V. DEUX FÉERIES POUR UNE AUTRE FOIS
Des bibliothèques de mensonges. – Quelques mots sur les occultistes. – La découverte de Medzamor. – Un complexe métallurgique du troisième millénaire. – La pince brucelles. – Il y a eu une préhistoire scientifique et industrielle. – Deux exercices d'imagination. – Premier exercice : la féerie-du-vent-solaire. – La fable et sa morale. – Les justifications du songe. – Deuxième exercice : la féerie-Phaéton. – Pour que l'histoire reste ouverte.
Ce livre, comme on le voit, n'enseigne pas une religion. Nous n'entendons pas de voix. Nous n'avons pas accès à une science secrète. Pas de tapis volant non plus. Tout juste un petit tapis pour la gymnastique.
Ainsi, nulle révélation, descendue spécialement pour nous de quelque Tibet, ne nous autorise à chanter :
En certaine île verte de la mer
Où pousse à présent le sombre corail
Pleins d'orgueil, de faste et de majesté
S'élevaient les palais de l'antique Atlantis.
Mais, comme aucune certitude historique n'est encore venue interdire franchement l'idée d'une humanité inconnue qui, dans un lointain passé, rayonna et s'éteignit, les exercices d'imagination demeurent permis. À condition de les présenter comme tels. Et de les faire correctement. En choisissant bien ses points d'appui, en respirant à fond, en tirant bien sur les muscles. Voulez-vous faire un peu de gymnastique avec nous. Voilà deux exercices dans notre manière. Deux hypothèses. La première a été suggérée par des ingénieurs américains, amateurs d'anthropologie-fiction, Walt et Leigh Richemond. La seconde par un écrivain soviétique, Roudenko. Deux hypothèses. Ou plutôt, deux féeries. Nous appellerons la première féerie-du-vent-solaire. La seconde, féerie-Phaéton.
Toutes les traditions évoquent un vieux monde humain, et sa disparition catastrophique. Bien entendu, on peut n'y voir que mythe. Mais on peut aussi se demander si l'idée d'une humanité créant des mythes comme expression de sa psychologie profonde n'est pas un mythe moderne. Il s'agit peut-être des récits abâtardis de faits objectifs, de réalités extérieures et concrètes.
Les occultistes, qui tiennent passionnément à ce que l'âge d'or soit derrière nous et qu'une catastrophe, qui eut un précédent fâcheux dans le passé, vienne punir justement la modernité, n'ont pas manqué de nous renseigner. Mais ils ont leurs informations de sources mystérieuses, si élevées et si secrètes, que nous autres, malheureux infidèles, nous décourageons vite. Quand le support du rêve est accroché si haut, on a du mal… À moins que ces gens-là aient, de nature, des jambes trop petites pour toucher le sol ? Mme Blavatsky reçoit « la révélation » de l'existence de la Lémurie, où naquit « la troisième race mère ». La Lémurie submergée, une « quatrième race mère » apparaît en Atlantide. Scott-Elliott, héritier des visions de Mme Blavatsky et d'Annie Besant, décrit une « civilisation toltèque », la plus évoluée d'Atlantide, sa science des forces cosmiques et ses astronefs. Rudolf Steiner (dans la partie la plus contestable d'une œuvre immense et souvent géniale) ajoute à l'épopée de Scott-Elliott des détails dont la provenance, dit-il, ne saurait être divulguée sans péché abominable. Le colonel James Churchward assure qu'un sage hindou lui remit des tablettes de la langue du continent lémurien, qu'il nomme Mû. Cet officier américain commence, à soixante-dix ans, la rédaction de quatre ouvrages sur la civilisation des grands Anciens, avec un luxe de précisions qui va enthousiasmer les foules. Comment écrire avec ce sérieux quatre livres de rêveries fallacieuses ? Question naïve. De fait, il existe « des monuments d'imposture et des bibliothèques entières de mensonges ».
Parallèlement aux occultistes, des théoriciens, brassant avec les légendes, l'astronomie, la géologie, la climatologie, la botanique, la zoologie, l'anthropologie, ont essayé de définir le lieu, d'expliquer l'existence et la disparition d'une haute civilisation primordiale. L'ouvrage d'Ignace Donnelly, Atlantis, paru en 1882, eut un succès prodigieux. Tirant « d'une taupinière de faits une montagne de conjectures », Donnelly situe le paradis perdu à la place de l'actuel océan Atlantique. Les dieux de l'Antiquité sont les seigneurs du continent englouti. Comme son précurseur Donnelly, le psychanalyste Velikovski, à partir d'une thèse astronomique contestable (Vénus fut d'abord une comète détachée de Jupiter, qui à deux reprises frôla la Terre), explique la Genèse et l'Exode et justifie les Écritures par le souvenir d'une grande catastrophe physique.
Ne pourrait-on établir des hypothèses qui, pour être tout aussi fantastiques, économiseraient davantage l'invraisemblable ? Essayons.
Depuis qu'à l'aube de la société industrielle l'astronome Jean-Sylvain Bailly songeait que d'autres hommes, en des temps très anciens, avaient pu disposer d'un savoir technique, l'idée a fait son chemin. Non seulement dans le rêve, mais dans les faits exhumés. « L'homme n'a pas attendu le XXe siècle pour mettre la terre à profit », dit Korium Meguertchian, docteur ès sciences au Service géologique arménien. Il vient de découvrir (en 1968) la plus vieille usine du monde, à Medzamor, sur le glacis arménien-soviétique. Pour lui, la légende des prêtres du feu, laissée par les voisins et les envahisseurs de Medzamor, est le souvenir des ouvriers d'un complexe métallurgique qui date du troisième millénaire. Et ces ouvriers, « les mains gantées, la bouche muselée d'un filtre protecteur, ressemblaient comme des frères aux prolétaires du Creusot, d'Essen ou du Donets ». Dans cette cité de la métallurgie, elle-même établie sur des couches plus anciennes où sont ensevelies des installations d'usinage de la préhistoire, on traitait un minerai d'importation. Le journaliste scientifique Jean Vidal (Science et vie, juillet 1969), de retour d'Arménie soviétique où il enquêta en compagnie de Meguertchian et de ses confrères, écrit : « Dresser la liste des objets trouvés n'aboutirait pour l'instant qu'à un bilan rudimentaire, tant Medzamor recèle encore d'inconnues. Mais, parmi ces objets, il en est un qui prend au dépourvu les historiens de la métallurgie. C'est la pince brucelles en acier dont plusieurs modèles ont été extraits des couches datant des débuts du premier millénaire. La brucelles, sorte de pince à épiler, permet au chimiste et à l'horloger de saisir les micro-objets qu'ils ne peuvent manipuler.
« Medzamor, poursuit-il, a été fondée par des savants formés à l'école de civilisations antérieures, qui ont apporté à son édification une somme de connaissances acquises au cours d'une période obscure et incertaine qui mérite désormais le nom de « préhistoire scientifique et industrielle ». Les constructeurs de Medzamor ont eu pour maîtres des architectes, métallurgistes, astronomes du néolithique dont la culture était déjà scientifique et dont la raison était pétrie du même levain que les sciences et les techniques qu'ils maîtrisaient. Avant même que l'histoire commence à Sumer, l'homme vivait dans une société organisée dont les structures, sous maints aspects, sont encore les nôtres. »
Déjà, les découvertes antérieures de Çatal Hüyük et Lepenski-Vir (civilisations urbaines datant de sept mille et cinq mille cinq cents ans avant notre ère) avaient posé des énigmes à l'archéologue Mellaart, lorsqu'il trouva des objets de cuivre « confits » dans les scories du métal. Ainsi savait-on isoler le métal du minerai et le façonner à l'aide du feu. Medzamor, à mille kilomètres de Çatal Hüyük, apporte une première révélation sur une technologie préhistorique, absolument insoupçonnée voici dix ans.
Stupéfiants débuts, ou vestiges de techniques plus avancées dans une civilisation inconnue qu'une catastrophe engloutit ? C'est une question légitime. Elle entraîne une autre question : quelle catastrophe ? Venue de Dieu, du ciel, ou des hommes eux-mêmes ? Ceci nous amène à notre première féerie, dite du Vent-Solaire.
Il était une fois, voici vingt mille ans, une haute civilisation qui s'intéressait passionnément au soleil. Quand elle eut disparu comme nous l'allons voir, les hommes, par vague mémoire, vouèrent au soleil adoration, lui offrirent maints sacrifices, mais le contenu rationnel de l'intérêt des ancêtres pour l'astre s'était évanoui avec eux.
Un regard sur nous-mêmes peut nous rapprocher des travaux titanesques qu'ils entreprirent. À l'exception de quantités relativement faibles d'énergie produite à partir de l'atome, nous tirons notre énergie du soleil, soit sous forme fossile (charbon, pétrole), soit sous forme immédiate : énergie hydro-électrique, produit de l'évaporation. Nous fabriquons aussi des piles solaires, qui transforment les rayons en courant. Nous pourrions concevoir une captation plus étendue. Par exemple, envisager d'utiliser l'énergie thermonucléaire par fusion des noyaux légers et noyaux lourds, ce qui reviendrait à reproduire sur terre le soleil. Nous pourrions enfin essayer de capter le vent solaire. C'est un torrent de particules découvert en 1960 par les satellites. Il s'agit d'atomes de matière solaire, qui s'échappent et viennent frapper notre globe. C'est, pense-t-on, ce vent qui provoquerait les aurores boréales et serait cause de la formation de la couche électrique dans l'atmosphère. En établissant un court-circuit entre les couches électrisées de la haute atmosphère et le sol, nous capterions une source, prodigieuse et inépuisable. Comment faire ? Rendre l'atmosphère conductrice ? Cela s'opère avec la foudre. Un rayon laser suffisamment intense produirait le phénomène.
Voici vingt mille ans, une civilisation scientifique et technicienne conçut le projet de domestiquer le vent solaire. On construisit, en plusieurs lieux de la terre, de monumentaux isolateurs en forme de pyramide. Au sommet de ceux-ci se trouvait quelque chose comme un super-laser. Ces instruments devaient, longtemps après, hanter la mémoire abîmée des générations survivantes. Sans comprendre, les hommes construisaient des pyramides et plaçaient parfois au sommet des pierres miroitantes, enchâssées dans du métal.
L'expérience fut tentée. Mais la puissance arrachée au soleil balaya l'ambitieuse civilisation, foudroya ce monde qui vit « le ciel se rouler sur lui-même comme un parchemin et la lune devenir comme du sang ».
Les grands isolateurs furent volatilisés. En leur lieu, un peu partout en Afrique, en Australie, en Égypte, on devait, beaucoup plus tard, au XXe siècle de notre ère, découvrir des projections constituées par du verre soumis à une énorme température et bombardé de particules à haute énergie : les tectites.
Y eut-il des survivants parmi les détenteurs du savoir ? Peut-être certains avaient-ils été placés à l'abri de profondes cavernes. Peut-être d'autres voyageaient-ils alors dans l'espace ? La situation, après la grande catastrophe, n'était pas seulement désastreuse géologiquement (continents effondrés ou submergés) elle l'était aussi biologiquement. Le bombardement de l'atmosphère avait créé une quantité notable de carbone radio-actif. Absorbé par les animaux et les hommes il devait produire des mutations et provoquer l'apparition d'hybrides fantastiques. Ces hybrides, centaures, satyres, hommes-oiseaux, travailleront longtemps la mémoire humaine, jusqu'aux temps historiques de la Grèce et de l'Égypte. Les survivants avisés se trouvaient confrontés à un problème technique urgent : éliminer le carbone 14. Ils furent amenés à organiser un gigantesque lavage de l'atmosphère par pluies artificielles tout en préservant suffisamment d'humains et d'espèces animales non mutées. Parmi les méthodes de protection figura notamment la circoncision. L'hémophilie, produit d'une mutation défavorable se transmettant par la femme et affectant surtout l'homme, la circoncision est sélective. Cette pratique, instituée pour le salut génétique, devait être poursuivie, mais sans connaissance de cause, durant des millénaires, par de multiples peuples un peu partout dans le monde…
Voilà donc une petite tentative pour décrypter les traditions et expliquer les choses sans recourir à l'occultisme. Est-ce une bonne piste ? Nous n'en sommes pas sûrs du tout. Mais nous espérons qu'un homme viendra qui, avec la foi d'un Schliemann et le génie synthétique d'un Darwin, rassemblera des éléments épars de vérité et écrira l'histoire d'avant l'histoire.
Si vous nous dites : voilà une hypothèse énorme et infantile. Y croyez-vous ? Nous répondrons que nous ne croyons pas à la fable, mais à sa morale.
Et puis, nous avons choisi cette fable parce qu'elle illustre la façon réaliste-fantastique d'aborder de tels problèmes, et esquisse des directions de réponse à plusieurs questions actuelles.
Situer aux environs de moins vingt mille ans la grande catastrophe tient compte des anomalies qui se produisent dans la datation par le carbone 14. Quand la méthode du carbone 14 apparut, on put croire que l'archéologie allait devenir une science exacte. Les perfectionnements permirent des repères jusqu'à moins cinquante mille ans. Cependant, on ne trouve aucun objet à situer dans la période moins vingt mille à moins vingt-cinq mille, alors qu'on en repère avant et après. On n'a trouvé jusqu'ici aucune explication à cette anomalie. On peut supposer que se produisit alors un événement modifiant la concentration dans l'atmosphère du carbone 14.
Notre fable indique un contenu réel possible aux innombrables légendes ayant trait à des êtres mi-homme, mi-bête. Objection : on ne retrouve pas de tels ossements. Réponse : on en trouve, mais l'archéologue pense avoir découvert, dans des tombes consacrées à quelque religion totémique, un homme enterré avec un animal.
Notre fable a le mérite de proposer l'emploi de méthodes empruntées à la physique pour essayer de déterminer la date d'une éventuelle grande catastrophe. Si celle-ci est due à un court-circuit dans l'atmosphère terrestre, un tel court-circuit a sans doute perturbé le champ magnétique, et peut-être même déplacé les pôles magnétiques. Les spécialistes pourraient chercher dans ce sens.
Les champs de tectites pourraient aider à identifier les lieux de déclenchement de la catastrophe. L'examen de la composition nucléaire des tectites montre que ceux-ci n'ont pas voyagé longtemps dans l'espace. Ils se seraient donc formés, soit sur la Terre, soit sur la Lune. Leur formation paraît avoir dégagé une énergie si énorme qu'on peut évidemment se refuser à envisager une origine technologique. Cependant, la catastrophe de notre très hypothétique récit peut avoir à la fois créé les tectites et les avoir projetés autour du point d'impact de la décharge dont ils seraient issus. On a pu montrer que les tectites avaient voyagé dans l'atmosphère à une vitesse considérable. Ce qui prouverait, soit qu'ils viennent de la Lune, soit qu'ils ont été créés sur la Terre par quelque événement catastrophique. Il est également possible que des traces d'une telle catastrophe soient relevées sous forme de trajectoires formées dans certains minerais par le passage de particules à haute énergie. Il suffisait que l'hypothèse d'une grande catastrophe soit retenue dans des milieux scientifiques pour que des recherches d'ordre physique soient entreprises. Peut-être obtiendrons-nous alors des renseignements propres à bouleverser nos idées sur l'histoire de l'humanité.
Enfin, notre fable laisse entendre que l'utilisation de la mythologie comme base de recherches sur le réel, ainsi que l'avait génialement compris Schliemann, n'en est sans doute qu'à ses débuts. Tous les mythes catastrophiques, notamment tous ceux où le feu du ciel s'abat sur les hommes, toutes les légendes décrivant des êtres non humains dérivés de l'homme, devraient être systématiquement examinés.
Il manque à cette fable quelque tentative de description des contemporains de la grande catastrophe. Un racisme, conscient ou non, a-t-il incliné jusqu'ici les recherches sur l'origine de l'homme ? La question se pose depuis la célèbre thèse de Cheikh Anta Diop sur Nations nègres et culture, montrant l'origine nègre de l'Égypte ancienne. Dans Antériorité des civilisations nègres, Anta Diop écrit :
« Les résultats des fouilles archéologiques, particulièrement celles du Dr Leakey en Afrique orientale, permettent de reculer presque chaque semestre dans la nuit des temps les premières ébauches de l'humanité. Cependant, on continue à admettre que l'homo sapiens apparut il y a environ quarante mille ans au paléolithique supérieur. Cette première humanité, celle qui appartient aux couches inférieures de l'aurignacien, se rattacherait morphologiquement au type noir de l'humanité actuelle […]. On est amené à reconnaître en toute objectivité que le premier homo sapiens était un « négroïde », et que les autres races, le blanc et le jaune, apparurent plus tard, à la suite de différenciations dont les causes physiques échappent encore à la science […]. Tout indique qu'à l'origine, à la préhistoire, au paléolithique supérieur, les nègres furent prédominants. Ils le sont restés aux temps historiques, pendant des millénaires sur le plan de la civilisation, de la suprématie technique et militaire. »
Ainsi, les grands Anciens de notre féerie-du-vent-solaire étaient noirs. Vivaient-ils en une harmonieuse synthèse de religion et de science ? Avaient-ils donné un sens élevé à leur destinée ? Quand le soleil s'abattit sur leurs têtes intelligentes et crépues, quel courage, quelle foi soutinrent les meilleurs ? Si la Bible fait un lointain écho à leur tragédie, ce sont ces voleurs du Soleil qui ont, les premiers, prononcé la sublime parole : « Le Seigneur a donné, le Seigneur a repris, béni soit le nom du Seigneur. »
Voici maintenant la féerie-Phaéton.
Elle évoque aussi une évolution discontinue. Mais la catastrophe ne serait pas d'origine humaine. « La clé de la porte qui nous sépare de la nature intérieure est rouillée depuis le déluge », dit Gustav Meyrinck. Mais pour l'Ukrainien Nicolaï Danilovitch Roudenko, ce n'est pas notre faute. C'est une erreur des Intelligences de la planète Phaéton. Et maintenant qu'Elles ont fini de nous nuire, on va pouvoir gagner la partie. Nous avons eu d'autres civilisations capables de sciences et de techniques. Elles ont été détruites par l'explosion de Phaéton. Mais, désormais, ces apocalypses ne nous menacent plus. Il y a eu des fins du monde ? Il n'y en aura plus. Notre civilisation est la bonne. Celle-là n'est pas mortelle. Ou, du moins, ceci ne dépend plus que de nous.
En 1959, les astronomes de Tchécoslovaquie ont pu déterminer l'origine d'une météorite qui s'abattit dans leur pays. Le projectile cosmique, selon la trajectoire, venait de quelque part entre Mars et Jupiter. Il s'ajoutait aux milliers d'astéroïdes tombés en ces lieux depuis le début du XIXe siècle. Il était, pense-t-on, un infime débris de la planète Phaéton, qui disparut du ciel en des temps reculés. Quand ? Notre Ukrainien songe à quelques dizaines de millénaires. L'astronomie repousse infiniment plus loin les temps où Phaéton, ainsi que l'affirme l'académicien russe V.G. Fessenkov, « explosa comme une bombe ». Si cette planète était habitée, les Akpallus, étranges scaphandriers dont parle le Babylonien Bérose (voyez la troisième partie de notre livre), furent-ils des survivants voyageant dans l'espace, visitant la Terre, et enseignant aux hommes, sur les bords du golfe Persique, des rudiments de leur savoir ? Et si des fragments de Phaéton tombèrent par énormes paquets, à plusieurs reprises au cours des âges, ne détruisirent-ils pas chaque fois des civilisations humaines en essor ? Voici une cosmo-histoire se substituant à l'histoire. C'est aux délices d'un tel rêve que s'abandonne Roudenko, dans ce qu'il nomme d'ailleurs une Féerie cosmique. C'est un livre, mi-roman, mi-essai, qu'il juge lui-même bien dangereusement « idéaliste ». Et, dans son récit, des étudiants qui se sont groupés afin d'examiner les problèmes soulevés par une telle cosmo-histoire sont arrêtés par la police politique pour tentative de création d'une nouvelle religion…
Pour ce rêveur, comme pour C.S. Lewis, Jupiter est le centre biologique du système solaire, le lieu de l'univers où la vie a pris ses formes les plus abouties. Les êtres de Phaéton occupaient, dans la hiérarchie, une place intermédiaire entre Jupitériens et Terriens. Par ce contact indirect, l'idée de Dieu naquit en nous. Mais Solon, répétant ce qu'il avait appris des prêtres égyptiens de Saïs, le dit : « Phaéton, fils du Soleil, n'a pu maîtriser le chariot du Soleil, a tout brûlé sur terre, puis a péri, victime du feu. Il est tombé en flammes sur la Terre. »
Et le livre maya de Chilam Balam :
« La Terre trembla. Et il tomba une pluie de feu et de cendres, et de rochers. Et les eaux montèrent et frappèrent un grand coup. Et en un moment la destruction fut achevée. »
Pourquoi l'homme, vieux de plusieurs millions d'années sans doute, n'a-t-il bâti une haute civilisation que tout récemment ? C'est que, depuis quelques milliers d'années seulement, les chutes de débris de Phaéton ont cessé. Il ne nous en vient plus que de la poussière, chaque année, par tonnes, et peut-être cette fine matière météorique contient-elle encore des traces fossiles de vie, comme le prétendent certains chercheurs. Telles sont les dernières visites fantomatiques de la planète morte d'où nous vinrent ceux qui nous façonnèrent et qui adoraient les grands cerveaux de Jupiter. « Il n'y a ni matière morte, ni matière vivante, écrit Engels que cite Roudenko, mais des phases dans l'existence de la matière, où la vie naît, puis disparaît, pour reparaître à nouveau. » Ainsi, Phaéton a-t-il transmis à la terre la raison, qui est source et protection de la vie, et nous gardons dans notre mémoire, plus vieille que nous ne le pensons, des souvenirs qui nous font lier au spectacle des étoiles filantes l'idée de péril de mort et le désir de formuler des vœux que les puissances célestes exauceraient. Nous avons gardé aussi la confuse conscience des présences de la vie et de l'esprit dans les constellations. Maintenant, nous sommes, comme les Anciens de Phaéton, les détenteurs d'une puissance qui, déchaînée, pourrait faire exploser notre propre planète. « J'écris cette féerie, dit Roudenko, pour que mes fils, Youri, Oleg et Valeri, vivent, et que nous ne commettions pas l'erreur des êtres de Phaéton. Pour que la flamme céleste, le feu du ciel maîtrisé, ne nous anéantisse pas à notre tour, et que nous ne nous en allions pas, nous tous, dans les millénaires à venir, en flots de poussière dans l'immensité. »
On l'aura compris. Notre but, en suivant ces songes, n'est pas d'imposer au lecteur telle ou telle théorie très incomplète. À moitié cuite. À moitié culte. Il s'agit seulement de suggérer la possibilité de conceptions différentes de l'histoire des hommes. Pour qu'il y ait « toujours une pelle au vent dans les sables du rêve ». Et que l'histoire reste ouverte.