Chapitre 15
Il y avait un homme caché, agrippé sous les balustres.
Depuis quelques instants, pour l'observer, Angélique avait interrompu ses divagations sur les inconséquences et l'illogisme de l'être humain en amour, et ses réminiscences comparatives. Attirée par un léger bruit, elle s'était penchée et avait distingué l'ombre portée d'un homme hirsute et dont les vêtements étaient en lambeaux. Il se cramponnait à ce qu'on appelait les « galeries » qui étaient des ornementations en surplomb, encadrant les deux étages du château arrière.
– Hep ! L'homme, souffla-t-elle, que faites-vous là ?
Se voyant découvert, il glissa de côté et elle aperçut un peu plus bas, accroché cette fois aux moulures qui cernaient la « tutèle », c'est-à-dire le grand panneau sur lequel était peinte une allégorie du Cœur de Marie entourée d'anges.
Le mystérieux acrobate lui jeta un regard menaçant, mais qui suppliait aussi. Il portait des meurtrissures aux poignets.
Angélique comprit. Sur le bateau de Barbe d'Or, il y avait des prisonniers et celui-là devait être un prisonnier qui s'évadait.
Elle lui fit un petit signe d'entente et se retira en arrière. Comprenant qu'elle ne donnerait pas l'alarme, l'autre reprit courage. Elle sentit son élan et perçut le bruit du plongeon.
Lorsqu'elle regarda de nouveau, tout était calme. Elle le cherchait au pied du vaisseau, mais il émergeait déjà là-bas dans le reflet sombre d'un îlot puis se mettait à nager. Une nostalgie affreuse s'empara d'Angélique. Elle aussi aurait voulu fuir, fuir, s'évader de ce navire où elle se sentait prise au piège de ses propres faiblesses. Demain, Colin surgirait encore devant elle.
« Il me faut quitter ce vaisseau à tout prix, se dit-elle, à tout prix... »