X

— T’aurais pas un cigare, Louis ?

Louis Coppolano abandonna du regard sa table à dessin. Il se fouilla, ramena un étui qu’il tendit, ouvert. Son collègue, Martin, se servit.

— Merci, fit-il, en le faisant craquer à l’oreille. Tu fumes pas, toi ?

Louis secoua la tête.

— Pas envie.

— Dis donc, ça doit te gêner ces lunettes pour bosser ?

— On s’y fait, soupira Louis. Et puis ça durera pas toujours.

Martin craqua une allumette.

— C’est vrai. Mais c’est égal, la bagnole qui t’a esquinté de la sorte aurait pu te tuer.

Louis lâcha un autre soupir, excédé cette fois.

— J’ai eu de la veine. Mais laisse-moi, faut que je travaille… Un plan à vérifier avant la soupe.

Martin eut un geste approbateur et retourna à sa table en s’enveloppant de fumée. Louis se replongea dans son étude.

Il n’avait recommencé le travail que le matin même après quatre jours passés chez le Français. Il allait mieux, et en tout cas, il savait à présent qu’il n’avait rien de cassé. Mais il n’était pas joli à voir. Connie avait crié en le voyant. Il avait le visage cabossé, le nez de travers et dissimulait ses yeux au beurre noir sous des lunettes fumées. Mais dans l’ensemble, à part un peu de gêne en respirant, ça allait.

Il actionnait sa planche pour la redresser quand on l’interpella de nouveau.

— Louis !

Il tourna le cou vers un collègue qui se tenait devant la cabine téléphonique réservée aux employés, et la lui désignait.

— On te demande.

Étonné, le père de Mike alla s’y enfermer.

— Allô ? fit-il. Qui me réclame ? C’est toi, Connie ?

Une voix lui parvint, rauque, râpeuse.

— Non, c’est pas Connie, hé, corniaud ! Alors où tu en es depuis l’autre soir ? T’as digéré ta trempe, hé, ordure ?…

Une boule bloqua la gorge de Louis Coppolano.

— Mais… parvint-il à lâcher.

— T’excite pas, reprit la voix. Je veux pas entendre ta sale gueule. Je veux juste t’affranchir qu’on va encore s’occuper de toi bientôt. T’entends, fumier ? On va s’occuper de toi jusqu’à ce que tu en chies dans ton froc de peur. Jusqu’à ce que tu te balances dans l’Hudson, plutôt que de nous rencontrer.

Sur la main du vieux, les jointures blanchirent tellement il serrait l’ébonite. Il répéta, ne pouvant pas dire autre chose.

— Mais… Mais…

La voix ricana.

— Au revoir, ordure. À bientôt.

Louis ouvrit la bouche, la referma. L’autre venait de raccrocher.

Le vieux était blême. Ainsi ils recommençaient. Ils ne le lâcheraient donc pas ! Il resta quelque temps prostré et poussait la porte pour sortir, lorsque le téléphone sonna de nouveau. Il décrocha machinalement.

— Allô ?

— Ah ! t’es toujours là, reprit la même voix râpeuse. Tant mieux. J’avais oublié de te faire une commission. Tu m’entends ?

— Oui, balbutia le vieux. Mais je vous assure…

— Ta gueule. Écoute.

Le père de Mike se mordit les lèvres pendant que la voix poursuivait.

— Un conseil. Parle pas des Nombres ou sinon… la femme et la môme de ton sacré putain de fils de flic… tu vois ce que je veux dire ?

Un bruit sec frappa l’oreille de Louis : son interlocuteur avait coupé la communication.

Il regagna sa place, les jambes tremblantes, la rage au ventre.

Les salauds. Et dire que même si Mike était là, il ne pourrait rien lui raconter maintenant. La vie de Connie et de Louise étaient en jeu. Les autres ne plaisantaient pas. C’était pas leur genre. Les salauds. Ce salaud de Frankie. Comme s’il n’aurait pas pu arranger le coup ! Après tout, c’était de sa faute s’il avait tout perdu, s’il avait tout risqué ! Car si Frankie ne lui avait pas refilé ce tuyau… ce bon Dieu de tuyau qui… cet enfoiré de tuyau increvable que…

Le père de Mike se chercha un cigare.

Mais non, ce n’était pas la faute de Frankie et il le savait bien. C’était la sienne, oui. C’était lui l’ordure. Le type du téléphone avait raison. Il présenta le cigare à la flamme d’une allumette, la regarda s’éteindre. C’était lui qui avait fait une connerie, et c’était à lui de payer, de prendre ses responsabilités. Toutes ses responsabilités.

Se redressant brusquement, il jeta l’allumette d’un geste rude, retourna au téléphone. Peu après il obtenait Johnny Vaccario.

— Allô, Johnny ? fit-il vivement. Ici Luigi. Raccroche pas. Je t’en prie, raccroche pas.

Il devait croire que l’autre allait le faire, car il enchaîna précipitamment.

— Raccroche pas, Johnny, écoute-moi. Faut que tu m’écoutes.

Et avec encore plus de précipitation :

— Est-ce que tu peux ordonner de laisser tomber si je rembourse l’oseille ?

— En totalité ?

Louis poussa un soupir de soulagement. Enfin l’autre composait. Tant pis s’il avait laissé percer du mépris dans sa brève interrogation ?

— Oui, dit-il, en totalité. Les 7000 thunes.

— Quand ?

Louis hésita.

— Eh bien, je sais pas encore. Mais bientôt. Dans quelques jours peut-être.

— Quand ?

La voix de son ancien copain Johnny était toujours aussi froide, toujours aussi impitoyable.

Louis se cramponna à l’appareil. Il fallait qu’il parvienne à convaincre. Il jeta :

— Le plus vite possible. T’as ma parole. Le plus vite possible.

— Quand ?

De la sueur gicla du front de Louis. Il cria :

— Je peux pas te le dire à un jour près. Mais t’as ma parole que je vais vous rembourser. Je t’en prie, laisse-moi un délai. Un petit délai.

— De combien ?

Johnny ne s’humanisait pas. Louis sentit la sueur contourner ses sourcils, mouiller ses lunettes. Il serra son poing libre.

— Ben je sais pas. Mais au moins 15 jours. Peut-être un mois.

— Tu les as.

La poitrine de Louis se gonfla de joie.

— Un mois ?

— Non, 15 jours. Et comme nous sommes le 20 novembre, t’as jusqu’au 5 décembre. Tchao.

Louis replaça l’écouteur. Il avait son sursis. Mais il ne pouvait plus reculer. Il devait aller jusqu’au bout de ses responsabilités. Il chercha de la monnaie, la glissa dans la fente, fit sur le cadran le numéro du Français. Pourvu qu’il soit là ! Sinon, s’il se mettait à trop réfléchir… Mais il y était. Il lui jeta en reconnaissant sa voix :

— Allô ? Ici pépère… Oui, ça va très bien, merci. Juste une question. Est-ce que ça marche toujours votre proposition sur ce que vous savez ?

Il prêta l’oreille à la réponse, renvoya :

— Entendu. À 9 heures ce soir au Berry. Au revoir. Et merci encore pour tout.

Un rire qu’il commençait à bien connaître résonnait dans l’appareil lorsqu’il le reposa. Il sortit, et c’est d’un pas ferme qu’il s’approcha de larges bahuts de couleur sombre, et d’une hauteur d’un mètre soixante environ. C’était là que se trouvaient les plans de fondations et des rues de New York. Après avoir parcouru des étiquettes, il se baissa devant l’un de ces bahuts, tira une poignée, amena à lui une sorte de tiroir de quinze centimètres de haut sur un mètre cinquante au carré. Il posa le tout sur le bahut, souleva quelques grandes feuilles numérotées, avant de s’arrêter à l’une d’elles. C’était, soigneusement reproduit, le sous-sol des blocks de la 46e et de la 47e Rue Ouest, situées entre la 5e et la 6e Avenue.

Le père de Mike se retourna, faussement machinal. À travers ses verres fumés, il inspecta la salle. Mais nul ne s’occupait de lui. Même pas Martin, qui mâchonnait son cigare, l’œil perdu au-delà des vitres où le soleil jouait encore. Et après tout, il avait le droit de consulter ces plans. Ça faisait partie de son job. Il sortit un crayon et une feuille, commença à reproduire le plan du block des diamantaires.

* * *

Le Berry s’enfonçait au 321 West, entre deux escaliers de la 51e Rue. Il était presque 9 heures du soir, et le restaurant s’animait. L’ambiance était française, mais la clientèle mélangée.

Derrière son bar, Jo, la taulière, une Bretonne coriace mais brave comme le pain blanc, surveillait les allées et venues des serveuses, et le coup de poignet de Jacques le barman qui avait le geste un peu large pour verser. Elle adorait l’Amérique où elle avait toujours vécu, et donnait ses ordres dans un charabia franco-breton-américain que les autres arrivaient quand même à comprendre.

Devant le bar, Pierre, son jules, un joyeux lascar né en Indre, tafiatait avec les clients. C’était lui le meilleur nettoyeur de godets du secteur. À croire qu’il avait le foie aussi costaud que les blindés du général Patton.

L’Oranais était accoudé non loin de lui, une Marlboro aux lèvres. Entre deux répliques avec Jacques, il restait pensif, mais toujours souriant, l’œil fixé sur la photo dédicacée de Marcel Cerdan. Langlois et Villemain, également en tenue de boxeurs, encadraient le grand champion. Tous trois ornaient le fond du bar, dominant les verres et les bouteilles d’apéros, qui par leurs étiquettes, leurs odeurs, obligeaient à penser au vieux pays.

Un peu de cendre tomba devant l’Oranais. Il n’y prit pas attention. Il contemplait toujours Marcel Cerdan qu’il avait tant admiré et rêvé d’imiter. Ce rêve avait sombré en Indochine avec la dysenterie amibienne et autres saloperies…

— Je te vois ce soir ? fit une voix près de lui.

Il détourna le regard. Raymonde, l’une des serveuses, posait un plateau sur le comptoir et lançait au barman sous l’œil faussement endormi de la Bretonne :

— Deux scotch pour le fond. Et un siphon.

La Bretonne reporta son attention ailleurs. Rapide, Raymonde cogna l’Oranais du coude.

— Alors, tu me réponds pas ? Je te vois ce soir ?…

— Impossible, mon ange dit-il. Je suis occupé. Mais demain, oui.

Il lui faisait ses yeux argentins et elle se sentit fondre. Elle supplia dans un souffle, surveillant la rusée taulière.

— Viens au moins m’embrasser dans le couloir ! Une fois.

Il prit son verre d’eau minérale, lâcha avant de boire :

— Je te rejoins.

Et, comme elle s’en allait avec sa commande, il la suivit d’un air détaché, accompagné d’un froncement de sourcils de la vieille Bretonne.

Partant du bar, un long couloir invisible du comptoir débouchait dans la salle de restaurant située au fond.

Raymonde y attendait l’Oranais, son plateau en équilibre sur le bras. Elle lui offrit sa bouche voracement, dit :

— Embrasse-moi. Vite. Vite. J’en ai si envie. Depuis le temps…

Il laissa choir son mégot, s’exécuta en l’aidant à maintenir son plateau. Pendant qu’il l’embrassait il fixait un plan du métro de Paris, accroché au mur de droite. Un vrai plan, grandeur nature, avec éclairage comme pour un Vlaminck de la grande époque.

En tablier blanc et robe noire, une collègue de Raymonde passa devant eux, et alerta, complice, sans ralentir :

— Magne-toi. Les clients réclament leurs verres.

Dans un regret, Raymonde écarta ses lèvres, dit :

— On se voit demain, hein ? Promis ?

Il lui frotta les seins, dont les bouts aussitôt durcirent sous la robe noire.

— Sûr, mon ange. Sûr. Tu sais bien que j’ai envie de toi.

— Promis, hein ?

Les yeux de la fille quémandaient et brillaient de sensualité.

— Promis, fit-il. Allez, calte, tes patrons vont gueuler. Je mange ici, je te reverrai tout à l’heure.

Elle s’enfuit, ondulant de la fesse, les jambes cambrées par les hauts talons. Il amorça un mouvement pour revenir au bar, quand son œil retomba sur le plan du métro. « NORD SUD » il y avait d’imprimé dans le coin du haut. Du regard, il parcourut les boulevards, la République, Voltaire, la Bastille puis redescendit, chercha la rue Saint-Paul, là où il avait poussé. Une bouffée de souvenirs le noya, fit reculer New York, l’Amérique, l’étranger, les coups durs. Son sourire se décrocha lentement. Ses poings se crispèrent au fond des poches de son costume bleu, croisé, de coupe française. Un pli marqua l’angle de ses lèvres.

Paris, Paname, sa ville aux lumières et aux misères, aux rupins et aux crève-la-faim, aux grandes avenues et aux ruelles sales. C’est là, dans ce Paris, qu’il avait vécu le plus longtemps. En fait, il était parigot. Juif oranais il n’avait en réalité qu’une attache, là où on l’avait torché, là où il avait grandi.

La collègue de Raymonde repassa devant lui, étonnée de le retrouver seul, adossé au mur gauche. Il ne la vit pas. Il ne voyait que le plan, que le mot Bastille, que son regard avait été rechercher malgré lui.

Il ferma les yeux, crut sentir l’odeur humide et chaude du métro, du parfum des filles, des petits restaurants, et des bars à pastis. Il se revoyait rue de Lappe, croyait encore entendre les airs de danse rejaillir des bals sur les pavés ronds et mouillés. Une vision lui revint d’une fille rousse, aux dents blanches, à la peau crémeuse qui valsait dans ses bras au Balajo. Elle semblait flamber de partout sous les lumières colorées que renvoyait la boule à facettes, tournoyant au plafond. Elle lui en avait fait voir. Mais ils s’étaient aimés. Pas longtemps. Mais aimés.

— T’es encore là ?

Il rouvrit les yeux, se secoua. Tout disparut, s’effaça. Le plan du métro n’était plus qu’un plan de métro.

Son plateau vide sous le bras, Raymonde elle aussi s’étonnait :

— Qu’est-ce que tu fais ?

— Rien, dit-il, son sourire revenu. Je rêvais.

Elle jeta avidement :

— À moi ?

— Évidemment, mon ange, dit-il. À personne d’autre, voyons.

Elle voulut se suspendre à son cou, il la repoussa.

— Attention à la Bretonne. Sauve-toi mon ange. Je te reverrai tout à l’heure.

Elle s’enfuit, il revint vers le bar. Il allait reprendre son verre, quand la porte s’ouvrit sur Louis Coppolano. Il marcha au-devant de lui.

— Salut pépère ! Content de vous revoir.

— Je suis en peu en retard, s’excusa le vieux. Mais impossible de trouver un taxi.

Jean Baez repoussa l’excuse.

— Le principal est que vous soyez là. Vous avez le bidule ?

Le vieux eut un geste affirmatif. L’Oranais poursuivit :

— Alors on va en discuter en cassant la croûte. Si vous voulez venir…

Il entraîna son invité vers le fond, après l’avoir aidé à ôter son pardessus.

La salle baignait dans une pénombre rouge qui donnait une ambiance à la Bruant. Les murs étaient peints en ocre, ainsi que le plafond qui formait une voûte au-dessus des dîneurs déjà nombreux. Des appliques diffusaient une lumière rougeâtre sur les nappes à carreaux rouges et blancs. Des bougies rouges, en torsade, fumaient sur les tables, plantées dans des bouteilles vides de beaujolais.

L’Oranais désigna une table, celle qu’il avait retenue, située dans l’angle gauche, un peu à l’écart des autres.

— Si vous voulez vous asseoir…

Le vieux s’installa dos au mur, Jean en face de lui. En prenant place, il porta le regard sur la table proche où, solitaire, mangeait Steve Ryan. Puis il le ramena sur le vieux.

— Ainsi vous vous êtes décidé ?

— Oui, fit ce dernier. Et malgré tout ce que je vous dois, croyez bien que c’est pas de bon cœur. Mais ces 10 000 dollars sont pour moi une question de vie ou de mort. Je suis dans un piège et vous seul pouvez m’en sortir.

Il mit la main à sa poche intérieure, en ramena des feuilles pliées, enchaîna :

— C’est pourquoi j’ai ici vos renseignements. Vous avez les 10 000 dollars ?

Et vivement, devant l’air soudain gêné de son interlocuteur :

— Oh ! comme nous n’avions pas réellement fixé de prix, je suis prêt à traiter à 7000. C’est la somme dont j’ai absolument besoin. Vous pouvez me la donner ?

L’Oranais hésita, se racla la gorge, sans cesser de sourire :

— C’est que voilà. J’ai pas encore le pognon. Mais je l’aurai, ajouta-t-il, en voyant le vieux replier les feuilles. C’est une question de jours. Seulement faut que vous me fassiez confiance… que vous me donniez les plans avant.

Il laissa couler son regard sur Steve qui, hypocritement, étudiait le vieux, poursuivit :

— Ceux avec qui je marche n’ont pas de liquide en ce moment. Ça arrive, pas vrai ?

— C’est que… hésita le vieux. Sans cet argent je suis foutu. Je peux pas vous raconter pourquoi, mais sans lui je suis flambé. Et à présent, vous, vous m’annoncez que…

L’Oranais écarta les mains.

— J’y peux rien, pépère ; On n’a pas pu réunir l’oseille.

Il ne pouvait pas lui dire que même M’man n’avait pas de liquide, et qu’en plus elle se méfiait.

Le père de Mike se mordilla les lèvres avant d’avouer :

— Je sais pas comment vous refusez ça, après ce que vous avez fait pour moi. Mais si vous saviez dans quel pétrin vous me collez…

Derrière ses lunettes fumées, il fixait les feuilles qui avaient représenté son dernier espoir. Il soupira :

— Tant pis. Tant pis pour moi. Mais je peux pas faire autrement.

Et jetant les feuilles devant l’Oranais :

— Elles sont à vous. Vous me paierez si vous réussissez. Sinon… En tout cas je vous dois bien ça.

Les dents de l’Oranais étincelèrent.

— Merci, viejo. Votre geste me botte mais…

En parlant, il avait regardé Steve qui lui avait décoché un signe convenu. Donc c’est que le vieux lui plaisait. Il enchaîna en repoussant les feuilles.

— Si moi j’ai confiance en vous, et ce que vous venez de faire le prouve, les autres, ceux avec qui je marche, se la donnent. Ils disent que votre plan peut être du bidon, ou bien que, si vous êtes sincère, que ça vous intéresserait peut-être de vous mouiller avec nous.

Le vieux sursauta. L’Oranais continua :

— Ils pensent que la meilleure façon de nous protéger, c’est de vous avoir avec nous. Comme ça, ils seront sûrs que vous la bouclerez, et que votre plan est vrai.

— Mais vous êtes fou, se rebiffa le vieux. Jamais je ne voudrai…

— Même pas pour 200 000 dois ? le doucha l’Oranais.

Le chiffre fit sauter le vieux. Il murmura, assommé :

— 200 000 dollars… Vous avez bien dit…

— 200 000, précisa son vis-à-vis. C’est ce que je suis chargé de vous offrir. Et je vous garantis que moi, je vous le ferai toucher ce pognon. Alors ?

Les mains du père de Mike, comme malgré elles, commencèrent à se réunir. Jean y posa les siennes. Il dit, doucement :

— Non, pépère, non. C’est pas une mauvaise nouvelle, ça. Serrez les dents. Ça va passer. Allons, pépère, serrez les dents.

Le vieux prit sa respiration. Fortement. L’Oranais ne lui lâcha pas les mains. Il attendit.

Longtemps. Enfin le vieux put lancer, calmé :

— Qu’est-ce que je vais être obligé de faire pour toucher tout cet argent ?

— Simplement de conduire une bagnole, le rassura l’Oranais après avoir chassé de la main Raymonde qui venait aux commandes. Pas autre chose que ça.

— Ce sera vraiment tout ?

L’Oranais souleva son autre main, libérant celles du vieux qui se dénouèrent.

— Vraiment tout, pépère. C’est nous qui faisons le sale boulot. Mais bien sûr, il y a des risques aussi pour vous. Sinon on vous refilerait pas 200 000 thunes, vous devez vous en douter. D’autre part, si on en a besoin, faudra nous apporter d’autres plans des sous-sols et nous expliquer celui-là en détail.

Il tapa sur les feuilles, chercha les yeux du vieux à travers les verres fumés.

— Alors ?

Louis Coppolano détourna la tête, murmura pensivement, pour lui-même :

— 200 000 dollars… la fortune… la fin d’un tas d’emmerdements…

Un sourire éclaira le bas de son visage.

— … Une belle bagnole pour Mike, et une maison de campagne pour Connie… son rêve.

Il releva le front, passa les doigts dans sa chevelure argentée, dit :

— J’accepte. Et merci de votre confiance, car il faut en avoir pour me proposer ça.

Jean Baez lui tapota le bras.

— Mais j’ai confiance en vous, viejo ! La preuve c’est que je vais tout de suite vous présenter un des mes équipiers, et que nous allons déjà pouvoir jeter un coup d’œil sur vos papelards.

— Maintenant ? s’étonna le vieux. Un des vôtres ? Et où ça ?

— Bonsoir, dit Steve qui venait de quitter sa chaise sur un signe de Jean, et s’installait d’autorité près de Louis Coppolano.

— Raymonde ! cria l’Oranais en claquant des doigts. Une Pommery 53 ! Dis à Pierre qu’il la mette lui-même dans la marmite.

Et, du bout des doigts, il expédia un baiser à la fille qui le mangeait des yeux.

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