Chapitre 7
Le soir, revenus tous au poste sur l'invitation du Hollandais qui désirait offrir un festin à ses principaux visiteurs de ce jour, ils discutèrent tout d'abord de la possibilité de reconduire l'enfant.
Leur hôte leur apporta des cartes.
Compte tenu des détours, pistes et collines, il faudrait envisager trois jours aller et retour pour se retrouver à Houssnock et reprendre la caravane vers l'ouest et Gouldsboro. Mais Joffrey de Peyrac découvrit rapidement une autre solution. L'établissement de Brunschwick-Falls se trouvait situé sur la rivière Androscoggi. Navigable et rapide, cette rivière permettait de rejoindre en quelques heures l'embouchure du Kennebec. L'expédition du comte de Peyrac se scinderait en deux. Un groupe, le plus important, descendrait, comme prévu, le grand fleuve jusqu'à la mer où les attendait un navire envoyé par d'Urville. Durant ce temps, Joffrey de Peyrac et Angélique, accompagnés de quelques hommes, gagneraient le village anglais et, après avoir remis l'enfant à sa famille, descendraient l'Androscoggi jusqu'à la côte, où ils feraient leur jonction avec le premier groupe. L'affaire, finalement, ne devrait pas demander plus de deux jours.
Ceci conclu, on fit honneur à la « Candies-partie » offerte par Pieter Boggan. Il s'agissait d'une vieille recette que l'on se passe sur les bords de l'Hudson, depuis la Nouvelle-Amsterdam jusqu'à Orange, parmi les Hollandais du Nouveau Monde. Dans une marmite, verser deux gallons du meilleur madère, trois gallons d'eau, sept livres de sucre, de la mouture d'avoine fine, épices diverses, raisins, citrons...
Servir brûlant dans un grand bol d'argent placé au milieu de la table, chaque invité plongeant tour à tour sa cuillère d'argent dans l'aromatique cordial. Rien de meilleur pour réveiller les humeurs et conforter les esprits chagrins. Outre le comte et la comtesse de Peyrac et leur fils, étaient présents le baron de Saint-Castine, l'Acadien Défour, le caporal de la garnison de Saint-Jean, le capitaine français du navire flibustier de l'île de la Tortue et son aumônier. Le Hollandais et ses deux commis anglais et puritains complétaient l'assemblée. Angélique était seule femme.
Par le fait de sa présence, et aussi de celle de l'aumônier, le ton resta de bonne compagnie. Mais Angélique, ayant à cœur de ne pas le leur faire regretter, sut créer une atmosphère joyeuse où chacun brilla, étincela, se crut phénix. Et les plus francs éclats de rire sortaient du poste de traite, se mêlant aux bruits mystérieux de la nuit et du fleuve. Lorsqu'ils se séparèrent, ils étaient tous très gais et fort bons amis. Laissant le Hollandais sur son île, ils revinrent, traversèrent le fleuve au clair de lune et rejoignirent qui son campement, qui son navire.
– J'irai vous voir demain, chuchota le baron de Saint-Castine à Peyrac. J'ai des choses importantes à vous communiquer. Mais, ce soir, dormons. Je titube. Bonne nuit à tous.
Il disparut dans la forêt, entouré d'un groupe d'Indiens qui s'étaient aussitôt détachés de l'ombre, comme des fantômes, pour l'escorter.
Au campement, les sentinelles veillaient. Elles avaient reçu d'impératives consignes de Peyrac. Pour plus de sécurité, le groupe s'était réuni en deux cabanes seulement. Personne ne devait demeurer à l'écart pour la nuit. Le comte et sa femme avaient renoncé à leur abri personnel. Houssnock drainait l'écume de toutes les forêts. Il y avait des Indiens de partout, des baptisés avec leur croix d'or et des chapelets parmi leurs plumes. Malgré la présence du Hollandais ou de ses commis anglais, ce n'en était pas moins la France acadienne et canadienne qui régnait par là. C'était encore le domaine des bois. Or, par tous les bois de l'Amérique, règne le Français.