CHAPITRE V QUI DEVRAIT TE FAIRE PEUR

Je viens de lui finir la figure 14 ter de « Volga en flammes », là que les pontonniers défoncent la glace à coups de pics, et Chère-Gertrude en est réduite à appeler sa mère en flamand rose (elle n’avait encore jamais pris du rond) quand un remue-déménage retentit dans la chambre voisine, m’informant du retour béruréen.

L’empétardeur de Japonaise est tout guilleret. Schlass un brin, dirait-on même, puisqu’il fredonne « Les matelassiers » tout en chahutant le mobilier.

Je termine ma « coffrière » en conscience, car l’amour ça ne doit pas se bâcler, jamais, n’importent les circonstances. Quand bien même un mari ferait retour alors que tu bouillaves avec sa baronne, coûte que coûte tu dois mener icelle au panard, sans tenir compte des cris ni des tempêtances maritales. Voilà où j’en suis. Y a de l’apostolat dans la tringle. Faut la respecter, car elle est l’essence de la vie. Et rien n’est plus stupide que de tomber en panne d’essence.

La gosseline se remet tant mal que bien de ma séance par un bain de siège prolongé. On dit qu’après l’amour l’animal est triste, chez l’homme c’est pas de la tristesse mais de l’irritation (au sens inflammatoire et dermatologique du terme).

Cette jeune Belgeuse, somptueusement sodomisée, pis qu’une reine de Saba, a besoin de se refaire un fondement quand l’Antonio est passé par là. Logique !

Un paf, c’est pas une carotte : tu n’peux pas le râper avant de l’introduire. Ils sont épice-copeaux les braques de mon envergure. Défonceurs, pour tout dire. Leur vocation, en somme. Pics épiques et colériques.

Je laisse Gertrude désendolorer. Chaque médaille a son revers. Pour elle, c’est le côté pile qui foire et déglingue.

Mister Béru a des yeux comme des boucles d’oreilles en rubis. Ils étincellent et branligotent.

— T’es blindé comme la ligne Siegfried, Gros ? reproché-je.

Rien n’est plus éprouvant que l’ivresse des autres lorsqu’on est impec soi-même.

— J’ai tué le temps à la gueuse alambic, il explique. Pour la bière, y sont champions, les Belges. Ce qui y a, c’est que ça fait pisser. A la fin, je licebroquais carrément sous la table !

— Et Fayol ?

— Affaire réglée, mylord.

— De quelle façon ?

— Au mieux de nos intérêts.

— C’est-à-dire ?

Il ouvre la bouche, non pour répondre, mais pour accrocher les wagons. Puis il commence à se dessaper avec des grâces nubiles de jeune vierge mimant un strip-tease.

— Eh bien ?

— Ecoute, gars…

Il est interrompu par son derrière, toujours très turbulent voire même disert en fin de journée.

— Ah, çui-là ! sourit le Mastar avec indulgence, faut toujours qu’il la ramène quand est-ce qu’on lu d’mande rien. Bon, pour le petit tubar, si tu voudras bien, j’préfère n’pas en causer. J’l’ai mis en réserve d’la République, on a l’champ lib’, un poing c’est tout.

— Mais, nom de Dieu, j’ai le droit de savoir !

Il secoue sa tronche pensante énergiquement.

— Ces choses, moins on les sait, au mieux qu’ça vaut.

Une vague angoisse me constricte.

— Eh, dis, Gros, ôte-moi d’un doute, tu ne l’aurais pas ?…

— T’es louf, tu m’prends pou’ l’louchébem de Sulderdorff !

— Alors ?

— Alors, gaude naille, sœur ! J’m’zone, j’ai les lampions qui font relâche, moi, à force d’à force. Quelle journée !

Il est nu.

Il se couche.

Je me penche sur lui. Le secoue, lui intime l’ordre de parler. Un rot tornadesque, riche en réminiscences charcutières me fait reculer.

Et le voici endormi, bébé rose.

Je reviens dans ma chambre.

La Gertrude pionce aussi.

Et mézigue, malgré mes prouesses et le beau doublé de la journée, je n’ai pas sommeil. Rien de plus démoralisant que l’insomnie parmi des dormeurs.

Ma tocante raconte une plombe moins des broutilles. Faire quoi ? Bruxelles by night ? Des bars, des putes ? Des artères qui s’engourdissent…

J’hésite. Cette conne dans mon plumard me donne envie de fuir. Je la voudrais aux cinq cents diables.

La réveiller pour la reconduire chez elle ? Je ne m’en sens pas le courage. Elle va encore parler. Et j’en ai classe de l’écouter. Déjà, au restaurant, j’en pouvais plus de ses bavasses. Souvent, des pétasses de son espèce, tu leur flanques ton braque dans le clappoir uniquement pour les faire taire un moment.

Je cherche de quoi lire. J’aurais dû me munir d’un bouquin. Ici, y a que la Bible et l’annuaire du téléphone. Je me demande dans lequel de ces deux polars les personnages sont le plus cocasses, et j’opte pour le second.

Je l’ouvre à la lettre « S ». Sans le vouloir.

Et pour lors il me vient une idée. Je parcours les colonnes d’un regard rapide jusqu’à ce que je déniche « Studio Barbara, 6 ter, place Van Deputt ».

Qu’est-ce que je risque ?

Elle a le bigophone, la grande panthère noire à mèches blondes.

Je réclame son numéro. Ça gredouille tout drôlet, à l’autre bout. Pas comme un biniou ordinaire. L’on dirait plutôt une sonnerie de gare. On se hâte pas de répondre. Peut-être le « Studio » n’est-il occupé que dans la journée, s’il est seulement destiné à des fins professionnelles ? J’insiste un peu, pour dire. Des fois que la Barbara pioncerait. Je vais pour renoncer lorsqu’on décroche enfin.

— Allô ! je murmure, c’est vous, envoûtante Barbara ?

Au lieu d’une réponse, on me coupe la communication au pif et on laisse décroché. J’ai beau rappeler, ça répond pas libre. M’est avis que la donzelle déteste qu’on la réveille. Décidément, j’ai rien pour m’accrocher aux branches. Alors je me love dans un fauteuil, devant une eau-forte que ça représente le dauphin Louis, futur XI, en visite chez le père de Charles le Téméraire, le vieux duc de Bourgogne Machin qu’était pas mauvais cheval, lui. Je réfléchis au coup de la banque. Cette opé, pour être certain qu’elle réussisse au poil, il conviendrait que je puisse jouer tous les rôles délicats à la fois. Il faudrait que j’aille vaporiser le P.C. de la Landon Shaffer’s, et puis que j’entreprenne la mère Gertrude à son guichet, et aussi que je descende disposer les photos trompeuses dans la salle des coffiots pendant que le dénommé Van De Boo fait caca. Tout ça. Pour être bien servi, faut se servir soi-même, que les autres ont tendance à bâcler, ou à faire du zèle, ce qui est pire. Moi, je la sens bien cette affaire. Mais à condition qu’on m’accorde le don d’ubiquité. Trouver des archers à la hauteur, à la tienne ! Le temps que tu leur expliques et fasses piger…

La disparition de Fayol ne risque-t-elle pas de nous valoir des ennuis ? Ils vont la trouver suspecte, les copains ; l’Anglais surtout. J’suis sûr qu’il aimera pas. Ça risque de faire annuler le coup de main. Car Fayol est au courant de nos projets. S’il s’est évaporé, ils vont croire qu’il en croque à la grande gamelle et qu’il nous a allongés aux poulets. Quelle chiotte ! Où l’a-t-il flanqué, ce tubar, le gars Béru ? Faudra au moins que je lui fasse révéler. Un autre truc me taraude le cuir : la réaction du Vieux. Je pige plus. Quand on devait craquer la British Golden Bank, il en voulait au coffre 44, le Dabe. On lui annonce qu’il y a contrordre et que c’est la Banque Lisbrock qui est visée, il répond que ça ne fait rien et qu’il lui faut le contenu du casier 44 de celle-ci. Pas banal, non ?

Tout en malaxant ces mystères, et autres morosités, je m’endors dans mon fauteuil.

* * *

Dans la noye, mal à l’aise du fait de ma posture, je rejoins mon plumard, file un coup de genou dans le baigneur à Gertrude pour obtenir l’espace nécessaire à ma dorme, et me mets à en concasser vilain.

Il fait jour et beau lorsque je me réveille. La banquière a disparu. Faut dire qu’il est près de neuf plombes et qu’elle est allée au charbon. Elle m’a laissé un mot sur le papier à lettres gravé de l’Amigo : Soye minou, mon chéri : passe à la banque qu’on se fixe un autre rendévous. Si tu savais comme le derrière me brûle ! Je t’embrasse plein partout. Ta Trutrude.

Gentille, non ? Elle m’a même noté son adresse pour si ça presserait notre revoyure.

Une deuxième missive tient compagnie à la première. Je te la livre intégralement.

Moi, c’est pas le cul qui m’brûle, c’est l’estom’. Leur bière, ben mon vieux, tu m’en r’causeras ! Rien n’vale le bojolé nouveau. J’sus été m’occuper d’not’ pote dont auquel tu comprendras d’qui j’veux dire. On s’retrouve tantôt au lieu qu’y z’ont dit pour le rancard. J’t’en serre cinq. Alexandre-Benoît B.

Ayant pris connaissance de ces différents messages, je commande mon breakfast et des journaux. Je me cogne des eggs-and-bacon et un café-noir-croissants tout en parcourant les manchettes des canards. Après quoi, décidant que je n’ai rien de mieux à fiche, je me rendors. Toujours emmagasiner du repos quand c’est possible. T’as tellement l’occasion de puiser dans ton capital énergie, à force d’exister dans cet univers de chiasse !

A quatorze heures, gavé de sommeil, je téléphone à ma Félicie, lui dire que tout va bien et que Bruxelles est une ville vachement sympa.

Ensuite je m’offre une sérieuse douche, un rasage serré ; je me lotionne bien partout et je file à la réunion.


Sa Majesté fait les cent pas sur le trottoir en m’espérant. Elle examine les passantes, se permettant même un mot gentil aux mieux en chair, et elle fume un gros cigare belge pour P.-D.G. de cinéma.

Béru m’accourt contre, tel un cador éperdu de son maîmaître.

— Y a des chouettes gonzesses, ici, tu n’trouves pas ? Des grands-mères roulées maison. J’crois qu’à l’indice du nichemard, Bruxelles tient le pompon.

— Où est Fayot ?

— Mais…

— Ah, non, marre. Je te somme de me dire ce que tu en as fait.

Mon ton sans jambage l’en impose. Il sait quand ma coupe déborde, le Gros.

— Ecoute, là qu’il est, y craint rien.

— Où est-il ?

Alors il s’explique.

Hier, après notre départ, il a eu une converse approfondie avec le malfrat. Il a appris qu’il était manda et père de famille. Il l’a obligé de téléphoner à sa bonne femme pour lui dire qu’on voulait l’embarquer dans un coup qui ne lui disait rien et qu’il préférait aller se mettre au vert quelque temps, en attendant que l’opération ait lieu, car il craignait que son lâchage ne lui vaille des représailles de la part de ses copains. Ce coup de fil passé, il a embarqué Fayol dans une pension de famille très modeste d’un quartier excentrique et l’a contraint à louer une chambre. Lorsqu’ils ont été tous les deux dans celle-ci, il lui a fait ingurgiter de force une demi-bouteille de whisky. Le pauvre Fayol, qui ne boit pas d’alcool, s’est écroulé, ivre mort.

Ce matin, Béru est retourné à la pension. L’autre revenait à peine à lui, et il lui a fait finir la bouteille. Nouveau coma éthylique. Il a prévenu la matrone de l’établissement que son cousin Fayol buvait beaucoup, et jusqu’à l’inconscience, à la suite d’un deuil cruel dont il ne se remettait pas, mais qu’il était très calme, très gentil et qu’elle n’aurait jamais de désagréments avec lui. La vieille, très imbibée aussi, a assuré qu’elle comprenait la vie et qu’un chagrin c’est un chagrin. Le noyer est une manière comme une autre d’en venir à bout. Elle-même avait perdu son homme dix ans plus tôt, eh ben c’est au genièvre qu’elle accommodait sa douleur éternelle.

— Comme tu vois, tout est au poil. Avec une boutanche par jour, gurgitée en deux fois, on se le tient k.-o. jusqu’à butane-éternuâmes.

— Mais il risque d’en crever ! bondis-je. Un gus qui ne buvait que des jus de fruits !

Le Mammouth part à rire.

— Mourir ! Un malheureux flacon de vouiski qui n’fait même pas le litre ! Bon, pisque t’as des escrupules, j’lu donnerai doré de l’avant quéque chose de plus raisonnab’ : d’la Chartreuse verte, ou du Cointreau pour dire de l’étonner.

Je me propose de revenir sur la question ultérieurement et nous pénétrons dans l’immeuble où doit se tenir notre rencontre au sommet, l’heure du rendez-vous ayant largement sonné à tous les clochers ou beffrois de la ville, de même qu’aux montres-bracelets de ses habitants.

Notre point de rencontre est un vaste immeuble moderne dont le bas fait galerie marchande. C’est plein de magasins modernes où l’on vend des disques, des inutilités bimbeloteuses et des hamburgers noyés dans le ketchup. Au fond, un escalier roulant conduit à l’étage supérieur, là que l’immeuble commence positivement sa vie d’immeuble.

Je m’engage dans l’élévator, suivi de Sa Majesté. Ce qu’il vient de m’apprendre à propos du sort de Fayol me tracasse. Car enfin, la thérapeutique pour garder le tubar inconscient est sévère, compte tenu de son état de santé. En outre, je me demande si elle est tellement efficace ? Un zig ivre mort peut connaître des périodes de récupération, période que le Belge mettrait à profit pour rameuter nos « commanditaires ».

Me voici à mi-hauteur de l’escadrin, lorsqu’il se passe quelque chose au niveau du premier. Un type vêtu d’un imperméable noir, coiffé d’un chapeau à large bord et le nez chaussé de lunettes teintées s’élance dans l’escalier à notre rencontre.

Bon Dieu ! Pour lors, la recommandation de la belle Barbara me revient à l’esprit. J’aurais pu y repenser plus vite, en découvrant l’escalier mécanique par exemple. Mais non, tout aux déclarations du Gravos, je me suis précipité sur les marches de métal comme un étourdi. Et maintenant il y a ce type. Et il braque une pétoire grosse comme une pièce de marine à longue portée dans ma direction. Sa position et la mienne font qu’il ne peut me rater. Il n’a qu’à défourailler et à se laisser remonter. Sans doute a-t-il prévu une issue de secours.

A bout portant ! Un soufflant pareil ! Va y avoir un trou grand comme le tunnel sous le Mont-Blanc dans ma viandasse ! Et d’ici deux secondes au plus.

Ton Sana joli ne barguigne pas.

Talonnade arrière, formide. La ruade de mulet ! En plein dans le poitrail du Mastar qui part à dame en hurlant comme une horde de loups qui se serait fait coincer les queues dans une portière de wagon. Et simultanément, moi, l’Antonio du siècle, je bondis par-dessus la rampe de l’escadrin. Super-valdingue. J’atterris sur un amoncellement de grosses poubelles de plastique. Un méchant vacarme emplit l’immense local. C’est la rafale de toute beauté. Car il possède un pistolet à répète, le vilain, et quand tu conserves ton doigt sur la détente, toute la sauce part.

Et puis y a cavalcade au-dessus de ma tronche.

Je me dépêtre des poubelles. Boitille un brin, m’étant foulassé une flûte en chutant. Reviens à l’escalier qui hisse un gros laxonpem de viande et de fringues : Bérurier, couché à la renverse dans l’élévator. Je me précipite. Le tas béruresque est déjà arrivé au premier. Je gravis les marches mouvantes cinq à six.

Un regard angoissé sur mon pote m’indique que le sang dégoulinant de sa coiffe ne provient pas d’une balle mais du coin de l’escalier. Je le palpe : honnis l’avarie en question, Pépère est indemne, la salve qui m’était destinée étant passée largement au-dessus de lui.

Il grommelle des imprécations. Je l’enjambe pour mater le hall du premier. Au fond d’icelui, une porte marquée « issue de secours » n’en finit pas de battre.

Inutile de vouloir courser notre agresseur, il a déjà rallié le sous-sol. Sa retraite était dûment préparée. J’aide le Dodu à se remettre à la verticale. Il étanche son raisin vermeil à l’aide d’un mouchoir qui en a vu de toutes les couleurs, au point d’oublier la sienne d’origine, si je puis malexprimer ainsi, mais t’as l’habitude, non ?

Du haut, nous considérons le hall où ça effervescente. Le grand lustre central est sacrément endommagé par la rafale, et y a des morceaux de plâtras grands comme la Belgique au sol. Même qu’un vieux curé déguisé en ecclésiastique en a morflé un sur la calebasse ! Et puis une maman bieurle à l’excès parce qu’il en est tombé sur le landau où glapit sa chère chair.

— Prévenez la police ! je hurle. Moi j’évacue ce blessé.

Vite, je pousse Gradube dans une cabine d’ascenseur. L’appartement où on a la ranque se situe au sixième étage et c’est le numéro 68. On s’y pointe au pas de charge. A ce niveau, on ne perçoit plus la rumeur d’en bas. C’est calme, peint en vert d’eau, avec une épaisseur commak de bullegomme au sol pour te feutrer les pas.

Je toque au 68 d’un index plutôt pressé.

Chose bizarre, on ne me répond pas.

— Y aurait pas gourance ? s’inquiète l’Ebréché.

— Non, fais-je en consultant mon carnet, j’ai bien noté 68.

Je presse une minuscule bitougne ronde, en acier, logée à droite de la porte. Un petit air bref mais mélodieux retentit à l’intérieur. Nothing.

A cet instant, l’un des ascenseurs stoppe à notre étage. Pourvu qu’il ne s’agisse pas des archers ! Je me détronche. Respire. Les frères Karamazoff ! Médé et Pauley, fringués identiques de costars en tweed moucheté. L’aîné porte son éternelle gapette, l’autre est nu-tête.

— V’là Dupont et Dupont, ricane l’Enfoirure.

Médé semble soucieux.

— Qu’est-ce que c’circus, en bas ? il demande.

— Un dégourdoche nous a défouraillé contre pendant qu’on se payait l’escadrin roulant, expliqué-je.

— Merde, y a plein de roycos qu’arrivent à la rescousse. Pourquoi qu’vous z’entrez pas ?

— Faudrait qu’on nous ouvrisse, gronde Alexandre-Benoît, mais on a beau carillonner, y jouent motus à l’intérieur.

Comme pour en avoir le cœur net, les deux Prince s’offrent un récital de phalanges contre le panneau laqué. En pure perte.

Alors on se regarde, sans joie.

— J’aime pas ce genre de lapin, dit Médé. Et puis ce type qui vous reçoit à coups de pétoire, c’est pas inscrit dans le cahier des charges ! J’sais pas pourquoi, cette affaire commence à me tartiner la prostate, les mecs. Si on serait marles, on laisserait quimper leurs coffiots, à ces pieds-nickelés. C’est comme de changer d’objectif, commak, sans prévenir. Franchement, y nous prennent pour d’la crotte de bique.

Il se tait pour tendre l’oreille. Une grosse rumeur bourdonne dans les étages. Elle s’enfle, se rapproche.

— V’s’allez voir qu’on va s’faire alpaguer comme des branques, sans avoir rien fait, bordel de merde !

Prenant une brusque décision, je sors mon sésame et me mets à farfouiller dans la serrure. Intéressés, soudain, les frères Prince me contemplent avec des yeux professionnels.

Ma promptitude à délourder les sidère.

— Alors là, chapeau, dit Pauley.

On s’engouffre à qui mieux mieux, mais sans bousculade. Referme.

Ouf ! Le brouhaha montait dru et on allait se faire interpeller par des collègues irascibles.

Nous sommes dans une petite entrée de bureau. Y a des portemanteaux avec un manteau accroché à l’une des patères (noster). Des vitres dépolies lui donnent médiocrement l’éclairage du jour. On pousse une porte également vitrée qui donne accès à un vaste burlingue meublé d’une table ovale et de chaises strictes. Des sous-mains, disposés comme des sets, émaillent la table de taches vertes, géométriques. Sur une chaise de bout, se trouve l’Anglais. Il est légèrement renversé en arrière et il a eu la poitrine défoncée par une rafale de valdas. Son meurtrier, vachement blagueur, tu vas voir combien, lui a planté son pébroque dans la plaie béante, si bien que M. Mister fait songer à un taureau banderillé grotesquement.

On s’immobilise pour contempler. Tout ça est très impensable. Dans le couloir, ça déferle en masse. On crie, on interpelle, on incohère. Bon, et puis ça se tasse. Ils ont une manière de courser les assassins ici qui me paraît assez artisanale. Note que nous autres, en Francie, quand on a repéré un kidnappeur dans une cabine téléphonique, on lui envoie une Estafette de gendarmes avec phares tournants et sirènes. Alors c’est bien pour dire de se ficher de la charité, hein ?

Bérurier qui a déjà coagulé s’approche de la victime.

— A bout portant, il dit, ses fringues sont roussies.

— Un familier du gars, réfléchis-je à intelligible pensée.

— Fayot, peut-être, puisqu’il n’est pas là ? suggère Pauley.

— Hum, ça m’étonnerait, répond Bérurier qui a des raisons.

Le vieux Médé remonte le col de sa veste. Il est tout rabougri, soudain, tout minusculisé par le drame.

— En tout cas, les enfants, moi je vous dis au revoir et meilleures salutations à vos dames, déclare-t-il. Vous pouvez être certains que le prochain train pour Paname, y aura moi et mon frère dans le wagon de tête si les petits cochons n’nous flinguent pas en route ! Tu viens, Pauley ?

Je donne de la main sur la table.

— Minute !

— Minute mon cul, camarade ! J’ai jamais voulu travailler dans le boudin, c’est pas à soixante et mèche que je vais commencer. Une affaire à ce point cacateuse, franchement, jamais encore j’en avais connu de pareille ! On va aller réparer notre p’tite maison de famille sur les bords du Loing, le frelot et moi. On adore bricoler, pas vrai, Pauley ? Lui, il est imbattable en électricité.

Pendant qu’il jacte, je lui saisis les pognes et je les renifle. Ensuite j’opère de même avec son cadet.

Ils sont outrés.

— Quoi ! Non, mais ça va pas la tête, poulet ! Tu t’imagines que c’est nous qu’on aurait pu flinguer le Rosbif ?

— J’imagine rien, je contrôle.

— On sent pas la poudre, j’espère ?

— Non, mais toi, Médé, tu devrais te laver les pattes quand tu sors des gogues, ça ferait plus mondain.

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