XVI

Steve, M’man et les autres avaient eu raison. New York allait entrer dans sa nuit de Noël, et il neigeait. Et pas qu’un peu. Une fois de plus » le miracle avait eu lieu. Et les vitrines illuminées, les néons de toutes couleurs, les passants chargés de paquets, les gosses rois du jour, tout criait la joie dans ce pays, où nulle part ailleurs on ne fête Noël avec tant de passion.

La misère des bas quartiers de Brooklyn disparaissait sous une couche blanche qui la poétisait, et en avait chassé les laideurs. De ce Brooklyn d’où ont jailli tant de vedettes du ring, de la scène, de l’écran, et aussi du crime.

Dans des coins comme Sacket Street et Heck Street, où, l’été, le linge rapiécé sèche aux fenêtres, comme dans les ports méditerranéens, les sempiternelles maisons de brique rouge prenaient un air coquet sous la neige. Et les fils des anciens trolleybus qui surplombent les rues ne faisaient plus songer à d’horribles toiles d’araignée, mais, par leurs longues tiges immaculées, à des kilomètres de sucre d’orge pour enfants sages.

À l’angle de Court Street, et de Bryant Street, la laideur, elle, demeurait. La faute en était aux tas de ferraille, aux vieux pneus, aux pièces rouillées qui s’empilaient dans le passage au sol défoncé. Au fond du passage, au-delà des grilles de protection, l’eau des docks miroitait sous les flocons, et, dans l’obscurité, des navires dressaient leurs silhouettes imposantes. Parfois des sirènes de remorqueurs trouaient l’air de rugissements puissants, qui martelaient le tympan.

Les frères Laventure, qui s’étaient fait déposer par un taxi beaucoup plus loin, s’engouffrèrent dans le passage non éclairé. À droite, 20 mètres avant la guérite du gardien de ce coin des docks, ils pénétrèrent dans une vieille remise soigneusement close. Ils refermèrent, donnèrent la lumière. L’ampoule poussiéreuse qui tombait d’un fil éclaira mal la voiture garée là : une Plymouth verte à toit blanc avec peint sur ses flancs : « CITY OF NEW YORK-POLICE. № 20 ». Telle qu’elle était maquillée, cette bagnole pouvait supporter la comparaison avec une vraie. Rien n’y manquait, surtout pas la courte antenne à l’arrière, et le clignotant rouge du toit.

Les frères Laventure étaient trois. L’aîné, Hector, 30 ans, solide, haut, ressemblant à un Irlandais. Le second, Honoré, 28 ans, du même gabarit que l’autre. Et enfin Hubert, plus tassé, mais non moins rapide dans les coups durs. Un trio qui faisait la loi à Montréal, où, à côté, Chicago est une nursery pour bébés joufflus.

Sans s’occuper de l’auto, ils allèrent dans le fond, et ouvrirent des valises posées sur un établi graisseux, surchargé d’outils de toutes sortes, de pots de peinture et de fausses plaques d’immatriculation. Ils en sortirent deux uniformes de flics, avec l’artillerie adéquate, négligeant des fringues de fripier qui auraient fait le bonheur d’un rabbin, retour de déportation.

Tandis qu’Hubert se mettait à dégainer les armes aux numéros brûlés à l’acide, les autres, sans un mot, enfilaient leur tenue.

* * *

La sonnerie du réveil tinta joyeusement dans la pièce surchauffée, plongée dans le noir. Jean Baez gémit, se tourna sur le ventre. La sonnerie persista. Il gémit encore, laissa pendre sa main, sentit la mule qu’il cherchait. Aussitôt, sans ouvrir l’œil il la balança avec force, mais il rata son but, car la sonnerie ne s’arrêta pas.

— Qu’est-ce que tu fabriques ? murmura une voix à son côté. Arrête de bouger, voyons.

Puis dans une plainte :

— Oh ! fais taire ce réveil, c’est énervant…

Le son de la voix fit récupérer l’Oranais. Vite il donna la lumière, se dressa d’un bond.

— Va falloir les mettre, mon ange, dit-il. Moi j’ai à faire. Allez, debout… Fissa.

Il souriait à l’ange, allongée nue sur le lit qu’il venait de quitter. C’était une nouvelle, une de plus, qu’il avait levée cinq jours avant. Elle était jolie, blonde, bien en chair, comme il les aimait. Et avec des jambes ! De ces jambes…

— Tu ne m’avais pas dit qu’on se lèverait si tôt ! se rebiffa l’ange en se recouvrant du drap.

Tu m’avais parlé d’un réveillon ensemble…

Il la caressa de ses yeux câlins, la chauffa de son sourire.

— Mais y a rien de changé au programme, mon ange. Seulement je dois partir. Et toi, faut bien que t’ailles chez toi te changer et passer une robe du soir !

Elle lui décrocha un sourire ensorceleur, qui en avait fait basculer d’autres. Mais il était blindé et pressé. Il reprit :

— Allez, mon ange, hop, debout ! Fissa.

— Mais il est à peine 5 heures ! gémit-elle. Que veux-tu que j’aille faire chez moi à 5 heures de l’après-midi ?

Il se laissa choir à genoux sur la moquette rouge et se courba sur elle.

— Mais te faire belle pour moi, mon ange ! Que veux-tu faire d’autre ? Fais-toi bien belle, et pendant ce temps j’irai te chercher un cadeau. Un beau cadeau.

— Sûr ? fit-elle en l’enlaçant. Un cadeau pour moi ?

Il l’embrassa, dénoua l’étreinte, se redressa.

— Pour toi tous les cadeaux de la terre, mon ange. Les plus beaux. Beaux comme tes beaux yeux. Beaux comme ton joli sourire. Allez debout, ou sinon je te laisse là, et je file. Tu t’arrangeras toute seule.

— J’aime autant m’en aller dit-elle, en étirant son corps de chatte qui sentait l’amour. Je t’attendrai chez moi… toute belle comme tu me le demandes. Mais tu n’oublieras pas de venir me chercher, hein mon chéri ?

Il fonçait vers la salle d’eau, mais se retournant à la dernière phrase, il lui lança :

— Pour passer la nuit de Noël avec toi, je ferais cent kilomètres, pieds nus dans la neige, mon ange. Même cul-de-jatte, je viendrais te chercher.

Et après lui avoir expédié un baiser du bout des doigts, il courut se jeter sous la douche, pendant qu’elle éclatait de rire.

* * *

Steve Ryan était adossé à la porte de son logement miteux, et sentait derrière lui la bosse faite par les vieux vêtements accrochés au portemanteau. Il était coiffé de son feutre tyrolien et avait une main dans la poche de son pardessus où le bouton manquait. Son autre main pendait le long de son corps, et d’elle, s’élevait la fumée d’une Camel.

— Encore un peu de patience, chérie, disait-il. Demain sera le plus beau Noël de ta vie. Aie confiance. Le soleil va briller pour toi, comme il n’a jamais brillé pour aucune femme. Je vais te couvrir d’or, chérie. T’offrir tout ce que t’as envie, tout ce que j’ai rêvé de t’offrir. Tout ce que t’as rêvé d’avoir.

Elle le contempla un instant, lui montrant son visage creusé par les soucis et le chagrin, puis détourna les yeux. Elle les reporta sur ses pieds nus qu’elle massait d’une main lasse. À côté sur le lit pas fait, il y avait ses bas, et par terre, près d’un mégot tombé, ses souliers aux talons fatigués. Il poursuivit :

— Je serai très pris ce soir, m’attends pas. Je peux pas t’expliquer, mais je serai très pris. Aussi pourquoi que t’irais pas un peu chez tes parents ? Ça te changerait les idées !

Elle releva le front.

— Leur montrer que je suis encore seule un soir de Noël ! Tu y tiens ?

— Mais…

Elle soupira en rabaissant les yeux.

— Laisse-moi… Je t’en prie.

Il eut un geste comme pour courir à elle, la prendre dans ses bras, l’embrasser, lui demander pardon, lui… Mais il se contint. Elle ne le croirait pas. Elle ne croyait plus en lui. Elle ne croyait plus en rien. Il tendit la main derrière lui, la posa sur le bouton de la porte.

— Bonsoir, chérie.

— Bonsoir.

— Joyeux Noël, ajouta-t-il avant d’ouvrir.

Elle lui offrit de nouveau son visage.

— Joyeux Noël, Steve.

— Aie confiance, dit-il encore. Laisse-moi jusqu’à demain et je te prouverai que…

Puis, sans achever, il sortit, et Margaret continua à masser ses pieds enflés par les heures de magasin.

* * *

Le téléphone retentit dans la pièce tiède au calme familial. En l’entendant, M’man reposa dans la boîte placée sur ses genoux la crotte de chocolat qu’elle allait avaler. Elle décrocha, fit signe à Sam de baisser un peu la télé, murmura :

— Allô ? Ah ! c’est vous, Ted ? Vous êtes arrivé tout à l’heure ? Bien. Vous avez l’argent ? Oui. Les 300 000 d’option que vous nous verserez si… Bien, bien, Ted. Alors c’est que votre groupe s’est mis d’accord ? 40 % de la valeur réelle ? Oui ? Parfait. Appelez vers neuf heures, vous saurez si on peut traiter.

Brusquement elle fronça les sourcils, tressaillit, et son imposante poitrine s’agita sous le blouson à carreaux verts qui la sanglait.

— Quoi ? Vous me dites merde ?

Et soulagée, après avoir écouté :

— Ah ! c’est pour nous porter chance ! Mais vous savez même pas quand on opère, ni où. Enfin, merci tout de même, Ted. On aura en effet besoin de pas mal de chance. Bonsoir.

Elle raccrocha, reprit la crotte, la lécha d’une langue gourmande en fermant les paupières, avant de la croquer dans de petits bruits satisfaits.

Ensuite, elle tâtonna, paupières toujours closes, à la recherche d’un autre chocolat.

Du temps s’écoula, et la boîte se vidait progressivement. Ce fut un rire de Sam qui fit émerger M’man de sa gourmandise. Elle rouvrit les yeux, les posa sur son garçon qui ne s’occupait que du petit écran. Celui-ci reproduisait en direct le programme d’un cirque de province. Sur la piste des écuyères virevoltaient, sautaient à travers des cercles de papier, et se recevaient en équilibre sur les reins de chevaux enrubannés. Un clown, déguisé en clochard, faussement lourdaud, tentait de les imiter, applaudi, encouragé par l’assistance où dominaient les enfants.

M’man consulta sa montre, lança de son fauteuil :

— C’est l’heure, Sam. Faut nous préparer.

Mais le petit tueur n’entendit pas. Il était si loin. Il riait, applaudissait lui aussi aux exploits du clown.

M’man se leva dans un gros soupir, alla taper sur l’épaule de son garçon.

— Sam, c’est l’heure.

Il eut du mal à s’arracher à son bonheur.

— Oui M’man ? fit-il, tournant la tête, offrant son regard qu’animait une joie pure.

— C’est l’heure, Sam, répéta la grosse femme. Faut se préparer.

— Ah ! oui, M’man, fit-il dans un soupir qui n’en finissait pas.

Et il abandonna son siège, laissant sa mère arrêter la télé.

* * *

Louis Coppolano se releva et prit du champ pour inspecter le sapin qu’il venait de décorer. Puis, croyant qu’un fil électrique dépassait, il revint déplacer un minuscule bonhomme Noël, dans lequel était logée une petite ampoule rouge.

Connie, qui sortait de sa cuisine, sourit de le voir si méticuleux.

— Ça vous plaît de faire ça, hein papa ?

Il lui rendit son sourire.

— Oui. Depuis toujours j’ai aimé m’occuper des arbres de Noël. Ça date de loin. Même bien avant que…

Il s’interrompit brusquement, essaya de chasser le souvenir de son fils mort, bifurqua :

— Quand Mike était petit il voulait m’aider, mais je le laissais pas faire. Il était tellement remuant qu’il fichait tout par terre.

Il se réagenouilla pour redresser une étoile argentée piquée dans une branche basse, ajouta :

— C’est qu’il faut du doigté !… C’est fragile ces babioles.

Il consolida encore une crèche calée entre deux branches, fit retomber un peu de fausse neige dessus, et se remit debout en s’époussetant les genoux.

— Si on éteignait pour voir ce que ça donne ? proposa-t-il.

Connie abaissa l’interrupteur. Aussitôt l’arbre se dressa dans le noir paré de toutes ses boules lumineuses, illuminé par tous ces petits bonshommes Noël en couleur, scintillant de tous ses fils d’argent, éblouissant de féerie.

L’émotion bloqua la gorge du vieux. Comme tous les arbres de Noël, ce sapin dégageait une telle impression de paix, de vie tranquille, et de bonheur familial ! Durant quelques heures, ces petits arbres allaient, dans le monde entier, faire oublier à tous la saloperie des hommes, effacer pour quelques instants la lutte de la course à l’atome, de la course à la mort.

— Dommage que Mike soit pas là pour le voir, regretta le vieux. Lui aussi aime bien les arbres de Noël. Et ce qui m’étonne bien, c’est qu’il t’a pas envoyé de télégramme… Et surtout qu’il ait oublié d’envoyer des jouets pour la gosse.

— Je ne m’inquiète pas, dit Connie, rendant la lumière. Cela va sûrement arriver dans la soirée.

Le vieux abaissa ses manches de chemise.

— Ça sera la première fois que je passe un Noël sans Mike. Ça va me faire tout drôle. Heureusement que je vous ai, toi et Louise.

Il retourna au sapin pour mieux dissimuler un des nombreux paquets qu’il avait apportés, s’informa :

— Au fait, à quelle heure ta mère va-t-elle ramener la gosse ?

— Vers les 10 heures. On les fera passer par derrière, et elle ne verra pas l’arbre.

Le vieux rit doucement.

— Méfie-toi quand même. Elle est si futée qu’elle se doute bien pourquoi tu l’as expédiée chez sa grand-mère.

— Ne vous inquiétez pas, elle dormira à moitié, et ne pensera qu’à son lit, rassura Connie. Heureusement d’ailleurs. Sinon elle m’aurait fait une comédie pour essayer de voir l’arbre.

Le vieux alla récupérer sa veste, jetée sur un fauteuil.

— Je m’en vais, mais demain je viendrai déjeuner avec vous. Sûrement qu’on aura des nouvelles de Mike.

Connie lui tendit son foulard.

— Vous ne voulez vraiment pas rester ce soir avec nous ? Mes parents seraient si contents de vous voir !

Il hocha la tête, tout en se passant le foulard au cou.

— Moi aussi, fillette. Malheureusement c’est impossible. Mon copain de bureau m’a invité en ville. Mais demain, compte sur moi sans faute. Allez, donne-moi mon pardessus que je me sauve.

Connie alla lui chercher le vêtement, l’aida à l’enfiler, et lui tendit un chapeau sombre qu’il posa sur ses cheveux argentés.

— Alors je n’insiste pas, papa, dit-elle, bonsoir. Et bon Noël.

— Bon Noël pour toi aussi, répliqua le vieux, gravement, en l’embrassant.

Et sans qu’elle le remarque, il fit du pouce, un imperceptible signe de croix sur sa cravate, et ajouta pendant qu’elle lui ouvrait :

— Mais je te le souhaiterai mieux demain. Bonsoir fillette.

Elle resta sur le palier, écouta décroître son pas de brave homme, et referma doucement, l’œil accroché par l’arbre qui, là-bas, dans la pièce, semblait attendre le retour de tous.

Le vieux n’avait pas disparu depuis dix minutes qu’on sonna en bas. Connie appuya sur le bouton commandant la porte de la rue, attendit un peu, appuya sur celui qui déclenchait l’audition.

— Qui est là ? demanda-t-elle, la bouche collée près du parlophone.

— Un livreur, madame, répondit une voix d’homme.

— C’est bon, montez, autorisa Connie.

Elle lâcha le bouton, entrebâilla la porte d’entrée, regagna la cuisine. Mike n’avait rien oublié ! car ce ne pouvait être que lui qui envoyait ce livreur ! Il avait dû passer des ordres à un magasin, et choisir des cadeaux pour les siens. Connie savait que Mike n’aurait pas oublié le jour de Noël. Son Mike.

— Entrez ! cria-t-elle, entendant peu après qu’on grattait à la porte entrouverte.

— Bonsoir, madame, fit la voix. J’apporte des paquets de la part de…

Le son de la voix fit sortir vivement Connie de sa cuisine. Elle leva les yeux, bafouilla les jambes molles :

— Mike… Hello ! Mike !

— Hello Connie ! renvoya le grand gars dont les yeux bleus riaient.

Il se tenait sur le seuil, une serviette de cuir à la main, et chargé de paquets dans les bras. Un peu de neige recouvrait les épaules de son trench-coat, ainsi qu’un feutre de forme étrangère, qu’elle ne lui connaissait pas.

Elle restait là, saisie, à le contempler bêtement. Il dit doucement.

— Je peux entrer, madame Coppolano ?

Elle se secoua, se rua vers lui :

— Oh ! Mike !…

Et dans un cri d’amour, se jetant à son cou, en dépit des paquets :

— Espèce de vieux machin ! Espèce de sale vieux machin !

Et pleurant de bonheur, elle lui écrasa les lèvres sous les siennes ; deux des paquets tombèrent et le feutre inconnu bascula en arrière.

— Eh bien, eh bien, madame Coppolano, gourmanda Mike, se détachant lentement. En voilà des façons. Comme ça… sur le palier… au risque d’être vu.

Elle le mangea de ses yeux humides.

— Oh Mike. Quelle surprise ! Si je m’attendais…

Elle l’aida à ramasser les objets tombés, referma la porte, pendant qu’il disait, d’un ton de reproche :

— T’as cru que je pourrais passer un Noël loin de vous ? T’as pu croire ça ?

Elle le débarrassa de son trench-coat, agita ses boucles brunes.

— Non, mais j’étais persuadée que tu resterais encore en Europe pour ton travail. À quelle heure es-tu arrivé ?

— À 8 heures ce matin.

— Hein ? Qu’est-ce que tu racontes ? Et tu t’amènes seulement ? Et tu n’as même pas téléphoné en arrivant ?

Elle le fixait, narines palpitantes, l’air fâché.

Il lui prit la taille, l’entraîna vers le sapin aux lumières accueillantes.

— Te fâche pas, ma douce. Mais on n’a pas eu une minute depuis mon débarquement. Notre équipe vient de réussir la plus grosse affaire jamais réalisée dans le pays. Vingt-trois kilos d’héroïne pure saisis… près de quatre millions de dollars… une affaire colossale… un trafic immense.

Il se laissa choir dans un fauteuil, attira sa jeune femme sur ses genoux, lui caressa la nuque sous ses boucles brunes.

— Tous les journaux vont en parler… un scandale inouï… la chnouf pénétrait chez nous sous le couvert de la valise diplomatique d’un ambassadeur sud-américain.

Elle l’écoutait parler, remarquait ses yeux cernés par la fatigue, son air las. Il n’avait pas dû dormir beaucoup depuis son départ. Elle se serra fort contre lui, tandis qu’il poursuivait :

— Le début de cette fameuse enquête a été comme bien souvent une chose très simple. Un soir que Tom et moi étions de surveillance à l’aéroport, comme ça nous arrive souvent, on a vu débarquer de France un Marseillais fiché à nos services et soupçonné d’être un fournisseur de drogue. On l’a filé pendant deux jours et on l’a vu prendre des contacts dans le Bronx avec un type qu’on savait être un des gros pontes de la came. On a laissé courir et quand le surlendemain ce Marseillais a retenu une place d’avion…

— Cette histoire n’a aucun rapport avec celle de ton hôtesse de l’air ? le coupa Connie. Pourtant, lorsque tu es parti j’ai pensé que si.

Mike secoua la tête.

— Non, aucun. L’hôtesse n’a pas parlé. Et on ne croit plus qu’elle parlera. L’histoire du diplomate est totalement indépendante. Et si nous l’avons découverte c’est un peu grâce au hasard et à notre organisation en Europe. Quand le patron a appris que ce Marseillais reprenait l’avion, il m’a fait retenir une place pour voyager avec lui et voilà la conclusion. Le reste ? De la routine. Des filatures avec ceux du Narcotic détachés à Paris… des contacts avec la brigade mondaine de là-bas… des rendez-vous avec Interpol… des voyages… pas mal de nuits blanches… Et puis voilà…

La main de Mike massa avec amour la nuque de Connie.

— … Je suis revenu dans le même avion que ce diplomate et nous l’avons sauté, lui et son Marseillais, cet après-midi ainsi que trois autres trafiquants dont le gros ponte du Bronx.

Il étendit ses longues jambes, soupira.

— À présent nous cherchons à connaître qui est à la tête de ce réseau.

Une moue sceptique lui retroussa les lèvres.

— Et comme toujours c’est pas facile. Pour pas dire impossible. Car ça peut-être n’importe qui. Un Italien, un Français, un Américain. Qui sait ? Un homme politique haut placé ? Un milliardaire connu ? Qui sait ? Nos collègues français pensent que ça pourrait être l’un des leurs, un très célèbre organisateur de spectacles. Mais on en doute…

Connie lui mordilla l’oreille.

— Ne parle plus de ça, dis ! Détends-toi un peu. Tu veux que je te prépare un bain ?

— Ma foi… dit-il, en faisant sauter ses chaussures loin de lui. Et bien chaud, hein ma douce ! J’ai tellement de crasse à enlever. Toute cette saleté de drogue dans laquelle je suis plongé… toute cette saloperie de dop qui démolit les plus forts, qui souille tout ce qu’elle touche.

Connie l’embrassa encore avant de quitter ses genoux d’un bond souple.

— Ne parle plus de ça, Mike ! N’oublie pas que c’est Noël ce soir.

Il la suivit d’un œil gourmand alors qu’elle s’éloignait, lui lança :

— Et où est ma fille ? Chez sa grand-mère ?

Connie se retourna, excitante dans le mouvement de sa robe noire.

— Oui, elle l’a emmenée pour que je puisse préparer l’arbre sans être dérangée. Elle nous la ramènera vers 10 heures.

— Ah ! bon. Et p’pa ? Comment que ça se fait qu’il n’est pas encore là, lui ? C’est la première fois qu’il s’occupe pas de l’arbre de Noël !

De l’index, Connie indiqua le sapin.

— C’est lui qui l’a préparé. Il était là, il y a juste un quart d’heure.

— Ah oui ? Et il revient quand ?

— Pas avant demain.

— Oh ! lâcha Mike déçu. Ainsi je le verrai pas ce soir ? T’es sûre qu’il reviendra pas ?

Elle haussa les épaules tandis qu’il sautait du fauteuil et s’amenait sur elle, l’œil luisant de désir.

— C’est ce qu’il m’a dit. Il a un dîner avec des copains du bureau.

— Tant pis, regretta Mike. Il va me manquer ce soir. Mais au moins, toi, tu m’échapperas pas.

Il l’attira à lui. Elle chercha à se débattre, mais trichait, puisqu’elle murmurait, déjà consentante :

— Et ton bain, Mike ?

Leurs yeux s’empoignèrent, leurs corps se soudèrent, Connie, balbutia trichant encore :

— Ton bain, Mike…

Sans répondre, le grand gars la souleva du sol, et bouche plaquée à la sienne, il l’entraîna vers la chambre.

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