Ça se passe en deux temps.
Au premier, dès que le moulin de son bolide ronflote, l’immonde barbu jaillit à une fenêtre et se met à gueuler :
— Foutez le camp ou je tire.
Moi, planqué derrière le capot, j’attends qu’il défouraille, mais je ne crois pourtant pas trop à sa salve, parce que je pense qu’un bonhomme qui vient de faire évacuer de chez lui un cadavre devenu cadavre par ses soins, n’est guère soucieux de rameuter un quartier à coups de flingue, ni de voir rappliquer la police.
Mon calcul est juste. Ça ne praline pas. Le vilain quitte sa fenêtre, ce qui veut dire qu’il est déjà en train de cavalcader jusqu’à la porte.
Moi, accroupi au ras du pare-chocs avant, je guigne attentivement l’entrée. La loupiote du perron s’éclaire. Je vois mon bon Béru, monumentalement en haut-relief, à gauche de l’huis. J’espère que le gorille à barbe sera suffisamment fougueux pour ne pas s’arrêter sur son seuil.
Tu parles qu’il l’est !
D’où je suis, je l’entends arracher les verrous en gueulant de vilaines invectives que, par respect pour mes amis belges, ça me ferait chier de répéter ici, comme quoi il va m’arracher la tête, me manger les testicules et que maman est une ceci-cela qui m’a eu avec un bouc, tout bien, quoi !
Et puis il sort, toujours drapé dans son kimono et dans sa barbouze. Et ce qui lui arrive, il ne s’en rend seulement pas compte, tellement qu’il est rapidos, le Béru, quand il veut vraiment. Son coup, je le vois se préparer, partir, arriver. Un demi-moulinet arrière. Et puis le poing féroce qui se pointe en pleine barbe, entre la bouche et le pif selon mon approximation. Le gnon claque comme une cassure du col du fémur dans une salle de bains de général en retraite. Et le sieur Jef Inidschier a un drôle de cri de pintadeau, genre : blllblll ! Reste pantelant debout, ses bras identiques à ceux d’un primate regardant Tarzan enfiler Jane. Les yeux comme s’il y avait deux doubles blancs dans sa boîte à dominos. Vraiment vertical par habitude et parce que son centre de gravité il l’a au cul, Jef. Alors ça lui compense les vertiges, mais pas pour des années, espère ! Car Bérurier a pris du recul, tel un Gallois qui cherche à transformer. Et ça passe entre les poteaux, pile au milieu ! Le plus sérieux coup de saton dans les parties, parties pour lors sans laisser d’adresse. Cette fois, y a plus de centre de gravité qui tienne : le meurtrier de Fayol tombe en renverse. Le Gros entre, le tire à l’intérieur de l’institut.
Ne me reste plus qu’à stopper le moteur et rabattre le capot de la Porsche.
Pour mieux le pratiquer, on a eu une sacrée idée, nous deux, Béru. On l’a attaché à deux haltères d’au moins cent kilogrammes et des, un aux pattounes, l’autre aux paluches. S’il tire dessus, les quatre énormes rondelles de fonte vont se rapprocher, lui broyer ceci ou cela.
Mais il est pas cap’ de fournir un effort après ce shoot dans les petites sœurs des pauvres. Il râle, éructe, se spasme si fort qu’on devine bien que son plus cher désir ce serait de se dégobiller entièrement, jusqu’à ce qu’il ne subisse plus rien de lui, le pauvre loup !
Béru va et vient dans l’institut en sifflotant. Ne trouvant pas ce qu’il cherche, il sort sans un mot et je l’entends tripatouiller la Porsche.
Moi, j’ai pris une chaise, m’y suis assis à califourchon. Les deux coudes sur le dossier, mon menton posé sur mes mains croisées, je regarde Jef Inidschier aux prises avec sa vie sentimentale. Il n’a pas encore l’énergie nécessaire pour pouvoir s’intéresser à nous, ni même à lui. N’est vivant que de sa souffrance. Elle est devenue lui-même, tu comprends ? Il n’existe encore qu’en elle.
Mais je n’ai pas pitié, moi si sensible. Au contraire, semblable à des bûcherons désœuvrés, j’ai envie de me fendre la gueule.
Cette hilarité rentrée ne dure pas. La perspective de ce qui me reste à accomplir rembrunit mon optimisme, si tu me permets de charabier ainsi. Le coffiot 44 de la Banque Lisbrock à ouvrir. Un coffre qui appartient au Vieux. Et le Vieux ne lève pas le doigt pour l’inventorier, non : il préfère plutôt que je dynamite Bruxelles. En somme, cette affaire, jusqu’à présent, elle s’exprime de quelle façon ? Le Vieux, alerté par les frères Prince… Attends, déjà, à ce niveau, quelque chose cloche. Si le Raclé voulait absolument récupérer le contenu du compartiment 44, pourquoi n’a-t-il agi que lorsque les deux frelots lui ont parlé du coup qu’on leur proposait ?
Au début, il était question de London. Le Dabe en avait au 44 de la British Golden Bank. En cours d’action, il y a eu changement ; l’ayant appris, le père Duglandoche a répondu : « Qu’à cela ne tienne : engourdissez le 44 de la Banque Lisbrock. » Pas catholique, si ? Une histoire folle, je te répète. Très bien, le chef apparent de l’opé est un Anglais. Cézigue, à notre second rendez-vous se fait dessouder. La veille, un travelo-bordelier de luxe, la jolie Barbara, me contacte dans un restaurant pour m’annoncer que je devrai me méfier des escaliers roulants, et en effet, le lendemain, un type nous canarde dans l’élévator de l’immeuble où l’Anglais nous avait convoqués.
Seconde pause pour les méninges san-antoniennes. Là encore ça cloche. Et c’est même le gros bourdon de la cathédrale qui fait dreling-drelong ! Ce qui cloche ? Attends, je sens que je sens. Ah, oui ! Est-il concevable que Barbara et moi nous nous soyons rencontrés « fortuitement » à La Cassolette ? Puis-je admettre que le marchand de fesses m’ait simplement reconnu et que l’idée lui soit venue de me prévenir ? Non ? Alors ?
M’ayant alerté, le gars Barbara quitte ses clilles et rentre chez lui. Le gros Jef l’attendait. Il le torture, lui tranche son canari des îles-sous-le-ventre, le lui fourre dans la bouche (car c’est une histoire à la mords-toi les couilles) et le tue. Point à la ligne.
Ensuite, Fayol… Fayol qu’il questionne avant de l’effacer. Pour lui faire dire quoi ?
Béru revient, portant un bidon de fer dont le fumet est révélateur : hydrocarbure. Quand tu le portes à ton oreille, t’entends le Koweït.
Mister Alexandre-Benoît continue de se montrer affairé. Il débouche son bidon et arrose copieusement la frime du barbu, lequel suffoque pis encore que précédemment. En tout cas, sont-ce les vapeurs d’essence ? Toujours est-il qu’il paraît récupérer de l’essai transformé par mon aminche.
— Dites, Jef, vous êtes en état de tenir une conversation, j’espère ?
Ses énormes yeux d’insecte, qu’on dirait à facettes, tourniquent dans sa trogne hideuse. On peut y trouver de la fureur en très grosse quantité, le reste se composant de vilenie surchoix.
Comme il ne moufte pas, je me permets d’insister :
— Le silence, dans votre cas, est plus de plomb que d’or, mon bon monsieur. Il va vous causer d’incommensurables ennuis si vous vous y cantonnez.
Mes grands mots ont le don d’irriter Messire Béru, lequel affectionne les situations franches.
— Attends, dit-il, on va le réveiller en plein.
Il fouille les deux poubelles de toile qui le bâtent et trouve dans l’une d’elles une pochette d’allumettes.
— T’as jamais vu flamber une barbouze, mec ? me demande Sa Majesté. Surtout arrosée d’essence ! T’vas admirer c’feu de broussailles !
Il craque une allouf.
Jef Inidschier proteste :
— Non !
— Alors tu causes, Enfoirure ? questionne mon très cher collaborateur.
— Va te chier ! répond Jef.
Dans le fond, il espérait un peu ça, le Gravos. Une rapide soumission l’eût déçu. L’homme a besoin de justifier ses délires. Il lui faut tout le temps des points d’appui pour soulever son propre univers. Sinon, il est amené au renoncement et bientôt à la chute.
Il laisse l’allumette s’éteindre au bout de ses gros doigts tailladés par l’existence, puis la jette.
— T’as raison, l’artiste, approuve-t-il.
Et il disparaît sans autre explication, si tant est qu’on puisse en trouver une dans la brève phrase ci-dessus.
— Vous avez tort de rechigner, dis-je. On ne parviendra peut-être pas à vous faire parler, monsieur Inidschier, mais on emploiera tous les moyens mis à notre disposition par une double imagination plus fertile que la Beauce, et nous ne vous ferons pas l’ombre d’un cadeau.
Retour d’Alexandre-Benoît, porteur d’un seau d’eau.
Je l’interroge du regard, surpris par cet accessoire. De bonne grâce, mon pote s’explique :
— C’est pour éteindre sa frite quand é s’mettra à cramer ensuite de la barbe.
Comme, dans le fond, il n’est pas dépourvu de sensibilité, même en face des monstres, il demande en grattant une deuxième allumette :
— Alors, non ? Toujours motus et vivendi ?
Le Jef, tout ce qu’il se permet, c’est de nous foudroyer de ses grosses gobilles sanguinolentes de rage.
Béru jette l’allumette dans la vaste barbe.
Ça fait « flaouffff ». Et un baiser s’élève. V’là qu’il a un incendie en guise de masque, ce tordu. Il se met à bieurler, de quoi faire vêler prématurément toute la Normandie laitière. Alors j’empoigne le seau de flotte et le lui propage en pleine poire. Cela occasionne un deuxième « flaouffff » aussi important que le précédent. Le feu s’anéantit. Nous apparaît dès lors une trogne rougie, noircie, sans barbe ni sourcils.
Il a totalement changé d’aspect, Jef Inidschier, une fois privé de son piège. On découvre que sa bouille ne possède pas de menton. Il est tout tassé du bas, et ses mâchoires font la semelle de mocassin.
— Bath ! admire Bérurier. Y m’rappelle le boxer à ma belle-sœur de Nanterre, en moins joli. Qu’est-ce que tu dis d’c’rasage espress, beau Casse-Noisettes ? Braun ou Rémingueton, tu peux toujours courir pour ob’tenir c’v’louté !
— On s’y met ? coupé-je.
— Vous êtes deux enc…, répond le coriace.
Je me sens du glacé dans la moelle épinière.
— Toi, j’ai bien envie de te servir une pension de 30 millions par an, avec avance de cinq secondes pour solde de tout compte ! lui lâché-je.
Il me fixe de ses globes plus rouges que never.
— Va te faire fourrer, grande lope !
C’est suicidaire comme attitude, tu ne trouves pas ?
Y a des gens, commak. Pourtant, un grosse gonfle vicelote comme lui, on pouvait espérer qu’elle flancherait rapidement. Un gars pourri, sadique, meurtrier, ça n’a rien d’un Bayard. Note que Bayard, hein ? Y aurait fallu le voir dans la même situation. On lui aurait filé un boisseau de fourmis rouges dans l’armure, à Marignan, il moulait aussi sec le François Pommier pour aller se faire déculotter au chalumeau oxhydrique, je garantis. Et pourtant, cézigue, il raffolait les rois puisqu’il en a servi trois avant de se faire allonger comme un gland sous un chêne.
Mais comme l’écrivait encore mon bon maître Roland Dumas (pardon, j’voulais dire Alexandre ; Roland, lui c’est pas un auteur, c’est un mousquetaire) revenons à ce problème préoccupant qui est le nôtre.
L’initiative est laissée à Bérurier, lequel, en auxiliaire zélé, fait très bien son sévice.
Au fond du local se trouve un sauna. En face du sauna, il y a une sorte de piscine minuscule, de trois mètres sur deux, pas davantage, dans laquelle se trempent les ébouillantés après leur séance de suffocation.
Le Gros va s’assurer de la profondeur de ce trou : environ un mètre soixante-six.
Il chope l’haltère liée aux pieds de Jef et se met à haler. Le reste suit : l’ex-barbu et le deuxième haltère.
— Où est-ce que tu hales ? m’informé-je.
— Tu pourrais m’donner un coup d’main au lieu de curiositer, ronchonne le haleur (qu’il est).
Inutile, le premier haltère est déjà au bord de la piscine.
— T’sais pas, dit le Mammouth à l’Incendié, j’vas virguler c’te bricole dans l’eau. Ça va t’faire de la longation des cannes, déjà qu’t’as le pot d’échappement au ras du gazon. J’suppose qu’tu pourras pas résister longtemps. Si tu voudras qu’on stoppe la manoeuv, tu dis « pouce » et tu réponds aux questions d’monsieur qu’voilà.
Il exécute son plan. Le premier haltère bascule. Ça flanque une secouée noire au vilain. Il rehurle, se cramponne, grimace. Il est happé par le poids inexorable qui l’attire vers la piscine. Ravaillac, Damiens, priez pour lui ! Sans ambages, il va devenir sans jambage, comme un « o ».
— Non ! J’peux pas ! qu’il dit ! Je peux pas !
— Tu vas causer ? demande bonhomme Béru.
— Ouiiii… arrêtez ! Je glisse, arrêtez !
Pépère retient le deuxième haltère.
— Alors grouille-toi de jacter, mon pote.
— Ouiiii… Qu’est-ce qu’il faut dire ?
— Pourquoi as-tu tué Barbara ?
— Mais… mais non… Je n’ai pas tué Barbara…
— Tu voyes l’à quel point il ostine ? fait Bérurier en relâchant l’haltère.
Ce qui suit nous surprend plutôt. Tout ce qui est fortuit surprend, quand bien même ce serait prévisible. En abandonnant la tige de l’haltère, le Mastar, sans le faire exprès, lui a imprimé une secousse. Et voilà les deux roues qui se mettent à tourner. Jef Inidschier file droit dans la flotte, avec l’énorme poids comme bouée de sauvetage. Plouf, et plouf ! Plus rien que des bulles à la surface du mouilloir.
— Merde !
Onsepresse. Dans le fond, y a enchevêtrement d’haltères et de gros mec en noyade. Il peut pas remuer. Juste sa bouille éperdue qu’efforce de se tendre vers la surface. Je pose ma veste prompto, puis commence à dégrafer mon bénoche pour lui plonger à la rescousse.
— Haut les mains ! hurle une voix de ce que tu voudras, de stentor tiens, si ça peut te faire plaisir.
On volte-face.
Ce qui se présente à nous, c’est une grosse dame en limouze de nuit et fusil de chasse.
Elle a les pieds nus, pas très propres, mais ça vient peut-être d’un effet d’optique consécutif à ses varices. Elle est grosse et ressemble fortement à l’ancien barbu. Son flingue est un Crémieux-Dugenoux à lunette, conçu et réalisé pour la grande chasse. Les pruneaux qu’il éjacule doivent faire dans la viande des trous grands comme le rire à Canuet.
— Qu’est-ce que vous faites là, une fois ? elle demande avec un accent si fort et si belge qu’elle postillonne des frites en causant.
— Nous voulons aider Jef à sortir, dis-je.
— Je vous connais pas, une fois !
— Nous pourrons faire connaissance dès qu’il sera sorti, ajouté-je en me tournant vers le trou-piscine où Inidschier émet à présent des bulles pas plus grosses que dans une flûte de champagne.
— Bougez pas, une fois ! hurle son ogresse de maman, car s’il ne s’agit pas de sa mère, la personne au fusil ne peut être que la sœur jumelle de celle-ci.
Je rectifie la position en songeant qu’il est triste pour une vieille maman de provoquer sans le savoir le décès de son garçon. Enfin, j’espère pour elle qu’elle possède d’autres enfants mieux réussis !
— Où est Jef, une fois ? elle a la bonne idée d’enfin demander.
— Dans la piscine, madame, et je me proposais de l’en tirer lorsque vous eûtes la mauvaise idée d’intervenir.
— Quoué ? elle s’abasourdit.
— Venez voir, maintenant il faut faire vite !
Cette fois, elle avance, le fusil sous le bras, ne songeant plus à en presser la détente. Elle aperçoit le gros silure crevé, dans l’eau savamment régénérée, à la surface duquel court un friselis.
Elle se met à glapir d’horreur maternelle, la pauvre.
Puis elle se calme :
— C’est pas Djééf, assure-t-elle : çui-ci, une fois, il a pas de barbe.
— Ne touchons à rien, préconisé-je, et appelons les pompiers. Tu viens, Béru ?
On abandonne la vieille dame à sa louche contemplation. Pas jojo, un noyé rivé au fond de l’eau, tout boursouflé, convulsé, exorbité, retroussé et le reste…
Ouf ! L’air vaporeux de la nuit nous dissipe un peu ce début de mélanco. Je réalise piteusement que je n’ai rien pu tirer du gros Jef. Il est mort avec ses secrets.
Si Mémère n’était pas venue nous faire son numéro de « Halte à l’envahisseur ! » une partie du voile, etc.
— J’ai à la fois soif et sommeil, soupire Bérurier en se dirigeant vers la strada.
— Minute !
— Quoi ?
— On va jeter un œil dans la Porsche.
J’effracture la porte et me mets à explorer la boîte à gants, le vide-poches (en l’occurrence vide-Porsche), le dessous des sièges. Nothing ! Après cela je passe au coffre. La trousse à outils, le cric, une boîte en carton contenant des chaînes pour la neige. Qu’est-ce qui m’incite à vider tout de même la boîte ? T’es en mesure de m’expliquer, toi, le fin psychologue ? Donc, je renverse le carton. Les chaînes forment sur le tapis du coffre une espèce de grosse bouse métallique. Je la tripote pour écarter ce serpent de maillons un peu graisseux. Rien.
A cet instant précis, comme il est dit dans la vraie littérature d’action, une vive lumière éclaire l’impasse. Produite par les deux phares de la Maryland-Rover-Machin-Chose que je saurai jamais le nom de ces camions de déménagement déguisés en bagnoles pour gentleman-farmer.
C’est les péones à feu Jef qui reviennent de leur morgue’s partie.
Le conducteur pile sec en apercevant Béru planté devant la crèche du patron.
L’un des deux vilains sort en catastrophe et court au Mastar. Un gros feu musclé brille dans sa pogne de chourineur.
— Qu’est-ce que tu fous là ? demande-t-il avec une réelle âpreté.
Bérurier est moins bon dialoguiste que Pascal Jardin, aussi se contente-t-il de répondre :
— Et ta sœur ?
— Je vais te la présenter, riposte l’autre, qui mène ainsi par un à zéro.
Il fait signe à son copain d’éteindre les calbombes. Noir complet. Le conducteur rejoint le duo. Et puis, c’est comme dans une comédie italienne : la fenêtre s’ouvre au premier et la mamma Inidschier paraît en clamant :
— Au secours, une fois, au secours : y z’ont tué mon Djééf !
Tiens, elle a enfin réalisé, la vioque !
— Taisez-vous, Moumoute, on est là ! intime et rassure le carabinier.
Puis, au Gros :
— Lève les bras et fais demi-tour !
Bérurier lève les bras, fait demi-tour, et place une ruade de pur-sang dans le bide de son tagoniste. J’sais pas la marotte de mon adjoint, si parfaitement bien membré qu’on l’a surnommé « Queue-d’âne », de si souvent s’attaquer aux bas morcifs de ses adversaires. Leur satonner les prunes d’importance, sans jamais se lasser. Des coups de pied retournés, comme maintenant, ou bien des drops aériens, et puis des tirs francs, tout ça… Les claouis, c’est sa vraie friandise, Bérurier.
Le gnard s’allonge en verdissant, trépignant et tu connais la lyre, les séquelles d’un parpaing dans les burnes malgré la minusculité des tiennes, mon pauvre lapin ? Ton peu suffit à te renseigner sur la dolorance qui peut consécuter d’un coup de pied de bourrin à cet endroit plus faillible que le talon d’Achille, ce con !
L’autre bonhomme (c’est l’architondu), dégaigne un truc dangerous de sa vague. Un engin que je n’avais encore jamais vu, même au Salon de la Découverte, ou au Concours Lépine (de cheval, bien sûr).
C’est comme un manche de bambou d’une vingtaine de centimètres ; il le secoue et une lame télescopique en jaillit, longue d’un bon mètre. Il se met en garde.
Le Gros, surpris, considère cette étrange épée sans paraître y croire. Mais mézigue, je comprends le danger. Je l’sentais que ces deux fromages étaient d’anciens moniteurs ou maîtres d’armes : leur allure, leur gueule d’adjudoche… Entre ses mains, une telle lame est infaillible pour qui n’a pas de feu à lui opposer. Et tu parles, Mister Pépère, cette cible qu’il offre !
Alors je biche le paquet de chaînes. Le tintannabulage interrompt les sombres desseins du scalpé qui mate dans ma direction. Mais je suis dans l’ombre. Le tas de chaînes va se baguenauder dans l’obscurité. L’épéiste esquive, du moins les chaînes s’entortillent-elles après l’épée rétractile, laissant pour lors le champ libre à Béru. Son une-deux au glabre menton du Tondu assurerait sa gloire s’il l’administrait sur le ring du Palais des Sports. Pourtant, l’autre est coriace. Il a dû morfler d’autres taquets de ce tonneau au cours de sa vie cabossée. Il rompt mais ne plie pas, car il n’a rien du roseau pensant. Béru veut suivre, marche sur le paquet de chaînes, trébuche. L’autre, à la volée, lui met un coup de pied à suivre à la face. On dirait qu’on fiche à la renverse une boîte de dominos. Mon pote mord la poussière. Attends, c’est pas fini, referme pas le bouquin ! Le vilain tondu ramasse son épée. La retire de l’entrelacs de maillons. Veut planter le Gros au sol, tel un coléoptère. Et tu crois que l’Antonio de tes deux va laisser fiche ?
Pas de ça, Louisette ! C’est la trousse à outils, troulalaiti, qu’il chope et s’élance avec. Poum ! Le mec s’écroule, parce que quand tu reçois à la vitesse Mach 2 : trois clés à molette № 8-16-32, deux tournevis modèle 63 b et 89 z, un marteau en fer, une clé à bougies en acier remoulu, une tige de cric à double interligne, une pince Notre-Seigneur, une tenaille à manches isolants, et un tas d’autres vacheries que je serais bien en peine de t’indiquer l’à quoi qu’elles peuvent bien servir, étant de nature plus bricolé que bricoleur, oui, quand tu reçois tout cela, élégamment présenté dans une trousse de toile noire, à la base du crâne, eh ben tu tombes raide et voilà.
Donc, nous sommes maîtres de l’impasse et du coup, de la situation. J’aide Bérurier à se relever. Et c’est alors que mon bon ange (c’est ainsi que je nomme le gonzier qui m’arrange les bidons) fait des heures supplémentaires sous la forme dont je vais.
Là, près du gars allongé, parmi les outils dispersés par l’impact, accrochée à l’une des fixations de la chaîne à neige, une espèce de petite médaille remue doucettement. Le surnaturel, tu sais pas ? C’est à cause d’un rais lumineux qui tombe droit dessus, en provenance de la fenêtre du premier, et l’éclaire comme une icônerie dans une orthodoxie. Je pèse mes mots : sur-na-tu-rel ! Le hasard qu’il falle pour que ce pinceau de clarté se soit posé sur cette petite chose brillante. Et, dis donc, avant d’en arriver là : que j’eusse eu à propulser ces chaînes ! J’ai connu un monsieur, il avait pêché une montre Louis XVI dans l’Yonne. Tu te rends compte, ces millions de milliards d’improbabilités pour que son con d’asticot passe par la boucle de l’oignon, qu’ensuite un poisson se le goinfre, et puis qu’il ramène le tout, ce pêcheur miracle[5] ? Ça flanque le frisson, hein ? Comme lorsque tu calcules combien il faudrait de zizis comme le tien, mis bout à bout, pour aller de la Terre au Soleil.
Enfin quoi, c’est la vie, non ? Moi j’y peux rien.
Et l’objet qui brille, si je te le compare à une médaille, c’est bien pour dire de t’emmener en barlu, te fourvoyer la crédulité. Je connais mon métier de suspenseur. Je t’aurais dit tout de go qu’il s’agissait d’une clé, ça perdait de son envoûtement. Pourtant c’est bien d’une clé d’acier brillant qu’il est question. Une clé que je reconnais car elle ressemble comme une cousine jumelle à celle que m’a remise la Gertrude à la banque, quand je me suis fait ouvrir un coffre et que je l’ai embroquée contre, cette poulette.
Je la décroche, comme on prend un fruit mûr à la branche dont il est sorti et qu’il allait larguer.
Elle porte le numéro 44.