Chapitre 12

Un matin, le marquis de Villedavray aborda Angélique de son air le plus alléché et l'attira à l'écart. Elle crut qu'il allait lui parler de fourrures ou encore de ces tonneaux de vin de Bourgogne qui lui restaient sur le cœur, mais il lui dit tout à trac :

– Que s'est-il passé avec le comte de Varange ? Elle en eut un battement de cœur. Heureusement pour elle, depuis qu'on était à Tadoussac le crime obscur qui avait marqué leur entrée en Canada, lui était si bien sorti de l'esprit qu'il lui fallut une fraction de seconde pour se remémorer le drame, ce qui lui permit d'avoir, ne serait-ce que fugitivement, l'expression d'étonnement nécessaire.

– Que voulez-vous dire ? Varange ? Villedavray la scrutait d'un œil aigu. Elle avait repris son sang-froid et paraissait sincèrement ne pas comprendre.

– Oui... vous m'en avez entretenu il n'y a guère... quelle raison aviez-vous de vous y intéresser ?

Angélique fronça les sourcils comme si elle faisait un effort de mémoire.

– Je crois vous avoir dit que j'avais entendu parler de lui.

– Par qui ?

– La duchesse, peut-être, ou Fallieres... je ne sais plus et je désirais me renseigner à son sujet. Il faut que je prévoie un peu à qui j'aurai affaire à Québec.

– Vous n'aurez plus affaire à lui !

– Pourquoi donc ?

– Parce qu'il a disparu.

– Ah !

– Il est venu rôder à Tadoussac il y a quelque temps, lui glissa-t-il en se penchant vers elle. Il était descendu de Québec avec sa grande barque et son valet. Il prétendait surveiller l'eau-de-vie et les baleiniers basques qui parfois se hasardent à braconner par ici, mais il louvoyait tant de par le fleuve qu'on s'est demandé ce qu'il cherchait... ou attendait. Vous pourriez peut-être me renseigner.

– Moi ? Vous délirez.

Il commençait à lui donner chaud avec sa curiosité par trop intuitive et son regard inquisiteur. Mais elle soutint l'examen avec assez d'indifférence pour ébranler ses soupçons.

Il la lâcha et regarda autour de lui en marmonnant :

– Qu'a-t-il bien pu venir faire par ici ?

– Vous le saurez, sans doute, en arrivant à Québec.

– L'y trouverai-je ? fit l'entêté marquis en dardant sur elle un regard si aigu qu'elle faillit perdre contenance.

– Pourquoi non ?

– Parce qu'il a disparu, vous dis-je... avec son valet.

– Probable qu'il est retourné à Québec avec sa barque... et son valet.

– Non... car on a retrouvé la barque... vide.

Il désigna un point à l'horizon, sur l'autre rive du Saint-Laurent.

– Par là-bas... à l'anse du Cri-aux-Oies. Mais d'eux, nulle trace.

Angélique eut un geste évasif.

– De toute façon, peu m'en chaut. Vous m'avez avertie qu'il était de nos ennemis. Autant ne pas le retrouver à Québec... Et maintenant, cher marquis, que faites-vous par ce beau matin ? Je dois me rendre au presbytère voir le curé.

– Qu'allez-vous donc trafiquer autour de son alambic à ce cher homme ?...

– Je voudrais aider Aristide à améliorer son rhum. Le curé a une provision de feuilles de merisier sauvage et des petits fruits cueillis avant mûrissement. C'est connu pour donner au tafia une saveur plus attrayante et diminuer les effets nocifs d'une trop grosse teneur en résidus. Nous allons faire quelques essais. Comme vous le voyez, nous prenons nos habitudes à Tadoussac. Et pourtant, il y a du départ dans l'air. Qu'attend-on ? Que le Maribelle, vaisseau du Roi, se présente avec ses trente canons ? Ou que l'envoyé du roi caché sur le Saint-Jean-Baptiste nous fasse la grâce d'apparaître ?

– Cet envoyé du roi est un couard.

– À moins qu'il n'existe pas... Alors, marquis, m'accompagnez-vous jusqu'à la cure ? Ou bien ?...

Villedavray hésita. Il aperçut Joffrey de Peyrac qui se faisait ramener sur le Gouldsboro et préféra se joindre à lui. Il était toujours très affairé à se faire conduire d'un endroit à un autre. De plus, il avait en cet instant une idée derrière la tête et le moment lui parut des plus propices.

Il prit congé d'Angélique et courut pour monter dans la chaloupe.

Il entreprit aussitôt le comte de Peyrac.

– Cher ami, depuis quelques jours une question me préoccupe. Je suis persuadé que le courrier de Mlle d'Hourdanne est à bord du Saint-Jean-Baptiste.

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