VII

New York vivait ses heures nocturnes. Surtout dans la douzaine de blocks qui forment Times Squares. C’est là que sont concentrés les théâtres, cinémas et boîtes les plus huppés de la ville. Là dans le Serpent de Lumière de Broadway.

Si les théâtres avaient éteint leurs façades, les cinémas, eux, continuaient à faire le plein. Et les annonces lumineuses de leurs auvents au carré qui surplombent les trottoirs ruisselaient horizontalement dans un scintillement sans fin. Les rouges, les jaunes, les verts, les bleus se heurtaient dans la nuit où dansaient les flocons et retombaient en étincelles multicolores. Les néons pleuraient sur les passants, leur donnant l’air de cadavres ambulants avant d’aller éclabousser de leurs tons les voitures de luxe, les taxis aux teintes vives. Les extraordinaires buildings de verre dressaient dans le noir leurs masses imposantes, tous dominés par l’Empire State Building dont la flèche éclairée perforait le ciel sombre.

Quelques blocks plus haut, sur la 7e Avenue, entre la 46e et la 47e Rue, des Noirs en haillons se tenaient devant le Métropole. Ils ne quittaient pas des yeux le temple du jazz aux portes entrouvertes, d’où leur parvenait la musique, leur musique, celle de leurs frères.

Les flics qui déambulaient en rois du pavé new yorkais ne leur portaient pas attention. Ils les laissaient à leur passion sacrée. Eux n’avaient de regard que pour les malfrats et entôleuses de tout poil qui sillonnent l’avenue à la recherche d’un cave à plumer.

Vêtu d’une canadienne, Jean Baez pénétra dans la Mecque où, à longueur de nuit, les Cozy Cole, les Maynard Ferguson, les Dizzy Gillespie et autres Gene Krupa, grattent, pincent, soufflent, raclent, tirant de leurs instruments des notes qui ont flanqué la panique dans le monde entier.

La salle était bourrée à craquer. À droite, plus une place aux petites tables plongées dans une pénombre rouge. À gauche, accoudée à l’interminable bar, la foule des mordus n’avait d’yeux que pour ses idoles. Celles-ci, debout sur une estrade qui dominait et touchait le bar, ne s’en occupaient pas. Les dieux du jazz jouaient pour eux-mêmes. Plus pour eux peut-être que pour les clients. Leurs smokings tranchaient sur la lourde tenture rouge qui courait le long d’un mur de trente mètres. Et tous les six vibraient, se donnaient à fond, entraînés par l’infatigable Cozy Cole qui officiait derrière la batterie. Il était en nage, la sueur coulait à flots de son front, de ses joues, mais l’étincelant sourire ne quittait pas ses yeux humains, sa figure intelligente. Il ne ralentissait pas son rythme endiablé, ne sentait pas la fatigue, ne perdait jamais son sourire. Il vivait sa musique, l’imposait aux fanatiques qui, fascinés, debout à ses pieds, le buvaient du regard.

Tour à tour les caïds du jazz tiraient de leurs instruments des sonorités tendres comme une rosée de printemps, puis soudainement aussi sauvages qu’une ruée de guerriers à l’assaut d’un village regorgeant de filles à capturer, d’ennemis à éventrer.

Mentons levés, les clients riches ou pauvres se mélangeaient au coude à coude, réunis par la même adoration. Femmes ou hommes, jeunes ou vieux, tous accomplissaient mécaniquement le même geste pour boire, l’esprit empli de l’envoûtante musique. Les barmen, eux, emplissaient leurs caisses. Avec une foule qui se pressait sur plusieurs rangs, ils ne chômaient pas. Eux aussi transpiraient.

À son arrivée, un quart d’heure avant, Steve Ryan avait réussi une percée miraculeuse, et gagné une place contre le lourd comptoir au bois patiné.

Fanatique parmi les fanatiques, c’était là qu’il passait, quand il le pouvait, le maximum de ses nuits. Surtout vers les 3 et 4 heures du matin lorsque les musiciens des autres boîtes viennent au Métropole pour jouer. Mais pour jouer à l’œil. Gratuitement. En copains. Entre copains.

Mains dans les poches, comprimé par les mordus, Steve battait la mesure de son mocassin contre la traverse de cuivre qui décorait le bas du bar. Son feutre tyrolien rejeté en arrière, insensible à tout, il se gavait de jazz, mis en état de grâce par la prise de drogue. Tout juste s’il broncha quand une main se glissa dans sa poche gauche de manteau. Il réalisa pourtant, mais laissa faire. Ouvrant les doigts, il se laissa enlever l’argent qu’il avait préparé. Quand il les referma, il tenait dix petits sachets de dop. Le Grec qui venait d’opérer le changement attendit un peu, avant de s’écarter lentement, comme à la recherche d’une meilleure place.

Ils n’avaient pas échangé un mot, un regard.

Jean Baez qui venait enfin de découvrir Steve tenta d’arriver jusqu’à lui. Il croisa le Grec mais n’y fit pas attention, ne l’ayant jamais vu. Mike Coppolano, lui, aurait sursauté. C’était l’homme qu’il avait photographié dans Harlem, près du bar de Sugar Ray.

Non sans peine, l’Oranais parvint à se frayer un chemin jusqu’au mari de Margaret.

— Hé ! Steve, murmura-t-il doucement. Je suis là.

Son copain ne réagit pas. Il était reparti dans son rêve éveillé.

Jean Baez le cogna du coude, éleva le ton.

— Hé ! reviens sur terre ! Je suis là.

— Chut, chut, chut, firent autour d’eux des voix courroucées de ce crime de lèse-adoration.

L’Oranais décocha à la ronde son sourire désarmant, puis recogna son copain dans les côtes. Sèchement cette fois.

Steve sursauta, se retourna. Son regard était lointain.

— Ah ! C’est toi ? dit-il enfin, comme à regret. Bon, on s’en va, viens.

Mais il ne bougeait pas. Déjà ses prunelles de drogué repartaient à la recherche de Cozy Cole…

— Ah ! non, se rebiffa Jean Baez en se marrant. Amène-toi.

Et lui empoignant le bras, il l’attira hors du cercle enchanté.

Le froid de l’avenue chassa les derniers lambeaux du rêve de Steve. Il se secoua, s’informa.

— T’as ta bagnole ?

La main au pouce manquant de l’Oranais indiqua la Chevrolet garée non loin.

— Oui, pourquoi ? On la prend ?

Steve fit un signe affirmatif.

— Oui, on va chez le petit Sam. Je lui ai filé rencard chez lui. Ensuite on reviendra jeter un coup d’œil sur le block des diamantaires.

Une étincelle s’alluma, fugace, dans l’œil tendre de l’Oranais.

— Du nouveau ?

— Oui et non. Mais faut encore discuter de tout ça sérieusement.

Il ajouta, tandis qu’ils s’installaient dans l’auto :

— Je préfère qu’on se réunisse la nuit, comme ça personne ne nous voit arriver ou repartir. À cette heure les gens roupillent.

Jean Baez embraya, mit l’essuie-glace à cause des flocons qui se transformaient en eau sur le pare-brise. Puis, prenant un mouchoir Lotus dans la boîte à gants, il effaça la buée intérieure.

— Et Bob ?

— Il sera là-bas.

Jean Baez doubla Time Square, lança la Chevrolet dans Broadway, la plus longue avenue du monde[16], dont les feux venaient de se mettre au vert à perte de vue.

— Tu crois qu’on va pouvoir attaquer bientôt ? s’informa-t-il, doublant un taxi conduit par un Noir flegmatique.

Steve hocha la tête.

— Je l’espère. Il serait temps, hein ?

— Comme tu dis, soupira son voisin. Trois mois que je suis ici à poireauter. Trois mois que tu m’as fait venir du Pérou pour qu’on fasse craquer cette affaire. Et résultat…

Steve Ryan s’alluma une Camel. Ses mains tremblaient légèrement.

— Que veux-tu que j’y fasse ? C’est moi le premier emmerdé. Mais, à chaque fois, un pépin s’est présenté. À chaque fois Bob a obtenu de nouveaux tuyaux de son dabe qui remettaient tout en question. Et quand j’ai vu qu’on pouvait pas réussir avec un hold-up normal, j’ai préféré attendre.

Il tira avec volupté sur sa Camel, poursuivit dans un jet de fumée.

— Vaut mieux avoir remis l’opération que d’avoir tout raté, pas ? Pour une affaire pareille, on prend jamais assez de précautions. Et on peut perdre trois mois. Même un an. Ça en vaut la peine.

— Bien sûr, approuva son compagnon, qui faisait jouer les doigts de sa main enflée. Mais c’est le pognon qui défile…

Steve épousseta un peu de cendre tombée sur ses genoux, remarqua :

— Te plains pas trop. Si t’étais pas venu ici, t’aurais pas eu l’occasion d’expédier des visons en fraude sur l’Europe. Dans le fond, t’as couvert tes frais. T’as rien à regretter.

— Si, les filles du Sud, lâcha l’Oranais dans un sourire.

— Toi et tes filles… soupira Steve, qui ajouta aussitôt : En parlant de pognon, tu pourrais pas m’avancer une centaine de dois ? Je suis de nouveau raide.

Les feux rouges s’abattirent sur l’Avenue. L’Oranais stoppa à l’un d’eux, dit :

— Bien sûr. Deux cents si tu veux.

Ça c’était tout Jean Baez. Il n’était pas chien, pour rendre service. C’est ce qui avait séduit Steve lorsqu’il l’avait rencontré jadis à Cuba. Lui travaillait encore pour un journal à l’époque et faisait un reportage sur la vie nocturne de la ville. Quant à l’Oranais, Steve l’avait soupçonné de bricoler dans le trafic des armes. Tous deux avaient sympathisé ainsi que des hommes sympathisent parfois sans raison bien apparente. Pour Steve, l’Oranais en tout cas faisait mentir les défauts reprochés à ceux de sa race. On donne les Juifs pour avares : l’Oranais méprisait l’argent et le balançait à la grouille. On les donne pour froussards : le courage de l’Oranais frisait l’inconscience.

Un soir que des concurrents l’avaient acculé dans une ruelle du port et avaient commencé à le mitrailler, certains de l’avoir, il avait eu la réaction contraire à celle d’un type normal. Un calibre dans chaque poing, il leur avait foncé dessus, au milieu d’une gerbe de balles. Et c’étaient les autres qui avaient fui devant ce cinglé que rien n’affolait. Un des leurs était resté sur le carreau et ils en avaient transporté un autre à l’hosto.

Steve qui avait entendu conter l’histoire s’en était souvenu à New York. C’est pourquoi il avait fait signe à l’Oranais, car il avait besoin à ses côtés d’un type sûr, gonflé et sans scrupules.

— Les deux cents m’arrangeraient bien, dit-il. Si tu le peux ça m’arrangerait drôlement, même.

Les feux verts revinrent. L’Oranais rembraya, se fouilla, tendit une liasse.

— Sers-toi.

Steve le fit à la lumière du tableau de bord. Il prit deux billets de cent, rendit le reste, dit :

— Merci.

Son voisin repoussa la politesse d’un geste nonchalant.

— Use pas ta salive. Toi et moi on est embarqués dans une drôle de galère. Alors deux cents ou mille thunes[17], entre nous ça n’a pas d’importance.

Après un long silence, tandis qu’ils commençaient à apercevoir le Bowery, le pays des clochards, il jeta soudainement.

— T’as confiance dans Bob ?

— En tant qu’homme, oui et non, renvoya Steve. Mais n’oublie pas que sans lui, jamais j’aurais songé à monter cette affaire. C’est en apprenant que son père était devenu l’un des gardes du SAFE[18] au 38 Ouest de la 47e Rue, que l’idée m’en est venue. Je savais que le vieux était flic, mais pas qu’il avait pris sa retraite et qu’Holmès, la Compagnie privée qui a la surveillance de tous les SAFE du block des diamantaires, l’avait embauché.

Il s’alluma une autre Camel, enchaîna :

— Ça m’a pris du temps pour baratiner Bob. Surtout qu’on s’étaient un peu paumés de vue. Mais à la longue, j’ai réussi à lui fourrer dans le crâne qu’on pouvait devenir millionnaires…

La main de Steve alla chercher la Camel à ses lèvres. Il précisa avec de l’orgueil dans la voix :

— Millionnaires en dois. C’est-à-dire milliardaires en monnaie de ton pays. Ça a excité Bob. Je lui ai dit qu’il n’avait qu’à tirer les vers du nez à son vieux et m’apporter les tuyaux. Et que je me chargeais du reste.

La Camel rougeoya de nouveau aux lèvres de Steve.

— Et c’est ce qu’il a fait. Pas trop mal, d’ailleurs, car à présent je connais le SAFE, comme si j’en étais l’un des gardiens.

Il rit d’un petit rire sadique, cruel.

— Et j’espère bien devenir le propriétaire de ce qu’il contient. Toi aussi, non ?

— Moi aussi, sourit l’Oranais.

Mais lui, son sourire était gai, détendu.

— Nous arrivons constata Steve, repérant les Bowery-Follies, la boîte où les vieilles gloires des temps passés remontent sur les planches devant une clientèle de paumés et de rupins mélangés.

L’Oranais vira peu après, stoppa devant une maison de briques qu’on avait repeinte d’un rouge sang de bœuf.

L’ensemble ne faisait pas du tout romantique dans la nuit sous l’éclairage d’un miteux lampadaire.

À peine eurent-ils mis pied à terre, qu’un clodo jaillit de l’ombre.

— Pour que je puisse aller dormir, messeigneurs, supplia-t-il la main tendue.

Il titubait. Et son haleine puait. À croire qu’il s’était gargarisé avec de l’alcool à brûler. Ce que Steve remarqua en voyant Jean Baez se fouiller.

— Donne-lui du pognon si tu veux mais pas une allumette. Il serait foutu d’exploser.

Le clochard s’inclina après avoir raflé le dollar que l’Oranais lui tendait.

— Merci, mon prince. Que Dieu vous le rende.

Et il s’en alla, balayant le trottoir de son pas d’alcoolique. Pas pour dormir. Non. Il évita l’hôtel proche où pour quelques cents on les hébergeait à plusieurs dans des chambres sans lits, mais avec paillasses sur le sol. Lui préféra se glisser dans un bar enfumé.

Steve sonna au 12 de la rue, et le déclic commandant l’entrée s’éleva aussitôt. On devait les guetter.

Sans donner leurs noms par l’acoustique intérieur ils grimpèrent un escalier usé dans une odeur de ménagerie, et atterrirent sur le palier du premier étage, où un carré de lumière les guida.

Le petit Sam les attendait. Il s’effaça devant eux, referma sur la douce chaleur du logement.

Celui-ci était spacieux, propre, bien aménagé. La bonne odeur de café qui régnait amplifiait encore l’impression de sécurité et de vie calme qu’il dégageait. C’était comme un havre au milieu de la tempête du Bowery, le quartier où ont atterri tous les déchets humains de l’Amérique.

Sam débarrassa les nouveaux venus. L’Oranais lui passa sa canadienne, resta en pull-over échancré et chemise de sport. Steve donna son manteau et son feutre tyrolien. Mais il avait gardé quelque chose en main : les paquets de dop. Il se laissa devancer par les deux autres, glissa rapidement les minuscules sachets dans le revers de son pantalon. Juste comme il se relevait son regard croisa celui de l’Oranais. Celui-ci souriait. Du bout de ses lèvres sensuelles.

Dans la pièce principale bien éclairée, Bob les attendait devant une table où fumait une tasse de café. Il était jeune : vingt-quatre ans à peine. Il était mal habillé et du cambouis maculait ses doigts aux ongles sales et rongés. Son aspect était insignifiant. Placé en pleine lumière, sur une estrade, devant des centaines de gens et retournant parmi eux peu après, aucun ne l’aurait reconnu tellement il frappait peu le regard.

Le petit Sam désigna la table aux nouveaux venus, proposa :

— Un peu de café ?

Les hommes acquiescèrent. Sam se retourna sur une porte fermée, cria :

— M’man ! Envoie deux tasses.

Du bruit résonna à côté. Une porte de buffet claqua, et une femme parut avec un plateau où fumait une cafetière. Elle était énorme, le paraissait encore plus avec les carreaux verts et blancs de sa robe de chambre. Des bigoudis domptaient ses cheveux d’un blond clair et du rimmel soulignait trop le globuleux de ses yeux bleus. Elle avait la même taille que son fils, 1,60 m à tout casser. Mais beaucoup plus large, elle paraissait encore plus petite.

— Bonsoir les gars, dit-elle, posant tasses et cafetière près d’un sucrier. Vous voulez que je vous grille quelques toasts ?

Sam interrogea les autres du regard et, devant leur geste de refus, revint à sa mère.

— Non, ça ira, M’man. Va te coucher si tu veux.

Elle eut un geste de ses grasses épaules.

— Tu sais bien que je dors peu. J’aime autant rester à côté à faire mes comptes. Si vous avez besoin de moi…

Elle regagna sa cuisine après avoir raflé une boîte de chocolats sur un meuble, se retourna vers la table, sourit, encourageante.

— Et faites du bon boulot. Si quelque chose vous emmerde, appelez-moi.

— Vous bilez pas, M’man, rassura Steve. Ça va gazer.

Elle disparut. Il soupira d’aise. Il avait plus confiance en la grosse femme qu’en n’importe qui. Il est vrai que M’man était pétrie d’expérience.

Elle était au courant de tout ce qui se trame dans le Bowery. Veuve, elle dirigeait un petit magasin en forme de couloir, où les cloches du coin trouvaient de quoi se nipper. Ça ne paraissait pas croyable qu’elle puisse gagner son bœuf avec des zèbres qui ne songent qu’à se poivrer et pour qui l’alcool est le pain quotidien. Mais pour dire vrai, dans son arrière-boutique elle prêtait sur gages et sur parole. M’man était une dame qui savait garder son nez propre et éviter les flics. Parmi les traînes-patins de la ville, elle passait pour un blanc-bleu. À juste titre… Avec elle rien ne transpirait. Mais lorsqu’un lascar oubliait de régler sa dette ou bavassait un peu trop sur les activités de sa mère, alors Sam intervenait. Discrètement. Sans bruit. Sans parole. Efficacement. Et qu’une épave du Bowery finisse avec une balle dans le crâne ou le foie éclaté par l’abus du pousse-au-crime, qu’est-ce que ça y changeait ? Vu que de toute façon il était bon pour le Boulevard des Allongés de la fosse commune. À peine si les flics se donnaient le mal de rédiger un rapport, vu que la viande froide d’un clodo n’intéresse personne.

Steve, qui connaissait bien M’man et pressentait les talents de son fils, avait engagé celui-ci pour qu’il assure la protection du coup en préparation. Dans l’opération il avait fait coup double, car M’man, accrochée par la combine, finançait, oh ! modestement, l’entreprise. Avec ce qu’elle avançait, Steve faisait patienter Bob, en lui refilant quelques dollars, de temps en temps, et commençait à acheter du matériel. Il avait bien essayé de carotter quelques thunes pour lui-même, mais il y avait vite renoncé.

Avec M’man, c’était pas de la tarte. Elle avait une de ces manières d’éplucher les comptes… et ça en présence de Sam qui vous fixait comme sans vous voir de son regard incolore, aussi expressif qu’une pierre tombale.

Steve laissa couler un sucre dans sa tasse, le remua, fixa son entourage, déclara.

— Ce soir on va faire une mise au point complète. Presque définitive. Bob nous a apporté un tuyau. Et un sévère. Celui que j’attendais. Pas vrai, Bob ?

L’interpellé inclina son front que balayait une mèche d’un brun terne.

— Oui, mon dabe a enfin réussi à savoir sous quelle plaque de la rue se trouvait la connexion commandant les signaux d’alerte du 38.

Jean Baez émit un sifflement.

— C’est du bon boulot, ça, mec. Mais ton vieux se méfie pas que tu le questionnes tout le temps ? Surtout ce genre de questions ?

Un ricanement plein de suffisance agita la carcasse efflanquée de Bob.

— Je fais ça adroitement, dit-il, en se rengorgeant… le soir à table… un mot par-ci… un mot par-là… et ma frangine et ma mère me donnent un coup de main sans se douter…

Il ricana de nouveau :

— Elles aussi sont curieuses…

— Oui, Bob a été très malin, complimenta Steve. Sans lui on serait pas à la veille de pouvoir attaquer ce coffiol.

Bob se rengorgea encore plus. Steve porta la tasse à ses lèvres minces, but, la reposa.

— Le tuyau qu’il nous apporte ce soir est le dernier truc qui nous empêchait d’attaquer. Maintenant je crois qu’on est parés.

Il attira à lui une serviette que Sam venait de déposer sur la table, l’ouvrit, en sortit des plans, des notes, des dépliants publicitaires. Il prit l’un de ceux-ci. C’était la réclame d’une Manufacture, représentant la photo d’une chambre forte. Il précisa :

— Ainsi que je vous l’ai conseillé vous avez tous pu voir l’original à la devanture de la 5e Avenue. Eh bien, d’après les tuyaux de Bob, et d’après ce que j’ai pu voir moi-même le jour où j’ai réussi à descendre au 38 Ouest de la 47e Rue, c’est le même genre d’engin qui nous attend. En plus moche peut-être.

Les têtes se penchèrent sur le dépliant. Il reproduisait, vue de biais, une chambre forte installée. Rien qu’ainsi l’impression était à couper le souffle. Qu’est-ce que serait la réalité ? De quoi mouiller son caleçon pour celui qui pensait qu’un jour, ou plutôt une nuit, il serait face à face avec ce monument d’acier.

La porte en était ouverte. Elle était circulaire, épaisse, énorme, présentait sa face interne avec ses pistons rentrés, ses écrous géants, son compteur électrique de blocage. Les deux charnières permettant de la manœuvrer étaient elles aussi à rendre cardiaque. Du compact. Du solide. De l’inattaquable.

L’alvéole femelle chargée de recevoir la porte était haute de deux mètres. Aucun homme n’avait besoin de se pencher pour la franchir et atterrir dans la chambre proprement dite où s’étageaient au fond, à droite et à gauche, les coffrets d’acier des clients. Elle offrait quatre saignées à diamètre décroissant, et la porte usinée aussi en ce sens s’imbriquait en elle, à 1/100 de millimètre près, dans un ajustage extraordinairement étanche. La deuxième saignée en partant du fond était creusée de huit trous où s’enfonçaient électriquement les pistons mâles, une fois la porte close.

Et ce n’était pas tout. Même ouverte, l’alvéole restait infranchissable. Une grille d’épais barreaux, scellée à l’intérieur de la chambre, et tombant juste à ras de l’alvéole, condamnait l’entrée menant aux coffrets des clients.

— Ouf ! murmura l’Oranais. Ça va pas être du sucre, hein ?

Une lueur d’orgueil passa dans l’œil de Steve Ryan.

— C’est bien pour ça que j’ai monté cette affaire… Parce qu’elle est duraille. Et que personne n’a jamais eu l’estomac de s’y attaquer. Moi, si.

Il rectifia devant le visage soudain assombri de Bob qu’il fallait ménager.

— Nous, si.

Les deux autres n’avaient pas bronché. L’Oranais parce que non susceptible, Sam parce que froid comme glace de tempérament. Steve abattit sa main sur le dépliant.

— On pourra jamais l’avoir de face. M’man est de mon avis. Jour et nuit pendant des mois j’ai tout calculé avec elle au fur et à mesure que Bob m’apportait des renseignements. Au début, et vous le savez, j’avais envisagé un braquage. Je sais que Jean préférait ça, mais c’est pas possible d’opérer en plein jour. Il y a trop de flics dans la rue, trop de signaux d’alarme, trop de monde. On ferait pas dix mètres qu’on serait tous emballés ou transformés en passoires.

— Tu veux donc opérer de nuit ?

C’était Sam qui venait de questionner de sa voix sans timbre. Tous le contemplèrent. Il parlait rarement. Il se tenait, cravaté, veste boutonnée, digne, le buste droit comme pour ne pas perdre un centimètre de sa courte taille. Ses mains, grassouillettes et blanches comme celles qu’on accorde aux prélats, étaient posées devant lui, l’une sur l’autre. Son œil mort fixait Steve et ses cheveux d’un blond filasse, presque aussi incolores que son regard, luisaient de brillantine, séparés par une raie de milieu.

Mal à l’aise comme toujours devant le regard de Sam, Steve détourna le sien.

— Oui, répliqua-t-il. Mais pas de l’intérieur. De l’extérieur. De l’intérieur c’est pas possible non plus. L’os est trop dur à avaler. On n’est pas outillés pour en venir à bout.

Il jeta les yeux sur une feuille, poursuivit ?

— Rien que la porte fait un mètre d’épaisseur d’acier et pèse 24 tonnes. Aucun procédé connu, à part l’explosif, ne pourrait la faire péter. Et bien sûr, il n’est pas question d’explosif. On doit opérer sans bruit pour réussir. De toute façon il en faudrait trop, le building sauterait et nous avec.

Il allongea la main vers le paquet de Marlboro que l’Oranais venait de sortir, en prit une, l’alluma, reprit sous l’œil attentif de Bob qui, selon son habitude, se rongeait les ongles.

— Et même si on savait comment la réduire, on pourrait pas l’approcher. Des systèmes d’alerte ultra-perfectionnés empêchent de le faire.

— Mais puisqu’à présent on sait comment neutraliser les signaux ! s’étonna l’Oranais.

— Une partie des signaux, corrigea Steve. Seulement une partie. Ceux qui ont un rapport direct avec le SAFE, oui. Mais pour ce qui est des portes qui y conduisent, des murs, des escaliers, des portes intérieures donnant sur le Hall des ascenseurs, et des portes de verre donnant sur la rue, non. Là ce sont d’autres systèmes qui sont reliés aux postes de police de la 47e Rue et aux bureaux de l’agence Holmès.

Sam bougea imperceptiblement.

— Le père de Bob n’a pu le rencarder là-dessus ?

Tous le regardèrent puis se détournèrent. Sauf Jean Baez qui lui souriait gentiment. Bob cessa un instant de se ronger les ongles :

— Non, mais le vieux m’a expliqué que, pour ces signaux, personne savait de quel point on pouvait les neutraliser. Ça regarde les flics en priorité. Holmès, la compagnie où travaille mon vieux, a la priorité, elle, sur le SAFE qu’elle contrôle. C’est pourquoi j’ai ce tuyau mais pas l’autre.

D’un battement de cils, Sam fit savoir qu’il comprenait et Steve reprit son exposé.

— C’est pourquoi on va attaquer le SAFE de l’extérieur. C’est notre seule chance de réussir. J’y ai beaucoup réfléchi, faites-moi confiance. On arrivera à l’approcher sans déclencher ces bon Dieu de sonneries.

— Par où ? s’intéressa l’Oranais.

Steve poussa un croquis qu’il avait tracé de sa main.

— Par ici.

Son doigt était piqué sur un petit quadrillage rectangulaire décorant une feuille où se lisait un plan de rues, d’immeubles et de plaques d’égout.

— Ce que vous voyez est une niche bétonnée de 6 mètres de profondeur sur 1 de large et 3 de longueur. C’est au fond de cette niche que se trouvent les câbles du transformateur alimentant le quartier en force motrice.

Steve déplaça son doigt :

— Et comme vous le voyez, elle est juste sur le trottoir à ras du 38 de la 47e Rue. Autrement dit, elle touche notre SAFE, ou presque d’après mes plans.

Il jeta son mégot dans une tasse vide, se leva, se mit à arpenter la pièce.

— En descendant au fond et en creusant du côté du building, on doit déboucher automatiquement sur l’enveloppe bétonné protégeant le SAFE.

Bob abandonna un instant ses ongles sales.

— Car ce que vous a pas encore dit Steve, c’est que le SAFE est entouré sur tous ses côtés et même sur son toit de 3 mètres de béton armé.

— Merde, jura l’Oranais. Mais alors, on va jamais pouvoir y arriver !

— Si, le rassura Steve. Par en dessous on l’aura. Car le SAFE repose en sa plus grande partie sur une portion du roc de Manhattan, et en sa plus petite, sur du béton armé. Mais à cet endroit il est moins épais qu’ailleurs.

— 1,50 m seulement d’après mon père, confirma Bob.

— Pourquoi ils n’ont pas coulé plus de béton à cet endroit ? s’informa Sam de sa voix dénuée de chaleur humaine.

— Parce que le roc les rassure et qu’ils n’ont pas pu faire autrement, je suppose. Et qu’ils ont également pensé que jamais personne pourrait réussir à déboucher sous la chambre forte.

Un rire sans gaieté le secoua. Il reprit :

— Tous les fabricants et les entrepreneurs ont la même faiblesse. Dans un coffre, dans une chambre forte, ils soignent le toit, les côtés et la porte. Enfin tout ce qui risque de tomber sous l’œil. Mais ils prêtent moins d’intérêt au fond, puisqu’ils savent qu’il adhère au sol, ce qui fait qu’ils le croient mieux protégé.

Un second rire l’agita.

— On pourrait dire que c’est psychologique.

L’Oranais qui jouait rêveusement avec ses Marlboro releva le front.

— Et tu crois qu’on débouchera vraiment dessous ? Qu’on va pas se gourer ?

— D’après mes prévisions et les tuyaux de Bob, oui, renvoya Steve. Ah ! bien sûr si j’avais un plan sur les sous-sols avoisinant le 38 ça nous arrangerait drôlement. Mais hélas, y en a pas.

Il se tourna vers Bob comme pour attendre une confirmation. Celui-ci haussa les épaules.

— Tout au moins mon vieux raconte que personne sait exactement comment c’est foutu en dessous.

Jean Baez qui portait une cigarette à ses lèvres lorgna Steve.

— Mais si on creuse d’où tu dis, comme c’est dans la rue ça va déclencher un boucan terrible !…

Steve secoua la tête.

— Non, car on va se servir du procédé créé pour démolir le mur de l’Atlantique. Il s’agit de chalumeaux spéciaux. Et comme Bob est mécano dans un garage, c’est lui qui s’occupe de tout ça.

Bob regarda l’Oranais.

— Avec ce procédé le béton se détache en plaques. Comme du beurre.

— Et ça fait pas de bruit, renchérit Steve. Un seul ennui ; les lueurs sortant de la niche. Mais on voilera au-dessus de nos têtes. Et Sam sera planqué dans une camionnette à côté, pour faire le guet.

L'Oranais le contempla avant de grimacer :

— Turbiner comme ça en pleine rue, c’est plutôt risqué, non ? Même à 2,3 heures du matin c’est risqué. Décidément j’aimerais mieux un braquage. Ça serait plus vite enlevé.

— Et plus vite loupé, critiqua Steve. Non, mon vieux, abandonne l’idée d’un hold-up, c’est pas faisable. Et fais-moi confiance. On va réussir comme j’ai dit.

— Ah ! si seulement y avait des égouts dans votre bon Dieu de ville ! regretta l’Oranais.

Bob le fixa.

— C’est pas qu’il n’y en a pas. Mais on sait pas au juste où ils se trouvent. Et puis, ils sont pas comme ceux de Paris. On peut pas circuler dedans. Du moins d’après mon père.

— Ce sont pourtant pas les plaques d’égouts qui vous manquent, remarqua l’Oranais. Vos rues en sont pleines.

— C’est juste, opina Steve, se remettant à marcher. Mais en dessous y a que des câbles électriques, des jonctions téléphoniques, des conduites d’eau et de vapeur. Et comme à New York y a plusieurs compagnies privées de téléphone et autres trucs, tout ça fait un tas de plaques. Mais qui hélas ne vont pas très profond et ne mènent nulle part.

L'Oranais craqua une allumette, la laissa brûler avant de lancer, songeur :

— Ce que je pige pas c’est pourquoi on a besoin de déconnecter les signaux d’alerte vu qu’on n’attaque pas le SAFE de face, mais par en dessous. Et de l’extérieur encore.

Steve vint se pencher devant lui, mais en appui sur la table.

— Tout simplement parce que ces salauds, qui sont tout de même pas idiots, ont pensé à un truc génial. Quand on sera sous leur coffiot et qu’on aura réussi à le percer, il pénétrera un peu d’air à l’intérieur.

D’un geste calme, Sam déplaça ses petites mains à la peau tendre.

— Et alors ?

Steve se retourna vers lui.

— Et alors ? Eh bien, aussitôt que le moindre milligramme d’air pénètre dans ce putain de SAFE, il déclenche par un procédé extraordinaire une sirène d’alerte qui résonne dans le quartier.

— Vain Dieu ! jura l’Oranais.

— Comme tu dis, approuva Steve.

— C’est qu’ils sont maries ! commenta Bob, en crachant un bout d’ongle. Drôlement même.

Steve se redressa.

— Tu le serais pas marie, toi, si t’avais trente ou trente-cinq millions de dois à protéger ?

L’Oranais sursauta.

— Trente millions ? Tu veux pas dire…

Steve inclina son front dégarni.

— Si. Trente ou trente-cinq millions de dois. Voilà ce qu’il y aurait grosso modo dans les coffrets des diamantaires. Trente, trente-cinq millions. Le plus gros casse jamais réalisé au monde. Le plus sensationnel cambriolage de tous les temps.

De l’orgueil, de la haine illuminèrent ses traits creusés, firent palpiter ses narines de camé.

— Et qui va le réaliser ? Nous. Nous quatre. Je vais leur faire voir, moi, à ces salauds. Je vais leur montrer, moi, à ces fumiers si je suis un raté.

Son œil luisait, ses dents étincelaient dans un rictus. Il en oubliait les autres, ne songeait qu’à ses haines.

— Plus de trente briques, murmurait, assommé, l’Oranais qui ne le regardait plus. Plus de quinze milliards en monnaie de mon pays… Merde ! Tu m’avais jamais dit le chiffre, reprocha-t-il, relevant soudain la tête sur Steve. T’aurais pu m’affranchir avant ! Tu te rends pas compte ? Trente briques… Merde !

Steve indiqua Bob.

— Je pouvais pas t’en parler, il l’a su qu’hier. Pas vrai Bob ?

Le mécano lâcha l’ongle qu’il dévorait.

— Si, j’ai appris le chiffre par l’autre gardien… le copain de mon vieux qui est venu croûter à la maison. Paraît que trente, trente-cinq briques, c’est à peu près ce que représentent tous les jours les dépôts des bijoutiers et diamantaires du 38.

— C’est pourquoi faut pas louper ça, enchaîna Steve. Deux affaires comme celle-là, ça n’existe pas à New York. À nous de la faire craquer. Et en beauté. Mais pour y parvenir faut bien la préparer. C’est pourquoi, je veux encore repérer et encore repérer les lieux. Surtout de nuit. Je veux aussi prendre d’autres notes, descendre au fond du transfo, faire fabriquer les clefs qui ouvriront les petits coffrets. Enfin tout, quoi.

— Comment tu vas faire pour ces clefs ? s’intéressa l’Oranais.

De nouveau le doigt de Steve chercha Bob, fier d’être encore le point de mire.

— C’est toujours grâce à Bob si nous aurons les clefs. En fouillant dans le bureau de son vieux, il a dégotté une brochure de chez Holmès où sont reproduites une partie des clefs ouvrant les coffrets du 38. Avec cotes et tout et tout. Et chacune a un numéro correspondant à celui d’un coffret.

À nous de les faire faire et on paumera pas notre temps à ouvrir les coffrets au chalumeau. Ça sera toujours ça de gagné.

Les petites mains blanches de Sam se déplacèrent doucement sous la lumière.

— T’as dit une partie ? Vous les avez pas toutes ?

Steve secoua négativement la tête.

— Malheureusement, non. Celles qui ne fonctionnent qu’avec la clef jumelée du gardien sont pas décrites. Je veux dire celles qui ouvrent des coffrets à deux serrures. Mais tant pis, on s’en passera. Si on a le temps après avoir vidé les premiers, on s’occupera de ces coffrets-là au chalumeau. On verra sur place.

Il se tut. Puis les fixa tous. Longuement. Tour à tour. Même Sam dont le regard pourtant le mettait mal à l’aise, et enfin reprit :

— Nous allons réussir, les gars. On peut pas rater ce coup-là. Le plus beau du monde. On va le réussir et on sera jamais marrons. Et vous savez pourquoi ?

Il n’attendit pas leur réponse. Il n’en attendait pas. Il enchaîna, content de lui, de ce qu’il préparait depuis si longtemps :

— Parce que nous ne sommes pas de vrais truands. Parce que nous n’avons pas de contacts avec la pègre et que les flics ignorent jusqu’à notre existence.

Ses yeux aux reflets verts se posèrent sur l’Oranais.

— Toi, tu vis tranquille ici, sans connaître personne. Bob n’est qu’un petit mécano de garage…

Il avança vivement la main pour devancer une réaction de ce dernier.

— Te vexe pas. C’est un compliment.

Sa main se détourna vers le petit Sam.

— Quant à Sam… il ne voit que les clodos du Boweiy et turbine avec sa mère. Aucun poulet s’est jamais occupé de lui. Moi…

Il se heurta la poitrine du pouce.

— … Nul ne peut seulement s’imaginer que j’ai eu assez de cran pour monter un tel coup. Pour tous ceux qui me connaissent je suis un moins que rien, un zéro, un type flambé. Alors…

Il éclata d’un rire bref.

— Je vois d’ici la gueule des flics après le casse. Ils vont nager. Ils auront beau fouiller partout, alerter leurs indics, nous on sera peinards. Moi en Amérique du Sud avec ma femme en train de pondre un roman avant de revenir ici. Vous autres, là où vous aurez envie, là où vous serez bien.

— Et qui va fourguer la camelote ? lança l’Oranais matérialiste.

— M’man s’en occupe, expliqua Steve. Elle seule a les relations pour ça. Je crois qu’elle va traiter avec des gens du Canada. Vous frappez pas, tout sera paré en temps voulu. Maintenant si vous voulez on va se séparer. Jean et moi, on va filer jusqu’au 38 jeter un coup d’œil. Ça vous va ?

Tous se levèrent. Sam proposa :

— Encore un coup de jus avant de partir ?

Steve refusa.

— Non, mais appelle M’man qu’on lui dise au revoir.

Sam se retourna en direction de la cuisine.

— M’man ! Les gars s’en vont.

La grosse femme apparut. Un cigarillo était coincé entre ses belles dents, fausses bien sûr, et elle tenait un crayon à la main.

— Alors, les enfants, ça a marché ? s’intéressa-t-elle. C’est pour bientôt ?

— On espère, M’man, répondit Steve. On fait tout pour ça. De votre côté, je pense que vous vous démenez aussi ?

— Oui, oui, rassura la grosse femme qui se nettoyait l’oreille de son crayon. J’ai déjà pas mal de propositions. Et aussitôt que vous serez prêts, je ferai venir les gens de Montréal.

— On vous fait confiance, M’man, renvoya Steve en allant vers Sam qui lui présentait son feutre et son manteau. Allez, bonsoir.

La grosse femme agita son crayon où adhérait un peu de cérumen.

— Bonsoir, les enfants. Prenez pas froid.

Sam referma sur les hommes, revint vers sa mère.

— Je crois que ça va gazer, M’man. Ça se présente plutôt bien. Quoique avec cette histoire de transfo, ça semble un peu duraille. Mais on y arrivera tout de même. J’ai confiance.

M’man téta son cigarillo.

— C’est toujours les choses qui paraissent les plus risquées, celles que les autres n’osent pas entreprendre, qui aboutissent. Malgré que ce maudit SAFE soit drôlement protégé, ce que des hommes ont créé, d’autres peuvent le défaire. Y a rien d’impossible. Moi aussi, j’ai confiance.

Elle ôta son cigarillo, bâilla, lâcha un nuage de fumée qui dissimula ses yeux globuleux.

— Il est temps que j’aille au lit. T’y vas pas, toi ?

Il secoua la tête, tout en rangeant les papiers dans la serviette de cuir.

— Non, il n’est que 3 heures, et il y a un film à la télé qui se déroule dans un cirque. Je veux pas louper ça.

Au mot cirque, une lueur presque humaine avait animé ses yeux morts.

— C’est bon, dit M’man. Amuse-toi et bonsoir.

Il lui présenta son front qu’elle embrassa avant de gagner sa chambre surchauffée, bourrée de boîtes de chocolats et de poupées de toutes tailles.

Aussitôt Sam alluma la T.V., chercha la 9e chaîne.

Peu après sur l’écran une piste de cirque commença à se découper. Sam poussa un léger gloussement de joie. Il éteignit partout, ôta son veston, s’allongea sur un canapé d’angle. Le bonheur faisait luire ses yeux pâles.

C’était sa joie au petit Sam, le cirque. Sa vraie joie. Il y allait très souvent avec sa mère, il n’y a que là qu’il se déridait. Il raffolait des dompteurs, des fauves, des acrobates, des jongleurs, mais surtout des clowns. Ah ! les clowns… eux seuls savaient le faire rire. Eux seuls et M’man trouvaient le chemin de son cœur. Il ne buvait pas, ne fumait pas. Quant aux femmes… en dépit de ses 28 ans… né impuissant qu’il était.

Le film était commencé et sur l’écran, enfin net, un Auguste restait le nez levé vers une mignonne acrobate aux paillettes étincelantes. Et l’Auguste mimait les gestes de la fille, d’une manière gauche, ridicule, pendant qu’elle jouait avec la mort.

Un rire clair monta du canapé. Un rire sans contrainte, un rire tout pur comme celui d’un enfant.

* * *

La Chevrolet remontait Broadway dans un ronronnement monotone d’essuie-glace. À côté de Jean Baez qui pilotait en sifflotant, Steve semblait perdu dans ses pensées. Parfois une phrase lui échappait, toujours la même.

— Je leur montrerai, à ces salauds ! Je leur montrerai…

Chaque fois qu’il parlait ainsi, l’Oranais lui décochait un coup d’œil amusé. Lui n’était pas miné par ce genre de haine et d’orgueil. Pour lui tout était simple. Il y avait des risques, de l’aventure et un tas de pognon à récolter dans l’affaire. De la mort aussi, peut-être. Et tout cela lui bottait. Il conduisait décontracté, pianotant le volant de sa main où le pouce manquait. Comme ils parvenaient au croisement de Broadway et de la 6e Avenue ou Avenue O.F. America, Steve parut sortir de ses rêveries haineuses.

— Remonte la 6e, dit-il, puis vire à la 46e Rue. On laissera la bagnole là. Et on fera le tour à pied. O. K. ?

— O. K., bonhomme, renvoya l’Oranais en freinant devant un feu rouge.

Aussi loin que portait la vue, ce n’étaient que des feux rouges qui semblaient suspendus dans la nuit floconneuse où ils mettaient comme des boules de sang.

Peu après avoir redémarré, Jean Baez s’immobilisa dans la 46e Rue, au cul d’une camionnette jaune. À proximité la barricade d’un chantier cachait l’hôtel Wentworth.

Les deux hommes descendirent et se dirigèrent vers la 5e Avenue, parallèle à la 6e.

Il y avait des voitures garées dans la rue, mais pas tellement. De toute façon, à 8 heures du matin, il faudrait qu’elles dégagent les lieux, et cela jusqu’à 7 heures du soir. Rapport au sens unique, tous les capots regardaient vers la 5e Avenue. Quand ils débouchèrent dans celle-ci les deux hommes tournèrent à gauche, puis, une fois le block dépassé, ils bifurquèrent, toujours à gauche, dans la 47e Rue, également à sens unique, mais du sens opposé à la 46e Rue. Ce qui faisait qu’une voiture pouvait tourner cent fois autour du block comme sur un carrousel, si les feux de croisement l’y autorisaient.

Il y avait aussi de la voiture dans la 47e Rue, mais pas plus que dans l’autre. Et pas plus que dans l’autre il n’y avait de passants. Il est vrai qu’il était tard. L’endroit était désert, peu éclairé. Beaucoup de vitrines, beaucoup de portes demeuraient dans l’ombre. Mais derrière les verres épais, on distinguait des centaines d’écrins vidés de leurs bagues, de leurs colliers, de leurs bracelets. Dans le jour c’était pour des milliards et des milliards de pierreries, de diamants, de perles, de topazes, d’émeraudes et de rubis qui s’offraient aux regards excités des gens. Mais la nuit toutes ces colossales fortunes dormaient enfouies loin sous terre, à l’abri de chambres fortes blindées que gardait la Cie de Sécurité Holmès.

C’était là, dans toute cette rue, dans ce block compris entre la 5e et la 6e Avenue, que se tenait le plus grand marché de joaillerie de New York et du monde.

Les deux hommes descendaient lentement le trottoir de droite, le côté impair. Les flocons, un peu plus denses par instants, venaient s’écraser mollement sur leurs visages rougis de froid. Une Camel dansa dans la bouche de Steve lorsqu’il constata :

— À cette heure, c’est un peu moins animé que dans la journée. Et moins risqué. Le jour, d’après le père de Bob, y a une trentaine de poulets de tout poil qui se baladent autour du block. Même des F.B.I. qui viennent voir si y a pas une frime de leur connaissance à cravater.

Il buta dans une caisse jetée là, faillit tomber, jura, poursuivit :

— Dans le fond, avec un hold-up on pouvait pas échapper. J’aime mieux le casse. C’est plus sûr.

— Mais plus long, remarqua son compagnon, qui était pour les gestes vifs et les décisions promptes. Moi, un braquage, ça m’aurait botté.

— Moi aussi, mais à condition de pouvoir se tailler après. Or, ici… dans le jour… Avec tous ces flics et tous ces passants… toutes ces sonneries…

— Évidemment, soupira Jean Baez. Et c’est dommage. Enfin n’en parlons plus. Tiens ! on est devant le 38.

De l’autre côté, au-dessus d’une large et haute porte de verre, se lisait dans l’ombre en lettres énormes, à côté du nombre 38, FIFTH AVENUE JEWELLERS EXCHANGE.

— Traversons, fit Steve, après avoir balayé la rue d’un regard rapide.

Ils avaient commencé à le faire, quand Steve lâcha vivement, sans tourner la tête :

— T’arrête pas. Continuons.

Dans leur dos, débouchant de la 5e Avenue, une grosse Plymouth verte s’amenait lentement en rasant les voitures immobilisées. Sur son toit peint en blanc, un clignotant rouge fonctionnait doucement. À l’arrière une courte antenne dépassait, et sur ses flancs se lisait en lettres énormes : CITY OF NEW YORK, POLICE № 16. Sans bruit, elle doubla les deux équipiers qui marchaient en parlant haut. Deux paires d’yeux expérimentés, méfiants et durs, les jaugèrent au passage. Puis le clignotant coupa la 6e Avenue et s’enfonça au loin.

Sans se consulter les deux hommes revinrent sur leurs pas et stoppèrent devant le 38.

— Tu vois, c’est là, dit Steve, désignant sur le trottoir une sorte de grille aux barreaux très rapprochés, et que fermait un solide cadenas. C’est là le transfo en question.

Il fit jaillir la lueur d’une lampe électrique au bout de son poing. Se baissant, et en voilant l’éclat de sa paume gauche, il en balafra le fond du transfo. L'Oranais se baissa à son tour. Six mètres plus bas, au-delà d’une seconde grille de protection, mais celle-ci à mailles fines, on distinguait une multitude de mégots, de bouts d’allumettes, de tickets et de petits papiers déchirés. Et sur un côté, d’énormes câbles qui se perdaient dans un robuste coffret de fer. Steve reprit en éteignant sa lampe :

— T’as vu ? Eh bien, nous découperons le bas de la paroi droite au chalumeau et on arrivera à faire une trouée descendante jusqu’au-dessous du SAFE.

L’Oranais balaya la rue d’un œil vif.

— Va falloir étayer et ça va prendre du temps.

— Peut-être pas tant que ça. Deux, trois nuits, pas plus. Le principal est qu’on laisse pas de trace en partant, pour que personne puisse rien frimer dans le jour. À ça, on y veillera.

— Et pour les gravats ?

L’Oranais s’était redressé. Steve l’imita.

— Oh ! c’est simple. Sam restera au ras du trottoir, dans une fourgonnette que Bob a déjà fauchée et dont les numéros sont changés. Tu seras avec lui. Vous guetterez sans être vus. Bob et moi on sera en bas, et à mesure qu’on creusera on emplira des sacs vides. Quand y en aura plusieurs de prêts, disons toutes les deux heures, on éteindra notre lampe et on écartera la toile qui nous planquait. Alors toi tu relèveras vite un côté de la grille et tu remonteras les sacs que tu passeras à Sam. Ça prendra à peine quelques minutes.

— T’as pas le trac d’attirer l’attention ?

— Pas à cette époque de l’année. Surtout en pleine nuit. N’oublie pas que tout le block est composé de locaux commerciaux. Donc, inhabité ou presque. On a juste à faire gaffe aux rondes de flics et à celles des privés de chez Holmès. Mais avant d’opérer, on va passer deux nuits dans notre camionnette et noter les horaires des rondes.

L’Oranais qui regardait machinalement vers le 33 dont l’auvent de toile, enjambant le trottoir, indiquait : Del Pezzo, restaurant — s’inquiéta encore :

— J’ai peur que vous tombiez sur du roc ou du béton armé et que ça vous oblige à faire trop de barouf.

— Non, non, rassura Steve. On fera ça en silence, te casse pas la tête. Pour le béton, pas de problème, comme je te disais chez Sam. Quant au roc, on l’évitera. Et puis à six, sept mètres, presque sûr qu’on va tomber sur les grosses canalisations de vidange. En général elles sont entourées de madriers et de terre friable, et possible qu’on trouve des espèces de niches où on pourra entasser une partie de nos gravats. T’as dû voir ce genre de madriers et de canalisations quand ils défoncent les rues pour mettre à jour des câbles ou des conduites d’eau ou de vidange, non ?

— Sûr que j’ai repéré ça ! opina l’Oranais. Avoue que votre sous-sol est drôlement foutu ! Quand une canalisation pète, vous êtes obligés de défoncer la rue pour la réparer. Ah ! c’est pas comme à Paname ! Là-bas avec leurs égouts…

Pensif, il ajouta d’un ton de regret :

— S’il y en avait ici, ça serait du sucre, pour opérer. On n’aurait pas besoin de passer tout ce temps installés en pleine rue.

— Hélas ! soupira Steve. Et pourtant comme tu dis ce sont pas les plaques qui manquent…

Debout au bord du trottoir, il montrait en direction de la 6e Avenue la chaussée noire que la neige molle saupoudrait par endroits de taches blanchâtres. Sur 40 mètres à peine se distinguaient assez bien une douzaine de plaques rondes de tailles différentes. Certaines occupaient le centre de la rue, d’autres touchaient les trottoirs. Il y en avait même une au ras du 38. Toutes semblaient avoir été posées ou plutôt jetées comme par hasard sans aucun discernement.

L’Oranais descendit sur la chaussée, tapota du pied celle rasant le 38.

— Et là-dessous qu’est-ce qu’il y a ?

— Des branchements téléphoniques d’après le père de Bob, renseigna Steve. Et pas la peine d’y penser. Ça descend pas assez profond pour qu’on puisse s’en servir. Rien ne vaut le transfo. Allez, viens, maintenant, ça suffit pour cette nuit.

Jean Baez emboîta le pas à son compagnon qui repartait vers la 6e Avenue.

En bout de rue, juste avant les feux du carrefour, il y avait encore deux autres plaques. L’une bien au milieu de la chaussée, l’autre sur la gauche près du métro de la 47e Rue. De ces deux plaques s’élevaient des jets de vapeur[19] qui tentaient d’escalader le ciel. Selon le vent, elles grimpaient tout droit, dans un jet mince, ou dans de lourdes spirales qui s’en allaient frôler les façades des buildings.

C’était curieux de voir des colonnes jaillir, de jour comme de nuit, du sol new yorkais. La nuit, surtout dans la brume ou la pluie, l’effet était saisissant ; il faisait automatiquement songer à des histoires de fantômes, de violences et de morts.

Seuls les pas des deux hommes résonnaient dans la rue silencieuse. Puis soudainement une voiture arriva dans leur dos. Sans bruit. Elle les doubla lentement, stoppa plus loin. Un homme en civil en descendit. Il alla à la porte de verre d’un building, y braqua une lampe, vérifia le système de fermeture. Trois fois il répéta le même geste au hasard de sa ronde, avant de regrimper dans la bagnole qui l’avait suivi au pas.

— Ceux de Holmès, murmura Steve, en tournant dans la 6e Avenue.

Peu après ils retrouvaient la Chevrolet dans la 46e Rue.

— Faudra minuter soigneusement leur ronde, commenta Steve en s’asseyant. La leur et celle des flics.

— On le fera, renvoya l’Oranais en démarrant.

Steve se cala contre le dossier.

— J’ai pas envie de dormir. Ramène-moi au Métropole, tu veux ? Et repars par la 47e Rue puisque c’est presque ton chemin. Après ça qu’est-ce que tu fais ? Tu rentres ?

— Oui, le temps d’acheter deux, trois canards et je vais me coucher.

Steve lui décocha un coup d’œil étonné.

— Tu lis les journaux ricains maintenant ?

— C’est pas pour moi, gloussa l’Oranais, mais pour mon voisin le toubib.

En parlant, il souriait et faisait jouer son poing droit dont les jointures lui faisaient encore mal. Il ajouta, pensant au vieux à qui il destinait les journaux :

— Remarque que ça me ferait peut-être du bien de perfectionner mon rosbif. Mais dans le fond, je m’en fous, je comprends tout ce que vous racontez. Et ça me suffit.

— Oh ! tu te défends plutôt bien, reconnut Steve. On croirait pas que t’es là que depuis trois mois. Il est vrai que vous autres Juifs avez le génie des langues. Ça doit tenir à ce que vous êtes des errants.

— Tu trouves ! sourit l’Oranais en bifurquant à gauche dans la 5e Avenue.

Peu après il engageait la Chevrolet dans la 47e Rue. Tout était aussi calme. Tout était aussi sombre. Tout était aussi désert. Seul signe d’animation, les fumées de vapeur qui en bout s’élevaient dans l’air où se brassaient les flocons de neige.

Jean Baez logea une Marlboro entre ses dents bien plantées, tendit son paquet.

— Tu fumes ?

Steve allongea la main, se ravisa soudain.

— Pas maintenant.

Et comme la Chevrolet franchissait le feu vert de la 6e Avenue, il laissa sa main glisser le long de son pantalon. Elle y resta quelques secondes et forma une tache blanche sous le refuge noir du tablier de l’auto. Puis elle réapparut et un léger froissement de papier s’éleva. Dans le rétro, l’Oranais lorgna son compagnon qui, d’un geste vif, entraîné, se camait dans un léger soupir. Il sourit.

Doucement. Steve s’en aperçut. Il maugréa :

— T’es contre ?

— Contre quoi ?

— Contre ceux qui se dopent ?

Jean Baez eut un mouvement fataliste de ses puissantes épaules.

— Je trouve que t’as tort ; mais ça te regarde. Le principal est que tu perdes pas le nord pour notre histoire. Pour le reste… Je m’occupe jamais des vices des autres. Et je ne suis contre rien. Ou plutôt si.

Son sourire s’amplifia.

— Je suis contre les gaines.

Steve sursauta.

— Hein ?

Un rire secoua l’Oranais.

— Oui, celles que portent tes compatriotes. Je suis contre. Et à bloc. Vos femmes sont si jolies ! Pourquoi faut-il qu’elles s’aplatissent le valseur avec ces trucs-là ? Ça leur esquinte la ligne ! Ça leur démolit leur chute de reins ! Vous devriez les empêcher, vous autres les mâles !…

Une lueur égaya l’œil de Steve, dont les pupilles commençaient à se dilater sous l’effet de la dop. Il soupira, amical.

— Ah ! toi et tes filles.

Et comme le Métropole se montrait au loin, brillant de tous ses néons qui balafraient de rouge les Noirs désargentés, toujours perdus dans leurs rêves de jazz :

— On arrive. Je t’appelle demain. Ou plutôt dans la journée, et on prendra rencard pour la nuit. Faut qu’on commence à vérifier les horaires des rondes. O.K. ?

— Ça va, renvoya l’Oranais, stoppant devant la Mecque du jazz.

Il voulut ajouter un mot, un au revoir, mais déjà Steve était descendu et marchait vers sa passion, vers l’oubli de sa vie ratée.

L’Oranais rembraya, en sifflotant la marche de la 2e D.B.

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