Chapitre 4

Angélique était montée le long de la côte entre les souches d'arbres abattus. Elle avait dépassé cette zone de débroussaillement et continué plus loin, le long de la pente herbeuse.

Enfin, elle aperçut la source. Et elle sut que l'endroit, comme hier, était habité d'une présence, invisible encore, mais certaine, quoique cette fois elle n'aperçût rien entre les troncs des arbres. Tout était calme.

Et pourtant l'Iroquois était là.

Elle sut aussi qu'il était trop tard pour reculer et qu'il fallait que le songe s'accomplisse. La nervosité un peu hagarde qui l'avait poussée jusque-là la quitta. Une force, qu'elle connaissait bien, monta en elle. C'était celle qui précède le combat. Elle avait connu déjà cela maintes fois, et notamment quand il lui avait fallu défendre ses enfants, le poignard à la main. Sa paix intérieure devenait alors si grande qu'elle se souvenait ensuite de ces instants comme des moments les plus exaltants de sa vie.

Elle prit dans son poing le poignard de Florimond et, le dissimulant dans les plis de sa jupe, continua d'avancer jusqu'au bord de la source où elle s'agenouilla. Et celui qui la guettait, la voyant le dos tourné et apparemment sans soupçon, ne s'attendait pas à la voir subitement lui faire face lorsqu'il bondit. Elle l'aperçut, ombre noire, dressée sur le soleil couchant, avec son tomahawk levé et la touffe de ses cheveux transformée en aigrette brillante et ressemblant à un grand oiseau de proie, silencieux et immense, qui s'abattait sur elle. Elle se déroba d'un coup de reins. Il trébucha, manqua son but et, comme elle le saisissait d'une main vive à la cheville, il tomba lourdement dans les feuillages au bord du ruisseau. Son casse-tête lui échappa et, presque aussitôt, la pointe aiguë du poignard s'appuya sur sa gorge.

Tout ceci s'était déroulé avec une rapidité extraordinaire, sans bruit et sans même que le halètement de leur souffle fût perceptible.

Cependant, au moment de trancher cette vie, Angélique hésita. Elle pesait de tout son poids sur l'Indien renversé. Entre les fentes obliques des paupières, des prunelles noires et brillantes traduisaient une indicible stupeur.

L'Iroquois ne pouvait comprendre comment un guerrier aussi fort, aussi habile, aussi invulnérable que lui, se trouvait à la merci d'une femme, et encore d'une femme blanche ! Il ne commença à revivre qu'au moment où l'idée qu'elle n'était pas une femme réelle, mais un être d'une essence supérieure et sans doute divine, pénétra en lui. Alors il respira. Il pouvait admettre sa défaite. Ce n'était plus un déshonneur.

Sa voix s'éleva, rauque et basse :

– Femme, donne-moi ma vie !

Dans l'instant d'hésitation qu'elle avait marqué à l'égorger, il eût pu essayer de lutter contre elle, mais il semblait y renoncer.

– Si je te donne ta vie, tu prendras la mienne, murmura-t-elle.

Sa voix douce et musicale trembla et pénétra dans l'esprit du sauvage.

– Non, fit-il avec force. J'en fais serment par le Grand-Esprit. Ta vie est sacrée si tu es incarnée. Désormais nul ne peut y attenter.

Et elle s'aperçut qu'ils avaient échangé ces répliques en français.

– N'es-tu pas Outtaké, chef des Mohawks ?

– En vérité, je le suis !

Alors Angélique se releva avec lenteur et le libéra. L'Iroquois se roula lentement sur le côté, ne la quittant pas des yeux, puis il se redressa, à son tour, avec des gestes souples de félin. Il ne chercha pas à ramasser son casse-tête. Il restait là, les mains nues, immobile, à la contempler.

– Et toi, tu es l'épouse de Tekonderoga ?

Comme elle ne semblait pas comprendre :

– L'Homme du Tonnerre, celui qui fait sauter les montagnes et à qui appartient le poste de Katarunk ?

Elle inclina la tête affirmativement.

– Alors, conduis-moi à lui, dit-il.

*****

Ceux qui montaient vivement la côte, l'arme au poing, se précipitant au secours d'Angélique, virent venir à eux deux formes, d'abord imprécises car la nuit tombait sur ce versant de la montagne.

Ils reconnurent la jeune femme, mais très vite, à leur soulagement, se mêla un sentiment soupçonneux à l'égard de celui qui l'accompagnait. Ils s'arrêtèrent, aux aguets. Et chez beaucoup se levait ce vague sentiment de crainte et de timidité que devaient éprouver, jadis, ceux qui voyaient revenir de la montagne les saintes légendaires traînant derrière elles le monstre, le dragon, la Tarasque enchaînée et, enfin, inoffensive. Car l'on pouvait éprouver que l'être qui la suivait n'était pas d'une espèce commune. Il semblait qu'il y eût en lui la chaleur terrifiante du monstre vaincu. C'était bien le souffle du dragon incendiaire et vorace qui gonflait son buste tatoué et faisait briller comme des charbons incandescents ses prunelles dilatées. Et le fumet sauvage qui émanait de sa personne, relent de tanière et de crimes, paraissait plus lourd et plus agressif près de la silhouette fine de la femme qui le précédait. Certains des hommes de Peyrac, pourtant gens de mer aguerris, eurent un recul. Les Indiens Métallaks, qui s'étaient mêlés au groupe, tournèrent les talons et s'enfuirent à toutes jambes pour saisir leurs armes et se mettre en position d'embuscade. Au campement, leurs femmes, prévenues par eux, fixèrent de nouveau sur leurs épaules, enfants, chaudrons et victuailles et détalèrent jusqu'aux bois pour s'y cacher, une fois de plus.

– C'est Outtaké, le chef Mohawk, présenta Angélique. Il est seul et il veut parlementer. Je lui ai promis la vie sauve.

Alors, en silence, ils contemplèrent l'irréductible chef des Mohawks. Outtaké désirait parlementer... C'était incroyable !

Ceux qui l'avaient déjà rencontré reconnaissaient pourtant sa forme trapue, habitée d'une ardeur farouche et contenue, qui donnait une impression de force géante. C'était bien lui.

On le retrouvait, à son habitude, comme traversé par les décharges d'une nature inquiétante qui hérissaient son panache, chevelure et plumes dressées, droites et dures, à la façon des poils d'une bête qu'habite la colère ou la peur. La présence d'Outtaké, le Mohawk, dramatisait toujours l'atmosphère autour de lui.

Le jeune baron de Maudreuil jeta quelques mots en iroquois. L'Indien y répondit d'une brève onomatopée. L'autre bondit.

– Il me dit que Swanissit est avec lui... Je le savais. Je l'ai suivi à la trace. L'odeur de ce renard ne trompe pas. Enfin, nous les tenons, ces Indiens, ces barbares !...

– Tais-toi, dit Nicolas Perrot impérieusement, tu oublies qu'on ne doit jamais injurier un plénipotentiaire.

– Ça, un plénipotentiaire !... Non, le pire ennemi de Dieu qui s'introduit dans notre camp. Je ne me fierai pas à un seul des mots qui sortent de sa bouche.

L'Iroquois restait impassible. Puis il parla et l'on était surpris de l'entendre s'exprimer en un français guttural presque parfait.

– Où est Tekonderoga, l'Homme du Tonnerre ? Est-ce toi ? interrogea-t-il en se tournant vers Peyrac. Oui ! Je te reconnais. Je te salue. Je suis Outtaké, chef des Mohawks. Swanissit, le Sénéca, chef des Cinq Nations, veut la paix avec toi. Je viens en son nom te demander ton alliance et ta médiation avec les Français pour que ceux-ci nous laissent franchir le Kennebec.

Le comte de Peyrac porta la main à son chapeau où le vent du soir tordait des plumes noires et rouges. Il l'ôta et il s'inclina très bas devant le sauvage en signe de considération et de bienvenue.

– Je savais, raconta plus tard Outtaké, je savais que ces sortes de salut, les Blancs ne les adressaient qu'au roi. Et pourtant, c'est ainsi qu'il me salua, cet homme blanc, et alors mon cœur devint brûlant comme si le feu de l'amitié s'y était allumé.

*****

Quelques heures plus tard, Outtaké repartit, chargé de porter à Swanissit des propositions d'entente. Si on laissait le parti iroquois traverser le fleuve sans encombre, ses chefs devaient s'engager à ne molester aucun des peuples abénakis ou algonquins qu'ils rencontraient sur leur longue route du retour.

– Hé, pourquoi donc vous, Français, vous préoccupez-vous de ces renards rouges ? disait le Mohawk avec mépris.

Maudreuil demeurait irréductible, et même les deux lieutenants Pont-Briand et Falières le soutenaient volontiers lorsqu'il protestait.

– Vous verrez, ils prendront des engagements et n'en respecteront aucun.

Les « capitaines » alliés étaient mécontents.

– Nous sommes venus pour la guerre, dit le chef des Hurons, et, maintenant que l'ennemi est là, on ne parle que de traités... Que diront ceux de notre nation en nous voyant revenir sans un seul scalp ?

Loménie tint bon. Obtenir des Iroquois qu'ils retournassent chez eux sans causer de déprédations sur leur passage valait mieux que de rouvrir, par une victoire facile, les luttes sanglantes que M. de Frontenac avait eu à cœur de suspendre.

– N'oubliez pas que la hache de guerre a été enterrée entre Outtaké et les Cinq Nations, répétait le colonel.

– Nous ne l'oublions pas, répondait l'Iroquois, nous n'avons plus attaqué de Français depuis longtemps.

– Mais vous avez attaqué nos tribus amies...

– Nous n'avons pas enterré la hache de guerre avec d'autres tribus que celle des Français, redisait l'Indien rusé. Pourquoi les Français se mêlent-ils de cela ?

Au début de la palabre, Angélique avait voulu se retirer, mais le cher Mohawk l'avait arrêtée d'un geste.

– Qu'elle reste !

Sa voix impérieuse et coléreuse exigeait. Personne ne pouvait deviner à quels sentiments il obéissait lorsqu'il réclamait la présence de cette femme blanche au conseil. Un mystère planait. On s'interrogeait sur ce qui avait bien pu se passer, là-haut, sur la colline. Et les regards, à la dérobée, se levaient vers Angélique, non dénués parfois d'anxiété. Et celle-ci commençait à se dire que les choses se compliquaient et qu'elle aurait préféré, à la réflexion, n'avoir à s'occuper que de la cuisine et de la maison. La migraine serrait ses tempes et elle passait la main sur son front d'un air absent. Elle ne voyait pas du tout comment elle pourrait logiquement expliquer à son mari la genèse de sa rencontre avec le chef Mohawk. Parfois son regard tombait sur le tomahawk d'Outtaké accroché maintenant à sa ceinture, et, à la vue de cette arme terrible qui s'était levée sur elle, un frisson rétrospectif la secouait d'une peur qu'elle n'avait pas ressentie sur le moment.

Lorsque l'Iroquois s'en fut allé vers la forêt, elle regagna son habitation, sans se mêler aux commentaires qui continuaient bon train, se mit au lit et s'endormit d'un sommeil profond. Le lendemain, au réveil, elle se sentit en bonne forme.

Elle vit que son mari était venu se reposer près d'elle, mais il n'était déjà plus là. Elle n'avait eu conscience ni de sa venue ni de son départ. Elle s'interrogeait encore sur ce qu'elle lui dirait, et décidait de lui demander de l'aider, avec son expérience, à voir clair dans tous ces événements inquiétants. Après avoir voulu la tuer, pourquoi le Mohawk l'avait-il suivie avec un subit désir de loyauté et d'alliance ?

Dès qu'elle fut prête, elle sortit et courut jusqu'au petit bastion d'angle qui permettait d'observer les alentours, à l'abri de la palissade.

Les portes du poste étaient fermées, mais, dès que l'arrivée des Iroquois fut signalée par des signaux de fumée envoyés des collines voisines, elles se rouvrirent, et le comte de Peyrac ainsi que Loménie-Chambord sortirent sur l'esplanade, avec, derrière eux, les soldats et les hommes armés de Peyrac.

Les Indiens alliés surgirent de la forêt où ils s'étaient cachés, armés d'arcs et de tomahawks, et se répandirent autour du poste, mais en silence, comme une marée rouge. Les Jonas et les enfants étaient venus rejoindre Angélique sur la plate-forme. Ils regardaient tous avec curiosité entre les pointes des pieux grossièrement équarris. À l'angle d'un bosquet de saules, près du fleuve, ils virent enfin apparaître les Iroquois. Ils étaient six à demi nus, et qui, comme indifférents à la populace en armes qui les attendait, longèrent, sans hâte, la rive caillouteuse, puis, parvenus à la plage, vinrent s'aligner face au poste. C'étaient les chefs iroquois.

Angélique reconnut facilement le Mohawk Outtaké avec ses pendants d'oreilles en peau de vessies gonflées, peintes de vermillon.

À côté de lui, il y avait un homme âgé. Les cheveux traversés de plumes d'aigle étaient gris. Il était maigre et son corps paraissait composé d'un faisceau de cordages serrés par ses muscles vigoureux en relief sous sa peau de cuir jauni. Avec l'expression hautaine de sa face allongée, creusée de petites rides autour des yeux et de la bouche, il inspirait la crainte. Des tatouages nombreux soulignaient ses côtes, ses seins et l'ossature des clavicules. Angélique devina en lui Swanissit, le chef des Séné-cas, Te maître suprême de la Ligue iroquoise. Ils s'avancèrent un peu, puis tous s'assirent à terre au bord de l'eau, sauf l'un d'eux, Outtaké, qui se dirigea lentement vers le poste des Blancs. Lorsqu'il s'arrêta devant le compte de Peyrac et le comte de Loménie, il leur tendit d'un mouvement des deux bras un objet qui ressemblait à une sorte d'écharpe à franges brodée de petites perles serrées formant des dessins géométriques violets sur fond blanc. L'ayant présentée, il la posa à terre, puis, sortant de sa ceinture une pipe de pierre rouge, ailée de deux plumes noires, il la déposa également à côté de l'écharpe. Enfin, se reculant de deux pas, il croisa les bras sur sa poitrine, fixa son regard un peu au delà des têtes de la foule assemblée et demeura aussi immobile qu'une statue de pierre. Maintenant, tout le monde paraissait parfaitement calme, même les Abénakis, même les Hurons, même Maudreuil qui souriait vaguement tandis que ses cheveux d'archange flottaient au vent.

Nicolas Perrot reprit son rôle d'interprète.

Il mena la palabre selon le rituel consacré. Longues périodes solennelles, grands gestes pour désigner le ciel, la terre, les uns ou les autres, patientes répétitions des questions et des réponses. Angélique était étonnée de la subtilité avec laquelle l'Iroquois embrouillait son interlocuteur. Nicolas Perrot ne se laissait pas faire. Il connaissait toutes les nations des lacs et leurs dialectes, il avait cent fois servi de « truchement » entre eux dans leurs guerres, ou encore dans les campagnes militaires des Français. De plus, il avait été un an prisonnier chez les Onéiouts. Aucune nuance du discours de son interlocuteur ne lui échappait. À un certain moment, le guerrier iroquois perdit son impassibilité et laissa échapper une réflexion plus vive, laquelle provoqua l'hilarité bruyante de l'interprète canadien.

– Il dit que, s'il avait su que je me trouverais là, il aurait préféré ne pas venir et se saisir aussitôt de son tomahawk.

Puis le chef Outtaké se retira sur la plage avec les siens, et les Européens revinrent vers l'habitation pour y délibérer. Le soleil dardait haut ses rayons et le moment était venu de verser à boire.

Angélique nota au passage que les officiers canadiens paraissaient soucieux. Elle alla au-devant d'eux pour les saluer.

– Monsieur, que vous en semble ? demanda-t-elle à Loménie. Êtes-vous satisfait de vos négociations avec ces sauvages ? Le combat pourra-t-il être évité comme le souhaite M. de Peyrac ?

– Que dire ? C'est toujours la même chose avec ces Iroquois, dit Loménie. Seraient-ils un contre dix, ils estiment toujours faire une grande grâce à leur adversaire en demandant la paix. Cela suffit à leurs yeux pour justifier toutes nos indulgences. Dans le cas présent, ils ne veulent même pas s'engager à ne pas molester les populations. Si nous nous retirons dans ces conditions, notre acte prendra aux yeux de tous l'apparence d'une défaite dont ils s'enorgueilliront en ricanant.

– Courons-leur sus et exterminons-les, dit Maudreuil violemment. Pont-Briand se taisait.

Il regardait Angélique et ne pouvait détacher ses yeux de ce profil pur et parfait.

Joffrey de Peyrac se taisait aussi. Son regard se posait successivement sur les uns et sur les autres, mais l'on ne pouvait lire ses pensées. Loménie-Chambord se tourna vers lui.

– Et vous-même, monsieur ? Ne craignez-vous pas un piège de leur part ? Supposons que leurs protestations d'alliance avec nous ne soient que faussetés ? Nous ayant éloignés, ils fonceront sur votre poste et le pilleront. Quant à vous et aux vôtres...

– Je prends ce risque...

– Nous ignorons jusqu'à leur nombre... Trop peu nombreux pour nous tenir tête, peut-être, mais vis-à-vis de votre seule troupe...

– Ne vous préoccupez pas de mon sort, fit Peyrac tandis qu'une subtile ironie faisait briller ses yeux. Admettons que je mise sur la mauvaise carte en comptant sur la loyauté des Iroquois à mon égard. Voilà qui doit réjouir à l'avance ceux qui, hier encore, voulaient ma perte ! Pour l'instant le problème est autre. Va-t-il y avoir réouverture des hostilités entre la Nouvelle-France et les Cinq Nations ? Allez-vous en prendre la responsabilité ?...

– Oh ! Regardez qui vient là, dit Falières.

Dans l'encadrement de la porte, le chef Mohawk reparaissait. Ce n'était pas protocolaire qu'il se présentât ainsi avant la fin des délibérations.

– Aurais-tu oublié de nous communiquer quelques remarques importantes ? demanda Perrot.

– Tu as deviné juste ! Voici : Mon frère Swanissit me charge de te dire ceci. Dans la forêt, non loin, il y a, avec mes guerriers, un enfant de votre race. C'est le fils de ta sœur, ton neveu, dit-il en s'adressant à Romain de L'Aubignière. Le grand Considérable des Sénécas est prêt à vous rendre l'enfant si les Français et leurs alliés consentent à nous laisser continuer notre voyage vers la vallée des Mohawks sans nous causer de tort.

La surprise se lisait sur les visages.

– Le petit Marcelin, mon neveu, s'écria L'Aubignière. Il avait donc échappé au massacre !...

– Le salaud ! grommela Maudreuil, il a senti que le torchon brûlait et que sa négociation avait échoué. Ils ont jeté leur dernière carte.

Tourné vers Loménie, L'Aubignière supplia :

– Monsieur le comte, il faut tout faire pour sauver ce petit ! L'arracher à ces misérables qui l'élèvent dans la haine de son Dieu et de ses ancêtres !...

Loménie inclina la tête avec gravité.

– Je pense que nous devons accepter, dit-il après un regard vers Peyrac. Et, s'adressant à l'Iroquois :

– Soit, rendez l'enfant et vous pourrez vous en aller sans dommage au delà du Kennebec.

Jusqu'au départ du messager, le jeune baron de Maudreuil se contint. Mais il éclata aussitôt.

– Non, c'est impossible ! Ces misérables ne peuvent quitter la région dans l'impunité. Il ne sera pas dit que Swanissit sera passé si près de moi sans que je me sois offert son scalp...

– Tiens-tu pour si peu la vie de mon neveu et le salut de son âme ? s'écria L'Aubignière en le saisissant au collet.

– Ce n'est pas Swanissit qui a scalpé les tiens ! Il est là et je ne peux le laisser repartir vivant. J'ai promis ses cheveux à Notre-Dame...

– Calmez-vous, dit Loménie en séparant les deux jeunes gens.

Avec un regard fou, Éliacin de Maudreuil se précipita vers sa cabane pour y boucler son paquetage.

Ces jeunes gens avaient la tête près du bonnet et Angélique admirait chaque jour un peu plus Loménie qui, malgré un long séjour au Canada, avait gardé son aménité. Comprenant qu'il était nécessaire d'éloigner le jeune Maudreuil, le colonel ne s'opposa pas à son départ.

Il le fit venir, le sermona et décida de transformer son coup de tête en mission officielle. Il le chargea tout d'abord d'un message à remettre au père d'Orgeval, puis d'une lettre pour le baron de Saint-Castine qui était gouverneur du poste de Pentagouët, à l'embouchure du Pénobscot. Le long voyage que Maudreuil se voyait obligé d'entreprendre calmerait le bouillant Canadien.

– Le poste de Pentagouët est voisin de cette plage de Gouldsboro où M. de Peyrac a installé une recrue de Français huguenots et je veux lui donner mes instructions à ce sujet. Si, à votre arrivée, vous trouvez par là un navire de la compagnie qui pense pouvoir regagner Québec avant les glaces, embarquez-vous, sinon hivernez à Pentagouët avec Castine. Une dernière consigne. N'emmenez pas de Hurons avec vous. Vous vous échaufferiez mutuellement à la vengeance. Je vous donne mon ami Outaouais, Massonk, comme compagnon de route.

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