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Le gros camion se dandinait dans la tempête, semblable à un animal préhistorique sous une pluie battante. La police avait mis un certain temps à le localiser car il n’était pas garé dans les environs du domicile de Holberg, mais à côté du dispensaire de Domus Medica, situé à quelques minutes de marche de chez lui. Finalement, on avait dû rechercher le véhicule en passant des annonces à la radio. Une patrouille de policiers trouva le camion au moment où Erlendur et Sigurdur Oli quittaient l’appartement de Holberg munis de la photo. On fit appel à la police scientifique pour passer le véhicule au peigne fin à la recherche d’indices susceptibles de faire progresser l’enquête. C’était un camion de type MAN équipé d’une cabine de couleur rouge. La seule chose que l’on trouva au bout d’une recherche rapide était une pile de revues pornographiques bon marché. On décida de transférer le camion dans les locaux de la police pour un examen plus poussé.

Pendant ce temps-là, la police scientifique travaillait sur la photographie. Il apparut qu’elle avait été imprimée sur du papier de marque Ilford, très utilisé dans les années 70, mais qui n’était plus fabriqué. Il était probable que le cliché avait été développé par son auteur ou par un amateur, il avait pâli comme si le travail n’avait pas été spécialement soigné. Aucune inscription n’avait été notée derrière et il était difficile de dire dans quel cimetière la photo avait été prise. Cela pouvait être n’importe où en Islande.

Le photographe s’était tenu à une distance d’environ trois mètres de la stèle. La photo avait été prise juste en face ; le photographe s’était sans doute accroupi, à moins qu’il n’ait été bien plus petit que la stèle. En dépit de la distance, l’angle de vue était très étroit. On ne voyait aucune végétation. Une fine couche de neige recouvrait la terre. On ne voyait aucune autre stèle. De l’autre côté de la tombe, on ne distinguait rien de plus qu’un nuage de buée blanchâtre.

Les enquêteurs de la scientifique se concentrèrent sur l’épitaphe, très floue à cause de la distance à laquelle la photo avait été prise. Ils tirèrent un grand nombre d’agrandissements de la photo jusqu’à ce que chacune des lettres soit imprimée sur du papier A5, on les numérota et plaça dans l’ordre de leur apparition sur la pierre. Les clichés, d’un grain très grossier, formaient à peine plus qu’une alternance de points noirs et blancs dessinant des nuances de lumière et d’ombre mais, une fois qu’elles eurent été scannées à l’ordinateur, il fut possible de travailler les ombres et la définition de la trame. Certaines lettres apparaissaient avec plus de netteté que d’autres, ce qui aida la police scientifique à compléter les blancs. On déchiffra sans difficulté les caractères O, T et M. Les autres donnèrent plus de fils à retordre.

Erlendur téléphona au domicile de l’un des chefs de service de l’état civil vers l’heure du repas du soir et obtint de l’homme, jurant et grommelant, qu’il vienne le retrouver devant le bâtiment de l’état civil dans le quartier de Skuggahverfi, le quartier des Ombres. Erlendur savait qu’on conservait là tous les actes de décès édités depuis 1916. Il n’y avait pas âme qui vive dans les lieux du reste, les employés avaient fini leur journée depuis un certain temps. Environ une demi-heure plus tard, le chef de service approcha sa voiture du bâtiment et serra la main d’Erlendur avec précipitation. Il entra un code dans l’alarme antivol et ils s’introduisirent dans le bâtiment à l’aide d’une carte spéciale. Erlendur lui expliqua l’affaire, mais ne l’informa toutefois que du strict nécessaire.

Ils examinèrent tous les actes de décès de l’année 1968. Ils trouvèrent deux Audur. L’une d’elles était dans sa quatrième année. Elle était décédée en février. Le certificat de décès avait été établi par un médecin dont ils trouvèrent immédiatement le nom dans le registre de la population. Il habitait à Reykjavik. Le document mentionnait le nom de la mère de l’enfant. Ils retrouvèrent sa trace sans le moindre problème. Son dernier domicile officiel était à Keflavik au début des années 70. Elle s’appelait Kolbrun. Ils recherchèrent son nom parmi les actes de décès. Elle était morte en 1971, trois ans après sa fille.

La petite fille avait été emportée par une tumeur cérébrale maligne.

Quant à la mère, elle avait mis fin à ses jours.

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