CHAPITRE IX AUQUEL TU NE POURRAIS RIEN AJOUTER !

— T’as l’air dans les songeances ? gouaille la voix du stentor, revenu de sa guerre de Troie.

— Je me posais un rébus.

— On peut-ce ?

— Mon premier est un ordre du Vieux, mon second est une bande de truands, mon troisième appartient au Vieux.

— Et ton tout t’a-t-il ôté ta toux ? pouffe Dupaf.

— Mon tout est une histoire de con.

Je sors de mon fauteuil.

— Sais-tu qu’il est minuit, docteur Schweitzer ? Qu’as-tu foutu pendant tout ce temps ?

Bérurier décroche et ordonne au préposé du room-service de lui apporter trois bouteilles de champagne et un verre. L’autre lui objecte qu’il se trompe probablement et qu’il souhaite en fait trois verres et une bouteille de roteux. Du coup, le Baleineau s’emporte :

— Faites-moi pas dire c’que j’ai pas dit, mec. Et s’y faut vous causer belge pour qu’vous comprendrez, envoiliez-moi un traductionneur. Je répète, ouvrez grands vos baffles : trois bouteilles de champ’, et un verre si vous en auriez un à portée de paluche ; sinon on en fera pas une maladie.

Il raccroche tellement fort que la fourche de l’appareil se met à ressembler à un guidon de course.

— Pourquoi UN verre ? je demande.

— Pour toi, pac’qu’t’es un délicat.

— Et pourquoi TROIS bouteilles ?

— Pac’que j’aye soif.

Il se déchausse d’un pied l’autre et shoote ses targettes à travers la pièce.

Ses pinceaux dégagent vilain, mais les relents de vomissures accrochés à ses guenilles leur font une concurrence déloyale.

— Putain, quelle soirée ! ronchonne mon complice. Y a des jours qu’not’ mensualité n’a pas de prix.

— Fayot a parlé ?

— Un vrai député !

— Qu’en as-tu fait ensuite ?

— J’l’ai retourné à son tome, mec. C’tait l’plus simpliste. J’ai espliqué à sa rombière, une dame estrêment sympa, qu’s’il remuait l’bout du nez, il allait s’faire arroser au sirop de plomb. Compte qu’elle va le bouclarès, son julot. Comme é l’avait t’entendu les informes, quand elle a su que le cher époux trempait dans c’te béchamel, elle s’a mise à jouer « La Marche Truquée » de Mimozard av’c ses genouxes.

La perspective d’entendre des choses essentielles me surdope. Il a bien manœuvré, Pépère. Pour amener un gars discret à composition je n’ai jamais rencontré mieux que lui. Il fait la pige à tous les sérums de vérité. C’est beau d’être convaincant.

Je prends une pose favorable dans mon fauteuil.

— Je t’aime, Alexandre-Benoît. Tu es mon idole, d’une certaine manière.

L’idole me tend son médius ; pour lui faire plaisir je le lui tire, sachant bien à quelle exquise facétie il va se livrer, et, en effet, il balance une rafale de louises du plus grand intérêt.

Soulagé et content de son excellente plaisanterie, il parle sans plus attendre des choses qui m’intéressent :

— Fayol connaît un gros barbu à Porsche, ce type a été révoqué de la rousse belgium y a une dizaine d’années sous prétesque qu’y raquettait les patrons d’bars. On a écrasé l’coup pour éviter l’escandale, toujours rejaillisseur… D’puis délors, y l’a ouvert un’ salle de culture physique. Y s’appelle Jef Inidschier. Paraît qu’il fréquente pas mal le Mitan bruxellois et qu’c’t’un mauvais coucheur. Dernièrement, il a t’eu maillot-à-partir av’c la police biscotte ses mœurs dont à cause il tripotait des p’tits jeunots qu’allaient s’entraîner l’épais-ctoraux dans sa salle. Un gars à voile et à vapeur, tu piges ?

Tandis qu’il jacte, j’ai déjà l’annuaire de Bruxelles en pogne et à la fin de l’envoi, je touche du doigt l’adresse du pileux. Son « institut » se trouve tout près de l’hôtel, rue des Frères Paul Kenny.

Le loufiat de noye se pointe, en véhiculant les trois bouteilles demandées. Bérurier s’hilarise et, pour marquer sa satisfaction, dépose une pièce de deux francs belges à ne plus en pouvoir, dans la dextre du serveur qui se retire sans nous souhaiter une bonne nuit, ce dont les bouteilles de Dom Pérignon se chargeront.

— On a drôl’ment transgressé, hein ? jubile Alexandre-Benoît en déniaisant le premier flacon.

— Si l’on a progressé d’un côté, on a sérieusement régressé d’un autre, mon lapin.

— Duquel ?

— Figure-toi que le coffre 44 que nous devons fracturer appartient au Vieux.

Béru, qui entonnait la bouteille après m’avoir préalablement servi une flûte de mousse, interrompt son geste, rote de confiance et murmure :

— Le Vieux ? C’est d’not’ Vieux à nous qu’tu veux dire ?

— Textuel, bonhomme.

— Le Vieux vieux ? Le Dirlo, quoi ?

— En personne.

— T’y as tubé pour lu réclamer des esplicances ?

— Naturellement.

— Et caisse y t’a répondu ?

— De n’pas m’occuper de ces « foutaises » et d’aller de l’avant. Après quoi, selon sa belle habitude, il m’a raccroché au nez.

— Quel jeu qu’y joue ? soupire le Gros en entreprenant sérieusement cette fois la boutanche millésimée.

— Ah ça, j’y perds mon latin.

— Ton latin, c’est pas grave, j’t’en achèterais un aut’. La merde c’est qu’on peut aussi perd’ not’ peau dans ce ronéo !

Il finit la quille de rouille. Et alors, chapeau. Un machin pareillement gazeux, le démolir sans respirer, faut pas craindre les bulles à ressort. Par contre, quand il repose la bouteille, il émet un quelque chose que j’serais en peine de te qualifier. Barrissement, rugissement, feulement, sirène, explosion souterraine, crash d’avion, Hiroshima, rencontre de locomotives ? Faiblard, tout ça. Sirupeux. Ouaté… Ténu. Murmure, glouglou, soupir… Non, le truc à Bérurier, j’vais te dire, pour essayer : suppose l’Empire State Buldinge plein de bombes, et qui s’écroule. Hein ? Imagine et t’approcheras un peu du réel. T’auras un début de brouillon d’idée pour réaliser la vérité. L’entre-concevoir.

C’est tel, c’est si, c’est tant, que mon bigophone se met à grelotter. Le portier de nuit qui, affolé, demande ce qu’est arrivé, s’il faut alerter les pompelards, si y a mort d’homme. Pour le rassurer, je dois user de diplomatie. Son standard est soudain bloqué par les clients qui paniquent. Des qui dormaient et sont tombés du lit, des qui limaient et qui s’sont cassé le nœud dans la déflagration. Des enfants chéris qui convulsent.

Et puis encore, et rencore… La quiétude bourgeoise compromise, la paix belge malmenée. Au château royal on entraîne dare-dare leurs majestés dans les abris antiatomiques. Les aiguilles des sismographes ont toutes tiré un bras d’honneur en même temps.

J’enguirlande l’Enflure.

— Alors là, tu sors des limites de ta dégueulasserie originelle pour chambouler la paix du monde, Immonde !

Il hausse les épaules.

— Et quoi donc, mec ? C’est la nature qui cause ! T’as pas la prétention d’y clore le bec. Je réfléchissais et ça m’est parti : les traîtrises du champ’. Brèfle, pour causer du Vieux, si tu souhaiterais mon avis, ce gus a une banane dans l’oreille.

— Qu’entends-tu par là, Gros Sac ?

— Tu lu d’mandes pourquoi qu’il a une banane dans l’oreille, et y t’répond qui peut pas t’entendre parce qu’il a une banane dans l’oreille, tu comprends ? Le cercle vissé !

Fort de son puissant raisonnement, il décapsule la bouteille number two.

— J’sais pas, toi, mais ma pomme n’a pas sommeil. Au contraire, elle a b’soin d’agir, gars. Si qu’on s’offrait un’ petite tournanche d’inspection après la tournée d’champagne ?

* * *

Et ce qui ne fut pas dit fut fait.

* * *

Alors, nous v’là sur le toit plat, en forme de terrasse, du 69 rue des Frères Paul Kenny, romancier belge (1515–1999) dont l’œuvre la plus fameuse est « Tirer Coplan sur la Comète. »

Ce toit-terrasse est aisé d’accès à cause de ce que je m’en vas t’expliquer avec mon brio coutumier. L’immeuble du 69 jouxte un cinéma, par le fond d’une impasse, et une échelle d’incendie scellée au mur du vieux cinoche passe au ras de la terrasse du 69 lequel n’est haut que d’un étage.

Pourquoi ne sommes-nous point entrés par la porte grâce à mon éternel sésame ?

Simplement parce qu’il y a de la lumière plein l’institut de culture physique, et deux bagnoles (dont une Porsche blanche) en stationnement devant la porte. You see ? Merci very vouell.

Alors, bon, nous avons gravi, au cœur de l’obscurité, particulièrement dense dans l’impasse, les échelons rouillés, de manière à pouvoir accéder au toit plat. Et extrêmement bien nous en a pris puisque ce toit comporte deux grandes coupoles en Plexiglas destinées à ajourer la vaste salle de gym’ située au-dessous.

On se pointe pour mater. Et on tire une méchante grimace. La scène ci-jointe est en train de se dérouler comme un bouddha qui se tient assis en amazone sur un cheval d’arçon. Ce mec est aussi sympa qu’une maladie vénérienne parvenue à son apogée. La frime pleine d’eczéma qu’on devine large étalée sous la barbe en éventail. Il porte un kimono blanc à parements noirs. Il a des membres courts, énormes comme quatre jambons arrière.

Deux autres bonshommes encadrent un quatrième. Ce couple fait moniteur de C.R.S. à la retraite. Leur âge est certain mais n’a rien ôté à leur forme physique. L’un a les douilles taillées en brosse, l’autre s’est fait rasibuser au dernier degré, tel que ta seconde vague Gillette baise en canard les poiluches qui pensaient échapper à la première tonte, ces cons.

L’homme qu’ils encadrent, eh bien, je vais pas te laisser languir : c’est Fayol. Un Fayol hagard, à demi mort de trouille et d’alcool qu’on a obligé de s’asseoir sur un tabouret et qu’encore l’Architondu est obligé de maintenir d’aplomb avec son genou dans le dos.

— Dis donc, je balance au Gros, ton idée de le rapatrier dans ses foyers n’était pas tellement fameuse.

L’Endoffé renifle de consternation et, pour me punir, m’offre une nouvelle salve armée au Dom Pérignon.

— J’aimerais bien entendre ce qu’ils se disent, ces braves gens, soliloqué-je en un français irréprochable, car si je manie l’argot avec assez de verve, j’abomine l’utiliser pour penser.

— On va savoir, promet le Magistral.

Ce qu’il a de plus formidable, Béru, comme accessoire, c’est un couteau suisse multi-usages que si les gens savaient combien il est pratique, ils en voudraient tous.

Pépère dégage le poinçon de ses forts ongles endeuillés jusqu’à la lunule.

D’un tour de main puissant, il engage la pointe effilée là où c’est propice, c’est-à-dire près d’une charnière de la coupole.

M’est avis qu’il y aura des gouttières dans la salle de gym’ après cet exercice. Il cigogne doucement le poinçon, puis le retire, et un joli trou rond le remplace.

— Si Monseigneur voudra bien avancer sa baffle préférée, ricane mon ami.

Je m’aplatis sur le toit pour amener ma trompe au bon endroit. Comme la vaste salle de culture physique résonne, les voix sont judicieusement enflées.

Et j’entends.

— De quoi as-tu peur, Fayol ? fait gentiment le barbu. Est-ce qu’on t’a fait du mal ? On a seulement insisté pour que tu viennes discuter ici de ce grave problème. T’a-t-on menacé ? A-t-on exercé des sévices sur ta personne pour te forcer à parler ? Réponds !

— Non, non, bredouille Fayol.

Le Gros reprend :

— T’as été réglo, petit gars. Tu n’as pas fait de cachotteries. Je te félicite…

— Alors, je peux partir ?

Je cesse une seconde d’esgourder pour mater. Le Barbu a un sourire bizarre. Il trifouille dans sa barbe, comme s’il espérait y retrouver cette brosse à dents qu’il a paumée l’an dernier.

— Partir, oui. Mais ce qui me chicane, c’est que tu rentres chez toi où d’autres peuvent te ramasser comme on t’y a ramassé nous-mêmes.

— On n’ouvrira à personne, bégaie Fayol.

— Tu ne sais pas, coupe soudain l’obèse, j’ai envie de faire quelque chose pour toi, mon petit vieux.

— C’est pas la peine, halète le poitringue.

— Que si, t’as été si coopératif… Tu vois, j’aimerais que tu décroches complètement et que tu ne rencontres plus personne jamais…

— Comment, jamais ?… articule le pauvre zig, comme un qui marcherait sur la pointe des pieds dans de l’acide sulfurique.

— Que tu sois complètement au vert, quoi. Moyennant quoi je te ferais une pension.

Le Barbapoux saute de son cheval d’arçons et se frotte allégrement les francforts.

— Voilà : une pension. Qu’est-ce que tu dis de ça, Fayol ? Ça te la coupe, hein ? Moi, je trouve que c’est mérité. Une belle pension, et tu coinces la bulle ! Je vais te donner… Attends que je calcule… Une trentaine de millions par an. Correct, non ? Je sais vivre, tu l’admets ?

— Oh, mais pourquoi ? dit Fayol d’une voix lamentateuse.

— Commeça. Tu ne me crois pas ?

Et comme le foireux ne répond rien, il insiste :

— Hein, réponds : tu doutes de moi, Fayol ?

— Mais…

— Ecoute, je te jure sur la vie de mes enfants que je vais te servir une pension annuelle de trente briques. Tu me crois maintenant ?

— Vous n’avez pas d’enfants !

— Non, mais j’aurais pu en avoir, répond le Barbu du tac au tac.

Il fait quelques pas dans la salle au sol garni d’un épais tapis rêche. Il cueille un haltère qui doit bien aller chercher dans les trente kilogrammes et le soulève comme tu ramasserais le portefeuille d’un P.-D.G. de la sidérurgie (les portefeuilles de chômeurs sont beaucoup plus lourds car ils contiennent des photos au lieu de talbins). L’énorme Jef se met à badiner avec son haltère, kif une majorette avec sa canne enrubannée.

Ayant accompli cette aimable démonstration, il vient se planter devant Fayol.

— T’es là, tout incrédule… C’est marrant tout de même que les hommes refusent de croire au Père Noël ! Tiens, pour te prouver que je ne te chambre pas, je vais te remettre une avance sur ta pension, O.K. ?

Fayol déglutit avec une peine infinie. S’il lui restait encore quelque chose en magasin, il gerberait sur le tapis de travail.

Le Barbu continue de faire l’hélice avec son haltère.

Un silence !…

Puis, Barbe-bleue-le-vilain s’adresse à l’un de ses copains.

— T’as cinq francs, Paul ?

— Je pense, oui.

— Alors, donne-les-lui.

Docile, le vieux gorille s’exécute. Il tend cinq pions à Fayol, lequel ne fait pas un geste pour s’en emparer.

— Qu’est-ce que c’est ? il balbutie, devinant confusément que son cas part en dérapage incontrôlé.

— L’avance promise, fait Jef Inidschier. Ecoute, mon petit Fayol, trente millions de pension annuelle ça fait un franc par seconde. Comme il ne te reste plus que cinq secondes à vivre, je te fais remettre ton dû.

Le prénommé Paul glisse d’autor les cinq francs dans la poche du poitringue. Puis, comme s’il prévoyait la suite, il se retire prestement. Fayol ouvre et ferme la bouche, pareil que quand on criait au secours dans le ciné muet. L’énorme barbu, avec une force que je te vas qualifier de surhumaine, étant pressé, et une adresse que je te ponctuerai de diabolique pour la même raison, balance une boule de l’haltère sur le temporal de Fayol que le coup phénoménal mortalise net et qui tombe du tabouret. Sans perdre une seconde, l’obèse lui fracasse la tronche d’un second coup de boulaga.

Puis il jette l’haltère sur le plancher, et ça fait un bruit caverneux.

— Les cafards, ça s’écrase, hein ? dit-il à ses mannequins. Débarrassez-moi le plancher de cette saloperie.

— Comme d’habitude ? demande le super-tondu.

— Evidemment.

Nous deux, Béru et moi, sur notre toit, on a visionné cette séquence sans intervenir. Tu voulais quoi ? Impossible d’ouvrir ces coupoles de plexiglas. Tapoter dessus pour alerter l’attention des meurtriers, ça ne pouvait que nous valoir de graves ennuis de leur part, vu qu’on est coincés sur notre perchoir et qu’il leur suffisait de se mettre à la fenêtre pour nous tirer. Et nous n’avons pas d’arme pour riposter. Tout ça, bon, manière de t’expliquer notre passivité.

Bérurier mate la tronche fracassée du pauvre Fayol. Elle est de guingois, kif un portrait dont le cadre a « travaillé » et qui bizancointe.

— Quand on me disait qu’une haltère désaltère, il ronchonne pour funèbrement oraisonner. Ce pauvre gus préférait sûr’ment les bib’rons dont j’lu f’sais avaler.

Je ne réponds pas. Je raffole de l’humour noir, mais je n’ai pas la moindre envie de plaisanter. Je suis pris d’une rage fiévreuse contre l’affreux barbu. Je songe aux mutilations qu’il a effectuées sur le pauvre Barbara, à ce sadisme élaboré qu’il s’est payé avec Fayol. Et un besoin intense de venger ces deux épaves humaines me noue tripes et gésier, muscles et cordes vocales. Je voudrais l’ouvrir comme un bahut normand, que sa boyasse lui sorte toute et qu’il la regarde fumer longtemps avant de clamser.

Mais revenons aux agissements de nos trois lascars, comme écrirait Dumas (de Cocagne) que par moments je regrette qu’il t’ait pas écrit les San-Antonio, ce con, afin que je pusse m’entièrement consacrer à la vraie littérature, celle qu’on écrit avec des pattes de mouches sodomisées. Mais Alexandre, s’il pouvait pas coller un « Holà, messire » toutes les trois lignes, il faisait une dépression. Or, qu’on le veuillasse ou pas, Santonio, c’est pas seulement des « Holà, messire » ou alors j’ajoute à cacheter. C’est pas d’infatigables bourrins sur lesquels un Etroit Mousquetaire emporte une Dame Bonacieux en croupe pour se l’aller calcer à l’auberge du Zob d’Etain. Et tu trouveras jamais Richelieu sans Drouot dans mes polars. Alors, donc, pas de regret.

Revenons, disais-je, très peu plus haut, à nos trois misérables.

Les péones au Barbu s’amènent avec une housse de plastique à tirette Eclair. Ils y logent dextéritement le cadavre de notre ci-devant complice et s’empoignent chacun une extrémité du pacsif.

Aplatis au bord du toit, nous les voyons opérer. Ils amènent l’auto qui tenait compagnie à la Porsche blanche (une Machin-Rover, haute sur pattes) devant la porte de l’institut. Et puis ils flanquent Fayol. Et en route !

On attend un brin d’instant. Les deux coupoles s’éteignent. Jef Inidschier quitte la salle de culture physique pour gagner ses appartements. Sa tenue (un kimono) me donne à croire qu’il habite son « institut » d’abattage clandestin.

Trèsbien. Nous redescendons du toit. Je m’active avec mon sésame. Mais zhélas, la porte est munie d’un verrou très véhément. Alors on est marron pour entrer par là. Les fenêtres sont pourvues de volets de fer. J’essaie de taquiner ceux du rez-de-chaussée, mais sans barre à mine ni chalumeau, t’as le bonjour d’Alfred (pas d’Alfred Sauvy, mais d’Alfred Hitchcock).

— On est refaits dans l’immédiat, soupiré-je.

— A moins qu’on s’le baise en canard, suggère le Gros.

Il a des inflexions pleines d’éloquence, Babar. Moi, à l’oreille, comme certains bûcherons détectent l’essence d’un arbre au bruit de son feuillage agité par le vent, je sais qu’il a trouvé la solution. Ça s’entend nettement.

— Tu proposes quoi ?

— Fais semblant d’y faucher sa Porsche, en bricolant l’allumage. Tu parles qu’il va se radiner presto, av’c son tablier de sapeur au vent. Moi, j’s’rai plaqué cont’ la lourde. Sitôt qu’il sortira j’lu déguste mon kilo d’osselets dans la margoule. Surtout, planque-toi bien, car c’est le genr’ d’gonzier très capabl’ de t’allumer sans assommation.

Ingénieux. Il a son tas de choucroute traversé d’éclairs, mon Béru.

— Essayons, admets-je.

Sa Majesté se baisse et cueille quelque chose sur le sol.

— Tu diras pas qu’l’bon Dieu n’est pas av’c nous ! fait-il en m’exhibant un gros boulon qui, aussitôt, sert de noyau à son poing.

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