu. Le moment qu’il attendait depuis qu’il avait vu Irina. Il fléchit légèrement les jambes, se guida et embrocha la jeune femme d’un puissant coup de reins. D’elle-même, elle souleva une jambe, pour qu’il puisse aller plus loin dans son ventre. Il glissa un bras sous sa cuisse, afin de la maintenir dans cette position.
C’était inconfortable et instable, mais furieusement excitant. Il voulut se retirer pour l’entraîner dans la chambre, mais elle le retint avec un petit gémissement.
— Non, non, continue, comme ça !
Il ne mit pas longtemps à exploser au fond de son ventre, tandis qu’elle murmurait :
— Je vais jouir, je vais jouir !…
Ce qu’elle fit, juste après lui. Leur étreinte n’avait pas duré dix minutes, mais quelles minutes… Les yeux brillants, haletante, toujours appuyée au mur de l’entrée, Irina se pourléchait les babines. Ses seins pointés émergeaient du cachemire, la mini restait enroulée autour de ses hanches. Enfin elle se baissa, remit son string. Visiblement ravie.
— C’est excitant de se faire baiser tout habillée, remarqua-t-elle d’une voix absente, comme si elle se parlait à elle-même. Je n’ai même pas enlevé mon manteau. Juste ma culotte.
Elle se gargarisait de mots. Malko, toujours habillé lui aussi, reconnut :
— C’était superbe, très fort.
Une brève rencontre, pleine de spontanéité.
— Je vais rentrer, maintenant, suggéra Irina. Il faut vraiment que j’aille chez ma grand-mère. Ne me raccompagne pas, je connais le chemin, conclut-elle, adoptant un tutoiement normal après leur « rapprochement » express.
— Mais si, insista Malko, n’écoutant que sa galanterie. Et puis, cette fois, nous serons peut-être seuls dans l’ascenseur.
— Ne me fais pas fantasmer ! soupira en riant Irina Murray. J’adore faire l’amour dans un ascenseur.
Enfin, il était tombé sur une vraie salope qui ne pensait qu’à baiser. Il réalisa soudain que le Makarov coincé dans sa ceinture, à hauteur de sa colonne vertébrale, n’avait pas bougé pendant qu’il faisait l’amour avec Irina. De nouveau, il sentait son poids. Cette sensation déclencha chez lui une sorte de réflexe de Pavlov. En un éclair, comme un logiciel se met en place, il revit l’homme blond qui avait pris Pasenseur avec eux. Et pensa à Stephan, le Polonais, l’amant d’Evguena Bog-danov. Si c’était lui ?
Rien n’étayait cette hypothèse, sauf un indice qui lui revint : l’homme qui téléphonait lorsqu’il était rentré dans l’hôtel…
Irina Murray avait déjà ouvert la porte et il la rejoignit, traversant les interminables couloirs déserts. À peine dans l’ascenseur, il écarta le manteau, puis le string, pour prendre son sexe à pleine main.
— Arrêtez, fit-elle, en souriant, je vais chez ma grand-mère. Une autre fois.
— Tu peux rester. J’ai encore envie de toi, insista-t-il.
— On ne se connaît pas assez…
Ce devait être de l’humour ukrainien. Elle l’avait sucé comme une folle, s’était fait baiser debout, contre un mur, mais à ses yeux, ce n’était pas de l’intimité. Elle l’écarta, comme la cabine s’arrêtait, avec ce mot charmant :
— Je suis très pudique…
Os se séparèrent en haut des marches menant à la rue et elle ne l’embrassa même pas.
— À demain, dit Malko.
Même si elle ne l’aidait pas dans son enquête, Irina contribuait au moins à soutenir son moral. Le repos du guerrier… Il regagna l’ascenseur. Une seule employée occupait la réception. Pris d’une brusque inspiration, Malko s’approcha.
— Il y a beaucoup de monde dans l’hôtel ?
L’employée lui adressa un sourire désolé.
— Non, sir. Ce n’est pas la saison, et puis il y a les événements de Maidan…
Ils parlaient anglais. Malko passa au russe pour demander d’un ton innocent :
— Tout à l’heure, quand je suis rentré, j’ai croisé dans l’ascenseur un homme blond, il me semble que je l’ai déjà vu quelque part… L’employée réfléchit quelques instants.
— Ah oui, je sais, il est arrivé de Moscou hier. Il est au même étage que vous d’ailleurs. Effectivement, je l’ai vu passer tout à l’heure, en même temps que vous.
— Vous avez son nom ?
Après une courte hésitation, l’employée consulta l’écran de son ordinateur.
— Gregor Makaline, dit-elle. Il est à la chambre 427.
— Ce n’est pas celui auquel je pensais, conclut Malko. Spasiba. Dobrevece.
Il gagna l’ascenseur, taraudé par une idée dérangeante. Pourquoi l’homme blond avait-il prétendu loger au cinquième étage ? Tout le plaisir de sa brève étreinte avec Irina s’était effacé d’un coup, faisant place à une sourde anxiété.
Par prudence, il récupéra le Makarov dans son dos et le glissa devant, sous sa ceinture Hermès. Beaucoup plus accessible.
Stephan Oswacim attendait, tapi dans l’entrée d’un des ascenseurs de service, séparé du couloir par une porte à deux battants percés chacun d’un hublot. Ce qui lui permettait de surveiller le couloir sans être vu.
Depuis qu’il était redescendu du cinquième, il s’était planqué là, bien décidé à rattraper son échec du début de soirée. Il était possible que l’homme qu’il était chargé d’abattre ne ressorte pas avant le lendemain matin. Mais il pouvait aussi raccompagner la blonde en manteau de cuir, si elle ne passait pas la nuit là. Il avait décidé de patienter au moins deux heures.
Après onze heures du soir, le Premier Palace tombait en hibernation et il ne risquait pas d’être dérangé, les clients étant déjà tous couchés.
Il ignorait combien de temps s’était écoulé quand il entendit des voix dans le couloir et se précipita pour se coller à un des hublots. En un éclair, il aperçut deux silhouettes passer devant sa cachette. Sa cible et la blonde au manteau de cuir, qui se dirigeaient vers l’ascenseur ! Il eut le temps de remarquer que l’homme n’avait pas de manteau. Donc, il allait revenir très vite. Pour regagner sa chambre, il était obligé de repasser devant lui.
L’estomac noué, son pistolet équipé du silencieux au bout du bras, Stephan Oswacim se concentra, guettant les bruits. La moquette étouffant les pas, il n’aurait pas beaucoup de temps pour réagir.
Effectivement, il faillit se faire surprendre, n’apercevant que de dos l’homme qui regagnait sa chambre. Il attendit quelques secondes et, poussant avec précaution un des battants de la porte, déboucha dans le couloir. Le cœur battant, il aperçut le dos de l’occupant de la chambre 408, qui allait tourner le coin du couloir.
Stephan Oswacim se lança à sa poursuite à pas de loup, et, arrivé à trois mètres derrière lui, s’arrêta, allongea le bras droit à l’horizontale et bloqua sa respiration.
Deux balles dans le dos, puis deux dans la tête, et il pourrait enfin filer, l’âme en paix.