Sous le choc, la capote du rickshaw se déchira sur toute sa longueur.
Déjà, le portefaix arrachait son crochet et frappait à nouveau avec une violence sauvage. Si Malko avait été moins entraîné, il aurait eu la gorge déchirée. D’un coup d’épaule, il projeta la Chinoise à l’extérieur de l’autre côté du rickshaw, tombant sur elle. Cette fois, le crochet déchira la moleskine de la banquette. Le conducteur se retourna juste à temps pour se faire balafrer le visage de la pommette au menton. Déjà, le tueur faisait le tour du rickshaw, un rictus aux lèvres, brandissant son crochet. Malko, le pied coincé, appuyé des mains sur le sol, tourna sur lui-même, sans parvenir à se mettre hors d’atteinte. Il banda ses muscles, s’apprêtant à recevoir le crochet dans le dos.
Meili, tombée à terre avant lui, s’était relevée d’un bond. Elle se retourna, plongea la main dans le sac de semoule d’un éventaire et projeta le contenu en plein dans la figure du tueur ! Celui-ci, aveuglé, rata son coup et perdit une seconde à s’essuyer les yeux. Le temps pour Malko de se relever et de saisir un morceau de bois. Il détourna ainsi l’assaut suivant. Le portefaix parut ne rien sentir, marchant toujours sur lui, en brandissant le terrible crochet.
Un fou au regard halluciné !
Il tenta encore de frapper Malko, celui-ci para avec son gourdin. Le coup assené par son adversaire était si violent que la pointe du crochet se planta profondément dans le bois, arrachant de la main de Malko son arme improvisée !
D’un moulinet, le portefaix se débarrassa du bout de bois et avança sur Malko, le crochet haut.
Il y eut des cris parmi les badauds arrêtés autour d’eux. Malko vit deux hommes en uniforme qui accouraient. Des policiers. Il se baissa, évitant encore une fois le crochet qui éventra un sac de semoule. Au même moment, un nouveau venu écarta violemment les gens à côté de lui. Massif, un calot blanc sur la tête, un gros visage rond au nez épaté. Il brandissait une arme bizarre, un fusil de chasse au canon et à la crosse sciés. L’homme tendit le bras vers le portefaix qui s’apprêtait à tenter un nouvel assaut.
Une détonation assourdissante claqua dans la ruelle et un jet de flammes jaillit du canon de l’arme.
Le portefaix fit un saut en arrière, les yeux hors de la tête, arrêté par le rickshaw et une énorme tache écarlate apparut sur sa poitrine. Il tomba d’un coup, sans lâcher son crochet. Celui qui avait tiré recula si brutalement qu’en heurtant un badaud, il perdit son calot blanc. Malko vit des cheveux coupés très ras, puis l’inconnu disparut. Pratiquement au moment où deux policiers écartaient enfin les badauds. La circulation était paralysée dans un concert de klaxons, les marchands abandonnaient leurs échoppes pour contempler les deux corps étendus dans la ruelle.
Malko s’ébroua, secoué par cette attaque aussi brutale qu’inattendue.
Meili s’accrocha à lui, anxieusement.
— Ça va ? Vous n’êtes pas blessé ?
— Non ! fit-il. Heureusement que vous avez réagi…
Les policiers furent aussitôt assaillis par les badauds qui voulaient tous raconter leur version. Il devait bien y avoir une centaine de personnes agglutinées autour du rickshaw. Étendu au milieu de la chaussée, le chauffeur du rickshaw était en train de se vider de son sang dans l’indifférence générale.
Malko fit quelques pas vers l’extérieur du cercle, cherchant des yeux celui qui avait tué l’homme au crochet. Disparu ! Il s’était évanoui dans la foule, silhouette marron parmi des centaines d’autres. Comme s’il n’avait jamais existé… Un des policiers qui parlait un peu anglais arriva enfin à se dégager et vint vers Malko. Ce dernier lui fit le récit de l’agression tandis que son collègue fouillait le corps du mort. Il se releva, tenant triomphalement un sachet de papier qu’il montra avec une mimique dégoûtée.
— Heroin ! fit-il. He was mad[19].
Malko savait que le Pakistan comptait cinquante mille drogués depuis peu de temps. Tous les chauffeurs de taxi de Peshawar marchaient à l’héroïne… Il regarda le sachet plein d’une poudre blanche et brillante. Il y en avait bien dix grammes ! Une petite fortune, même à Peshawar. Pensivement, il examina le visage émacié du mort. Comment un pauvre bougre de son espèce avait-il pu se payer une telle quantité de drogue ? Pourquoi l’avait-il attaqué, lui ?
Il revit en un flash le visage décidé et froid du meurtrier et une idée se fit jour. Ce dernier avait supprimé le tueur qui risquait de se faire prendre vivant par la police. Afin qu’il ne révèle pas qui lui avait ordonné de tuer Malko. C’était un attentat sophistiqué et féroce. Derrière lui, la voix timide de Meili demanda soudain :
— Pourquoi a-t-on voulu vous tuer ?
Bonne question. À laquelle il ne pouvait malheureusement pas répondre. Les policiers l’examinaient curieusement, mais ne semblaient pas avoir tellement envie de le questionner. On s’occupait enfin du conducteur du rickshaw. Des enfants regardaient avidement le mort, la poitrine criblée de plomb, la peau si déchiquetée qu’on voyait par endroits la surface nacrée de ses côtes. Le bruit autour de lui avait atteint des proportions insupportables. Les véhicules bloqués des deux côtés rivalisaient de coups de Klaxon rageurs. Tout le monde parlait à la fois, criait, s’interpellait !
Malko donna son identité et son adresse à un des policiers qui écrivait pratiquement lettre par lettre et réussit à éviter d’être emmené à la Police Station. Ils ne s’occupèrent absolument pas de Meili, considérée comme quantité négligeable. Ayant achevé sa courte déposition orale, Malko se préoccupa de la jeune Chinoise.
Celle-ci ne semblait pas bouleversée par cette attaque sauvage qui aurait provoqué une crise d’hystérie chez la plupart des femmes. Malko la revit jetant une poignée de semoule dans les yeux du portefaix : c’était plus un geste de commando bien entraîné que celui d’un professeur de langues… Il se dit que les membres de l’Éducation nationale chinoise recevaient peut-être une formation militaire, en prime. Dans ce pays-là, tout était possible. En tout cas, elle lui avait sauvé la vie, ou, au moins, épargné une grave blessure. Il se jura de ne plus sortir sans le lourd pistolet offert par Sayed Gui.
— Vous n’avez pas eu peur ? demanda-t-il.
Meili secoua la tête avec un rire gêné :
— Oh si ! Mais quand j’étais gamine et que les garçons m’ennuyaient, je leur jetais du sable dans les yeux. Je m’en suis souvenue !
Ainsi, Malko devait peut-être la vie à une enfance difficile. Il se répéta mentalement la question de Meili. Pourquoi avait-on voulu le tuer ?
Il ne voyait qu’une explication : sa randonnée à Darra et sa visite au Friend’s Hôtel. Mais qui était au courant à part Rassoul, le « guide » offert par Sayed Gui ? C’était troublant. Il se remémora les accusations de Yasmin à l’égard des espions qui pullulaient chez les Résistants.
Il prit Meili par le bras.
— Partons !
Les deux policiers ne les retinrent pas. On avait tiré le corps du portefaix sur le côté de la ruelle et un marchand avait étendu le chauffeur blessé sur le sol de sa boutique, la tête appuyée à des turbans pliés. Les deux policiers poussèrent le rickshaw et la circulation put reprendre. Un rickshaw vide arrivait, Malko et Meili y montèrent. Malko ne respira vraiment qu’une fois sur GT Road, loin du bazar. Il n’avait qu’une idée : retourner au Friend’s Hôtel avec Elko Krisantem. Tandis qu’ils pétaradaient vers l’Intercontinental, Meili posa soudain sa tête sur son épaule en un geste tendre et inattendu.
— J’ai vraiment eu très peur, murmura-t-elle.
Cette réaction tardive dissipa les doutes de Malko.
Après tout, Meili était seulement une jeune Chinoise avec de bons réflexes. La tiédeur de son corps contre le sien contrastait agréablement avec le choc de l’attentat. Chaque fois qu’il courait un danger cela lui donnait une féroce envie de faire l’amour… Le portier à la barbe orange de l’Intercontinental les aida à s’extraire du rickshaw d’un air pincé. Après la touffeur du Bazar, la fraîcheur du hall sembla délicieuse à Malko. La jeune Chinoise s’accrocha à son bras.
— Je crois que j’aimerais un peu d’alcool.
— Pas tout de suite, dit Malko, j’ai une course urgente à faire, je repars en ville…
— Vous ne vous reposez pas ?
— Tout à l’heure.
Il sentait qu’elle avait une question sur les lèvres mais elle ne la posa pas.
— Bien, je vous attendrai au bar.
Ils se quittèrent au quatrième. Elko Krisantem était plongé dans le Coran. À l’entrée de Malko, il sauta sur ses pieds. Son vieil Astra était posé sur le lit.
— Elko, nous avons du travail.
Malko et Krisantem s’engouffrèrent sous la voûte du Friend’s Hôtel sans rien demander à personne et grimpèrent directement au troisième étage. C’était la Cour des Miracles. Toutes les chambres étaient ouvertes et dans chacune, un transistor vomissait des chansons pachtous ou autres, sur fond de cymbales et de flûtes stridentes. Leurs occupants cuisinaient sur des réchauds de fortune, dans cette cacophonie indescriptible. L’arrivée des deux étrangers figea toute cette activité. Malko traversa la terrasse jusqu’à l’endroit où il avait parlé au barbu au regard doux. C’était le seul coin un peu calme. Il aperçut une chambre vide avec quatre charpois… Les autres locataires fixaient avec curiosité ces visiteurs d’un autre monde. Gentiment l’un d’eux s’avança vers Malko et demanda en anglais ce qu’ils cherchaient. Malko expliqua :
— Nous cherchons des réfugiés afghans, dit-il, un groupe de trois.
L’homme tendit la main vers la chambre vide :
— Ils sont partis, dit-il. Tout à l’heure.
— Comment étaient-ils ?
Cela prit un certain temps, mais en cherchant laborieusement ses mots, son interlocuteur parvint à répondre.
— Il y en a un très grand, et un plus petit, avec une barbe, très jeune. Un autre, fort aussi, presque pas de cheveux. C’est lui qui faisait la cuisine pour les autres. Quelquefois, un enfant venait leur rendre visite. C’était sûrement des mudjahidins.
— Pourquoi ? demanda Malko.
— Parce qu’ils avaient des armes. Les réfugiés n’ont pas d’armes.
Malko remercia, dissimulant sa rage. Le jeune barbu à l’air doux l’avait bien eu en lui demandant de revenir ! C’était l’explication de l’attentat. Ils avaient découvert qu’il était sur leur piste et tenté de le neutraliser. Mais qui les avait mené à Malko ? À moins qu’ils n’aient laissé une « sonnette » en leur absence et qu’il ait suivi. C’était le fameux commando signalé par Sayed Gui. Maintenant, ils étaient dans la nature et il repartait à zéro. Malko et Krisantem redescendirent et interrogèrent le réceptionniste qui parlait anglais. Pour vingt roupies et sans poser de questions, il leur montra le registre de l’hôtel. Avec trois noms : Jamal Seddiq, Multan Mozafar et Jandad Noor. Malko les nota à tout hasard, bien que cela ne puisse pas le mener à grand-chose, les noms étaient probablement faux.
Ils retrouvèrent la rue poussiéreuse et sale, et le brouhaha de GT Road.
Krisantem était frustré de ne pas avoir pu utiliser son lacet et Malko ressassait son amertume. Penser qu’il avait eu en face de lui un des membres du commando ! Ainsi, plusieurs pièces du puzzle se mettaient en place, réunissant divers incidents. L’enfant qui avait été aperçu par les témoins du meurtre du jeune hippie britannique réapparaissait au Friend’s Hôtel, avec le commando. L’homme qui avait abattu le portefaix correspondait au signalement d’un des membres du commando. Et le fusil qui avait été utilisé à Landikotal contre Malko ramenait aussi aux mêmes gens.
Il y voyait un peu plus clair : un commando de trois hommes, un enfant et une femme se trouvaient à Peshawar. Leur mission était liée à Bruce Kearland. Celui-ci mort, pourquoi continuaient-ils ? Ou l’assassinat de l’Américain ne représentait-il qu’une partie du plan ? Malko se dit que Yasmin pourrait peut-être l’éclairer.
De toute façon, il se devait de l’avertir de la tentative de meurtre contre lui. Car elle pouvait aussi se trouver en danger.
— Nous allons au Dean’s, dit-il à Elko Krisantem.
La chambre 32 ne répondait pas et il n’y avait personne à la réception du Dean’s. Ils ressortirent, contournèrent le bâtiment pour atteindre la porte-fenêtre. Aucun signe de vie. Pourtant, Yasmin, qui soi-disant ne sortait jamais, aurait dû se trouver là. Elko Krisantem examina la fermeture des volets et se tourna vers Malko.
— Je vais ouvrir.
Avec son couteau, il commença à trifouiller entre les joints, pesant sur la fermeture jusqu’à ce qu’un craquement sec fasse sursauter Malko. Le Turc écarta doucement les volets et ils pénétrèrent dans la chambre, refermèrent et allumèrent. Un seul coup d’œil suffit à Malko. Le lit était fait, la chambre vide. Il ouvrit un placard. Plus un seul vêtement ! Yasmin avait déménagé ! Il s’assit sur le lit avec un étrange sentiment de malaise. Pourquoi cette disparition soudaine ? Malko se revoyait lui annonçant son déplacement à Darra… La meilleure façon de tirer les choses au clair était donc de la retrouver. Ils ressortirent par le même chemin et Malko retourna à la réception. Cette fois, il y avait un jeune Pakistanais plutôt avenant.
— Je cherche la personne du 32, dit Malko. Elle n’est pas rentrée ?
Le Pakistanais secoua la tête avec un geste désinvolte.
— Partie ! Payé note.
Malko posa un billet de dix roupies sur le comptoir.
— Savez-vous où elle est partie ?
Le temps de faire disparaître le billet, le Pakistanais précisa :
— Avec taxi !
On se rapprochait.
— Je voudrais savoir où ? insista Malko allongeant un nouveau billet, cette fois de vingt roupies.
Dans ce pays, le renseignement était vraiment à la portée de tous !
Le Pakistanais, ravie de cette manne, exhiba tous ses chicots.
— Taxi hôtel, parti manger bazar.
— Quand lady partie ? demanda Malko utilisant le même parler.
Le jeune réceptionniste fit un geste vague.
— Four o’clock, Five o’clock.
Peut-être était-elle retournée chez elle à Islamabad ? Bizarre qu’elle n’ait pas laissé de message.
Il fallait retrouver le taxi. Utilisant les grands moyens, Malko sortit un billet de cent roupies qu’il déchira en deux et en tendit une moitié au réceptionniste. Il griffonna ensuite le numéro de sa chambre à l’Intercontinental sur un bout de papier qu’il remit avec les cent roupies.
— You send me this taxi, dit-il. He gets the other half[20] !
Inutile de donner plus d’explications. Le chauffeur serait motivé. Pour un Pakistanais, c’était l’équivalent d’un mois de salaire gratuit ! Malko ne tint pas compte du regard désapprobateur d’Elko Krisantem que son sens de l’économie poussait parfois à de regrettables extrémités.
— Je suis sûr qu’il en savait plus…, grogna-t-il.
Incorrigible.
Malko se dit que Yasmin lui avait peut-être laissé un message. Cet espoir se concrétisa lorsqu’il arriva à l’Intercontinental. Il y en avait bien un !
Il le déplia avidement et son excitation tomba aussitôt ! Il y avait quelques lignes d’une écriture appliquée :
« Le bar est trop triste. J’ai pris de la vodka et je vous attends dans ma chambre, si vous voulez. 436. Meili. »
Il froissa le message, soucieux. Ainsi, Yasmin avait bien disparu. Une pensée lui vint ensuite : comment Meili savait-elle qu’il aimait la vodka ? C’était peut-être une coïncidence. De toute façon, il avait besoin de se laver le cerveau. Abandonnant Elko Krisantem, il alla frapper au 436.
Meili devait camper derrière le battant car la porte s’ouvrit aussitôt. Il faisait un froid glacial dans la chambre et la première chose qu’il vit fut la bouteille de vodka disposée dans un seau à glace.
Meili s’était changée, arborant une robe en soie noire et blanche et – surprise – des bas gris ! Ses yeux brillaient d’un éclat inaccoutumé et elle avait un verre à demi plein à la main.
— Oh, je suis contente que vous veniez ! fit-elle. Vous savez, j’ai eu vraiment peur. Je n’arrête pas de boire. Vous voulez une vodka ?
— Volontiers, dit Malko, en prenant place dans l’unique fauteuil.
Après l’avoir servi, la Chinoise s’installa sur le lit, les jambes repliées sous elle. L’alcool glacé glissa agréablement sur le palais de Malko. Meili regardait d’un œil distrait le film débile qui passait à la télé. Soudain, elle proposa :
— Venez ! Mettez-vous près de moi, vous serez mieux.
Elle bougeait sans arrêt, faisant crisser la soie de sa robe contre ses bas, chassant du cerveau de Malko les questions qui l’obsédaient. Ce dernier, perplexe, commençait à s’interroger sur la jeune Chinoise. Soudain, celle-ci poussa un petit cri et posa son verre de vodka, portant la main à sa poitrine.
— Qu’est-ce qu’il y a ? demanda Malko.
Meili grimaça un sourire.
— Oh, ce n’est rien. Le contrecoup. Depuis tout à l’heure, j’ai eu plusieurs petits malaises comme ça. J’ai l’impression que mon cœur bat à toute vitesse, qu’il va exploser dans ma poitrine. Et puis, j’étouffe. Tenez…
Elle prit la main de Malko et la posa sur sa robe, à la hauteur du cœur. Il ne sentit aucun battement désordonné, mais la courbe tiède d’un sein petit et ferme que ne protégeait aucun soutien-gorge.
— Vous sentez ? demanda anxieusement Meili.
Son regard était totalement innocent. Elle ferma soudain les yeux et se laissa aller en arrière, entraînant la main de Malko, puis demeura ainsi, la bouche entrouverte. Elle replia une jambe et la soie de sa robe glissa, révélant le haut d’un bas gris et la chair blanche d’une cuisse. Pas dupe, Malko pressa doucement entre deux doigts la pointe du sein qu’il emprisonnait, ce qui ne pouvait en aucun cas passer pour un geste médical.
Meili poussa un gémissement imperceptible, la main qui retenait le poignet de Malko s’empara de sa nuque, abaissant son visage vers sa bouche et une petite langue pointue vint au-devant de la sienne. Quelques instants plus tard, la Chinoise semblait avoir complètement oublié son malaise, incrustée contre Malko de la bouche aux escarpins.
La sonnerie du téléphone les arracha à une étreinte passionnée. Meili décrocha, puis passa aussitôt l’appareil à Malko.
— C’est pour vous.
Il prit le récepteur, surpris. La voix d’un réceptionniste bafouillait quelque chose au sujet d’un homme qui le demandait en bas. Un « taxi driver ». Malko sauta du lit sous le regard plein de reproches de Meili qui en rabattit sa robe sur ses cuisses.
— Pardonnez-moi, dit-il, c’est très important. À tout à l’heure.
Un petit Pakistanais en gilet marron attendait près de la réception, intimidé, la moitié d’un billet de cent roupies à la main !
— Il dit qu’il a conduit une femme que vous cherchez à University Town, expliqua le réceptionniste.
Malko avait déjà récupéré au fond de sa poche l’autre moitié du billet.
— Où ? demanda-t-il.
Nouveau dialogue compliqué. Le réceptionniste traduisit :
— Il ne sait pas lire, il ne connaît pas le nom de la rue, mais il peut vous conduire.
Malko consulta sa Seiko-quartz. Dix heures trente. Pour Peshawar, c’était tard. Mais il ne retrouverait peut-être pas le chauffeur.
— Très bien, dit-il, je vais chercher quelque chose dans ma chambre et nous y allons.
Après ce qui s’était passé, il valait mieux être armé.