I. PETIT MANUEL DE LA CHASSE AUX ÉNIGMES
Comment apostropher monsieur le Président. – Comment ne pas se faire prendre par les glaces. – Comment se promener dans les Andes. L'affaire du plateau de Marcahuasi. – Comment douter des chronologies. – Les tablettes de Mahenjo-Daro. – Comment conjuguer le verbe « inventer » au futur antérieur. – La pile de Bagdad. – Le mécanisme d'anti-Cythère. – Un peu de métallurgie. – L'incroyable géode. – Comment fouiller avec la pelle du rêve.
« Monsieur, vous croyez à de profonds mystères parce que vous êtes un amateur. Il n'y a pas d'énigmes pour un archéologue sérieux. »
Ainsi discourait à la télévision, un soir de 1969, le président de l'Association des Écrivains scientifiques français. Il n'est pas archéologue lui-même. C'est un mathématicien. Mais il défendait une certaine idée de la science qui est de tradition, chez nous, depuis « le siècle des lumières ». L'homme qui descend du singe n'est vraiment un animal raisonnable que depuis la mort de Louis XVI. Il détient aujourd'hui l'explication de tout, ou presque.
Quand on est sérieux, on est économe. La meilleure hypothèse est celle qui utilise le moins d'imagination possible et n'abîme pas l'idée de la mécanique des choses qu'on s'est faite. Si les lemmings vont en foule se noyer dans l'océan, c'est qu'ils sont myopes et prennent pour une rivière à franchir la mer qui les noiera. Ah ! cela est scientifique, puisque cela nous débarrasse d'un mystère.
La science a pour fonction essentielle de nous prouver qu'il n'y a pas de Bon Dieu. Donc, s'exalter à la pensée qu'il nous reste beaucoup d'inconnu à percer, c'est avoir partie liée avec l'obscurantisme. Ce paradoxe est le fondement d'un certain « rationalisme ». Il y entre moins de raison que de passion antireligieuse. En vérité, ce rationalisme est un prosaïsme déraisonnable.
Le sérieux fait carrière dans cette déraison. L'intelligence s'aventure. Le sérieux professe une idée de la science qui, refoulant l'inconnu, décourage la recherche. L'intelligence considère qu'on ne saurait avoir une idée de la science et s'y conformer, sans aussitôt empêcher l'intelligence de fonctionner.
Et s'il n'y a pas d'énigmes pour un archéologue sérieux, pourquoi fait-il de l'archéologie ? Quel triste métier ! Quelle déraison de l'avoir choisi et de s'y maintenir !
Boucher de Perthes était un amateur. Il découvrit la préhistoire. Schliemann était un amateur. Il découvrit Troie. Hapgood était un amateur. Il amorça la théorie de la dérive des continents. Hawkins était un amateur. Il perça le secret de Stonehenge. La nature, qui paraît bien manquer d'idéologie, a négligé de s'inscrire à la ligue rationaliste. Tout porte à croire qu'elle écrit une histoire très compliquée et plutôt fantastique qui s'adresse aux gens qui sont intelligents avant d'être sérieux.
Ainsi, monsieur le Président, tout le passé humain nous serait connu ? En somme, après quelques années de fouilles, l'archéologie serait une science complète et fermée, tout comme la physique l'était au XIXe siècle ? Il n'y aurait aucune possibilité d'une révolution en ce domaine, comparable à celle qu'introduisirent en physique la radio-activité, la relativité et la mécanique ondulatoire ? Permettez quelques questions. Qui les pose ? Hé, d'affreux amateurs ! Spécialistes en rien ? Que si ! Spécialistes en idées générales. C'est une spécialité fort décriée aujourd'hui. Tant décriée qu'on oserait à peine poser des questions si l'on ne se rappelait cette vérité que l'homme qui pose beaucoup de questions peut quelquefois paraître imbécile mais que l'homme qui n'en pose jamais le reste toute sa vie.
Premier type de question :
Personne ne connaît actuellement la cause des glaciations ni comment les hommes y ont survécu. On nous dit a priori qu'il ne peut y avoir eu aucune civilisation avant les âges glaciaires sur les dates desquels d'ailleurs on discute. Comme on ne peut pas, et pour cause, faire des fouilles dans les régions de la terre actuellement recouvertes par les glaces – Antarctique et Groenland –, la question reste, pour le moins, ouverte.
On nous présente des hommes d'il y a quinze ou seize mille ans comme tout juste capables de tailler la pierre et d'entretenir le feu. Ils ignoraient la culture des terres et l'élevage ; ils n'avaient pas d'autres moyens de subvenir à leur vie que la cueillette ou la chasse. Les glaciations successives de la période Würm III auraient embrassé plusieurs millénaires : de treize mille à huit mille environ. Qu'étaient alors devenues les proies, les baies sauvages ?
Certains peuples, sans doute, ont atteint les terres chaudes ; d'autres pouvaient y habiter déjà. Mais, au point optimal des glaciations, lorsque le froid eut gagné le Wisconsin, l'Angleterre, la France, l'Italie et que furent sous les glaces toutes les régions du globe habitées par les diverses races du paléolithique (les seules régions, en fait, où nous retrouvons leurs traces), comment ces peuples purent-ils survivre ?
L'idée de « réserves » vient à l'esprit ; plus spécialement de réserves de blé sauvage, puisque, d'une part, de telles espèces de blé ont existé longtemps avant l'agriculture – et que, d'autre part, le blé conserve ses vertus (nutritives, entre autres) pendant plusieurs milliers d'années : les stocks des tombes égyptiennes nous en ont donné l'assurance.
Mais cette idée même n'est pas simple : elle recouvre les notions de prévision, de prévoyance. Si des réserves furent faites, elles durent être commencées des siècles avant l'avancée des glaces ; c'est-à-dire que le fléau dut être prophétisé.
Ce raisonnement se trouve être singulièrement confirmé par un article paru dans le n° 6 (1965) de la revue russe Technique et jeunesse. Voici les faits : En novembre 1957, un excavateur travaillant à la reconstruction de Hambourg sous la direction de l'ingénieur Hans Elieschlager sort des pierres géantes ressemblant à des têtes humaines. Le professeur Mattes, archéologue allemand, en fait l'étude. Et il arrive à établir qu'il s'agit d'objets sculptés de main d'homme et datant de l'époque pré-glaciaire. On en a retrouvé sous la direction du professeur Mattes dans des couches d'argile ayant au moins cet âge. Selon ce professeur, il ne peut pas s'agir d'un jeu du hasard. Mattes a même trouvé des figures à double visage : si on les tourne de cent vingt-cinq degrés, le visage d'homme se transforme en visage de femme.
L'archéologue russe Z.A. Abramov a trouvé aussi des pierres analogues. L'auteur de l'article russe, V. Kristly, ajoute : « Le cliché classique représentant des figures hirsutes recouvertes de peaux de bêtes, au visage de singe et frottant bêtement deux silex l'un contre l'autre est un cauchemar d'archéologue classique ne correspondant absolument pas à la réalité. »
Ce qui s'est passé avant les glaces, il faudra bien un jour que les archéologues et les préhistoriens reconnaissent qu'au fond ils n'en savent rien.
Et ceci nous amène à un deuxième type de question.
Depuis ses premières recherches de 1952, sur le plateau péruvien de Marcahuasi, à trois mille six cents mètres d'altitude, au cœur du massif des Andes, Daniel Ruzo n'a cessé d'obtenir des confirmations de l'existence, sur ce plateau, d'un ensemble de sculptures et de monuments qui pourrait bien être le premier et le plus important du monde. Cette découverte n'a pas été un hasard. Dès 1925, Daniel Ruzo était arrivé à la conclusion qu'on devait trouver des traces d'une très ancienne culture répandue dans l'Amérique centrale et l'Amérique du Sud, surtout entre les deux tropiques. L'étude de la Bible, des traditions et des légendes de l'humanité, l'analyse des récits des chroniqueurs espagnols de la conquête, l'avaient porté à cette conviction. En 1952, apprenant l'existence d'un roc exceptionnel sur le plateau de Marcahuasi, il organisa une expédition et s'aperçut qu'il s'agissait, non d'un roc isolé, mais d'un ensemble de monuments et de sculptures répartis sur une surface de 3 km2. Il devait donner par la suite le nom de « Masma » à ce peuple présumé de sculpteurs. Depuis un temps immémorial en effet, on désigne par ce nom une vallée et une ville dans la région centrale du Pérou, habitée par les Huancas jusqu'à l'arrivée des Espagnols.
La première chose qui frappa Ruzo fut l'existence d'un système hydrographique artificiel destiné à recevoir l'eau des pluies et à la distribuer, durant les six mois de sécheresse, dans toute la contrée avoisinante. Sur douze anciens lacs artificiels, deux seulement sont encore en service, le barrage des deux autres ayant été détruit sous l'action du temps. Des canaux servaient à répandre l'eau jusqu'à mille cinq cents mètres plus bas, irriguant ainsi les vastes terrains agricoles étagés entre le plateau et la vallée. On voit encore aujourd'hui un canal souterrain qui débite par une ouverture affluant à mi-hauteur du plateau. Ces vestiges attestent la prospérité d'une région isolée qui devait nourrir elle-même une population très nombreuse.
Pour la défense de ce centre hydrographique vital et de cette riche contrée, le plateau entier avait été converti en forteresse. Sur un des points, deux énormes rochers ont été fortement creusés à la base afin de rendre l'ascension directe impossible et ils ont été reliés, à l'arrière, par un mur fait de grosses pierres. On se trouve en face d'un immense rempart dont la technique atteste l'expérience militaire des constructeurs. On rencontre des vestiges de routes couvertes, bien protégées et, même, à certains endroits, de petits forts dont les toits ont disparu. On peut y voir aussi les grosses pierres qui formaient le mur et la colonne centrale qui soutenait le toit. Il y a encore des postes d'observation pour les sentinelles à tous les points surplombant les trois vallées. Sur quelques-uns de ceux-ci, se dressent des sortes de grandes dents de pierre, qui affleurent du sol et font penser à d'anciennes machines de guerre conçues pour jeter des blocs sur les assaillants.
Dans l'enceinte des fortifications, Daniel Ruzo découvrit, peu à peu, une importante quantité de sculptures, de monuments et de tombes. Les quatre centres les plus intéressants, dominés chacun par un autel monumental, se situent aux quatre points cardinaux.
Les autels dressés à l'est sont orientés vers le soleil levant. En face d'eux, il y a un terrain assez vaste pour contenir une armée ou la population entière de la région ; tout près, une petite colline a été aménagée pour représenter, si on la regarde sous un certain angle, un roi ou un prêtre, assis sur un trône, les mains jointes, priant.
Vers le sud, sur une hauteur d'environ cinquante ou soixante mètres, des figures sculptées se dressent de tous côtés. Orienté à l'est un autel dépasse de quinze mètres le niveau de la plaine environnante. À partir de sa base, descendant vers la plaine, une pente rapide montre une surface lisse, paraissant avoir été obtenue avec un ciment.
Cette pente, semblable à celle des autres autels, est traversée par des lignes qui font supposer que le revêtement a été réalisé par morceaux pour prévenir les effets de la dilatation. Ce ciment, qui imite la texture du roc naturel exposé aux éléments, semble revêtir aussi certaines figures. En enlevant une première couche de ce matériau, les chercheurs ont noté la présence, immédiatement en dessous, de boutons ronds en saillies, qui semblent y avoir été placés pour empêcher que celle-ci ne glisse durant le temps nécessaire à son durcissement.
Deux sculptures, à quelque distance l'une de l'autre, représentent la déesse Thueris, qui présidait, en Égypte, aux accouchements. C'était la déesse de la fécondité et de la perpétuation de la vie. Sa figuration est très originale : un hippopotame femelle, debout sur ses pattes postérieures, portant une sorte de calot rond sur la tête. Avec son museau proéminent, son ventre énorme et le signe de la vie dans sa main droite, cette figure conventionnelle ne peut avoir été reproduite à Marcahuasi par hasard. Après la découverte de plusieurs figures qui ressemblent à des sculptures égyptiennes, l'une à moitié exécutée, Daniel Ruzo pense que l'on peut envisager la possibilité de très anciens contacts entre les deux cultures.
Sur le bord ouest du plateau, à environ cent mètres de l'abîme, un ensemble d'énormes rochers forme un autel tourné vers le soleil couchant. On appelle cet endroit : les « Mayoralas », nom moderne qui s'applique aussi bien aux jeunes filles qui chantent et dansent, selon la tradition, aux festivals rituels qui ont lieu pendant la première semaine d'octobre. L'ancien nom de ce groupe de chanteuses était « Taquet », nom également attribué à la masse rocheuse. Sans aucun doute, il s'agit d'un autel édifié en vue de chants religieux et arrangé en forme de conque acoustique pour amplifier le son.
La fête commence près de San Pedro de Casta, sur la route qui monte au plateau, en un lieu appelé Chushua, aux pieds d'un grand animal en pierre, ressemblant aux animaux fabuleux créés par l'imagination des artistes asiatiques : le Huaca-Mallco. Autour de cette sculpture, suivant la tradition, les hommes, seuls, une nuit du début d'octobre, avant la saison des pluies, célèbrent la première cérémonie, inaugurant la semaine de fêtes en l'honneur de Huari. Les autres fêtes se déroulent, avec le concours des femmes et des chanteuses, dans les alentours et dans l'enceinte de la ville. Ces festivités témoignent encore aujourd'hui de l'étonnante vitalité des sentiments religieux de l'ancienne race, préservée à travers les âges, malgré les persécutions acharnées et en dépit de l'oubli de la source religieuse originelle.
À l'extrémité nord du plateau, deux énormes crapauds s'étalent sur un autel semi-circulaire tourné vers l'ouest. Les prêtres, une fois par an, au solstice de juin, voyaient le soleil se lever exactement sur la figure centrale.
Cet autel appartient à un ensemble, presque circulaire, de monuments ayant à son centre un mausolée, en très mauvais état, mais dans lequel une centaine de photographies, prises à différentes époques de l'année, ont révélé la statue d'un gisant, âgé, veillé par deux femmes, et de quelques figures d'animaux, représentant, peut-être, les quatre éléments de la nature.
La projection directe, sur l'écran, du négatif de l'une de ces photos, fait apparaître une seconde figure. On voit, à l'endroit où se trouve la tête du premier personnage, le visage sculpté d'un homme jeune, les cheveux sur le front, qui vous regarde avec une expression noble et fière. Comment expliquer ce mystère sculptural que seule la photo découvre ?
Le plus important des monuments, par la perfection du travail, est un double rocher haut de plus de vingt-cinq mètres. Chacune de ses parties semble représenter une tête humaine. En réalité au moins quatorze têtes d'hommes sont sculptées, figurant quatre races différentes. Son nom le plus ancien est « Peca Gasha » (la tête du couloir). On l'appelle maintenant, dans la région, « La Cabeza de l'Inca » (la tête de l'Inca). Comme il ne ressemble en rien à une tête d'Inca, il est probable que ce nom lui a été donné pour le situer dans les temps « les plus anciens ». En se référant aux récits des chroniqueurs espagnols de la conquête, et en accord avec leurs observations personnelles, on peut avancer :
— que des sculptures en pierre anthropomorphiques et zoomorphiques ont existé en différentes régions du Pérou et que l'Inca Yupanqui a eu connaissance de ces sculptures ;
— que ces sculptures ont été attribuées à des hommes blancs barbus, appartenant à une race légendaire ;
— que les Huancas, habitant, lors de l'arrivée des Espagnols toute la région centrale du Pérou où se trouvent Marcahuasi et Masma, ont toujours été considérés comme les plus habiles ouvriers de l'empire inca pour les travaux de la pierre ;
— que cette ancienne race de sculpteurs avait laissé des inscriptions. À Marcahuasi, deux rochers, malheureusement abîmés par les ans, semblent avoir été couverts d'inscriptions.
Il y a aussi des « pétrographs » différentes de celles déjà connues : par une habile combinaison d'incisions et de reliefs, le sculpteur a exécuté des images qui doivent être regardées d'un certain point de vue ; quelquefois l'effet est réalisé lorsque la lumière du soleil arrive sous un certain angle ; d'autre ne sont apparentes que dans le demi-jour. L'étude de ces images est difficile. Pour bien les saisir, il convient de les photographier à diverses époques de l'année. On découvre ainsi des reproductions abîmées d'étoiles à cinq et six branches, de cercles, de triangles et de rectangles.
L'inscription la plus notable est placée sur le cou et à la base du menton de la figure principale de la « tête de l'Inca ». Imaginez des lignes doubles faites avec de petits points noirs gravés dans le roc de manière indélébile. Il semble presque incroyable que ces points aient défié le temps, peut-être sont-ils gravés en profondeur. L'inscription reproduit la partie centrale d'un échiquier. Un quadrillage analogue à celui que les Égyptiens gravaient sur la tête de leurs dieux.
De même que les inscriptions, les souvenirs du passé se sont peu à peu effacés. L'idée courante, dans la région, est que le plateau est un lieu hanté. On raconte qu'à une certaine époque les meilleurs magiciens et guérisseurs se rassemblaient là et que chacun des rochers représentait l'un d'eux. Si plusieurs figures peuvent être reproduites photographiquement, un nombre beaucoup plus grand ne peut être apprécié que sur les lieux, sous certaines conditions de lumière et par des sculpteurs ou des personnes familiarisées avec ce travail. Les sculptures ne sont parfaites que vues sous un angle donné, à partir de points bien déterminés ; hors de ceux-ci, elles changent, disparaissent ou deviennent d'autres figures ayant, aussi, leurs angles d'observation. Ces « points de vue » sont presque toujours indiqués par une pierre ou une construction relativement importante.
Pour l'exécution de ces travaux, on eut recours à toutes les ressources de la sculpture, du bas-relief, de la gravure et à l'utilisation des lumières et des ombres. Les uns sont visibles seulement à certaines heures du jour, soit toute l'année, soit seulement à l'un des solstices s'ils demandent un angle extrême du soleil. D'autres, au contraire, ne peuvent être appréciés qu'au crépuscule, quand aucun rayon ne tombe sur eux.
Beaucoup sont reliés les uns aux autres et aux « points de vue » correspondants, permettant de tirer des lignes droites réunissant trois points importants, ou plus. Quelques-unes de ces lignes si on les prolongeait, signaleraient approximativement les positions extrêmes de déclinaison du soleil.
Les figures sont anthropomorphiques et zoomorphiques. Les premières représentent au moins quatre races humaines, dont la race noire. La plupart des têtes sont sans coiffure, mais quelques-unes sont couvertes d'un casque de guerrier ou d'un chapeau.
Les figures zoomorphiques offrent une extrême variété. Il y a des animaux originaires de la région, tel le condor et le crapaud ; des animaux américains, tortues et singes, qui ne pouvaient vivre à une telle altitude ; des espèces – vaches et chevaux – que les Espagnols apportèrent ; des animaux qui n'existaient pas sur le continent – non plus que dans les temps préhistoriques –, tels l'éléphant, le lion d'Afrique et le chameau également, quantité de figures de chien ou de têtes de chien, totem des Huancas, même à l'époque de la conquête.
Les sculpteurs ont réalisé des figures en utilisant aussi des jeux d'ombres qu'on peut apprécier surtout durant les mois de juin et de décembre quand le soleil envoie ses rayons des points extrêmes de sa déclinaison. Ils ont, pareillement, profité des ombres en ciselant des cavités dans le roc afin que leurs bords projettent des profils exacts à un certain moment de l'année pour former une figure ou la compléter.
Tout cela incite à croire à l'existence d'une race de sculpteurs au Pérou qui fit de Marcahuasi son plus important centre religieux et, pour cette raison, le décora à profusion. Nous pourrions rapprocher cette race de sculpteurs des artistes préhistoriques qui ont décoré avec des peintures murales les cavernes d'Europe. On trouve encore des « pétrographs » obtenues grâce à des vernis indélébiles : rouges, noirs, jaunes et bruns, semblables à d'autres, découvertes dans le département de Lima, mais moins anciennes que les grandes sculptures.
Il y a une parenté très proche entre les sculptures de Marcahuasi et celles qui décorent, en très grand nombre, la petite île de Pâques : la technique des sculpteurs est la même ; ils ont, notamment, représenté les têtes sans yeux, taillant les sourcils de manière à produire une ombre qui, à un moment donné de l'année, dessine l'œil dans la cavité.
Ces ouvrages, d'un type extrêmement archaïque, paraissent avoir été conçus par une mentalité humaine intermédiaire entre celle des paléolithiques ou mésolithiques anciens – dont les Australiens sont la dernière relique –, et la mentalité, si connue, des grands empires où la taille des pierres, la géométrie, l'arithmétique de position, avec figuration du zéro, l'élévation des pyramides, sont les traits les plus saillants.
Marcahuasi, semble-t-il, est moins un centre de lieux d'habitations que de lieux de réunion des fils du même clan. L'ensemble de monuments et de sculptures, sur les trois kilomètres carrés du plateau, constitue une œuvre sacrée comme les alignements de Carnac ou les grottes des Eysies.
Quatre mille photos en noir et en couleurs, des études chimiques sur la pierre, des comparaisons avec des bas-reliefs, trouvés en Égypte et au Brésil, montrent qu'il y a peut-être sur ce plateau de Marcahuasi la plus vieille culture du monde, plus vieille que celle de l'Égypte, plus ancienne que celle de Sumer. Que s'est-il passé en Amérique du Sud entre cette période et l'arrivée des Espagnols ?
Le troisième type de question va donc porter sur les méthodes d'établissement des chronologies.
Les archéologues, quand on leur parle de l'Amérique du Sud, deviennent agressifs et rompent le dialogue après quelques injures où il est question de « superstition », « mentalité prélogique », etc. Les ethnologues sont plus souvent des gens de meilleure composition. Par exemple, le professeur danois Kaj Birket-Smith, docteur ès sciences des universités de Pennsylvanie, d'Oslo et de Bâle. Son livre, The Paths of Culture traduit du danois par Karin Fennow, a été publié par l'université de Wisconsin en 1965. On y trouve, en ce qui concerne les civilisations sud-américaines, la phrase suivante : « Nous semblons être confrontés avec une énigme sans solution et il faut admettre que la réponse finale n'est pas encore trouvée. »
Que l'on suppose que l'Amérique du Sud ait été colonisée à partir de la Polynésie, à partir d'une mystérieuse Atlantide ou même à partir de la Crète (cette dernière thèse est défendue dans l'ouvrage de M. Honoré Champion, Le Dieu blanc précolombien), ou, au contraire, que l'on parte de l'hypothèse d'une culture autochtone, les énigmes se multiplient et les contradictions s'accumulent. Voici la cité de Tiahuanaco au Pérou. Comparons deux chronologies relatives à cette cité : celle des archéologues classiques et celle des archéologues romantiques.
Chronologie classique :
9 000 avant J.-C. : des hommes assez semblables aux Indiens de nos jours chassent des animaux disparus actuellement en Amérique du Sud.
3 000 ans avant J.-C. : ces hommes découvrent l'agriculture.
1 200 ans avant J.-C. : la technique naît avec, en particulier, l'invention de la céramique.
800 ans avant J.-C. : apparition du maïs comme base de la nourriture.
Entre 700 ans avant J.-C. et 100 ans après : trois civilisations apparaissent et s'écroulent.
100 à 1 000 ans après J.-C. : apparition de vastes civilisations et construction de la cité cyclopéenne de Tiahuanaco.
1 000 à 1 200 ans après J.-C, : un trou où, brusquement, on ne retrouve plus aucun objet, aucune tradition pouvant préciser ce qui s'est passé. La civilisation la plus ancienne durant cette période, et qu'on n'arrive pas à dater, est celle de Chanapata. De cette civilisation, Alfred Métraux, archéologue sérieux entre tous, écrira : « Une chose demeure certaine ; entre cette civilisation archaïque et celle des Incas dont les débuts se situent autour de l'an 1200 de notre ère, il y a une solution de continuité. Rien ne permet encore de combler ce vide. »
1 200 à 1 400 ans après J.-C. : une série d'empereurs incas dont on ne sait pas s'ils ont existé ! Par prudence, les archéologues sérieux les appellent semi-légendaires.
1492 après J.-C. : découverte de l'Amérique.
1532 : destruction de l'empire inca par l'invasion espagnole.
1583 : par décision du Concile de Lima, on brûle la plupart des cordes à nœuds, ou quipus, sur lesquelles les Incas avaient enregistré leur histoire et celle des civilisations qui les avaient précédés. Le prétexte donné est que ce sont des instruments du diable. Ainsi disparaît la dernière chance de savoir la vérité sur le passé péruvien. Tout ce qu'on peut faire actuellement, que l'on soit classique ou romantique, ce sont des hypothèses.
Et voici maintenant la chronologie romantique :
50 000 ans avant J.-C. : sur le plateau de Marcahuasi naît la civilisation Masma, la plus ancienne de la Terre.
30 000 ans avant J.-C. : fondation de l'empire mégalithique de Tiahuanaco.
20 000 ans avant J.-C. : écroulement de l'empire de Tiahuanaco et naissance de l'empire Paititi. Développement de l'astronomie.
10 000 ans avant J.-C. à 1 000 ans après J.-C. : cinq grands empires séparés par des catastrophes successives.
1 200 ans après J -C. : Manco Cápac crée l'empire inca. Après quoi la chronologie romantique rejoint la chronologie classique.
Pour le profane, les arguments sur lesquels sont basées les deux chronologies paraissent aussi bons les uns que les autres. Peut-on trancher le débat en faisant appel à l'une des méthodes physiques de datation : radiocarbone, thermoluminescence, rapport argon-potassium, etc. ? Hélas toutes ces méthodes sont discutables dans leur principe et délicates dans leur application. En particulier, le radiocarbone.
La théorie de la datation des objets par le radiocarbone est simple. L'atmosphère de la Terre est constamment bombardée par des rayons cosmiques venant de l'espace. Sous l'effet de ces bombardements, une partie de l'azote de l'atmosphère se transforme en carbone. Mais ce carbone est un carbone lourd, de poids atomique 14, et radioactif. Ce carbone radioactif forme, avec l'oxygène, du gaz carbonique radioactif qui est absorbé par les plantes. Les plantes, à leur tour, sont mangées par des animaux et, finalement, tout organisme vivant comporte une certaine proportion de carbone 14. Quand l'organisme meurt, les échanges avec l'extérieur cessent. Le carbone 14, présent au moment de la mort, continue à se désintégrer suivant une périodicité de cinq mille six cents ans, ce qui veut dire la moitié des atomes de carbone 14 qui y étaient au départ. Au bout de cinq mille six cents ans de plus, il ne restera que la moitié de cette moitié, soit un quart des atomes d'origine. Et ainsi de suite… Avec des instruments de précision, on arrive à compter les atomes qui restent et à déterminer ainsi la date à laquelle un animal a été tué, à laquelle un arbre a été coupé pour faire du charbon de bois, à laquelle une momie a été déposée dans son cercueil.
Telle est la théorie. Elle suppose que le rayonnement cosmique est le même à tous les âges et dans tous les pays, que l'échantillon utilisé n'a pas été contaminé par des microbes ou des champignons récents, qu'il n'y a réellement eu aucun échange avec le milieu extérieur. En pratique, ces conditions ne sont jamais réunies. En particulier, au Pérou, des phénomènes que l'on saisit encore très mal, et qui sont peut-être dus à l'altitude ou à la radioactivité locale, faussent la datation par le radiocarbone, de telle sorte que l'archéologue classique, J. Alden Mason, peut écrire dans son livre sur les anciennes civilisations du Pérou : « D'une façon générale, si une date obtenue au moyen du radiocarbone paraît entièrement déraisonnable à l'archéologue expert, et si elle ne cadre pas avec des dates adjacentes, il est en droit de refuser de l'accepter et d'insister pour qu'une vérification soit faite par d'autres méthodes. » C'est dire qu'on ne peut compter sur le radiocarbone pour trancher définitivement le mystère péruvien et qu'il est légitime d'accepter la chronologie romantique lorsqu'elle est basée sur des expériences. En ce qui concerne le plateau de Marcahuasi, Daniel Ruzo a fait quelques essais de vieillissement sur des morceaux de granit vierge exposés au climat du plateau. Il arrive ainsi à une date de l'ordre de cinquante mille ans. Encore faudrait-il observer la décoloration du granit, non pas à l'œil nu, mais à l'aide de cellules photo-électriques.
D'une façon générale, la tendance actuelle est d'accepter le carbone 14 comme vérification d'une date déjà bien établie, mais de ne pas trop compter dessus lorsqu'on n'a aucun autre recoupement. Il en est de même, pour le moment, des autres méthodes physiques.
Enfin le quatrième type de question va porter, naturellement, sur la présence d'énigmatiques souvenirs et vestiges de technologie avancée.
H.P. Lovecraft a écrit : « Les théosophes et, d'une façon générale, les gens qui se basent sur la tradition indienne parlent d'énormes étendues du passé en des termes qui glaceraient le sang si le tout n'était pas annoncé avec un optimisme sucré. Mais que sait-on en réalité ? »
L'un des ouvrages les plus récents et les plus sérieux dans ce domaine est celui d'un esprit universel, mathématicien, généticien, numismate, archéologue : The Culture and Civilization of Ancient India in Historical Outline, par D.D. Kosambi (Routledge and Kegan Paul, London).
L'Inde, terre hors l'histoire ? Il y a peu de traces de l'histoire primitive indienne, pas de repères dans un passé qui s'étend sur des dizaines de millénaires.
Nul n'a encore pu déchiffrer une mystérieuse écriture née voici cinq millénaires, dans la vallée de l'Indus, autour du site de Mohenjo-Daro. La seule certitude est l'absence de traits communs entre cette langue de l'Indus et les langues indo-européennes qui devaient lui succéder. Depuis quelques années, deux étudiants finlandais, l'un en philologie, l'autre en assyriologie, les frères Parpola, aidés par un jeune statisticien, Seppo Koskenniemi, ont entrepris un décryptage de cette langue qui se révèle intermédiaire entre le système chinois des idéogrammes et le système syllabique de nos langues. Le décryptage, qui repose sur l'hypothèse d'un rapprochement possible avec les racines dravidiennes, n'a pas encore donné de résultats satisfaisants, et les tablettes n'ont pas « parlé ».
Sur ces tablettes, un peuple inconnu, rassemblé autour de Mohenjo-Daro, dans le troisième millénaire avant J.-C., fixait son énigmatique souvenir. Durant quelques siècles, ou plus, il avait donné le jour à une civilisation d'un éclat comparable à celui de Sumer et de l'Égypte. Puis c'est la ruine. Une société sans doute fossilisée s'écroule, s'éteint brusquement. Inondations ? Invasions ? On ne sait pas. Et ces tablettes-rébus dans les ruines de chaque maison. Combien de temps cette civilisation de Mohenjo-Daro a-t-elle mis à fleurir, puis à se scléroser, n'offrant nulle résistance à ce qui va d'un seul coup l'effacer ?
Dans le déclin de Mohenjo-Daro, des envahisseurs seraient venus incendier la ville et massacrer les habitants. Ces envahisseurs ne laissent aucune trace dans l'Histoire. On pense que certaines légendes des Vedas s'y rapportent, mais on ne peut en être sûr. Le professeur Kosambi définit ces envahisseurs comme les premiers Aryens, mais reconnaît lui-même que son point de vue est discutable. Il essaie d'identifier Mohenjo Daro avec la cité Narmini décrite dans la Rigveda, mais avoue que c'est une hypothèse. D'une façon générale, il admet dans les Vedas ce qui lui paraît techniquement réalisable à l'époque et rejette tout le reste, en dépit des textes décrivant avec précision des appareils volants. Reste à savoir s'il ne passe pas avec cette méthode à côté d'un certain nombre de questions fantastiques et judicieuses. L'auteur considère les Aryens simplement comme des nomades massacrant tout ce qu'ils voient et détruisant toutes les cultures qu'ils rencontrent. Dans les guerres décrites dans les Vedas, l'auteur considère comme mythologiques toutes celles où figurent des armes supérieures. C'est évidemment un point de vue « sérieux ». Mais, pourtant, c'est un point de vue qui paraît bien simpliste. Si l'on nie a priori comme légendaire tout ce qui ressort d'une technologie supérieure à la technologie moyenne de l'époque, on a évidemment un beau folklore d'une part et une histoire nette et banale d'autre part.
La littérature abondante – et en partie délirante – issue du Matin des magiciens a familiarisé le lecteur avec les échos de visites extra-terrestres dans les anciens textes sacrés, dont précisément, les Vedas. Une analyse systématique de l'ensemble des traditions écrites et orales se rapportant au sujet n'a pas encore été faite. Mais ce n'est pas la seule énigme qui reste à débrouiller. Si l'homme est plus ancien qu'on ne le croyait voici vingt ans ; si l'idée d'évolution lente et progressive doit être remise en cause ; si le cliché de l'imbécile à face de singe frottant son silex est un « cauchemar d'archéologue classique », le cliché d'une technologie au berceau pendant vingt-cinq mille ans et qui se met brusquement sur ses pieds voici deux siècles pour battre tous les records de vitesse, doit être un délire d'orgueil du même archéologue, décidément névrotique. L'économie des hypothèses devrait impliquer l'hypothèse de technologies avancées dans des civilisations précédant l'histoire. Cette hypothèse risque d'être plus justiciable de l'examen expérimental, que celle de la « magie primitive » qui ressort de l'interprétation subjective et littéraire. Cependant, dit l'archéologue classique, si des techniques avancées existaient dans le passé, pourquoi n'en retrouve-t-on pas de traces ? Or, justement, on en retrouve des traces. Et peut-être en trouverait-on encore plus de traces si l'esprit était disposé à les chercher.
En 1930, un ingénieur allemand, venu remettre en état les égouts de Bagdad, trouve dans les caves du musée de cette ville une caisse contenant « divers objets de culte » non classés. C'est ainsi que Wilhelm Koëning devait découvrir une pile électrique vieille de deux mille ans. Quand John Campbell en 1938, dans sa revue Analog, eut donné à cette affaire quelque publicité, l'université de Pennsylvanie acquit l'étrange petit objet (haut de quinze centimètres) et devait par la suite confirmer qu'il s'agissait bien d'une pile utilisant le fer, le cuivre, un électrolyte et l'asphalte comme isolant. Technique oubliée ou négligée aussitôt que découverte ? Procédé de dorure dans les temples, négligé par la suite ? Instrument de prêtrise pour « faire des miracles » ? Ou vestige d'une connaissance et de pratiques dont on n'avait déjà plus les clés voici deux mille ans, et que l'on met au rebut par ignorance et incapacité ? De nouvelles découvertes auraient été faites en 1967 dans ce même musée de Bagdad. On attend des informations.
En 1901, on retire de la mer au large de l'île d'anti-Cythère, dans l'archipel grec, une amphore datant du IIe siècle avant J.-C. Cette amphore est scellée. On s'aperçoit qu'elle contient un assez gros objet métallique complètement rouillé. En 1946, pour la récupération des engins abandonnés sur les champs de bataille, on met au point un nouveau procédé de récupération des objets oxydés. En 1960, un professeur d'Oxford, Derek de Solla Price, a l'idée d'employer ce procédé pour interroger la masse rouillée de l'amphore d'anti-Cythère. On s'aperçoit alors, par désoxydation et reconstitution, qu'il s'agit d'une machine en bronze spécial destinée à calculer la position des planètes du système solaire. On ne peut dater ce bronze. Le bateau grec qui coula voici deux mille ans, transportait-il dans cette amphore une machine très ancienne dont on ignorait l'emploi ? Dans son ouvrage La Science depuis Babylone, Derek de Solla Price considère que cette découverte a « quelque chose d'effrayant » et plaide pour une révision de l'archéologie.
Le Dr Bergsoe (travaux cités par le professeur Kaj Birket-Smith) devait retrouver en 1965 une technique de dorure, ignorée aujourd'hui, utilisée en Équateur vers l'an 1000 et jusqu'à l'arrivée des Espagnols. On recouvrait un objet à dorer avec un alliage facilement fusible de cuivre et d'or. Puis on martelait et chauffait. Le cuivre se transforme en un oxyde qui se dissout dans un acide végétal, la sève de l'arbre oxalis pubescens. Reste la couche d'or. Cette technique, qui eût pu être brevetée en 1965, est plus facile que la méthode par amalgame ou par électrolyse. Ne peut-on pas penser que des réalisations que nous considérons comme impossibles a priori dans le passé ont pu être effectuées à partir de procédés que nous ignorons ? Notre technologie est-elle la seule efficace ? La nature qui, sans prendre parti, livre ses secrets aussi bien au marxiste qu'au capitaliste, a pu faire des livraisons aussi bien dans le passé « prélogique » que dans notre présent progressiste. Devons-nous, pour rejeter cette hypothèse embarrassante, dire que de telles découvertes technologiques ont été le produit de hasards ? Il s'agit, dans le cas de la dorure, d'un procédé complexe avec quatre phases successives d'opération. Devrons-nous, pour la rejeter d'une autre manière, parler de brusques illuminations obtenues en extase ? Autre exemple : Robert von Heine-Geldern a établi que les techniques de la fonderie du bronze, au Pérou et au Tonkin, 2 000 ans avant J.-C., se ressemblent si étroitement qu'il ne peut s'agir de coïncidences. Il suppose que ces techniques ont pu y être apportées du Tonkin au Pérou par des voyageurs. On aimerait savoir comment ces voyageurs se déplaçaient et pourquoi ils transportaient un manuel de métallurgie. L'économie des hypothèses nous inclinerait à imaginer une source commune. Questions, questions… Mais il en est de plus troublantes ou cocasses.
En Californie, à environ dix kilomètres au nord d'Olancha, le 13 février 1961, Mike Mikesell, Wallace Lane et Virginia Maxey ramassaient des géodes. Les géodes sont des pierres sphériques ou ovoïdes, creuses, dont l'intérieur est tapissé de cristaux. Ils faisaient cette cueillette pour leur magasin de pierres rares et de cadeaux. Parfois les géodes contiennent des pierres fines, qu'ils vendent. Ils ramassèrent une pierre qu'ils prirent pour une géode, bien qu'elle comportât des traces de coquilles fossiles. Le lendemain, ils coupèrent cette fausse géode en deux, en abîmant leur scie diamantée. Elle n'était pas creuse. On y voyait la section d'un matériau de porcelaine ou de céramique extrêmement dur, avec une tige métallique brillante de deux millimètres en son centre.
Des membres de la Société Charles Fort, grands prospecteurs de faits étranges et amateurs d'insolite, ont examiné aux rayons X cette inclusion (céramique, cuivre, tige métallique) qui fait penser à un vestige d'équipement électrique. Les propriétaires de la « géode » mystérieuse viennent de la mettre en vente pour vingt-cinq mille dollars. Si cet objet n'est pas, comme il semble, enrobé d'une concrétion boueuse, mais d'une enveloppe sédimentaire, on est en présence d'une formidable énigme.
Évidemment, nous ne rapportons pas cette histoire avec le sentiment de déclencher la révolution en archéologie. Nous voulons simplement indiquer que des interrogations de cette sorte fourmillent sans que des réponses définitivement satisfaisantes soient données. Mais, un jour, quelque « vilain fait peut venir offenser à jamais une généralisation ravissante », comme l'écrivait Huxley, et l'histoire des hommes nous apparaître sous un jour nouveau. Nous savons bien, nous autres pauvres amateurs questionnants, qu'il convient de rêver sans laisser le rêve prendre le pouvoir. Mais il est permis de rêver. Il se pourrait même que cela fût hautement recommandé pour la fouille du passé. C'est l'arme principale du combat contre la profonde obscurité des temps engloutis. Et le combat contre le temps est la seule activité digne de l'homme qui sent, qui sait, en lui, quelque chose d'éternel.