IV. LES CICATRICES DE LA TERRE

La fatale erreur. – Ainsi pourrions-nous finir… – Le cratère Barringer. – Les météorites géantes. – Des régions d'au-delà le système solaire. – Une idée sur les déluges. – Une idée sur les âges glaciaires. – Les mines célestes de Sudbury. Une protection ? – Les météorites secondaires et l'ensemencement possible de la vie. – L'idée d'une cosmo-histoire. – Ceux qui découvrirent un ciel étoilé. – Causalité externe ? – Les chants mystérieux de l'Opéra terrestre.

Russes, Américains, Chinois, Anglais, Français, tous crurent à la même seconde que l'on avait déclenché une massive attaque atomique. Tous déverrouillèrent à la même seconde les systèmes de riposte, et la Terre s'embrasa. Or, la cause ne fut pas la méchanceté d'une nation, mais l'aveugle « ni bien ni mal » du ciel. La vérité est qu'une météorite géante s'était abattue. Ainsi pourrions-nous finir, déracinés par en haut… C'est un futur envisageable.

De telles chutes de météorites géantes se sont produites dans le passé. La terre en porte les cicatrices. Le cratère Barringer, dans l'Arizona, est l'effet d'une explosion dont la puissance fut d'environ deux mégatonnes et demie (vingt-cinq fois la bombe d'Hiroshima) et qui se produisit voici cinquante mille ans. Lorsque l'ingénieur des mines américaines D.M. Barringer avança que cette explosion avait eu pour cause la chute d'une énorme météorite, il se heurta à l'opposition officielle la plus virulente. On préférait l'hypothèse d'une éruption volcanique ou celle d'une explosion de gaz naturel. Barringer finit par l'emporter. On admet aujourd'hui qu'il y eut collision entre la Terre et un objet de dix mille tonnes qui se déplaçait à la vitesse de quarante kilomètres par seconde. On recueillit autour des cratères de microscopiques sphères de fer produites vraisemblablement par la condensation d'un nuage de vapeur de fer que ce choc provoqua.

Le cratère Barringer n'est pas le plus important. Le Vreedovrt, en Union sud-africaine, a un volume de dix kilomètres cubes. Le projectile paraît avoir arraché la croûte terrestre, laissant exposée de la lave qui remplit ensuite une partie du creux.

Peut-être se produisit-il des collisions plus terribles et l'on peut supposer que la mer du Japon, la baie d'Hudson et la mer de Weddell furent créées de la sorte. Si le fait est exact, les énergies auraient été de l'ordre astronomique de 1033 ergs. Ce chiffre ne parle pas. Mais il correspond au quart de l'énergie émise par le soleil en une seconde, ou à la conversion à cent pour cent d'un million de tonnes de matière en énergie.

Il y a une objection à de telles hypothèses. Une collision de cette force aurait porté la température de l'atmosphère, sur la planète, à deux cents degrés centigrades. La Terre, sur toute sa surface, aurait été stérilisée. Or, il n'y a aucune trace d'une stérilisation dans l'histoire biologique connue du globe, mais des collisions engendrant des énergies d'un million de mégatonnes sont désormais couramment admises et les cicatrices, sur la croûte terrestre, ont été identifiées en assez grand nombre.

Au Canada, une bonne dizaine, avec des diamètres allant de deux à soixante kilomètres et des âges variant de deux à cinq cents millions d'années. En Australie : cratère de Wolf Creek. Aux États-Unis, notamment le cratère circulaire, formant lac, Deep Bay, douze kilomètres de diamètre et cent cinquante mètres de profondeur.

Selon les calculs, un projectile de plus de mille tonnes qui se déplace à une vitesse suffisante n'est pas arrêté par l'atmosphère. Un projectile en provenance du système solaire ne saurait dépasser une vitesse de quarante-deux kilomètres par seconde, sinon il échapperait à ce système. Une météorite arrivant avec des vitesses de l'ordre de cent à cent cinquante kilomètres par seconde proviendrait donc de régions au-delà du système solaire.

Nous parlerons enfin tout à l'heure des météorites secondaires, c'est-à-dire issues de la terre et qui, projetées, pourraient transporter de la matière vivante dans les lointaines étoiles et ainsi donner naissance à de la vie analogue à la nôtre dans le cosmos.

Si les points de chute des grosses météorites sont distribués au hasard, il y a trois chances contre une que l'impact se produise dans la mer. La collision volatiliserait des dizaines de milliers de kilomètres d'océan. La terre entière, pendant des jours, serait recouverte de nuages aussi épais que ceux de Vénus. Des raz de marée fabuleux balaieraient la planète. Il est permis de rêver sur un phénomène de ce genre. Il s'est déjà probablement produit. Or, un tel raz de marée s'apparente exactement à un déluge, au Déluge universel dont on trouve l'écho dans toutes les traditions.

Il est ainsi parfaitement logique d'imaginer qu'une civilisation ou une série de civilisations aient pu être anéanties de cette manière, par un « courroux céleste ».

Les cicatrices de la terre révèlent deux ou trois catastrophes par million d'années. C'est suffisant pour remettre en question le développement bien ordonné, basé exclusivement sur des causes internes, qui nous est présenté avec la théorie classique de l'évolution.

La thèse sur l'origine des âges glaciaires serait aussi à remettre en question, car les nuages épais formés autour de la terre par le choc de la météorite et composés à la fois de vapeur d'eau et de poussières ont dû réfléchir l'énergie solaire et abaisser considérablement la température moyenne.

L'Américain R.S. Diez a pu montrer que les importantes mines de nickel canadiennes à Sudbury proviennent d'une météorite géante. Ces mines sont exploitées depuis 1860. Depuis un siècle, sans le savoir, des hommes tiraient de la richesse d'un visiteur venu du ciel. La météorite géante de Sudbury est arrivée sur la terre voici un milliard sept années. Sa masse était de 3,8·1019 tonnes. Elle contenait une considérable masse de nickel. Ce qui est déconcertant quand on sait la proportion relative du fer et du nickel dans les petites météorites qui tombent de nos jours. Cette révision se poursuit et, à mesure que l'on découvre des faits nouveaux, l'âge de la terre s'allonge. Comme dit Diez : « Chaque jour la Terre vieillit d'un million d'années. »

Les problèmes posés par les cicatrices de la Terre sont nombreux, mais le plus important est sans doute celui-ci : l'étude de la Lune, l'observation de Mars, montrent que ces astres sont et ont été littéralement pilonnés par les météorites géantes. La Terre, en comparaison, est épargnée. Certes, son atmosphère l'a protégée des petits impacts. Mais tout porte à croire que l'atmosphère ne peut guère retenir des météorites d'une masse supérieure à mille tonnes. Alors ? On peut penser à une protection magnétique ou électromagnétique, exercée par les couches électrisées entourant la Terre. Cependant, une telle protection arrêterait de préférence les météorites riches en matériau magnétique comme le nickel. Comment expliquer le cas de Sudbury ?

Rêvons encore une fois. Si la Terre est la seule planète du système solaire à contenir de la vie, est-ce que les grands ingénieurs des au-delà ont organisé une protection ? S'il y a, dans la galaxie, des êtres plus puissants que nous, peut-être interviennent-ils dans la mécanique céleste pour que durent et continuent de se développer la vie et l'esprit dans ce minuscule quartier de l'espace…

La seconde énigme tient au phénomène même de la collision. Aux températures extraordinaires qui se produisent, la matière ne peut plus subsister à l'état gazeux. Elle passe au quatrième état, le plasma. C'est-à-dire que les atomes perdent une grande partie de leurs électrons. Il se forme une boule de feu, et, selon le Dr R.L. Bjork, un tourbillon presque parfaitement circulaire. Les cratères de la Terre et de la Lune seraient les traces fossiles de ces tourbillons. Le tourbillon arrache la croûte terrestre, avec un jaillissement de magma primaire. Puis il explose, et cette explosion peut envoyer dans l'espace des fragments de la Terre à une vitesse atteignant quatre-vingts kilomètres par seconde. Certes, il reste beaucoup à découvrir là-dessus, car le quatrième état de la matière nous est encore très peu connu. Mais il faut retenir cette possibilité d'une projection, hors de la Terre, de fragments de notre substance à vitesse élevée, suffisante pour que ces fragments échappent au système solaire et s'en aillent dans l'univers, porter de la matière vivante.

Aussi, des fragments de notre Terre, arrachés il y a un milliard sept années par la météorite de Sudbury, ont peut-être atteint un milieu fertile quelque part dans le ciel étoilé…


Notre ambition se borne à fournir quelques supports à la songerie et à célébrer, avec de petites brassées de faits, les vertus de l'imaginaire. La géologie romantique moderne, en renouvelant la thèse de la dérive des continents, les recherches sur les grands cratères et les études sur la mécanique des grandes météorites, nous paraissent, mieux que les prétendues révélations de l'occultisme, entraîner l'interrogation sur les civilisations disparues, sur une ou plusieurs histoires de l'humanité effacées, et à appeler à de nouvelles interprétations des traditions apocalyptiques, des mythes et légendes touchant à l'existence de grands Anciens. Mais ce qu'il importe de retenir surtout, dans notre bref et rêveur examen des cicatrices de la Terre, c'est que l'histoire de notre globe, et des hommes sur ce globe, est sans doute inextricablement liée à l'histoire du système solaire, et probablement à celle de l'univers. Un même infarctus cosmique a peut-être détruit Phaéton, arraché la planète Pluton de son orbite et bombardé la Terre à Sudbury. D'autres crises, dans les espaces, ont pu provoquer la chute de météorites géantes sur le sol ou dans les océans, voici quelques dizaines de milliers d'années, engendrer des âges glaciaires, détruire des civilisations déjà développées ou naissantes, et recouvrir le ciel de nuages si épais, pendant tant de temps, que leur dispersion, un jour a fait découvrir les étoiles à des hommes qui ne les avaient jamais vues, qui ignoraient les rythmes de la lumière et les nuits peuplées d'astres. Une tradition d'Amérique du Sud dit que la civilisation de Tiahuanaco a existé avant les étoiles. Avant les étoiles ? C'est absurde, si l'on prend les choses à la lettre. Ce l'est moins si l'on suppose qu'à une date rapprochée, des hommes ont vu le couvercle se soulever, des nuages se dissoudre, et, pour la première fois au-dessus de leur tête, briller un ciel constellé.

En l'absence d'étoiles, a-t-on souvent dit, nulle civilisation n'aurait pu se développer, les hommes n'ayant pas de notion des lois cycliques de la nature, pas de repère, et pas de conscience de l'infini. Si cette remarque est juste, la science aurait commencé pour certains hommes dans l'éblouissement des étoiles redevenues visibles, et il en fut peut-être ainsi à Stonehenge et pour ces ancêtres du néolithique qui établirent un calendrier stellaire.

Pour la vie, l'intelligence, la naissance et la mort des civilisations, les interactions entre la Terre, les autres planètes et sans doute tout le cosmos, devraient nous apparaître comme plus importantes que ne l'admet le système fermé de la science officielle, qui tient religieusement à une causalité interne, à une évolution continue et à une dynamique simple des « progrès » de l'histoire humaine. L'idée que de telles interactions ont pu et peuvent encore labourer la Terre, tourner et retourner l'histoire humaine, est un des thèmes du présent ouvrage. Elle dispose à entendre, dans l'Opéra terrestre, le « chant mystérieux des récurrences ».

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