Pendant quelques secondes, l’onde de choc de la détonation sembla avoir paralysé tous les témoins du meurtre. Profitant de cette immobilité, le jeune barbu jeta à terre l’arme avec laquelle il avait tiré, recula, plongeant dans la foule de mudjahidins. Dans la confusion, il parvint à rompre le cercle et s’enfuit à toutes jambes à travers la cour, vers le mur du fond. Asad, revenant à lui, poussa un rugissement et lâcha une rafale de Kalachnikov en l’air. Ce fut le réveil de la Belle au Bois Dormant ! Tous les mudjahidins présents se ruèrent comme un seul homme à la poursuite du fugitif, brandissant leurs armes et tirant dans sa direction en dépit des injonctions de Sayed Gui qui s’égosillait.
— Prenez-le vivant ! Ne le tuez pas !
Arrivé au fond de la cour, le jeune barbu bifurqua à droite et se rua dans un escalier.
Malko s’était également élancé à sa poursuite, laissant au milieu de la cour le corps de Sholam Nabi et l’arme qui l’avait tué, un stylo-pistolet. Sayed Gui boitillait derrière ses troupes. Au lieu de s’engager dans l’escalier emprunté par l’assassin, Malko passa sous la voûte aboutissant de l’autre côté du bâtiment. Le jeune barbu, pour tenter une sortie, devait fatalement redescendre. Malko déboucha dans la seconde cour déserte. Il était à peine arrivé qu’il vît au-dessus de sa tête le barbu enjamber la balustrade de la galerie extérieure du premier étage et sauter. Il atterrit pratiquement dans les bras de Malko.
Lorsqu’il vit le gros pistolet noir braqué sur lui, il s’immobilisa, le dos au mur, respirant bruyamment, ses yeux affolés roulant comme des billes dans leurs orbites.
— N’essayez pas de fuir ! dit Malko.
Quelques instants plus tard, les premiers éléments de la meute surgirent. Malko prit quelques coups de crosse, en s’opposant à un lynchage immédiat. Sayed Gui arriva enfin, glapissant comme une sirène et calma les plus excités. Il était temps ! Le jeune barbu n’avait plus guère figure humaine. Un vieux mudjahidin lui arrachait la barbe à pleines mains, tandis que d’autres le bourraient de coups. Certains, plus sournois, le piquaient avec leur poignard.
Il fallut l’intervention d’Asad pour le dégager. Il le chargea sur son épaule comme un paquet et d’autres gardes tirèrent des rafales de Kalachnikov en l’air pour écarter la foule des mudjahidins déchaînés.
Une haie silencieuse et haineuse d’hommes en armes tapissait les murs du bureau de Sayed Gui, les yeux fixés sur la silhouette fragile au milieu de la pièce. Jandad était nu comme un ver, à l’exception d’un caleçon en loques, et son corps était marbré de bleus. On lui avait lié les mains derrière le dos avec une corde dont l’extrémité était dans les mains d’Asad, comme on tient un animal. Le sang avait séché sur son visage mais son œil gauche était fermé, caché par un énorme hématome rougeâtre. On voyait à peine son sexe recroquevillé dans les poils noirs. La blancheur de son torse était saisissante. Ainsi, il paraissait à peine seize ans. Sur le bureau de Sayed Gui, s’étalait le contenu de ses poches. Quelques roupies, une douzaine de cartouches calibre 6,35, découvertes dans la doublure de son charouar, une carte de réfugié, quelques papiers et une note manuscrite en dari que Sayed Gui tenait en main.
— Pourquoi as-tu tué cet homme ? demanda Sayed Gui.
Silence. Grondement des gardes. Une culasse claqua et Asad jeta un regard furieux vers le propriétaire de l’arme. Puis il tira sur la longe, faisant tituber le prisonnier pour l’inciter à répondre. Le jeune barbu baissa la tête, muet. Sayed Gui prit le stylo-pistolet et le brandit sous son nez :
— Qui t’a donné ça ?
Silence. Le directeur du renseignement le prit par les cheveux et lui montra le papier trouvé dans ses poches.
— Pourquoi as-tu ça ? C’est la description de Sholam Nabi. Tu étais ici pour l’assassiner.
Pas de réponse. Le jeune homme baissait la tête, têtu. Sayed Gui jeta un ordre et Asad l’entraîna dehors, comme une vache, emmenant avec lui le flot des gardes. Dès qu’ils furent seuls, Malko demanda à Sayed Gui :
— Quel était le rôle de l’homme qu’il a abattu ?
Le directeur du renseignement posa le papier qu’il examinait en transparence.
— Il n’a jamais eu de rôle politique et ne pouvait pas combattre à cause d’une insuffisance cardiaque. Je ne comprends pas. Il n’avait pas une importance extraordinaire et pourtant cet homme a couru le risque d’être pris pour le tuer.
— Vous n’avez rien trouvé dans ses papiers ?
— Seulement le nom de Sholam Nabi. Il était venu pour le tuer. On l’avait fouillé à l’entrée, mais les gardes ne sont pas habitués aux armes cachées comme le stylo. Beaucoup de réfugiés viennent, comme lui, demander à combattre. Comme ils n’ont rien à faire, ils traînent avec les mudjahidins. Ou bien, ce sont des parents qui apportent des messages pour ceux qui combattent à l’intérieur.
— Qu’allez-vous faire ? demanda Malko. Par lui, nous pouvons remonter la filière.
— Nous allons l’interroger ce soir.
— Pourquoi attendre ? Ses complices ne sont pas encore au courant. Nous pourrions les surprendre.
Sayed Gui eut son habituel sourire vague.
— Je dois mener une enquête avant de l’interroger sérieusement. Afin de pouvoir le confondre… Mes hommes sont déjà au travail… Ne craignez rien. Il sera sévèrement traité.
Malko ressortit du bureau. Quelle abomination était en train de mijoter sous le crâne de l’Afghan ? Évidemment, le jeune barbu avait tué un mudjahid et il n’y avait aucun moyen de le faire échapper à la justice de ses semblables. L’attitude de Sayed Gui était curieuse. Il ne paraissait pas pressé de découvrir les complices de Jandad. Malko repensa aux accusations de Nasira Fadool. Il fallait avertir Fred Hall.
Une voix fraîche appela Malko, venant du lobby.
— Malko !
Il se retourna. Meili, en robe blanche très virginale, lui souriait, un paquet de livres sous le bras. Il venait de passer une heure avec le chef de station de la CIA, afin de voir comment traiter l’affaire Sholam Nabi et les histoires afghanes lui sortaient par les yeux. Il avait vainement tenté de joindre Yasmin et Nasira, leur téléphone ne répondait pas. Ce qui ne voulait rien dire, étant donné la fantaisie des télécommunications pakistanaises. Il attendait la fin de la journée pour se rendre à la villa. Nasira pourrait peut-être lui donner des informations sur le jeune barbu, puisqu’elle savait tant de choses. Le sourire innocent de Meili lui fit oublier tous ces problèmes. Elle s’approcha de lui et lui tendit la main, comme si rien ne s’était passé. Malko prit les devants.
— Je suis désolé pour hier soir, dit-il. J’ai été retenu très longtemps et je n’ai pas osé vous réveiller.
Elle eut un petit rire frais.
— Ça ne fait rien ! J’espère que vous avez bien dormi.
Elle avait dû voir sa clef au tableau… Ils prirent l’ascenseur ensemble. À peine les portes s’étaient-elles refermées que la Chinoise changea d’attitude, s’appuyant doucement contre Malko, les yeux levés sur lui.
— J’étais très inquiète !
— Il n’y avait plus de taxi, affirma Malko. Mes amis m’ont demandé de dormir chez eux.
— Je vous ai attendu jusqu’à quatre heures du matin, dit Meili d’une toute petite voix. Je me suis endormie tout habillée sur le lit…
Allusion aux efforts vestimentaires qu’elle avait fait pour séduire Malko. Ils étaient arrivés au troisième. Tout naturellement, elle le suivit et entra dans la chambre sur ses talons, sous le regard réprobateur de « l’homme de chambre ». À peine Malko avait-il refermé la porte que Meili noua ses bras autour de son cou et dit d’une voix de petite fille :
— Vous ne m’aimez pas !
C’était touchant et agaçant à la fois. Après tout, elle n’avait aucun droit sur lui. Leurs lèvres se frôlèrent et, brusquement, elle le mordit si fort qu’il recula et poussa un cri. L’expression de Meili avait changé, ses yeux jetaient des éclairs.
— Jamais on ne m’a humiliée de cette façon ! explosa-t-elle. Jamais.
Elle se tut, les larmes aux yeux. Malko ne savait plus que penser. Il la reprit dans ses bras et, cette fois, elle l’embrassa avec passion. Cinq minutes plus tard, ils étaient sur le lit, la robe de Meili déboutonnée, son petit slip blanc accroché à sa cheville gauche et Malko dans un état qui ne pouvait que réjouir la jeune Chinoise. Au moment où il allait la prendre, elle lui échappa, sauta du lit, remonta son slip et commença à boutonner sa robe.
— Il faut que j’aille travailler, fit-elle, raflant son sac au passage.
Elle ne dépassa pas le poste de télévision. Cette fois, le slip se déchira sous les doigts impatients de Malko et il s’enfonça en elle d’une seule poussée impérieuse, l’écrasant contre lui. Elle commença bien à lui griffer le dos, mais très vite, ses doigts se nouèrent autour de sa nuque en une caresse beaucoup plus douce. Ils firent l’amour comme des collégiens, sans nuances, vite et intensément. Meili gigotait de tout son petit corps potelé et poussa un cri de souris lorsqu’elle sentit Malko se répandre, le serrant encore plus fort. Il resta en elle, le temps de laisser la vague de plaisir retomber. Ou Meili était vraiment pleine d’orgueil, ou elle aimait le viol. Enfin, elle fila vers la salle de bains, et Malko entreprit de ramasser le contenu de son sac.
Il y était entièrement parvenu lorsque ses doigts se refermèrent autour d’un objet rond glissé sous le lit. Il le ramena et eut l’impression de recevoir une douche glaciale : c’était une cartouche de 6,35 semblable à celle qui avait tué Sholam Nabi !
Il se retint de poser des questions à Meili. Il préférait d’abord faire son enquête.
La jeune femme ressortit de la salle de bains, boutonnée, coiffée, les yeux rieurs et prit son sac.
— C’est vrai, dit-elle, je dois vraiment partir, j’ai une leçon d’urdu. Mais nous pouvons nous voir ce soir.
Elle vint se coller contre Malko et murmura :
— Je suis tombée amoureuse de vous ! J’espère que nous ferons tout le temps l’amour.
La porte claqua sur elle et Malko prit la cartouche pour l’examiner. Elle était de fabrication artisanale et ne portait aucun numéro. Impossible donc de savoir si elle appartenait au même lot que celles trouvées sur le jeune barbu assassin.
Il se sentait glacé. Au milieu d’un théâtre d’ombres terrifiant. Ainsi, la douce Meili faisait partie aussi du complot. L’image de la femme en rouge lui sauta aux yeux. Cela pouvait parfaitement être Meili. Et dire que ni Fred Hall ni Sayed Gui ne la connaissaient. Du coup, la façon dont elle s’était jetée à son cou devenait éminemment suspecte. Mais alors, pourquoi l’avait-elle sauvé dans le bazar ? Rien ne collait vraiment et pourtant, il sentait le danger rôder autour de lui. Prenant la cartouche dans sa poche, il sortit.
Un Pakistanais édenté ouvrit un judas carré dans la porte de métal et regarda Malko avec méfiance. Celui-ci vit que la Volkswagen verte ne se trouvait pas dans la cour.
— Nasira Fadool ?
L’autre secoua négativement la tête.
— Yasmin Munir ?
Même mimique. Étant donné la barrière du langage, il était impossible d’obtenir plus de précisions… Il dut se résoudre à battre en retraite. Il en avait plus qu’assez de ces allées et venues dans la chaleur insoutenable. Il pria pour que les deux femmes n’aient pas disparu pour de bon, cette fois, à Islamabad ou ailleurs. À part le pistolet qui ne le quittait plus et la présence de Krisantem, il ne prenait aucune précaution : à quoi bon ? Consultant sa Seiko-quartz, il vit qu’il lui restait deux heures avant le rendez-vous avec Sayed Gui et il avait faim. Bravant le risque, il se fit conduire au bazar, au Salateen. La salle du haut était presque vide. En vingt minutes, il eut mangé un « tanduri chicken » avec du « nan », les grandes galettes tièdes qu’on servait avec tout, arrosé de Pepsi, pour changer.
L’idée de la culpabilité de Meili l’obsédait. Mais comment la mettre sous surveillance ? Elle n’avait pas dû s’apercevoir de la perte de la cartouche, il avait donc un avantage sur elle. L’interrogatoire du jeune barbu amènerait peut-être un élément nouveau. Il décida d’attendre le lendemain avant de prendre le taureau par les cornes. Dehors, le chauffeur attendait en grignotant un bout de nan, trempé dans un mélange de piment et de tomates broyées.
De nuit, le bâtiment abritant l’Alliance Islamique était particulièrement sinistre. Malko suivit dans la cour deux Afghans armés qui le menèrent à Sayed Gui. Il trouva celui-ci au fond de la cour en face d’un trou rectangulaire. Deux mudjahidins éclairaient la scène avec des baladeuses. En se penchant, Malko aperçut une échelle de bois qui s’enfonçait dans le sol permettant d’accéder à un couloir large à peine d’un mètre desservant plusieurs portes grillagées.
— C’est notre prison, expliqua Sayed Gui. Personne ne peut s’en évader. De jour, des planches dissimulent l’entrée. Même la Sécurité pakistanaise ne connaît pas l’existence de ces cellules. Nous avons gardé ici des « shuravis » plusieurs semaines avant de les remettre aux Pakistanais. Maintenant nous les tuons, c’est plus simple et ils ne prennent pas la nourriture des mudjahidins.
Deux soldats descendirent dans la fosse, ouvrirent un des grillages et poussèrent Jandad sur l’échelle. Les hématomes du jeune barbu avaient enflé et il n’avait pas belle allure.
— Qu’a donné votre enquête ? demanda Malko.
— Pas grand-chose, avoua Sayed Gui. Nous ignorons où ont fui ses deux complices.
Jandad, les mains toujours liées derrière le dos, fut enfourné comme un paquet dans le coffre d’une vielle Toyota. Malko y prit place avec Sayed Gui et deux gardes du corps. Une Colt les suivait, pleine de mudjahidins. Ils prirent la direction du sud, redescendant vers le centre de Peshawar, puis tournèrent dans Khyber Road, rejoignant enfin Jamrud Road. Malko se demanda où ils allaient. Peu à peu, les maisons s’espaçaient. Ils passèrent sans ralentir devant le check-point établi à la sortie de la ville. De l’autre côté, commençait l’immense camp de réfugiés de Nasr. C’était la route de la Khyber Pass. Malko se sentit mal à l’aise. Cela sentait l’exécution sommaire… Ils longèrent le camp pendant un quart d’heure et, au dernier check-point, avant Jamrud, tournèrent à gauche dans une piste filant au milieu du désert. Encore deux kilomètres et une clôture surgit dans la nuit. Ils s’arrêtèrent à un portail qui leur fut ouvert par un gardien enturbanné et finalement stoppèrent devant un long bâtiment industriel.
— Nous sommes arrivés, annonça Sayed Gui.
Asad, le géant aux mains moites frappa à une porte de fer avec la crosse de sa Kalachnikov et elle s’ouvrit, découvrant un visage mal rasé. Conciliabule à voix basse. Finalement, tous s’engouffrèrent à l’intérieur. Malko crut être entré en enfer. Il devait faire soixante degrés !
— Où sommes-nous ? demanda-t-il.
— Dans une verrerie qui appartient à un sympathisant, expliqua Sayed Gui. Nous sommes déjà venus plusieurs fois.
Un énorme four chauffé par des rampes de mazout laissait filtrer un magma brûlant de pâte de verre qui remplissait automatiquement des godets qui tournaient au-dessous du four. Ensuite, une matrice s’abaissait, donnant leur forme aux récipients qui partaient sur un ruban sans fin vers le refroidissement.
Deux hommes veillaient à la bonne marche des opérations. Malko, intrigué, se tourna vers Sayed Gui.
— Qu’allez-vous faire ?
— Nous allons le punir selon le code musulman, annonça le directeur du renseignement. S’il avoue, il sera jugé. Sinon, il sera exécuté sur-le-champ pour le meurtre de Sholam Nabi…
Deux mudjahidins venaient d’amener Jandad. Ils le traînèrent au-dessous du four et l’un d’eux lui détacha les mains avec son poignard. Sayed Gui s’approcha et lui tint un long discours en dari, criant pour dominer le rugissement des brûleurs. Le jeune barbu commença à se débattre et à crier. À cause du bruit assourdissant, on n’entendait rien, on ne voyait que sa bouche ouverte et ses traits déformés par la terreur. Horrible. Asad saisit à deux mains le poignet droit de Jandad et l’approcha de la roue aux godets, le plaçant juste en dessous de l’endroit où aboutissait la coulée de verre en fusion.
Cela se fit très vite.
Fasciné, Malko vit l’énorme goutte de verre pâteuse sortir du four, se faire cisailler par la pince automatique et glisser le long du rail-guide vers les godets. Elle s’écrasa sur la main de Jandad, comme une grosse fleur rouge.
Son hurlement couvrit le grondement du four. Asad recula, entraînant le prisonnier. Le jeune barbu lui échappa, tomba, se roula par terre, secouant sa main pour se débarrasser du verre brûlant collé à sa peau. Poussant des cris horribles à s’arracher les cordes vocales, sous le regard impassible de Sayed Gui. La douleur devait être atroce. Malko en avait la nausée. Sayed Gui se tourna vers lui.
— Normalement, nous aurions dû le tuer tout de suite, remarqua-t-il. Ce n’est pas une punition bien sévère…
Tout était relatif…
Jandad hurlait toujours, recroquevillé au pied du four. La pâte en fusion continuait à tomber régulièrement, se transformant en verre au fur et à mesure. Sur un ordre de Sayed Gui, Asad releva Jandad comme une plume, enveloppa sa main mutilée dans un chiffon et le traîna devant le directeur du renseignement, un peu à l’écart du four. Tous suaient à grosses gouttes à cause de la chaleur.
— Parle, ordonna Sayed Gui, sinon c’est ta tête qu’on va mettre à la place de ta main.
Le jeune barbu tomba à genoux, étreignant soudain les jambes de Malko, le suppliant en anglais.
— Please, please. Ne les laissez pas me tuer !
Malko avait une boule dans la gorge. Jandad n’avait pas vingt ans. Et pourtant, il l’avait vu commettre un meurtre de sang-froid. Il sentait les regards réprobateurs des mudjahidins dans son dos et put seulement conseiller :
— Dites ce que vous savez, je veillerai à ce que vous ayez la vie sauve.
— Vous êtes trop bon avec cette vermine, fit aimablement Sayed Gui. Il mérite cent fois la mort…
Sur un signe de lui, Asad arracha Jandad aux jambes de Malko et commença à le rapprocher du four. Hurlements déments. Demi-tour sur Sayed Gui. Cette fois, Jandad parlait. Le directeur du renseignement sortit un carnet de sa poche, prenant des notes, posant des questions. Jusqu’à ce que le barbu n’ait plus de voix… Alors, on l’emmena après l’avoir attaché de nouveau. Sayed Gui semblait perplexe. Ils sortirent de la verrerie et Malko eut l’impression de retrouver le pôle nord. Ses vêtements collaient à son corps. Jandad regrimpa de lui-même dans son coffre. Ils repartirent.
— C’est une histoire bizarre, dit Sayed Gui à Malko tandis qu’ils roulaient vers Peshawar. Je crois qu’il a dit la vérité parce qu’il avait très peur. Cependant, il y a quelque chose que je ne comprends pas…
— Quoi ?
— Il m’a avoué que son oncle fait partie du Parcham et occupe un poste important dans le Khad. C’est lui qui l’a endoctriné en lui promettant une bourse pour aller étudier à Moscou. Avant il fallait qu’il punisse des assassins. Il est venu de Kabul avec deux autres hommes dont il m’a donné les noms. Jamal Seddiq et Multan Mozafar. Membres du Parcham aussi.
C’étaient les noms que Malko avait recueillis au Friend’s Hôtel. Donc, sur ce point, Jandad disait la vérité.
— Ici, à Peshawar, ils ont rencontré une femme qui leur a remis des armes et des instructions. C’est Jamal Seddiq le chef.
— Qui est cette femme ?
— Il ne sait pas, il n’a jamais vu son visage. Ils l’ont rencontrée dans le bazar. À un des restaurants de Cinéma Street. Lui l’a vue seulement une fois. Il paraît qu’elle parlait parfaitement dari. Elle les a interrogés tous les trois. Ensuite, c’est Jamal Seddiq qui s’est occupé des contacts avec elle. Il possède un numéro de téléphone où la joindre. Mais on ne sait rien de son identité, ni de l’endroit où elle se trouve. Grâce au voile, c’est l’anonymat absolu.
» C’est elle qui a communiqué les instructions du Khad à Jamal Seddiq. Une liste de quatre personnes à abattre. Sholam Nabi était l’une d’entre elles. Comme il habite à la caserne et n’en sort jamais, il fallait y pénétrer. On a donné le stylo-pistolet à Jandad. Ensuite, il devait rejoindre ses complices.
— Où ?
— Au bazar. À un café en face de l’hôtel Prince. Tous les soirs, à l’heure de la dernière prière.
— Pourquoi ont-ils quitté le Friend’s Hôtel ?
— À cause de vous. Ils ont eu peur que vous reveniez avec des gens de chez nous. Il ne sait rien sur ce qui est arrivé au bazar.
— Qui sont ces gens qu’ils veulent tuer ? demanda Malko.
La voiture s’arrêta. Ils étaient arrivés à l’Alliance Islamique. On remit le jeune barbu dans sa prison souterraine. Le chef du renseignement attendit qu’on ait remis les planches en place pour répondre à Malko.
— C’est bien le point le plus bizarre ! dit-il. Il y en a un que je ne connais pas parce qu’il appartient au Hesbi Islami, au Parti Fondamentaliste. Mais les deux autres sont avec nous : l’un d’eux a été gravement blessé par une roquette russe. Il a perdu une jambe et travaille comme garde dans une villa. Un des premiers combattants du Lowgar. L’autre est entraîneur dans un camp pas loin d’ici. Aucun n’est une personnalité politique…
Malko était stupéfait. Pourquoi se donner tant de mal pour supprimer des gens sans importance ? C’était déroutant. Quel lien y avait-il entre ces quatre victimes désignées ? Il se tourna vers Sayed Gui :
— Vous savez où trouver l’invalide ?
— Oui.
— Allons-y tout de suite.