Une foule d’images traversa l’esprit de Malko. Landikotal ! C’était un petit bourg pachtou, le dernier avant le poste-frontière de Torkham, niché dans les replis pelés de la Khyber Pass, centre de tous les trafics entre l’Afghanistan et le Pakistan. Là-bas, tout le monde était armé et les étrangers tout juste tolérés. Mais Landikotal était aussi le carrefour où aboutissaient les pistes secrètes chevauchant la frontière.
— Quand pouvons-nous y aller ? demanda Malko.
Sayed Gui posa ses lunettes :
— Il y sera probablement en fin de matinée. On le transporte sur un mulet, il est gravement blessé. Le messager m’a dit qu’il ne respirait presque plus. Il risque de mourir avant d’atteindre Peshawar.
— Je vais prendre une voiture, répondit Malko, et vous m’expliquerez où le trouver.
Sayed Gui eut un sourire amusé.
— Ce n’est pas aussi simple. La Khyber Pass et Landikotal sont interdits à tous les étrangers par le gouvernement pakistanais. Celui-ci a détruit des laboratoires d’héroïne à Landikotal et les Pachtous se sont fâchés, menaçant de prendre les armes et de tuer tous les étrangers qui passeraient. Il va falloir s’entourer de certaines précautions…
Encore une élégante litote…
— Par exemple ? demanda Malko.
— Des hommes sûrs vous accompagneront. Il faudra vous habiller en Pakistanais. Si vous voulez, on viendra vous chercher demain matin à sept heures à votre hôtel.
— Parfait, dit Malko. Et comment trouverai-je Bruce Kearland ?
— Vous avez vu le messager. Il vous attendra là-bas. Mes hommes le connaissent. Faites attention, lorsque vous serez dans la rue. Ne parlez à personne et surtout pas en anglais. On vous fera passer pour un Turkmène.
Il se leva, imité par Asad, le géant. Malko en fit autant et se dirigea vers la porte. La voix de Sayed Gui le rattrapa :
— Prenez ceci.
Il se retourna. L’Afghan lui tendait un énorme pistolet automatique noir. Malko prit l’arme, l’examinant avec curiosité. Cela ressemblait au croisement d’un P 38 et d’un Colt. Il pesait une tonne.
— C’est une arme fabriquée à Darra, expliqua Gui. Bien sûr, elle ne tire pas très bien, mais c’est mieux que rien.
Darra était un petit village pachtou où depuis des temps immémoriaux on fabriquait des armes artisanales, copies de fusils anglais ou adaptations insolites. Les Pachtous pauvres s’en contentaient, quitte à se faire péter la gueule de temps à autre.
Malko soupesa le lourd pistolet, regrettant son pistolet extra-plat. Il l’emmenait de moins en moins, à cause des portiques magnétiques dont la plupart des aéroports étaient maintenant équipés. Il glissa l’arme dans sa ceinture, sous sa chemise. Le contact froid de l’acier le fit frissonner. Sayed Gui et le géant l’observaient avec un bon sourire.
— À Landikotal, remarqua-t-il, un homme sans turban et sans arme n’est pas un homme.
La poignée de main de Sayed Gui fut particulièrement chaleureuse. Il boitilla jusqu’à la galerie extérieure et prit dans les siennes la main droite de Malko.
— Bonne chance !
Malko retrouva son taxi transformé en sauna. Songeur. Sayed ne lui disait rien de bon. Un peu trop onctueux, sûr de lui, tortueux.
Une fois de plus, on l’envoyait au massacre. Seulement, il n’avait guère le choix. Elko Krisantem allait être ravi de cette escapade. Il restait à prévenir les principaux intéressés. Fred Hall et la somptueuse Yasmin. Malko dut s’avouer que la perspective de la revoir le troublait agréablement.
Circuler dans un taxi non climatisé, en plein après-midi, à Peshawar, relevait du masochisme le plus débridé. Malko avait couru après Fred Hall, entre le centre culturel américain et le consulat, pour arriver à le coincer enfin dans une réception, sur la pelouse de l’Intercontinental.
Le chef de station de la CIA s’était figé en apprenant le retour de son agent.
— My God, avait-il murmuré, pourvu qu’il s’en tire ! Je voudrais pouvoir venir avec vous, mais étant donné ma position, il faudrait que je demande une autorisation…
— Je vais juste le chercher.
— Bien sûr, mais quand même. Je pense qu’il aurait été heureux de me voir… Je vais faire préparer une chambre au Lady Reading Hospital. C’est le mieux. Vous l’amènerez directement au consulat.
Ils s’étaient quittés comme tout le monde se mettait à table. Bien qu’invité par Fred Hall, Malko préférait tenter sa chance avec Yasmin qu’il devait rencontrer de toute façon. En dépit de son indifférence apparente envers Bruce Kearland, elle serait peut-être intéressée d’apprendre son retour. Cette fois, il se fit arrêter dans la cour du Dean’s. Quelques étrangers palabraient à voix basse dans le petit lounge sombre en face de la grande salle à manger déserte, gaie comme une chambre à gaz. Les conversations se turent au passage de Malko qui repensa à ce qu’on lui avait dit : le Dean’s était bourré d’agents du KGB et du Khad.
Le vieux Pakistanais de la réception n’avait même pas levé les yeux sur Malko. Il frappa à la porte 32. Cette fois, la voix de Yasmin demanda presque aussitôt.
— Qui est-ce ?
En anglais, comme si elle s’attendait à la visite de Malko. Ce dernier précisa :
— L’ami de George.
La porte s’ouvrit. Yasmin portait le même sari, mais de fines perles de sueur brillaient sur son front. Il régnait dans sa chambre une chaleur insupportable. Son regard se posa sur Malko, interrogateur.
— Il est tard…
— Je sais, dit Malko, mais j’avais une nouvelle importante à vous donner.
— Laquelle ?
— Je vous la dirai, si vous venez dîner avec moi.
Yasmin secoua la tête avec un sourire ambigu.
— Voyons, je vous ai dit que…
— Si tout se passe bien, Bruce sera ici demain, dit Malko.
Les prunelles noires se figèrent :
— Vous plaisantez ! Comment ?
Cette fois, il tint bon.
— Vous n’en saurez plus que si vous venez.
Ils se défièrent du regard d’interminables secondes. Il sentait la jeune Afghane déchirée entre la curiosité et sa crainte étrange de se montrer. Finalement, il prit sur un fauteuil le tchador vert et le lui tendit.
— Mettez ceci, dit-il, personne ne vous verra.
Elle saisit le vêtement mais ne bougea pas.
— Vous allez vous changer et venir, insista Malko.
Comme elle demeurait immobile, il prit un pan de son sari et le rejeta sur une épaule, découvrant encore plus de sa poitrine ! Yasmin fit un pas en arrière, mais l’expression trouble de ses yeux ne se modifia pas. Fixant Malko avec une intensité presque gênante. Elle n’avait pas lâché le vêtement vert. Nouveau silence, qui n’en finissait pas. Puis, elle dit enfin à voix basse :
— Bien. Mais je ne veux pas sortir en même temps que vous. Attendez-moi dans le taxi.
— Vous venez vraiment ?
— Bien sûr.
Sur le pas de la porte, ils échangèrent encore un long regard.
Le chauffeur ne parut aucunement surpris de voir surgir de l’obscurité un fantôme verdâtre qui s’installa à côté de Malko. Yasmin s’était parfumée.
— Où allons-nous ? demanda-t-il.
— Il y a un restaurant chinois dans Quaid-E-Azam, suggéra-t-elle. Le Hong-Kong. On y mange pas mal. Je préfère ne pas aller au bazar…
Elle dit quelques mots au chauffeur. Sa voix était déformée par son accoutrement. Malko éprouvait une sensation bizarre assez érotique. Il sentit une hanche élastique s’appuyer contre lui. Le masque vert se retourna. Agaçant de ne pouvoir deviner aucune expression. Il se pencha comme pour l’embrasser et elle recula, mais sans excès. Puis sa main se posa sur celle de Malko avec légèreté :
— Maintenant, dites-moi.
— Bruce Kearland arrivera demain matin à Landikotal, annonça Malko. Je vais le chercher.
Il fit le récit de sa visite à Sayed Gui qu’elle écouta sans l’interrompre. Il tut simplement le grave état de santé de l’Américain et lorsque le taxi s’arrêta, demanda :
— Voulez-vous m’accompagner à Landikotal ?
Elle secoua la tête.
— Non. C’est dangereux. Je préfère l’attendre ici, l’accueillir quand il arrivera. Je vais tout préparer.
Le restaurant ne payait pas de mine. Brusquement, Malko n’avait plus envie de sortir du taxi, de rompre ce moment d’intimité.
Dans le rétroviseur, le chauffeur leur jetait des regards intrigués. Il n’y avait pas tellement d’étrangers qui sortaient avec des Pakistanaises, à Peshawar, fief pachtou et machiste. Encore une candidate à la lapidation.
Ils finirent par descendre. La chaleur avait à peine baissé de quelques degrés. Malko laissa passer Yasmin devant lui, effleurant sa hanche, et réalisa qu’il éprouvait un violent désir pour cette femelle dépersonnalisée par le voile.
On se serait cru à la Pointe du Raz par grand vent. Deux puissants ventilateurs balayaient la table où Malko et Yasmin s’étaient installés, comme une tornade glacée, plaquant contre le visage de la jeune femme son voile vert. Celle-ci s’était un peu dégelée bien qu’il n’y ait pas une goutte d’alcool. Par miracle il y avait du Perrier ! La carte annonçait fièrement : « Eau bouillie et filtrée. »
Ça valait trois étoiles à Peshawar, si c’était vrai. Barrière contre les amibes et autres bestioles.
Yasmin semblait nerveuse, mangeait à peine, écartant son voile pour porter les aliments à sa bouche. Ils n’avaient pas reparlé de Bruce Kearland.
— Qu’avez-vous ? demanda Malko.
— J’ai peur, souffla-t-elle.
Il la regarda, étonné.
— Peur ? De quoi ?
La voix baissa encore d’un ton.
— Des agents du Khad. Ils sont partout à Peshawar. Ils traquent les gens comme moi qui travaillent avec les Américains ou la Résistance des mudjahidins. On sait que je suis afghane. On m’a contactée pour me demander de me rallier au régime de Babrak Karmal. Quand j’ai refusé, ils m’ont menacée. C’est une des raisons pour lesquelles je ne sors pas. Ils ne viendront pas m’assassiner dans mon hôtel ou à Islamabad, mais au bazar, un coup de couteau est vite arrivé. On ne retrouve jamais les assassins, surtout lorsqu’il s’agit d’une femme, ce ne serait pas la première fois.
Voilà l’explication.
— Vous ne risquez rien avec moi, affirma Malko.
— Non, mais vous ne serez pas toujours avec moi. Enfin, Inch Allah…
De nouveau, il demanda :
— Venez avec moi à Landikotal.
Le fantôme vert secoua la tête.
— Impossible. Je suis une femme. Il n’y en a pas parmi les mudjahidins. Sauf les étrangères. Je n’en peux plus de Peshawar. Je veux retourner à Islamabad. Au moins, là-bas, les femmes peuvent mener une vie normale, sortir sans être voilées. Ici, c’est le bout du monde.
— Vous êtes amoureuse de Bruce ? demanda brutalement Malko.
Il y eut un silence, troublé seulement par les éternuements de la clientèle. Il regardait la bouche charnue, seule partie du visage à être visible. C’était fascinant, presque une offrande. Puis les belles lèvres laissèrent tomber d’une voix égale :
— Non.
— Pourquoi vivez-vous avec lui ?
À travers le croisillon tissé, il essayait de deviner son regard puis revenait vers sa bouche. Les commissures s’en abaissèrent et le ton lui sembla altéré.
— Je n’avais pas le choix quand je l’ai rencontré. J’avais tout perdu. Il m’a recueillie et je suis restée deux ans à Beyrouth avec lui. Ensuite, il a été nommé à Islamabad, il m’a offert de le suivre. Je n’avais aucun autre plan, et je ne pensais pas que ce serait ainsi. Il m’a demandé de l’aider dans son travail et nous sommes venus ici. Il part des semaines et me laisse dans un hôtel d’où je ne peux pas sortir. C’est horrible. J’étouffe.
Sa voix était devenue véhémente, sincère.
Brusquement, elle se replongea dans son poulet au curry et ne répondit plus aux questions de Malko. Ils achevèrent de dîner en silence.
— Vous partez avec des hommes de Sayed Gui ? demanda-t-elle enfin.
— Je pense, dit Malko.
— Faites attention. Les Pachtous de Landikotal sont furieux contre le gouvernement, donnent des informations de l’autre côté. Plusieurs mudjahidins ont été tués ainsi.
Le restaurant s’était vidé. On se couchait tôt à Peshawar… Ils retrouvèrent la chaleur sèche de la nuit. Sans un souffle d’air. Le chauffeur dormait à poings fermés. Automatiquement, sans qu’ils demandent rien, il les ramena au Dean’s. Yasmin se tourna vers Malko.
— Good night, revenez vite avec Bruce.
— Je vous raccompagne, dit-il.
Elle ne protesta pas. Elle semblait paralysée dès qu’un homme disait quelque chose. Ils marchèrent jusqu’à l’entrée. Le réceptionniste dormait. Le couloir brillait d’une vague lueur jaunâtre. Yasmin pénétra dans sa chambre, Malko sur ses talons, puis se retourna, probablement avec l’intention de lui dire bonsoir. Un court instant, leurs regards se croisèrent. Ils se trouvaient à quelques centimètres l’un de l’autre.
— Partez ! dit-elle.
Comme il ne bougeait pas, elle fit deux pas vers la porte-fenêtre, comme pour s’enfuir par cette ouverture. Malko la rattrapa et posa une main sur sa hanche. Dès que les doigts l’effleurèrent, l’élan de Yasmin se brisa. Malko la fit pivoter sans difficulté, sentant à travers le léger tissu vert la voluptueuse tiédeur de sa peau.
— Que voulez-vous ? murmura-t-elle.
Comme si ce n’était pas évident. Ils demeurèrent ainsi quelques secondes, puis il se pencha et ses lèvres frôlèrent la bouche de la jeune femme.
Elle lui rendit aussitôt son baiser, de tout son corps, et il l’étreignit violemment, écrasant la masse tiède et ferme de ses seins. Très vite, ils basculèrent sur le lit, étroitement enlacés. Pas un mot n’avait été prononcé. Yasmin se laissait faire, la respiration courte. Quand Malko commença à découvrir ses jambes, elle ne protesta pas. Ses doigts remontèrent le long d’une peau douce, comme huilée atteignant l’intérieur de ses cuisses, la zone la plus tendre et vulnérable. Elle ne portait rien sous ses voiles et ne défendit pas son intimité.
Allongée sur le dos, elle tremblait sous la main qui la caressait, un bras noué sur la nuque de Malko, les jambes ouvertes, tressaillit au contact des doigts habiles. Malko avait l’impression, au moment où sa main s’était posée sur elle, d’avoir ouvert une porte menant à une secrète et ardente sensualité.
Sans cesser de la caresser, il se libéra et prit la main de la jeune femme pour la poser sur lui. Elle commença aussitôt un lent mouvement de va-et-vient sur sa hampe dont le détachement même était excitant. À bout de nerfs, Malko la renversa alors sous lui et la pénétra d’une seule poussée. Il eut l’impression d’entrer dans un pot de miel. Yasmin, très vite, se mit à onduler régulièrement, venant au-devant de lui jusqu’à ce qu’elle se torde voluptueusement, avec un interminable et vibrant soupir. Mais aussitôt après elle repoussa Malko.
— Partez ! murmura-t-elle. Partez, je ne veux pas.
Il se demanda ce qu’elle ne voulait pas. D’ailleurs sa voix n’exprimait aucune volonté, seulement l’engourdissement du plaisir sensuel. Il la contempla : sa pudeur semblait s’être concentrée sur son visage. Le tchador vert remonté dévoilait son corps jusqu’au ventre, le sexe ouvert, perdu dans la fourrure noire. Elle ne pouvait pas ignorer qu’il la regardait. Elle avait des jambes superbes, un peu lourdes mais bien galbées, à la peau très blanche.
— Vous pensez que je suis une putain, dit-elle soudain derrière son masque. Mais je n’avais pas fait l’amour depuis plusieurs mois. Je n’en pouvais plus.
Il la reprit dans ses bras, et voulut la débarrasser de l’encombrant tchador vert.
— Ôtez cela !
— Non, dit-elle.
Il recommença à caresser tout son corps, s’attardant aux pointes aiguës de ses seins à travers le tissu, puis s’aventura le long de sa chute de reins, découvrant des fesses rondes et fermes. Elle se fit plus souple, s’offrant à chaque mouvement de doigt impérieux, envoûtée par les caresses. Grisé par cet abandon, Malko la fit doucement rouler sur le ventre, appuyant son sexe durci contre ses reins. Yasmin ne parut pas se révolter. Elle attendit, sans le moindre recul, tremblant légèrement.
Sa seule réaction, quand il la prit de cette façon, fut de griffer le drap, mais il ne put savoir si c’était de plaisir ou de douleur. L’idée de pénétrer ces reins rendus anonymes par le tchador l’excitait extraordinairement. Peu à peu, il fut plus brutal. Il la possédait furieusement, comme pour se venger de sa froideur apparente. Il se retint longtemps avant de se répandre en elle. Parfois un mouvement plus violent lui arrachait une longue plainte. Lorsqu’il explosa, son cri rauque se mêla au long râle étouffé d’une femme qui jouit. Elle continuait à se cambrer sous lui, en transes, s’accrochant des deux mains au drap. Lorsqu’il releva le voile qui dissimulait son visage, elle se laissa faire. Les yeux noirs semblaient avoir doublé de volume ! Soulignés de bistre, une lueur trouble les éclairait. D’elle-même, enfin, Yasmin se débarrassa du long vêtement, révélant enfin une somptueuse poitrine et resta ainsi sur le lit, fixant le ventilateur qui tournait lentement.
Malko se mit à lui caresser les seins et elle ferma les yeux. Ils demeurèrent ainsi longtemps, puis peu à peu son désir se ranima et cette fois, sans même qu’il le lui demande, elle le prit dans sa bouche jusqu’à ce qu’il l’écarté pour posséder son ventre, cette fois. Elle semblait moins goûter cette position, mais ils firent l’amour doucement et longtemps. Leurs deux corps ruisselaient de sueur. Enfin, Malko retomba, vidé.
Appuyée sur un coude, Yasmin se mit à l’observer.
— Vous êtes le premier homme qui m’ait attaquée aussi brutalement, remarqua-t-elle. Comment saviez-vous que je ne vous repousserais pas ?
Malko sourit :
— Je l’ignorais, mais j’avais envie de vous. On ne réfléchit pas dans ces moments-là.
Il se sentait merveilleusement bien. L’idée de son voyage à Landikotal et du retour de Bruce Kearland gâcha brutalement son euphorie. Comme si elle avait deviné ses pensées, elle dit doucement, sans lâcher le ventilateur des yeux :
— Si vous voulez, nous pourrons quand même nous voir lorsqu’il sera revenu. Il paraît qu’il est blessé. Il devra rester à l’hôpital…
Évidemment, ce n’était pas d’une grande moralité. Malko essaya de se raccrocher au fait qu’il n’avait jamais vu Bruce Kearland et, qu’après tout, il n’avait pas violé Yasmin. Celle-ci semblait s’épanouir parfaitement dans l’adultère… Elle tourna la tête vers lui, et regarda son sexe rendu au calme.
— Je voudrais que vous me fassiez encore l’amour, dit-elle. Vous êtes très doux et très fort en même temps. Bruce n’a jamais le temps, ça ne l’intéresse pas.
— Vous êtes superbe pourtant, dit Malko avec sincérité.
Elle eut un sourire las.
— Oh, il aime me sortir, mais ensuite, il est toujours fatigué, ou il a du travail. Ou il voyage. Avant ce n’était pas ainsi. Mais je suppose que c’est la vie.
— Vous avez eu d’autres amants ?
— Non.
— Comment avez-vous fait ?
Yasmin regarda de nouveau le plafond.
— J’ai une amie, dit-elle d’une voix égale. J’aime bien faire l’amour avec elle. C’est très doux aussi.
Un délicieux frisson traversa Malko, ému par cette perversité naturelle. Les yeux noirs se posèrent de nouveau sur lui.
— Je vous la présenterai, dit Yasmin avec douceur. Elle vit à Peshawar. Maintenant, il faut que vous partiez.
Il se leva, récupéra ses vêtements froissés. Yasmin l’observait, indéchiffrable. Elle drapa un voile autour de sa taille, ce qui la rendait encore plus belle, puis entrouvrit la porte-fenêtre pour Malko.
Celui-ci la trouvait de plus en plus à son goût. Mais lorsqu’il s’approcha pour l’embrasser, elle se déroba.
— Il faut partir, dit-elle. Je vous reverrai demain, lorsque vous reviendrez avec Bruce.
Il se retrouva directement dans le jardin du Dean’s. Son taxi était garé dans l’ombre. Il était une heure du matin ! Il réveilla le chauffeur avec précaution. À cette heure tardive, la circulation était presque nulle et ils mirent moins de cinq minutes pour atteindre l’Intercontinental. Malko n’en revenait pas de sa chance. Pourquoi une femme aussi farouche que Yasmin avait-elle cédé aussi vite ?
Il chassa de ses pensées son corps épanoui et se demanda ce qu’il allait trouver à Landikotal. Quel était le secret rapporté par Bruce Kearland ?