CHAPITRE XII POUR FAIRE LE COMPTE ROND !

On croit que l’amour est le moment de polissonnerie du corps, alors que c’est au contraire son moment d’extrême gravité.

C’est ce, dont je songe après avoir passé à la casserole la môme Gertrude, manière d’entretenir de bonnes relations avec cette enfant suave, si fraîche, innocente et bonne cousine.

Je suis là, je l’ai carambolée à la jouis comme je te le pousse, sans grand feu, sans appétit excessif ; avec juste ce qu’il faut de conscience professionnelle pour ne pas être radié de l’ordre des chauds lapins ; et malgré tout, cet acte de chair appâtée m’a grandi un instant. Emporté vers des vertiges recueillis et c’était grand, fort et beau comme une messe chantée en grégorien à Notre-Dame, comme un article de Jean-François Revel, comme une nuit sur le Mont Moussorgski, comme les trois maisons du Cadet Rousselle de mes soucis, comme une langouste dans la vitrine d’une brasserie, comme la photographie de la reine Juliénas des Pays Basques, comme le jour qu’il pleuvait tant, bref : comme l’antique.

Et je me sens plein d’usage et raison.

Elle est belle comme l’était la pauvre chère grande Eugène à sa sortie de scène, Trutrude. Elle possède un petit côté travelo malgré le sexe féminin largement offert, dont elle ne songe pas à remettre le couvercle. Elle a les seins affaissés par mon séjour. Les cheveux collés aux tempes par la sueur des abandons ; et tout ça, quoi !

Tandis que la mélancolie déploie ses voiles sur mon esprit de jouissance, elle fou rire menu, contente de s’être expédiée aux azurs sans encombre ni frais de port.

— Qu’est-ce qui t’amuse ainsi, ma jolie fleur d’urticacée, mon violon d’hongres, ma prothèse ?

Elle tend sa main moite vers les poils — qui le sont non moins — de ma poitrine gladiateuse, les défrise l’espace d’un ratissage et soupire :

— Ce que tu trouves des mots, toi, alors…

Flatté, je caresse sa croupe percheronne.

Elle possède la chair rose des gorets quand ils sont porcelets, morts et épilés. Une viande comestible. Et c’est terriblement important, en amour, d’avoir faim, stomacalement, de l’être choisi pour le sein sacrifesse de la miss. Si les papilles n’y sont pas, le cœur non plus. Et tu peux baiser sans cœur, tézigue ? Eh ben, mon vieux, chapeau !

Son mystérieux sourire de tarte à la crème reparaît. Je lui redemande ce qui le motive. Elle me répond que c’est à cause de mon copain rigolo tout plein qui est venu lui louer un coffre ce morninge. Il était dégueulasse, avec une bouille contusionnée et plus de dents. Les lèvres éclatées. S’il était pas venu de ma part, ce Bérurier, elle lui louait ballepeau. L’orientait sur M’sieur Van De Boo qui, justement, avait terminé sa grosse. Et puis, le gros lard, des exigences. Il voulait absolument un coffiot dont le numéro se terminait par « 4 » car il est fétichiste et le « 4 » c’est son chiffre porte-bonheur. Un marrant, ce gros. Brave type. Sagouin sur les bords. N’a-t-il pas essayé de lui peloter le capot par-dessus sa banque ?

Et en bas, quand elle lui a montré son coffre, dites donc, d’autor la main au réchaud, plouf ! Un tombé sur la moulasse ! Mais il a la plaisanterie pour faire passer. Elle a jamais voulu accepter l’embroquée franco-belge, Trudette ; juste une petite pogne amitieuse parce que c’est mon camarade. Et point à la ligne. Par exemple, elle a été commotionnée par ses surdimensions. En général, les Gros, ils ont pas la quéquette à l’échelle. C’est fréquent que les plus monumentaux te sortent de leur pantalon pour éléphant des navrances d’aspect auriculaire. Les potirons ont des petites tiges ! C’est la nature et ses fantaisies.

Elle gazouille. Je l’écoute. M’est avis que, demain morninge, tout devrait coller. Y a pas de raison : intelligent comme je me sens et conne comme je la vois…

* * *

Et à présent, le grand moment est arrivé. Çui que l’préposé des pététés va te déposer le Père Noël sur le paillasson.


8 heures 5


Gertrude Sambrémeuze sort de son nachélème. Elle est sanglée (comme ils écrivent) dans un imperméable marron gancé de rouge très very nice dans son genre. Ses cheveux sont tenus par un foulard tango. Elle a un sac à main en bredouillère (comme dit Béru). Son vieux papa l’escorte jusqu’au hangar à vélo de l’immeuble où il va chercher son mode de locomotion usuel. Elle, elle file vers l’arrêt du bus. Et c’est avant qu’elle ne l’atteigne qu’un très léger tagadagada-tsointsoin joué sur mon avertisseur la fait se retourner. Ma portière est déjà ouverte. Elle se précipite, engouffre, me saute au cou.

— Quelle bonne surprise, petit loup !

Le petit loup y va délibérément dans le mélo et même le méli-mélo.

— Je ne sais pas ce qui m’arrive, Gertrude, mais je suis fou de toi. Ta chère présence, ni nana nani nanèèèèère…

Une fille qui entend cette musique, surtout de la part d’un bon queutard voituré, alors qu’elle allait prendre le U 86, tu parles d’un effet sur son système glandulaire…

Qui dira jamais suffisamment l’impact transcendantal de la voiture à essence sur le clitoris des jeunes filles modernes. Ma dextre fouineuse lui va droit au trésor et le lui pétrit à travers cette infâme pelure d’oignon judicieusement baptisée « collant ».

Je continue, tout en conduisant de la gauche, à lui débiter de ces sornettes d’alarme qui font chmolquer les cœurs fragiles, les âmes candides et les slips.

Comme quoi la rosée du matin c’est de la boue pestilentielle par rapport à elle.

Comme quoi de penser à elle me fait bronzer tant elle est rayonnante intensément.

Comme quoi ceci.

Comme quoi cela. Tout bien, sans rater une seule épithète mouilleuse, un verbe déferleur, un adverbe sorceleur. Que je me donne à fond. Pur morcif d’anthologie pour manuel d’intellectuel anémié. Et le reste. Mon futal dont elle constate l’appartenance au cirque Jean Richard. Mon médius qui tourne médium, à lui scramouler la bagouze à col de fourrure. J’en passe…

Et puis, vu que mon automobile lui a fait gagner du temps, on met celui-ci à profit pour boire un café avant son boulot. On trouve un bistrot à stalles discrètes. Quand nous sommes servis, je lui roule une galoche asphyxiante en versant subrepticement le contenu d’un mignon sachet dans son caoua. Bien sucré, tu t’aperçois de rien. A preuve c’est qu’elle écluse tout le contenu de sa tasse. Alors l’heure du turbin arrive, car une heure de quelque chose finit toujours par sonner. Elle me quitte pour sa banque. Je lui annonce qu’elle aura probably la visite de mon ami, lequel a des documents à serrer dans son coffiot. Et on se promet des rancards imminents, des troussées folles, un amour au moins éternel.

* * *

10 heures 14


Il s’opère un léger remue-ménage dans les boyaux de M. Van De Boo. Une tourmente discrète qui le sollicite, l’induit à se dématiériser. M. Van De Boo est un homme dont la vie est réglée jusque dans son gros côlon. Quelque chose de ténu, qui ressemble à du bonheur, se coule en lui. Il sait qu’il est l’heure. Il a La Libre Belgique pliée menue dans la poche intérieure droite de son veston. Il en a lu les titres, la rubrique nécrologique et l’article de fond dans l’autobus. Aux chiottes, il potassera la rubrique à Bracque consacrée à la philatélie, car M. Van De Boo aime le timbre de sa vaillante nation à en ramasser les enveloppes sur les trottoirs pour que ne soit pas gâtée la petite vignette qui l’angule. Il possède tous les timbres belges, depuis les Atrébates jusqu’au présent roi Bédouin, en passant par l’époque de la Lotharingie et par le règne de Joseph II. Le timbre est le frêle îlot où se réfugie M. Van De Boo, en dehors des chiottes de la Banque Lisbrock. Voici quelques années, une quinzaine déjà, M. Van De Boo déféquait chez lui avant de se rendre au travail. Mais à la suite d’une colique, il fut amené à connaître les vécés de sa banque et il en eut le coup de foudre. En effet, les toilettes de cet éminent établissement sont, n’ayons pas peur des mots, luxueuses. Elles représentent tout le faste, toute la pompe (à merde) d’une civilisation aboutie. L’hygiène, le confort, la décoration des lieux, font du lieu un havre propice à la méditation. Dès lors, M. Van De Boo entreprit de discipliner ses entrailles en les retardant de deux heures un quart. Il dut lutter, pour réussir la profonde restructuration de son mécanisme digestif. Il eut bien des alarmes, connut moult affres, surmena dangereusement son sphincter, le contraignant à des prouesses qui défigurèrent parfois ses slips Rasurel.

Et puis le résultat vint. La ténacité implacable dont il fit preuve porta ses fruits. M. Van De Boo réussit à chier à dix heures quinze au lieu de huit. Car rien n’est impossible à l’homme déterminé.

Pourquoi ce martyre, me demanderas-tu, alors que la banque Lisbrock ouvre à neuf heures ? L’homme pouvait donc gagner soixante-quinze minutes sur le nouvel horaire qu’il s’infligeait. Nenni, mon ami, car M. Van De Boo, bien que chef, comme tout chef est assujetti à d’autres chefs. Son supérieur direct est M. Frickmann, le vice-fondé de pouvoir, personnage vétilleux pétri d’intransigeance. Déféquer pendant un quart d’heure, au cœur de la matinée et ce quotidiennement, provoquerait des remarques désobligeantes de la part de Frickmann. Heureusement, celui-ci se consacre au courrier de dix à onze, avec interruption de quinze minutes pour la petite pipe que lui fait Mlle Tugobbes, sa secrétaire. Ce quart de plombe était donc le seul laps de temps que M. Van De Boo pouvait mettre à profit.

Et voilà.

Alors il est 10 heures 14 et M. Van De Boo se conditionne pour sa grosse. Il recapuchonne son stylo, les pointes feutre se déshydratant très vite. Il écoute voluptueusement le gargouillis de ses tripes. Il sait que tout se passera bien et que ce sera bon. Il contrôle l’heure une seconde fois. Tire sur ses manchettes amidonnées. Jette un regard rassuré sur les écrans où s’inscrit, dans son intégralité, la rébarbative salle des coffres. Se lève. Il sourcille en voyant Mlle Gertrude Sambrémeuze dans les nuages, contemplant les évolutions d’une escadrille d’anges. Les femmes ne sont pas des humains normaux, selon lui. S’il était seul maître à bord, il n’engagerait que des hommes et t’expédierait toute cette racaillerie fendue à ses Tampax. « Heureusement que j’aie envie de “faire” », pense le misogyne en louvoyant jusqu’aux toilettes.

Il disparaît.

J’entre.

La môme Gertrude a les châsses en piège à mouches. Un voile est tombé sur sa vue. Pourtant elle me distingue.

— Vous ! elle exhale.

— Chérie, je n’y tiens plus. J’en ai une comme un démonte-pneu, j’ai beau me la passer sous l’eau froide, je continue de vous aimer.

— Je sens que vous allez finir par m’épouser, pronostique la jouvencelle.

Un frisson me zigzague la colonne vertébrale comme quand tu veux ranger un mètre pliant. J’ai envie de gerber sur son comptoir de marbre. Epouser ce machin-là ! Je préférerais me marier avec Fernand Legros pour peu qu’il veuille bien couper sa barbe et raser également les poils de son chapeau.

— Du train où vont les choses, éludé-je.

Elle soupire :

— Ahhhrrrr…

— Vous êtes un peu pâle ? dis-je.

— Je ne me sens pas très bien. J’ai comme des vertiges. On dirait que je suis soûle, si vous voyez ce que je ressens ?

— Le printemps, rassuré-je.

— Mais on n’est pas au printemps !

— Justement.

Je me penche :

— Tu es belle et je te veux mienne, ravissante créature.

— Ahhhrrrrr, répond cette nom de Dieu de conne.

Bérurier entre en scène.

Il a une serviette sous le bras. Fort belle pièce de maroquinerie acquise dans un Uniprix voisin, et qui lui donne l’aspect d’un démarcheur du Crédit Agricole de la Lozère.

— Salut, ma petite poule, dit-il allégrement. J’viens filer des fafs dans mon cageot, si vous voudriez bien déboulonner ma tirelire.

Le moment crucial est arrivé.

Bérurier brandit sa clé en la tenant par la taille, entre le pouce et l’index, afin d’en faire lire le numéro.

Et ce numéro, tu le devines, c’est 44.

Attention : le paquet ! Toute la gomme, faut pas qu’elle sourcille. La sauce !

Je murmure à la Gertrude envapée :

— Oui, je t’épouserai, déesse de mes nuits. Et nous connaîtrons une vie enchanteresse, pleine d’odeurs légères, de lys immaculés et d’enfants à la ressemblance de toi.

— Ahhhrrrr… Ahhhhhrrrrr…

Elle tape le 44 sur son clavier. Parfait, brave, faut-il vous l’envelopper ?

Bérurier remercie d’une pichenette à son bada et fonce vers l’ascenseur.

Tu toucherais mon poitrail à cet instant, tu ne pourrais y laisser ta main plus de trois secondes tellement que ça trépide là-dedans. J’ai un marteau-piqueur en guise de cœur.

Et qu’est-ce que je vois ? Ah, non ! Non, je refuse ! C’est pas de jeu. Le sort me prend pour un lavedu. Il est 10 heures 18 et M. Van De Boo revient déjà. Il a la mine courroucée.

— Quelqu’un a détraqué la chasse, annonce-t-il à la basse cantonade. Et ce quelqu’un n’a rien dit ! Et maintenant les vouatères sont inondés…

Il regagne sa place en marchant étroit à cause de ses entrailles, les pauvres, qui ne veulent pas connaître des défaillances de la plomberie et qui ont du mal à différer.

Il va s’asseoir pour s’obstruer. Il va regarder les écrans. Voir Béru… Mais le 44 lui est-il connu ? Réagira-t-il ? Il est tellement tatillon, minutieux, que sûrement oui.

— Elle se trouve mal ! exclamé-je en montrant Gertrude. Monsieur ! Vite !

Le chef s’empresse, remisant son envie pour plus tard, car l’émotion est astringente.

— Voyez comme cette jeune fille est pâle ! fais-je. Elle est sur le point de défaillir.

Van De Boo et ses collègues s’empressent. Trutrude se dit qu’effectivement elle n’est pas dans son assiette et qu’un petit macadam n’est pas de refus. Deux jours à se faire bourrer par un beau gosse qui se déclare prêt à l’épouser, y a pire, dans la hiérarchie des calamités, t’admettras ?

Alors elle dole vachement, s’abandonne en complaisance aux mains confraternelles qui lui compatissent autour. Elle joue tout ce qu’il y a de volontiers ce rôle que je lui tends. Un gus la prend aux épaules. Un autre par les jambes. Un troisième loustic, pour mieux soutenir l’ensemble, passe ses mains sous les fesses rebondies de mademoiselle et, subrepticement, lui file son doigt dans rogne à travers robe et slip. Van De Boo annonce qu’il va à la pharmacie pour des vulnéraires ; qu’en réalité, il court débourrer au troquet de l’angle, tu penses ! La façon dont il se déplace est éloquente. Tu dirais un robot déréglé. Il avance les jambes serrées, les pieds parallèles, en pivotant des talons, se reprenant de la pointe du soulier, que s’il s’écarte la moindre des choses, tout est à redouter.

Je perçois, derrière moi, un léger sifflotement. Reconnais l’air des « Matelassiers ». Donc, le roi Béru en a terminé de sa mission. Je coule un z’œil. Il sort d’un pas dégagé, sa serviette sous le bras.

On a embarqué la Gertrude vers les intérieurs, dérangé M. Frickmann en pleine pipe, juste pendant qu’il appuyait sur la tronche de Mlle Tuggobes avec frénésie, en pensant fort à la reine Babiola pour s’exciter à mort. C’est son vice secret, la reine Babiola, à M. Frickmann. Il donnerait sa place à la Banque Lisbrock pour se faire pomper une fois, rien qu’une, par Sa Majesté. Un rêveur… Bref, toutes les habitudes de la banque sont chambourlarès. Rien de tel ne s’était produit depuis 1924, que le grand lustre d’avant les transformations s’était écroulé sur la gueule du vieux caissier.

Je m’en vais discrètement. Radieux. Fier de nous.

Dehors, je vois quoi ? M. Van De Boo, pétrifié, vert. Il tend le bras en murmurant des mots vides et avides. Et tout en, il flouze dans son froc, le pauvre. N’en peut positivement plus. C’est fini. Sa boyasse a dit merde ! Trop de retard et d’émotions. Il pue à faire fuir une colonie de putois.

Je m’arrête.

— Ça ne vas pas, monsieur ?

Son regard est en colique également. Tout foireux. Son parler plus encore. Il est devenu diarrhée, M. Van De Boo.

— Là… Ils… Je… Ils… Lui… Oh, maman !

— Mais à part ça ? insisté-je doucement, afin de lui apprivoiser la détresse.

— Une agrrrr agrrr…

— Quoi, agrrrr ?

— Agression.

Jebondis. Merde, c’est vrai que Béru reste invisible ! Pourtant nous étions convenus qu’il m’attendrait à quelques pas de la banque.

J’attrape Van De Boo par ce qui lui reste d’attrapable, à savoir son veston.

— Mais parlez, bon Dieu !

— Le gros monsieur qui sortait de chez nous… Une auto. Deux hommes. Y en a qui lui a donné un coup sur la tête. Ils l’ont poussé dans l’ambulance…

— Parce que c’était une ambulance ?

— Oui. Elle est partie…

Je cours à ma tire remisée un peu plus loin. Voltige. Hop ! Hop ! Et hop ! Le moteur emballe comme la duchesse de L’. Je démarre si fortissimo que je heurte le joli cabriolet d’une gonzesse. Ne m’arrête pas. Elle, si, et trop vite puisqu’une camionnette l’emboutit.

Je bombe dans l’avenue, à fond la caisse. Décidément, je suis venu à Bruxelles pour interpréter « La Poursuite Infernale ». Je double à droite, je double à gauche. J’évite, n’évite pas, renverse, continue… Un feu rouge ? Tiens, fume, puisque c’est du belge !

Le carrefour est traversé à telle allure que les survenants n’ont pas l’idée de freiner. Ils passent en croyant avoir eu une brève hallucinance. Y en a même un qui stoppe pour prendre ses petites pilules contre la tension.

Toujours pas d’ambulance aux horizons. Je bombe vitissimo ! Une dame qui veut se protéger d’une flaque en abaissant son pébroque voit ce dernier disparaître, accroché à mon pare-chocs arrière, et se torchonne le maquillage parce que c’est sa poire qu’a tout morflé.

Ma poursuite continue. Mais est-elle valable ? L’ambulance a pu prendre une voie latérale, perpendiculaire ou multifiduciaire, après tout ! C’est grand, Bruxelles ! Un million septante quatre mille habitants ! c’est pas de la tarte ! Je veux bien qu’une partie est flamande, mais ça compte quand même, non ? Flamand ou pas Flamand, ça a deux jambes, deux bras, un tronc, ça mange, ça dort, ça marche, ça conduit une auto, ça traverse des rues, ça fait du lèche-vitrines le long des poubelles, tout ça, comme les gens.

Nouveau carrefour.

Je freine.

Comment ne pas ?

Assis au bord du trottoir, près du poteau des feux de signalisation, il y a Alexandre-Benoît Bérurier.

L’air tout chose, il s’évente avec son chapeau en considérant attentivement la pointe de ses souliers carrés.

— Hep ! Gros !

Sa Majesté redresse le menton. Il me regarde avec indécision, puis se lève. Il marche comme s’il avait cinquante kilogrammes de truc très dense dans chacune de ses poches. L’attraction terrestre, ce matin, elle est faite pour lui. Il en est le gugus.

— Monte vite !

Je suis contraint de lui ouvrir la portière. Il s’installe comme le bestiau de Pavlov, que je me rappelle jamais qu’il s’agissait d’un chien ou d’un singe, mais l’important c’est Pavlov, après tout. Cela pour te dire qu’il se voiture par réflexes conditionnés, mon Béru.

Je lui referme sa portière.

Ça coïncide avec le vert.

Est-ce un présage ?

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