Chapitre 7
Partiront-ils enfin ? Partiront-ils tous ? Quand pourrons-nous rester seuls, dans le silence et le désert ?
Ainsi soupirait Angélique. Elle espérait la faveur d'un bref instant d'isolement où elle retrouverait son mari loin des regards étrangers. Elle laisserait alors son front tomber sur l'épaule de Peyrac et l'étreindrait convulsivement, puisant avec avidité sa force pour soulager la sienne défaillante, car elle sentait qu'il était calme et sans angoisse. L'angoisse était un sentiment qu'il n'avait jamais connu ou presque, dans son existence. Même à l'heure de la mort ou de la torture. À l'avance, il ne se dissimulait pas les menaces d'une situation difficile et s'en gardait dans la mesure du possible, mais ce qui n'appartenait qu'au seul futur, ou à l'imagination, ne l'influençait pas. Le fait seul, tangible, présent, lui importait. Cette découverte en faisait presque un étranger pour elle, mais un étranger rassurant. Il était vraiment, profondément calme au sein de la tempête, tandis que, pour sa part, elle sentait que, si cette situation se prolongeait encore un jour ou deux, ses nerfs lâcheraient. Cette tension à fleur de peau, ces alternances brusquées d'espoir ou de catastrophe, passant comme des coups de vent capricieux, elle allait craquer nerveusement. Depuis qu'elle avait ramené le chef Outtaké de la montagne, ce n'était plus tout à fait la même chose pour elle. Il y avait quelque chose de changé dans le comportement des autres. Elle se sentait maintenant à l'intérieur du cercle, concernée par des existences et des drames qui étaient naguère totalement ignorés d'elle.
Elle comprenait qu'insensiblement elle commençait à faire parti du Nouveau Monde, à adopter ses querelles et ses passions.
– Ils partiront, répétait Joffrey de Peyrac d'un ton si assuré que la chose semblait déjà faite. Ils partiront tous et nous resterons seuls à Katarunk.
Et peu à peu les groupes de canoës se détachaient de plus en plus nombreux de la rive. Vint un jour où le comte de Loménie-Chambord, lui-même, monta le dernier dans la dernière embarcation.
Les choses n'avaient pas tourné comme on le prévoyait lorsqu'on avait dévalé vers Katarunk pour l'investir, mais le comte de Loménie ne le regrettait pas. Il regardait ce couple sur le rivage et se prenait à le considérer comme le symbole de quelque chose que lui-même n'aurait pu vivre, mais qu'il avait toujours souhaité rencontrer. Au loin, des chevaux paissaient dans les pâtures. Le crissement des criquets emplissait l'air.
– Je vous laisse seuls, dit le comte de Loménie-Chambord.
– Je vous en remercie.
– Et si vous ne parvenez pas à convaincre les Iroquois de vos bonnes intentions et qu'il leur prend la tentation aiguë de vous faire la chevelure et de rafler vos richesses avant de s'en retourner chez eux ?
– Inch Allah !6
Le comte de Loménie sourit car lui aussi était un ancien de la Méditerranée.
– Allah Mobarek !7 répondit-il.
Au tournant de la rivière, il agita longuement son chapeau.